APRIL 2007. Rafaela apparaît dans un craquement sonore, les pieds dans un bog poisseux et mouillé typique de l'Écosse, un "fuck!" outré lui échappant alors qu'elle saute sur le terrain sec le plus proche, donnant des coups de pieds dans l'air en essayant de se débarasser d'un peu de l'eau qui s'est infiltré dans ses chaussures. En se redressant, elle jette aussitôt un regard alentours et s'approche de la ruine d'église qui constitute l'un des rares meeting points établis avec Elliott pour qu'elle puisse le voir ou d'autres membres des Avengers - en l'occurence, aujourd'hui, elle va voir Ethan. Ils se sont déjà vus il y a quelques semaines, quand Ethan lui a donné un objet à remettre à Simon - une croix en or, que Rafaela a laissé tomber dans la boue aux pieds de Simon, à Gracefield, parmi la cohue, en espérant qu'il la trouve. "From Ethan," lui a-t-elle dit à mi-voix, le son de sa voix à moitié avalé par les sorts filant de parts et d'autres.

Elle est restée angoissée pendant des jours et des jours, profitant des trois jours de congés donnés après chaque Battue, pour passer des heures et des heures au fond de son lit, tremblante. Mais Zabini et ses goons ne sont jamais venus la kidnapper et la torturer. Elle ne mourra pas à cause de ça. Pas cette fois, en tous cas.

Est-ce que les résistants ressentent ça à chaque fois? Cette peur, cette adrénaline, ce plaisir intense de faire quelque chose de bien?

Alerté par le bruit, Ethan s'est redressé et Rafaela le voit près des ruines. "Homenum Revelio," incante-t-elle toutefois, au cas où, avant de sauter au-dessus de la barrière en bois la séparant du terrain de la vieille église. Ils sont seuls, tant mieux. À bout de nerfs, elle lui tombe presque dans les bras en arrivant vers lui, dans une étreinte spontanée et inhabituelle entre eux mais dont elle a désespérément besoin - et vu les traits tirés d'Ethan, qu'il n'est pas non plus en position de refuser. Elle se détache bien vite, replace une mèche de cheveux bruns derrière son oreille, le tient à bout de bras. "Hey," souffle-t-elle finalement, le dévisageant. "Are you okay?" Elle pose rapidement son bras sur sa joue avant de laisser retomber ses mains. "I-I... Ethan, I did it! I did it, I... I did the thing." Le balbutiement est souligné par une respiration courte et une main dans les cheveux et puis soudainement la nervosité devient angoisse et elle se plie en deux, les mains sur les genoux. "Shit, I did it," halète-t-elle, fermant les yeux, la peur explosant dans son ventre aussi soudainement qu'intensément.

Tout prenait désespérément trop de temps ; et de nouveau, au milieu de la récolte d'informations disparates, Ethan pouvait se sentir glisser vers ce sentiment de stagnation qui l'avait habité ces dernières années – au-delà, même, tout datait de l'Ordre au-delà de la nuit fatidique de Wolverhampton, dont les conséquences avaient fait exploser les frustrations latentes. Seul Noam parvenait à le sortir de cette peur tacite qui le prenait lorsqu'il rentrait bredouille d'une entrevue avec un contact, ou se trouvait au pied de ce même mur contre lequel il avait buté si longtemps : il était alors facile de se plonger dans ses rires et ses baisers, et d'oublier l'attente terrible dans laquelle il marinait depuis de longues semaines.

Aussi lorsqu'il avait reçu le SMS de Rafaela, plus d'un mois après lui avoir confié sa croix et ses précieuses bribes d'espoir, il s'était empressé de lui donner rendez-vous, le plus vite possible, s'extirpant des bras de Noam au besoin impérieux de reprendre les recherches – de se laisser aller à la saveur de l'expectative lorsqu'il pensait à Simon portant sa croix en or. Il avait eu du mal à se tenir tranquille, les jours suivant, vibrant d'une impatience qui rivalisait sans peine avec celle de Noam ; et le jour du rendez-vous, il avait donné une accolade à ce dernier, l'embrassant rapidement sur la joue, avant de se détourner pour transplaner, le regard déjà porté sur Rafaela et ses nouvelles de Simon.

