tw: mention de drogues

Il a essayé de protester, en vain - il n’a pas le temps, ni l’envie vraiment, de se plier aux ordres de Kingsley. Mais Sofia lui a simplement demandé de le faire, avec une lueur étrange dans le regard, comme si elle savait ce que Royal avait derrière la tête en l’envoyant rencontrer son informateur à lui. Ca ne fait même pas partie de ses responsabilités, et Lee ne prend même pas ses ordres de Royal, mais peu importe - avec un dernier regard noir, et les poings serrés, Lee a tourné les talons pour faire quelques pas avant de transplaner. Le rendez-vous va se faire dans un bar moldu de Cambridge - vraiment, Kingsley n’aurait pas pu choisir un pire endroit. C’est la ville dans laquelle il est né et et chaque rue fait remonter une vague de souvenirs désagréables, l’image de son père gravée sur sa rétine. Encore quelqu’un qu’il n’a pas pu sauver, quelqu’un qu’il a abandonné et qui est mort loin de lui, sans aucun doute.

Lee n’est pas le même, il le voit à travers le regard des autres. Son calme légendaire a explosé, et se maintient à peine sous la fausse surface placide qu’il exhibe par habitude. Un rien le contrarie, et tout l’énerve, si bien qu’il a rapidement pris la décision de prendre ses distances des autres - encore plus que d’habitude. Il passe le plus clair son temps à bouger et à rester actif et, quand il se permet de se reposer, c’est seulement pour s’endormir d’un profond et inébranlable sommeil artificiel, enfumé de l’herbe que lui a donné Riley. L’idée d’être confronté à ses rêves et ses cauchemars est terrifiante. Il a l’impression d’être de retour quelques années en arrière, après la perte de Fred - sauf que ça fait presque dix ans, maintenant, et il a eu le temps de changer. Mais pas de s’habituer au poids poisseux du deuil, qui le suit partout où il va, comme une ombre cruelle qui se faufile de temps à autre sur son corps pour venir l’étouffer, emmêler ses tripes, faire battre son sang douloureusement à ses tempes. Cette ombre le suit depuis que Flora est partie, depuis qu’il a appris, aussi, la mort d’Hestia. Il a peur que cette ombre le retrouve tout entier, et que rien ne puisse l’arracher à ses bras.

Accoudé au comptoir du bar, il guette les gens qui vont et qui viennent en finissant sa deuxième pinte de bière, observant parfois le liquide ambré qui tourne au fond de son verre. Il n’aurait peut-être pas dû descendre la bière si vite mais qu’importe, il n’est là que pour rencontrer l’un des informateurs de Kingsley, récupérer ce qu’il à lui dire, et retourner à St James faire un compte-rendu. Quand il relève les yeux et croise le regard d’Alicia Spinnet, Lee sent quelque chose se fissurer en lui, et presque ouvrir une faille qui pourrait faire sortir cette colère violente qui gronde en lui depuis quelques semaines. Mais au dernier moment, la faille se résorbe alors qu’il comprend enfin le regard cryptique de Kingsley, ainsi que son indication de dernière minute: “don’t trust your heart on this one, and take a leap of faith. There still is some good in the world.Trust me.” Lee carre les épaules et serre les mâchoires, ses yeux sombres virés sur Alicia qui s’approche de lui d’un air prudent. “He sent me,” l’accueille-t-il d’un ton peu amène, la dévisageant pour la première fois depuis des années. “This is fucking great,” marmonne-t-il en se tournant vers le comptoir et faisant un signe au barman. “I’ll have another one of this and a Jägerbomb.” Accoudé jusque là, Lee pose une fesse sur l’un des tabourets près du bar, sans adresser un regard à Alicia, un frisson désagréable lui dévalant l’échine.

Alicia observe son reflet dans le miroir de son appartement. Tout lui semble trop grand, trop beau, soudain. Tout lui semble complètement faux, complètement wrong. Depuis qu'elle a reçu le message de Kingsley qui lui annonçait qu'il ne serait pas à leur rendez-vous habituel, mais qu'il lui envoyait un visage familier qu'elle serait probablement heureuse de retrouver en la personne de Lee... Alicia n'a pas réussi à fermer l'œil. Les quelques jours qui se sont étirés entre le message et la date fatidique ont été compliqués : Alicia a été distraite, elle a eu du mal à avaler quoi que ce soit, et à faire la conversation aussi facilement que d'habitude avec tous ceux qui l'entourent.

