Cela fait des mois qu'elle attend. Des mois qu'elle fait des pieds et des mains à l'Ordre pour qu'on mette une équipe en place, qu'on étudie une stratégie, et qu'on aille enfin, enfin, enfin chercher son Sylas, qu'elle a laissé malgré elle derrière elle à Halloween. Elle est allée frapper à toutes les portes, a même commencé à réfléchir plusieurs fois à une manière d'aller chercher Sylas dans le dos de l'Ordre. Fuck it, that's my husband we're talking about. se revoit-elle dire à une Susan inquiète, partagée entre l'envie de l'aider et une méfiance à l'idée qu'elle se mette en danger. Alexis veut aller récupérer Sylas depuis des mois et à chaque fois, à chaque fois, on lui a dit que ce n'était pas encore le moment. On lui a dit que c'était trop dangereux, on lui a dit que l'Ordre ne ferait jamais ça pour Sylas, parce que le sauver lui voudrait dire devoir sauver tous les autres nés-moldus, et que c'était une mission de trop grande envergure.

Alexis est patiente. Alexis est indulgente.

Mais Alexis a ses limites. Alors, il y a à peu près dix jours, elle a demandé à Ian de s'asseoir, et elle lui a exposé les trois options qu'elle étudiait pour y aller, pour de bon, pour de vrai. Son meilleur ami, bien qu'il soit tout aussi sceptique que Susan, l'a écoutée, et lui a dit que, si c'était vraiment ce qu'elle voulait, alors personne ne pourrait l'en empêcher. Alors Alexis a commencé à se préparer. Elle a demandé des informations à Rosario sur où Sylas traînait actuellement, elle a fait deux fois plus de duels avec Elena pour s'assurer que ses réflexes étaient au top... Et puis un soir, alors qu'elle s'apprêtait à se mettre dans son lit avant une nouvelle journée de préparation, elle a reçu un sms d'Elliott. Call me. Elle s'est exécutée, parce que ce n'est pas souvent que son ami lui envoie des sms aussi... Légers (c'est plutôt le genre d'Anthony).

Et là, doucement, Elliott lui a dit. Il lui a dit que Sylas était à Dagobah. Qu'ils l'avaient récupéré par ce qui semblait être un hasard, et que tous les Avengers étaient avec lui, qu'ils s'occupaient de lui. Alexis, évidemment, a voulu transplaner tout de suite. Non. Elliott lui a dit. Sylas était apparemment déboussolé, et après la dernière confrontation qu'il avait eu avec Alexis, il valait peut-être mieux y aller doucement. Le cœur battant, Alexis a pensé que c'était peut-être Norah ou Tony qui avaient demandé à Elliott de lui dire ça. Parce qu'Elliott n'aurait jamais été aussi ferme avec elle sans la pression des plus âgés derrière. Après une longue discussion, et quelques larmes, Alexis a accepté de se calmer et d'attendre. Parce que c'était mieux comme ça.

Sylas était en sécurité. C'était le plus important. Il fallait lui laisser du temps. Bien. Bien.

Alors elle a attendu, Alexis. Elle a attendu deux jours, puis trois, puis quatre. Ils lui ont semblé être des éternités, ces jours. On lui a dit de continuer à attendre. Mais j'ai déjà attendu deux ans. a-t-elle rétorqué au bout du fil à Tony, qui n'a pas flanché. Cinq jours, six jours. Toutes les nuits, elle demandait à Ian ou à Susan de dormir avec elle — pour sécher ses pleurs, la distraire ou juste discuter. Discuter de comment elle allait faire face, de ce qu'elle devait lui dire. Et puis, le septième jour, Elliott l'a appelée et lui a dit : Tu peux venir. Et Alexis a eu l'impression de relâcher enfin une respiration qu'elle retenait depuis trop longtemps.

Ian a voulu l'accompagner, mais il valait mieux qu'elle y aille seule, et puis de toute manière, il y avait les Avengers pour être avec elle, si besoin. Elle a forcé son meilleur ami à se concentrer sur ses missions, et elle est partie, pas sans avoir retouché ses cheveux et mis un peu de liner, parce que quand bien même Sylas la voit comme une ennemie et que l'approche va être compliquée, Alexis s'est dit : si au moins il me trouve jolie, ce sera déjà une chose de gagnée. Et elle s'est trouvée bête, a failli se démaquiller, mais ne l'a pas fait.

Quand elle arrive à Dagobah, elle a du mal à masquer son appréhension et son excitation. Ses sourires ne sont pas vraiment les sourires habituels d'Alexis, ils sont trop crispés. Elle discute quelques minutes avec les autres, leur demande comment est Sylas ici, comment ça s'est passé avec tout le monde, mais très franchement, elle est incapable de retenir la moindre information en sachant que là, quelque part, il est là, en chair et en os.