I did it!!!x

Il s'empêcha de fumer, à l'abri derrière un pan de vieux mur, ses mains nerveuses jouant avec sa baguette, ses sens en alerte dans cet endroit désert. Il attendit une dizaine de minutes, jusqu'à ce qu'un craquement significatif se fasse entendre : Ethan se redressa immédiatement, en garde, et reconnut la longue silhouette de Rafaela qui se dessinait sur le paysage – elle le prit de court en le prenant dans ses bras secs, l'enserrant contre elle avec une fébrilité qu'il retrouva dans le battement rapide de son cœur (et une force insoupçonnée qui lui coupa le souffle). "Hey" , fit-elle, ses yeux noisette, immenses accrochant les siens, tandis qu'ils se dévisageaient en cœur – comme si le visage de Rafaela contenait toutes les réponses qu'il mourrait d'envie de connaître. "Hey." "Are you okay?" "Yeah, yeah I'm fine", répondit-il rapidement, désireux de se débarrasser de cette inquiétude le concernant.

Les détails, il avait besoin des détails – et Rafaela, d'une voix rapide, lui donna ce qu'il était venu chercher auprès d'elle : des informations tangibles, le début d'un compte-rendu qu'il espérait riche, avide d'en entendre plus sur le sort de Simon. "I-I... Ethan, I did it! I did it, I... I did the thing." Une onde extatique lui parcourut la peau en l'entendant de vive voix."Yeah? Are you alright?" "Shit, I did it." Il posa une main sur son épaule, sa silhouette courbée devant lui et ses yeux inquisiteurs, cherchant à grappiller le récit de cette course vitale qu'elle avait fait pour lui – à l'idée que Simon, son Simon, ait reçu sa croix, une bouffée d'émotion lui grimpait dans le torse, menaçant d'éclater à la surface. "He's got it?" Les doigts d'Ethan se refermèrent sur l'épaule de la dragonologue, aussi grande que lui, à la fois pour l'inciter à reprendre ses esprits, et à la fois pour garder pied devant le souffle chargé d'émotion qui menaçait encore. Il déglutit difficilement, oubliant les remerciements, le courage flamboyant de Rafaela, à la hauteur de son ancienne maison, son esprit et son regard vissé sur une seule et unique chose sur l'instant : Simon. "Did you talk to him? How- how does he look?" demanda-t-il encore, le cœur battant à cent à l'heure sous cet espoir nouveau, qui, pour la première fois depuis longtemps, n'était pas teinté d'une tristesse humide.

Rafaela ferme étroitement les yeux, et y verrait presque des couleurs si elle parvenait seulement à s'y concentrer. Mais tout est flou, tout est trouble, ses pensées et ses sensations se résorbent à chaque fois qu'elle essaye de mettre le doigt dessus, et elle a l'impression qu'elle va s'effondrer sous la soudaine pression qui résonne entre ses tempes et s'abat sur ses épaules. La main d'Ethan sur son épaule est une ancre inespérée, et elle résiste à l'idée brusque et violente de s'en dégager pour à la place se concentrer dessus: sa paume chaude, ses doigts légèrement recourbés qu'elle sent en cinq demi-lunes sur ses vêtements.

Elle expire lentement, libère ses poumons d'une respiration qui y est resté bloquée pendant de trop longues secondes, et sent quelque chose se défaire en elle progressivement alors que son corps et son cerveau, lui semble-t-il, se remettent en marche brusquement et essayent de rattraper leur train de retard. "He's got it?" Muette, pour une fois, Rafaela hoche légèrement la tête, et parvient à rouvrir les yeux en sentant ses doigts se resserrer autour de son épaule. "Did you talk to him? How- how does he look?" Rafaela inspire, expire, et se redresse lentement en ayant pourtant l'impression qu'elle va se faire emporter par le vent et cette brusque rafale d'angoisse qui lui est tombée dessus comme une véritable enclume digne d'un dessin animé moldu - elle n'est pas propice à ce genre d'émotions violentes, la nervosité se glissant en elle comme le résultat d'un lent venin insidieux et mortel, d'habitude. "I couldn't talk to him, there were too many... they have these cristal balls following us around, it's actually a fucking miracle I was able to..." Elle se tait, blême, à l'idée qu'on l'ait vue, que Zabini sache et soit là, quelque part, tapi dans les fourrés, à les espionner... la pensée est tant ridicule qu'absurde, bien entendu, mais elle balaye tout de même les alentours d'un regard nerveux et tressautant, pas rassurée. "I couldn't talk to him," reprend-t-elle lentement. "But I saw him, yes. He was filthy, there was blood on his face, and there was this..." Elle pince des lèvres.

