Ne pas parler à Noah est vraiment la pire des tortures pour Obelia, qui ne sait pas trop comment fonctionner sans lui.

Elle n’a jamais pu apprendre, ou n’a jamais voulu - difficile à dire. Une partie d’elle, cachée bien profondément, cruelle et petty as fuck, sait que lui aussi souffre du silence qui s’est installé entre eux depuis quelques jours, et s’en félicite secrètement. Il le mérite, c’est lui qui s’est comporté comme un connard, donc il mérite bien de mariner un peu dans sa sauce de son côté - et hors de question que ce soit elle qui fasse le premier geste vers lui.

Les disputes ne sont pourtant pas si rares, entre elle et lui, mais toujours dévastatrices. Ils ont tous les deux un caractère bien trempé, et ont tendance à parler plus vite qu’ils ne réfléchissent: de nombreuses fois, ils ont boudé chacun de leur côté pendant quelques heures, le temps de panser leurs blessures, avant de se tomber dans les bras en s’excusant et en promettant de ne jamais recommencer.

Mais ils finissent toujours par recommencer.

Cette fois-là est différente, pourtante. Plus incisive et mordante, la séparation encore plus douloureuse que d'habitude. Même si ils partagent une chambre, ils ne s'adressent pas un regard et se parlent à peine, se contentant de se demander à tour de rôle si c'est okay d'éteindre la lumière pour aller se coucher, mais rien de plus. Chaque mot qu'ils échangent creuse un peu plus le trou dans l'estomac d'Obelia. Même Pan, qui est toujours optimiste, est à court d'idées pour les inciter à se réconcilier. Obelia a peur que la situation, au lieu de s'empirer, s'enlise. Que ce soit ainsi qu'ils continuent de vivre leurs vies: comme deux étrangers évoluant en parallèle sans plus jamais se parler ou se toucher.

Faisant partie des étudiants les plus âgés, ils ont souvent des permissions pour sortir, à condition que ce soit en compagnie d'un membre du cercle trois. Obelia a décidé de ne pas sortir, ce samedi-soir, en espérant qu'il en aille de même pour Noah - aux dernières nouvelles lui non plus. Elle espère qu'ils pourront parler, se voir, se réconcilier. Sauf qu'après avoir passé la journée à étudier et à fumer quelques cigarettes en secret, aucune trace de lui. Et en s'enquérant auprès de leurs camarades, elle a appris qu'il était parti avec Dennis elle ne sait trop où. Certainement au Pegasus. Sans elle.

Et ça ne devrait pas autant l'affliger, mais c'est le cas. Pan lui a proposé de passé la soirée ensemble, mais elle a refusé, en lui disant qu'elle voulait s'avancer sur un de ses projets - une jolie chemise, pour Dennis justement, pailletée et changeant de couleur sous une lumière noire. Sauf que quand elle s'assied à son bureau dans la chambre qu'elle partage avec Noah, Obelia n'a envie de rien faire sauf de pleurer, sans trop savoir pourquoi. Elle abandonne bien vite et finit par aller s'effondrer sur son lit. Quand elle n'arrive pas à calmer l'anxiété qui lui bouffe l'estomac, à sa grande honte, elle se traîne jusqu'au lit de Noah, son refuge de choix dans ces moments-là. Elle se promet qu'une fois calmée, elle retournera dans ses propres draps et puis finalement, alors qu'elle essaye d'étouffer ses larmes et ses pensées tournant en spirale dans l'oreiller de Noah, elle s'endort.

C'est le bruit de la porte qui s'ouvre qui la fait se réveiller en sursaut et s'asseoir sur le lit en reniflant, papillonnant des yeux dans l'obscurité et sentant son coeur faire un bond dans sa poitrine en reconnaissant, malgré l'absence de lumière, la silhouette de Noah. Sa présence normalement rassurante lui donne encore plus envie de pleurer. "Noah?" l'appelle-t-elle d'une petite voix erraillée. "I... I..." I'm sorry, I missed you, I need you, can we talk, I think you're an idiot, fuck you, I'm sorry, you're the worst, I can't live without you, I'm sorry, I'm sorry, I'm sorry - les mots ne sortent pas, tournent en boucle dans sa tête, meurent dans sa gorge. Elle renifle à la place, se passe une main sur le visage puis dans les cheveux. "Where were you?"