Enfin, on finit par l'amener jusqu'à la tente réservée aux invités, qu'elle connaît bien pour y avoir passé quelques nuits ici et là. Alexis prend une grande inspiration, avant de passer l'entrée. Ça y est. C'est le moment. Cette fois, pas de hasard ou pas de surprise, elle vient et elle sait qu'il est là. Elle entre, finalement, trop impatiente de pouvoir de nouveau croiser le regard de Sylas et observer ce qu'elle y trouve — de la peur ? Du dégoût ?

Il est assis sur une chaise, devant une petite table. On dirait un carnet et des crayons, autour de lui. Est-ce qu'il est en train de dessiner ? Alexis a la respiration presque coupée, et quand il relève la tête, c'est encore pire. .... Hello. dit-elle d'une voix étrange, un peu trop aigue peut-être. Et elle attend, parce qu'elle ne sait pas du tout, du tout comment il va réagir.

"You're going to come home, Sylas. It's good, right?" Sylas ne répond pas au début, même si la voix encourageante d'Anthony est un peu rassurante. Il garde les yeux rivés sur ses mains, qui tremblent, avec ses coudes appuyés sur ses genoux. Il caresse frénétiquement la cicatrice à la base de son pouce, celle qu'il a eu à cause d'Alexis, et son pied frappe le plancher de la tente invités des Avengers à un rythme affolant. "Where's home?" demande-t-il, alors qu'Anthony n'a pas bougé de l'encadrement de la porte en tissu, et il relève les billes claires de ses yeux vers lui. Anthony semble surpris par cette question, et Sylas sait déjà qu'il n'a pas la réponse.

Lui-même n'a pas la réponse. La maison... il repense à sa maison de Chelsea, il repense au dortoir des Ravenclaw, il repense à Wolverhampton, il repense à St James, il repense au MOCHE, et il a mal, tellement mal, son crâne s'ouvre en deux et quelqu'un y met le feu, quelqu'un avec les yeux du Basilique, quelqu'un avec la voix de Penelope: "you need to be brave, now."

Il n'est pas courageux, ne l'a jamais été, et il se souvient que c'est pour ça qu'il est parti. "If you stay here, you're killing us." Il se souvient, il se souvient, les mots déformés par le passage des Legilimens, les souvenirs restorés par pitié par un Basilique transi de Penelope, chaque mot comme une lame chauffée à blanc qui s'enfonce dans son crâne, dans sa nuque, dans sa peau, dans son coeur, partout, et Sylas finit par glisser ses doigts dans ses cheveux, laissant ses ongles crisser contre son crâne. "Sylas, are you okay?" Il ne répond pas. Anthony reste avec lui jusqu'à ce que sa respiration parvienne à laisser entrer et sortir l'air correctement, il lui parle jusqu'à ce que le bruit de fond sans fin à l'intérieur de son crâne le laisse, et il l'aide à s'asseoir à son petit bureau pour se distraire.

Mais les feuilles restent résolument vides et, silencieusement, Sylas compte les minutes jusqu'à l'arrivée d'Alexis.

On entre, finalement, dans sa tente et après un temps de latence, il lève les yeux vers elle. "I’ll get you back. I’ll do anything," lui a-t-elle dit, à Halloween, et Sylas n'a pas pu s'empêcher de trouver un certain réconfort dans ces mots - sauf qu'elle n'est pas venue. Il a compté les jours, qui sont devenus des semaines, qui sont devenus des mois, et elle n'est pas venue.

".... Hello." Sylas cligne des yeux, et il sent de nouveau sa tête se mettre à bourdonner. "I will bring you home," lui a-t-elle dit, aussi. Sauf qu'il n'a pas de maison, il n'a pas d'endroit où être. Il n'est pas sorcier, il n'est pas moldu, il n'est pas résistant, il n'est rien, rien - une tête vide sur un corps faible, un pantin désarticulé qui ne retrouvera jamais le sens de son existence. "Alexis." Il se lève lentement, s'aidant du bureau et de sa chaise pour pallier à ses genoux tremblants, et s'approche d'elle. Il l'étudie silencieusement. "You've changed your hair," remarque-t-il.