Sur la photo qu'elle a envoyé à Elliott, il y avait trop d'ombres et de flou, des pixels trop dégrossis, et même à l'époque elle l'avait à peine remarquée. Mais en faisant tomber la croix à ses pieds, elle l'a vue, cette marque marron inversée s'étalant sur sa pommette et sa joue.

Raf se redresse un peu plus, fait craquer sa nuque, et regarde Ethan d'un air sérieux - et malgré elle, désolé. Elle ignore vraiment quelle relation les unissait, elle n'en a pas parlé en long en large et en travers avec son jumeau, elle sait juste qu'ils étaient proches... et elle devine maintenant qu'ils s'aimaient, suffisamment pour qu'Ethan lui demande de faire quelque chose comme ça pour lui. "Ethan, I'm sorry, there was... I mean, I... there was a mark on his face," dit-elle lentement. Il doit connaître les mesures gouvernementales, et la signification des triangles inversés sur les visages patibulaires des Hounds et autres hybrides qui essayent pourtant, tout simplement, de vivre leurs vies aussi normalement que possible. "A-a triangle, and it was brown, and... I heard they... they let werewolves roam free on this island, when these games are not playing," balbutie-t-elle, estomaquée en comprenant soudainement ce qu'elle a vu et ce à quoi elle n'a pas plus réfléchi que ça jusqu'à maintenant. "Ethan, I'm so sorry, I think Simon..." Elle ne finit pas sa phrase, et aligne simplement deux grands yeux écarquillés et horrifiés. I think Simon was turned into a werewolf.

Rafaela parlait vite, trop, ses mots se perdant dans sa respiration courte, saccadée par une agitation qu’Ethan connaissait bien à travers son miroir jumeau, Elliott - lui aussi était particulièrement nerveux, réalisant à peine qu’elle avait vu Simon, et que ce dernier était en possession de son bien le plus précieux désormais ; on sait que t’es là, on vient te chercher, un moyen comme un autre de lui transmettre le message, avec tout l’amour et l’espoir d’Ethan, ravivés par la preuve solide que Simon était encore en vie.

Il relâcha l’épaule de Rafaela lorsqu’elle se redressa, reprenant le fil de ses pensées et de sa question certes brouillonne, après un coup d’oeil nerveux autour d’eux. "I couldn't talk to him. But I saw him, yes. He was filthy, there was blood on his face, and there was this..." Le coeur d’Ethan chuta dans sa poitrine ; Rafaela leur avait rapidement fait comprendre l’état déplorable de la majorité des prisonniers - des proies, plus exactement, et un pressentiment désagréable pressait sa cage thoracique devant le brusque silence, inhabituel de la sorcière, et le regard désolé qui avait viré sur lui. "This what?" s’entendit-il reprendre par dessus le vacarme de son torse. "Ethan, I'm sorry, there was... I mean, I... there was a mark on his face." Une marque ? Non, c’était impossible ; et loin de son débit initial, Rafaela parlait désormais avec une lenteur agaçante, distillant les informations au compte-gouttes devant son esprit tournant à cent à l’heure. "Which kind?" "A-a triangle, and it was brown, and… (fuck) I heard they... they let werewolves roam free on this island, (non) when these games are not playing.”

La boule qui s’était doucement pelotonnée dans son ventre, à la faveur de son inquiétude, éclata en une multitude de filets brûlants et glacés à la fois, lui labourant le buste.
Simon était un putain de loup-garou.
Son Simon, transformé en loup-garou.

"Ethan, I'm so sorry, I think Simon..." "Shit", siffla-t-il en passant une main nerveuse sur son front, son regard quittant celui de Rafaela sans attendre la suite ; ses genoux tremblants cédèrent sous lui, et Ethan fléchit les jambes pour s’accroupir sans grâce au milieu des ruines. "That means hm, that means he’s alive, and- and probably stronger yeah, like most hybrids?" fit-il en relevant les yeux vers la sorcière, sa voix un yoyo qui ne lui ressemblait pas, à la recherche de la confirmation d’une experte en créatures magiques. "I remember when we were still in the Order, before they sent them off to Sweet River, we hm, we had a chat about how keen their senses are, especially their sense of smell, and huh, there were fights too, lots of them..." Ses yeux étaient retombés dans le vide, à la recherche de ces arguments logiques perdus dans la confusion de son esprit tournant à blanc sous le choc - Ethan ne revoyait que la violence de ces accrocs, les hurlements à la pleine lune (et sa propre peur de gosse face à ces êtres qu'il avait jugés extrêmement dangereux, à l'époque, avant Sam et sa douceur), lorsque les nouvelles lois avaient incités bon nombre d’hybrides à fuir pour rejoindre Wolverhampton. "Bloody Merlin, fuck," jura-t-il en repensant à l’air tantôt hagard tantôt revêche des hybrides marqués, une image déformée sous le coup qu'on venait d'abattre sur lui. Il passa ses mains sur son visage en surchauffe, son coeur se brisant à l’image de cet horrible triangle marron sur le beau visage de Simon. "He fucking hates brown, this is terrible."