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Dennis lui avait promis une soirée qui l’aiderait à se changer les idées. La tension avait été palpable, ces derniers jours et Noah avait l’impression que le monde entier le savait, il voyait des sourires compatissants sur les visages de ses camarades à qui il n’avait jamais parlé, il en rêvait, et son esprit était centré que sur une seule personne, Obelia. Elle tournait en boucle dans sa tête et Noah avait l’impression d’étouffer. Partager une chambre avec elle était déjà difficile, lorsqu’ils ne se parlaient pas, mais même lorsqu’elle n’était pas là, il n’arrivait pas à penser à autre chose. Alors il avait accepté, en espérant que Dennis ait raison, et en prévoyant d’ingurgiter une quantité d’alcool suffisante pour qu’il ne se souvienne pas de son propre nom et encore moins de celui d’Obelia.

La soirée avait plutôt bien commencée, ils étaient allés au Pegasus, où Noah s’était jadis senti un peu mal à l’aise, mais il avait appris à appréhender l’endroit et les personnes qui le fréquentait. Il avait dû refuser les avances de quelques mecs, qui ne l’avaient pas vraiment cru quand il avait dit être hétéro (apparemment il y avait beaucoup d’ “hétéros” qui fréquentaient l’endroit), mais on lui avait payé quelques verres et il ne s’était pas fait prier pour s’en offrir lui-même. La soirée avait avancé et Noah avait rencontré une fille. Elle était jolie, elle lui avait dit s’appeler Chloe et, sans trop réaliser comment, il s’était retrouvé avec Chloe sur ses genoux alors qu’elle l’embrassait furieusement et qu’il essayait maladroitement de tenir le rythme. Quelques minutes plus tard, elle lui avait pris la main et l’avait entrainé vers les toilettes desquelles elle avait verrouillé la porte d’un rapide sort avant de se mettre à genoux devant lui et de commencer à défaire la boucle de la ceinture. Il avait eu l’impression d’observer la scène d’un point de vue extérieur, pouvant presque voir son visage surpris, son corps figé, incapable de bouger tant son esprit était stupéfait. Pendant ce moment de torpeur, Chloe, elle, n’avait pas perdu de temps et le contact de sa main sur lui, là, le fit sursauter, et lâcher un “oh my god” estomaqué alors que sa tête heurtait le mur contre lequel il était, embrumant un peu plus son esprit. Il n’aurait pas pensé se retrouver dans une telle situation en sortant ce soir là, et les mots d’Obelia tournoyaient dans sa tête, not my fault you want to die a fucking virgin; c’était sa chance, là,  maintenant, sa chance de rentrer la tête haute et de lui dire qu’elle avait tort, parce qu’il avait baisé cette meuf dans les toilettes, et peut-être même qu’il pourrait lui dire que ça n’était pas la première fois, et qu’il faisait ça souvent, tout le temps même. Il pourrait déjà imaginé son air pincé quand il lui dirait, c’était bas, il le savait, mais il savait aussi que ce serait une vision très agréable, du moins sur le moment. Il baissa les yeux vers Chloe, Chloe qui lui lança un regard charmeur en dégageant ses cheveux blond sur le côté d’une main. Elle avait des beaux cheveux, Chloe, et Obelia aussi avait de beaux cheveux. Leur chevelures étaient très similaires d’ailleurs, il pensa distraitement. Et, soudainement, ça n’était plus Chloe qu’il voyait, c’était elle, Obelia, là devant lui, qui le regardait avec un grand sourire, comme si c’était le meilleur endroit où elle pouvait être, à genoux devant lui. Cette pensée déclencha en lui un désir plus fort et plus vertigineux que tout ce que Chloe avait pu faire, et son coeur s’emballa douloureusement alors qu’il la repoussait hâtivement, murmurant un “Sorry, I can’t” avant de se rhabiller rapidement, apercevant dans le miroir son air perdu et l’énorme suçon qu’elle lui avait laissé dans le cou. Fuck. Il sortit des toilettes sans lui lancer un autre regard. Il chercha Dennis pour lui annoncer qu’il partait avant de rentrer.