Et il aimerait tellement l'aimer, réalise-t-il. "I love you more than anything." Il aimerait l'aimer, et lui donner ce qu'elle veut, parce qu'il le devine en filigane dans ses deux grands yeux sombres qui l'observent sans savoir sur quoi s'arrêter. Elle est une sorcière et il n'est qu'un sang-de-bourbe, alors il veut la rendre heureuse et qu'elle sourit, qu'elle soit contente de la voir, et non qu'elle dégage cette aura mélancolique et inconsolable. Il fronce les sourcils. "I thought you'd be happy to see me," note-t-il lentement. "What did you expect?" Et un sentiment nouveau l'agite, ourle sa lèvre d'un sourire amer et teinté d'un léger ressentiment.

La tension s’est répandue dans tout son corps, Alexis la sent crépiter comme de l’électricité. Elle sait que ce soir, elle se couchera avec des courbatures, à force de s’être crispée sous le stress. Elle aimerait, vraiment, être plus nonchalante. Elle aimerait être plus détendue, plus souriante, mais Alexis ne parvient ni à se détendre ni à jouer la comédie face à son mari.

”Alexis.” Sylas se lève, et Alexis le regarde avec de grands yeux anxieux, mais aussi pleins d’espoir. Elle ne sait pas trop si elle peut se permettre d’avancer, si… Elle se pose peut-être trop de questions. Elle le laisse approcher, n’arrive pas à détourner ses yeux de ses iris clairs, et des cernes qui les entourent. Il la regarde, lui aussi. Elle ne sait pas trop ce qu’il y a dans ce regard. ”You've changed your hair,” dit-il simplement au bout d’un moment. Alexis écarquille légèrement les yeux. Elle a bien imaginé ce qu’ils pourraient se dire, mais honnêtement, celle-là, elle ne l’avait pas vue venir. Elle lève une main vers ses cheveux bruns, récemment coupés par Susan. Elle est un peu désarçonnée par le fait qu’il ait remarqué ça. Elle ne sait pas quoi répondre à ça.

”I thought you'd be happy to see me,” dit-t-il, quand elle garde le silence. Alexis entrouvre la bouche, trouvant soudain une chose évidente à dire, mais Sylas ajoute : ”What did you expect?” Elle sent qu’il n’est pas particulièrement… content. Elle peut le voir à son expression. ”I am happy to see you.” dit-elle doucement. ”I really, really am.” insiste-t-elle, comptant sur ses yeux pour transmettre toute sa sincérité. ”I didn’t know what to expect. I wasn’t sure you’d want to see me, actually.” Elle offre un petit sourire un peu gêné. Après leur dernière interaction, Alexis est perdue. Tony et Elliott lui ont rapidement parlé de comment Sylas a été, ces derniers jours, mais il y a une différence entre eux et elle. Leur passé avec lui n’est pas le même. ”Sorry for the long face. I’m just nervous.” dit-elle sans mentir -- elle préfère être honnête.

”How do you feel?” demande-t-elle, même si elle sait que la question est probablement trop complexe, trop vaste, trop… bête quand on sait tout ce qu’ils auraient à se dire. Elle regarde la tente, autour d’eux. ”Do you… like this place?” demande-t-elle en tendant une main timide vers la pièce derrière Sylas. ”I come here often. The bed’s comfortable.” dit-elle, rosissant en se rendant compte qu’elle enchaîne des banalités et que Sylas doit se dire qu’elle n’a vraiment, vraiment rien à dire. ”I see you’ve found drawing supplies.” dit-elle avec un léger sourire, empli d’une certaine nostalgie. Elle relève ses yeux vers ceux de Sylas.

Le pire, c’est qu’elle ne sait vraiment pas quoi dire. Alexis a envie d’être aussi éloquente que la dernière fois qu’ils se sont rencontrés, où elle lui a fait des promesses… Mais elle a peur de brusquer les choses, de lui faire peur, qu’il lui demande de partir. Elle marche peut-être inutilement sur des œufs… Mais Tony et Elliott lui ont tant fait repousser le moment des retrouvailles que ça lui a donné l’impression qu’il fallait qu’elle soit prudente, qu’elle n’aille pas trop vite. Alors forcément, ce sont des banalités qui sortent de sa bouche. Elle cherche des phrases à dire comme on cherche de l’oxygène.
Elle a peur de le perdre alors qu’elle vient de le retrouver.
Et s’il prend mal le fait qu’elle l’aborde ainsi ?
Et s’il se met en colère ?
It’s going to be a long road. lui a dit Anthony, quand ils ont parlé du fait qu’elle allait retrouver Sylas. Alexis a eu beau acquiescer et lui dire qu’elle comprenait, c’est un peu plus dur en pratique. Ils ont été confrontés à beaucoup de choses, en dix ans de combat, mais ça… Ce qu’elle est en train de vivre maintenant, elle ne sait pas si elle a les bonnes armes en main pour que tout se passe bien. Elle est déterminée à essayer, à faire tout ce qui est en son pouvoir pour que les choses se passent bien. Elle a juste peur que Sylas ne la laisse pas approcher, elle a peur que son ressentiment envers elle soit trop fort pour qu’ils puissent vraiment se retrouver.