Cela fait presque dix ans, dix ans qu'elle n'a pas vu Lee.

Dix ans qu'elle a vécu loin de lui, dix ans, ça laisse le temps de devenir des étrangers.

Elle ne sait pas très bien ce que Lee sait : le message de Kingsley était assez court, puisqu'ils ne peuvent se permettre de s'envoyer de longues communications. Est-ce qu'il sait qu'elle a toujours été de leur côté ? Est-ce qu'il sait ce qu'elle fait, pourquoi elle s'est retrouvée dans cette situation ? Est-ce qu'il sait qu'elle a pleuré la mort de Fred, elle aussi, mais seule ? Kingsley s'est-il contenté de lui dire d'aller la rencontrer sans donner de précisions ? Alicia sent tout son corps parcouru d'électricité alors qu'elle replace ses cheveux, histoire de n'avoir pas l'air d'être un mess. Elle s'est habillée sobrement, pour éviter les regards, et parce qu'il était bien entendu de mauvais goût de se présenter avec des fringues de créateur face à son ami de Poudlard.

Est-ce qu'il la hait ? Probablement. Qu'il sache ou pas.

Elle essaie de ne pas trop y penser, et partagée entre l'excitation et l'envie de faire demi-tour, elle finit par transplaner à Cambridge, dans le bar moldu que lui a indiqué Kingsley. À l'extérieur, elle hésite. Ça fait des années qu'elle a rêvé de ce moment. Des années qu'elle prépare ce qu'elle dirait à Lee si elle le retrouvait, qu'elle imagine des tas de scénarios - du plus agréable au plus terrible. Et voilà, maintenant elle est là, et ça va enfin arriver : elle va retrouver Lee pour la première fois depuis dix ans. Son cœur bat fort dans sa poitrine, mais elle sait qu'elle ne peut pas se défiler. Il faut qu'elle affronte : avec un peu de chance, il ne l'accueillera pas trop durement, et ce sera enfin son occasion tant attendue de renouer.

Elle le remarque tout de suite au milieu du bar. Elle ne saurait pas comment l'expliquer, mais son allure a changé. Il a un peu vieilli — comme attendu — c'est étrange. Elle a laissé un jeune adulte et elle retrouve un homme de presque trente ans face à elle. Leurs regards s'accrochent, et elle lit la surprise dans ses yeux. Elle hausse légèrement les sourcils. Est-ce que Kingsley ne l'a même pas prévenu? Elle approche, et alors qu'elle s'apprête à lui sourire, puisqu'elle est vraiment, vraiment très émue de le voir, il lui offre un regard froid et quelques mots : He sent me, Alicia tente de ne pas laisser le ton de Lee la heurter, mais c'est un peu dur. Elle ne s'attendait pas à ce qu'ils tombent dans les bras l'un de l'autre, mais... Elle espérait une réaction un peu plus... franche. This is fucking great, Il s'assoit face au bar, détourne le regard comme s'il était dégoûté d'avoir les yeux posés trop longtemps sur elle. Alicia profite de ne plus avoir son regard sur elle pour inspirer un bon coup. I’ll have another one of this and a Jägerbomb. Elle ne sait pas s'il commande les deux pour lui, ou s'il a commandé pour elle, à ce stade.

Elle prend place à côté de lui, cependant. So... He didn't tell you you were meeting me, right? dit-elle avec un soupir. He didn't tell you anything? ajoute-t-elle, mais elle se doute presque déjà de la réponse. Enfin, elle espère que c'est la réponse, parce que si sait tout et l'accueille tout de même ainsi... Alicia essaie de ne pas trop lui en vouloir. Après tout, il vient de passer dix ans en colère contre elle. Do you know why he sent you? demande-t-elle, avant de tourner de nouveau les yeux vers lui. Elle observe son profil attentivement et pince les lèvres. It's... It's good to see you. Elle ne sait pas trop si elle aurait dû le tenter mais... Elle avait vraiment envie de le dire.