A la Fawkes, il resta un moment devant leur porte, essayant de calmer son coeur qui ne semblait pas vouloir ralentir. Il attendit jusqu’à pouvoir respirer plus ou moins convenablement, avant de rentrer dans leur chambre, priant pour qu’Obelia soit sagement endormie dans son lit, et qu’il puisse se coucher en essayant de ne pas repenser à sa soirée et au fait qu’elle était à quelques centimètres de lui. Evidemment, puisque son existence était une vaste blague, Obelia était bel et bien réveillée, dans son lit à lui qui plus est. “Noah?” — “Yeah,” il répondit, incapable de prononcer plus de syllabes à cet instant. “I … I … where were you?” — “Out,” il lui dit rapidement, avant de se rendre compte de la bêtises de cette réponse. Il s’avança dans la pièce, referma la porte derrière lui. Il faisait sombre, Obelia était illuminée par la lune qui brillait haut dans le ciel, comme si elle avait été choisie par le satellite alors que lui restait dans l’obscurité. C’était pas plus mal, peut-être, il n’avait pas envie qu’elle voit ses joues rougies, ses yeux hagards alors que l’alcool coulait encore dans ses veines. “I was with Dennis, I …” Il ne savait pas quoi lui dire, il avait voulu être fier et maintenant il se sentait juste minable. “What are you doing in my bed?” il lui demanda finalement. Il aurait voulu ne jamais avoir à poser la question, que ce soit comme ça, tout le temps. Parce que c’était eux, qu’Obelia ne pouvait pas être avec quelqu’un d’autre que lui, et qu’il ne pouvait pas ne pas être avec elle. Il ne l’avait pas réalisé avant, peut-être parce qu’il était stupide ou parce qu’il refusait de voir ce qui était pourtant évident, mais à ce moment, alors que son cerveau n’était qu’un fouillis sans fin, c’était la seule chose qui semblait claire, la seule chose qui avait du sens.

“Out.” La réponse simple et directe de Noah réveille en Obelia un inconfort qui lui tord les entrailles, et elle l'étudie silencieusement pendant quelques secondes. Sa bouche s'ouvre sur une protestation frustrée, puis se referme dans un claquement, alors qu'elle baisse les yeux, blessée et vexée. Qu'il soit sorti sans elle, qu'il se soit apparemment amusé sans elle, et qu'il la fasse se sentir comme si elle était de trop. Ça n'a jamais été comme ça, entre eux, avant. “I was with Dennis, I …” Le coeur d'Obelia se serre légèrement dans sa poitrine, mélange de jalousie et de heurt encore une fois. Noah ne finit pas sa phrase et Obelia se redresse un peu sur son lit, ramenant ses longues jambes vers elle, les yeux toujours rivés au sol.

Il aimerait qu'il fasse quelques pas jusqu'à elle, qu'il s'approche et la prenne dans ses bras, la serre contre lui - comme ils le faisaient pendant des semaines, des mois, sans jamais se poser de question, sans jamais avoir d'hésitation. Mais maintenant, il y a un mur qui s'est dressé entre eux. Obelia était persuadée que c'était Noah qui l'avait construit. Maintenant, elle n'en est plus si sûre... “What are you doing in my bed?” Elle cligne des yeux, les relève vers lui, incompréhensive. La voix un peu sèche de Noah semble dire qu'elle n'a aucune raison d'être là, et Obelia se sent rougir de gêne. "S-Sorry," bredouille-t-elle, confuse, avant de se laisser glisser hors du lit à regret, et avec une légère hésitation. Elle fait les quelques pas qui la sépare de son propre matelas, et s'y asseoit lentement, tirant sa couverture sur ses jambes laissées nues par son short de nuit. "I was just... I was just waiting for you." D'ordinaire, quand elle est blessée et prise au dépourvu, Obelia se contente de répliquer en espérant blesser les autres autant qu'elle l'est, un mécanisme qui est devenu comme une seconde nature pour elle. "I was worried."

Là, elle ne ressent rien d'autre qu'une profonde lassitude, une mélancolie sans pareille qui lui semble bien trop grande pour son enveloppe corporelle. Elle repense à l'amère déception qu'elle a ressenti après leur dernière véritable conversation, pendant le cours de potions, et pince des lèvres en s'allongeant lentement dans son lit, roulant sur le côté pour lui tourner le dos et faire mine de dormir. Noah est sorti, il doit être fatigué, et ça fait des jours et des jours maintenant qu'elle a compris qu'ils n'avaient plus rien à se dire, et que peut-être il n'y avait rien à sauver de leur amitié d'antan.