"Shit." Ethan tombe brutalement sous ses yeux, et Rafaela suit presque machinalement le mouvement en s'accroupissant face à lui, posant une main d'abord hésitante, puis ferme, sur son épaule. Elle ne peut même pas imaginer ce qu'il doit ressentir en cet instant précis, ce à quoi il doit penser... elle-même, qui ne connait pourtant pas très bien Simon, a l'estomac noué et ressent une fébrilité électrique dans sa poitrine qui se soulève à un rythmne saccadé. Un loup-garou... Rafaela repense à Warren Avery, son père biologique, dont elle a entendu la triste histoire sans jamais pouvoir la comprendre. Elle n'a jamais vu de loup-garou de toute sa vie, n'en a jamais fréquenté. Un mélange de crainte mais aussi d'habitude: parce que même si elle aimerait bien en être capable, Rafaela reste une jeune femme de sang-pur, de bonne famille, avec une vie bien tracée au sein d'une haute société fermée à la différence.

Ethan aussi, elle ne le connait que trop peu. Et pourtant elle se sent remplie d'une énorme tristesse à voir son regard sauter d'un point à l'autre, retourner la situation dans sa tête pour mieux la comprendre. "That means hm, that means he’s alive, and- and probably stronger yeah, like most hybrids?" Raf ouvre la bouche mais ne sait pas quoi répondre, essayant de se souvenir de ses cours à la LAAW. Les loup-garous ne sont pas vraiment des créatures magiques, mais ils ont tous reçu une formation à ce sujet - le genre de cours qui fait froid dans le dos et force une génération d'étudiants à acheter des calendriers lunaires pour ne pas se retrouver en pleine forêt un soir de pleine lune... "Y-yeah," est tout ce qu'elle parvient à lui dire, parce qu'elle se souvient surtout de la description douloureuse de la transformation, des sautes d'humeur, de la dangerosité intrinsèque de cette condition terrible. "I remember when we were still in the Order, before they sent them off to Sweet River, we hm, we had a chat about how keen their senses are, especially their sense of smell, and huh, there were fights too, lots of them..." Les doigts de Rafaela se referment un peu sur son épaule, un support tremblant mais présent, certainement insuffisant. Elle ne sait pas quoi dire alors, pour une fois, elle ne dit rien, laissant un léger silence angoissant planer - elle a peur de dire quelque chose de travers.

"Bloody Merlin, fuck. He fucking hates brown, this is terrible." Rafaela ne sait pas comment réagir, alors elle rit, puis se mord la lèvre. "S-sorry, I--" Elle pense que la couleur de la marque incandescente sur sa joue est le moindre des soucis de Simon, mais elle peut comprendre pourquoi un Ethan choqué se focaliserait sur ce détail. À vrai dire, elle trouve ça plutôt adorable, qu'il se jette sur cet état de fait - il doit beaucoup l'aimer. "It's horrible, I'm so sorry Ethan, I-- werewolves, they're very strong and they're very fast. I hear there's quite a bit on the island, a pack of sorts... I'm sure they're helping each other out. And it's not like he," dit-elle avec emphase, en voulant dire Zabini, "can kill them off as he pleases, you know? I'm- we- we're going to save him. We're going to go there and save him and take this bloody mark off his face, I promise." Ce n'est pas une promesse qu'elle est sûre de pouvoir tenir, et elle regrette déjà de l'avoir énoncée, mais c'est plus fort qu'elle. Rafaela n'a jamais été bonne pour calmer le désespoir des autres. Ou le sien propre, à vrai dire.

Sa main glisse le long du bras d'Ethan dans une caresse maladroite mais complice. "I'm sorry, Ethan," murmure-t-elle de nouveau. "But we'll work it out and-and you'll find each other again. You have to."