Sylas a constamment l'impression d'être en train de se noyer sous ses pensées et le reste de ses souvenirs, sans parvenir à différencier le vrai du faux, l'inventé du véritable, le lointain du récent. Rien ne fait grand sens pour lui, et si la patience des Avengers est louable, il ignore si elle parviendra un jour au bout de ses peines: quoiqu'il fasse, Sylas est perdu.

Il a du mal à concilier ce qu'on veut de lui, pourquoi on l'aide, pourquoi on l'aime comme Alexis semble l'aimer. Les souvenirs à sa disposition semblent appartenir à un autre Sylas, un Sylas qui a été effacé puis réécrit et qui n'existe plus. Un Sylas qu'Alexis cherche désespérément alors qu'elle l'étudie d'un air concentré, et un Sylas qui n'est pas là.

A la place, il reste - ça. Un Sylas vide et confus, perdu, en train de se noyer, qui essaye désespérément de chasser et de rassembler les pièces de l'homme qu'il a un jour été sans y parvenir. Et ça le frustre, surtout quand il voit le regard d'Alexis et qu'il y projette la propre déception qu'il ressent à l'idée de s'être perdu en chemin. ”I am happy to see you. I really, really am.” Il soutient son regard jusqu'à ce que ce soit insupportable; ses billes claires tombent sur le sol, à ses pieds. Elle est sincère, pourtant, du moins il pense. Les gens mentent si facilement et il a toujours du mal à faire la distinction... ”I didn’t know what to expect. I wasn’t sure you’d want to see me, actually.” Sylas relève les yeux vers elle, surpris. "Do I have a choice?" demande-t-il à haute voix, d'un air sincèrement curieux. Tout le monde a assumé qu'il aimerait la revoir. Et, quelque part, c'est vrai. Il est curieux d'elle, de qui elle a été pour lui et de qui il a été pour elle.

Mais sinon... Sylas a peur. Peur que Alexis ait le mot final et révèle aux Avengers et à l'Ordre qu'il n'est pas l'homme dont elle se souvient, qu'ils ont sauvé le mauvais Sylas. Il a peur qu'ils le ramènent au Ministère... ”Sorry for the long face. I’m just nervous. - Me too." Il a beaucoup pensé à elle depuis leur rencontre inopinée à Halloween. Il ignore ce qu'il imaginait pour leurs retrouvailles mais ce n'était pas ça - ce moment épais et difficile à naviguer, où l'atmosphère pesante est comme un poids palpable sur leurs épaules et leurs crânes. ”How do you feel?” Il hausse une épaule. "Good." Il a vite compris que ce n'était pas le genre de question qui demandait une réponse complète et confuse. ”Do you… like this place?” Il hausse une autre épaule. ”I come here often. The bed’s comfortable. - It... is." Il pince des lèvres, mal à l'aise sans trop savoir pourquoi.

”I see you’ve found drawing supplies.” Le visage de Sylas se fend d'un sourire. "Yes! Sohan got some for me!" Pour lui, c'est comme si la chappe de plomb qui s'était abattu sur eux ces dernières minutes venait de s'évaporer. Il retourne à son bureau et attrape son carnet de croquis qu'il tend à Alexis. "I've been drawing a lot. It keeps my thoughts quiet. Look at it," l'encourage-t-il d'un ton plus léger qu'avant, son visage toujours éclairé d'un sourire. "I like drawing. I think I'm pretty good at it." Sur les pages s'étalent des scènes banales de la vie à Dagobah, et des portraits de ses habitants. Il y en a beaucoup d'Ethan et de Hugo, avec qui il passe le plus de temps, mais tout le monde apparaît plusieurs fois.

Sylas aime bien les Avengers. Ils ont été accueillants et gentils avec lui, et sont toujours patients quoiqu'il arrive. Même si il n'est pas fan du camping, la tente où il dort est confortable et agréable, et il y est seul. Il aime bien rester des heures dans le lit, en silence, à écouter la nature et la forêt à proximité. En fermant les yeux, il peut presque s'imaginer être le vent faisant bruisser les branches et les feuilles, s'envolant loin, loin, loin de son corps et de là où il est, piégé malgré tout.

"You never came." Le ton n'est pas accusateur, mais un peu définitif. Il attend qu'Alexis relève les yeux vers lui pour reprendre: "You said you'd get me back. That was... five... eight months ago? More. At Halloween," précise-t-il au cas où elle aurait oublié. "I've waited. You never came. Why?"