tw: alcohol, crude language

Alicia s'assied à côté de lui, et Lee garde les yeux rivés devant lui. Elle est une traîtresse, c'est ce qu'il s'est répété pendant des années, même si ça ne correspondait pas vraiment avec l'image qu'il avait d'elle et la Alicia qu'il a connu pendant leur scolarité. Il a essayé de se rassurer et de rationnaliser la chose pendant des années et des années, presque dix ans: elle était de sang-pur, évidemment qu'elle avait choisi la solution de facilité en se rangeant du côté du gouvernement, évidemment qu'elle ne les avait pas rejoints, évidemment qu'elle les avait abandonnés. Sauf que ça n'a jamais fait trop de sens pour Lee, au final, et que même sous sa haine demeurait encore un énorme doute, un point d'interrogation plein d'espoir. Parce que l'Alicia qu'il connaissait et avait toujours connu n'aurait jamais plié l'échine face à l'adversité.

Et il a là la confirmation que son instinct avait raison, qu'elle est une agent-double, travaillant pour Kingsley apparemment. Et pourtant, au lieu d'un profond sentiment de soulagement ou d'une félicité rare, Lee ne ressent rien d'autre qu'un vide vertigineux et effrayant.

Mais ça, ce n'est pas nouveau. Le vide le poursuit où qu'il aille, et il ne fait que s'agrandir: bientôt, il finira par l'avaler tout entier.

"So... He didn't tell you you were meeting me, right?" Il secoue la tête en grognant comme toute réponse, les yeux toujours rivés sur le bar et sur ses mains posées dessus. Le dos tatoué de sa main lui renvoie un oeil stylisé méfiant. "He didn't tell you anything? - Nope." Le barman a été rapide, et revient avec sa pinte de bière et son Jägerbomb. Lee s'empare du verre mais ne l'amène pas tout de suite à sa bouche, faisant tourner le liquide dans son contenant. "Do you know why he sent you?" Lee repense aux mots de Kingsley, et à ce qu'il lui a dit alors qu'il se recueillait sur la tombe de Fred, et au fait qu'il n'arrête pas de le chercher, de lui parler, de le pousser. Kingsley connait le chagrin, ils connaissent tous le chagrin et le deuil et la mort - il essaye simplement de le pousser dans la bonne direction, de l'empêcher de couler. There still is some good in the world. Lee sait qu'il a raison, même si il a du mal à le voir maintenant. "Something about remaining hopeful," lâche-t-il entre ses dents serrées, attrapant son verre de boisson énergisante et de Jäger pour l'avaler d'une traite en cinq grandes gorgées.

Aussitôt, l'alcool amer et le Red Bull explosent dans sa bouche, le sucre et la caféine un mélange détonnant et appréciable - peut-être que si il en boit assez, il aura l'impression d'être en vie et de redémarrer son coeur qui est en berne dans sa poitrine. "It's... It's good to see you." Il se tourne brusquement vers elle. "Wish I could say the same." Lee n'est pas du genre à être pernicieux, et il pardonne facilement. En temps normal, il l'aurait prise contre lui et l'aurait serrée contre son coeur, avant de lui demander de tout lui raconter. En temps normal, il aurait ri et ça aurait été comme avant, comme si rien ne s'était passé, comme si ils n'avaient jamais été séparés et envoyés des deux côtés du bien et du mal pendant des années.

Sauf que ce n'est pas un temps normal. "So, what is it that you do again? Oh right, you're some fancypants journalist for some fancypants journal or something, ain't that right? Lucky you, Alicia, lucky you." Il hoche la tête alors qu'un sourire sans joie s'étire sur ses lèvres. "Now tell me, how's the cubicle life going? And your dad? Do you have a girlfriend? Let me guess, you do, she's great, you get along just fine. But you have to live in secret, oh, poor you, must be super tough. And it must be quite hard, being a pureblood and all, after all. I feel for you, Alicia, it really sounds like your life is fucking hard and fucking sucks." L'amertume ne lui ressemble pas, la cruauté non plus; et pourtant, il se détourne en riant d'un air grinçant, attrapant sa bière pour l'amener à ses lèvres.