“S-Sorry,” Obelia bégaya et Noah se sentit instantanément coupable, alors qu’elle sortait de son lit pour se diriger vers le sien. Il n’avait pas voulu la faire fuir, ou peut-être que si, il ne savait plus vraiment, il ne comprenait plus grand chose depuis un moment, et à cet instant encore moins. Peut-être qu'il l'avait cherché, qu'il avait repoussé Obelia et que c'était de sa faute si elle s'était retrouvée dans les bras de Pan, parce qu'il avait été détestable pour la faire fuir. "I was just... I was just waiting for you," elle ajouta et Noah la regarda, confus, il ne comprenait pas vraiment pourquoi elle avait ressenti le besoin de l'attendre, pas alors qu'ils étaient en froid depuis plusieurs jours, pas  alors qu'elle l'évitait comme la peste. "I was worried,"  — “you shouldn’t have been,” I don’t need a mom. Obelia se glissa dans son lit, le sien, cette fois, avant de lui tourner le dos. Lui n’avait pas bougé, il était toujours debout là où il s’était arrêté, comme s’il venait à peine de pénétrer dans la pièce.

Il secoua légèrement la tête avant de se mettre en mouvement, il se déshabilla et enfila rapidement son pyjama avant de s’assoir sur son lit. La pièce était complètement silencieuse depuis leur dernier échange, mais Noah savait qu’elle ne dormait pas, il pouvait l’entendre dans sa respiration, après tant d’années passées à dormir l’un à côté de l’autre, elle ne pouvait pas le berner ainsi. Il hésita un instant, il avait envie de lui parler, mais il ne savait pas vraiment quoi lui dire, et il savait que ce qui sortirait de sa bouche serait sans doute encore des mots qui l’énerverait ou pire, la rendrait triste. Les pensées cohérentes étaient difficiles à former, il ne pouvait pas non plus lui raconter sa soirée, pas en détails en tout cas.

Il se leva avant de pouvoir trop y penser et se posa sur le lit d’Obelia, à côté d’elle et de son dos tourné. “I know you’re not sleeping,” il marmonna dans sa direction. “I don’t get why you have to avoid me like that,” il poursuivit, les mots quittant ses lèvres lentement que son esprit travaillait dur pour former des phrases pas complètement dénuées de sens. “I mean, I know, you think I’m an asshole, but I only want what’s best for you,” il savait qu’il n’avait pas ce genre de droits, qu’il ne pouvait pas décider de ce qu’il lui fallait, ni l’empêcher de prendre des chemins différents si elle le souhaitait, pourtant à ce moment là, il du serrer les lèvres pour ne pas lui dire ce qu’il voulait vraiment lui dire, que c’était lui qu’elle aurait dû choisir.

You shouldn’t have been. Les mots de Noah tournent en spirale dans l'esprit d'Obelia, une ritournelle incessante et éprouvante qui nourrit avec détermination l'angoisse qui s'est glissée dans son estomac et le tord dans tous les sens, lui donnant l'impression d'étouffer. Obelia ferme les yeux à s'en faire mal aux paupières, en se demandant pourquoi elle a soudainement envie de pleurer - comme si elle et Noah n'étaient pas sur une pente glissante depuis des jours, des semaines, des mois. Comme si on ne l'avait pas prévenue, que grandir faisait mal et qu'elle aurait mal, et comme si elle n'avait pas toujours su qu'elle ne méritait pas une amitié comme celle qu'elle a toujours partagé avec Noah: entière et sincère, parfaitement satisfaisante et complice. Quand ils étaient petits, tout le monde disait qu'ils avaient eu de la chance de se trouver, et qu'ils auraient de la chance de grandir ensemble - meilleurs amis, frères de coeur, âmes-soeurs, elle avait tout entendu à l'époque, sans jamais que ça parvienne à parfaitement définir ce qu'elle ressentait et ressent encore pour Noah.

Noah est Noah - il est sa personne, la première personne à qui elle pense quand elle se réveille et la dernière personne à qui elle pense quand elle s'endort, ni plus ni moins. Il a toujours eu, et aura toujours, une place spéciale dans son coeur. Pan comprend ça, sans jalousie ni possessitivité, car il est impossible d'aimer Obelia sans aimer son amour pour Noah, tout simplement parce que celle-ci fait intégralement partie d'elle.

Peut-être qu'il ne ressent pas la même chose, tout simplement. Peut-être que lui ne sent pas cette déchirure douloureuse et incompréhensible, ce vide dans sa poitrine là où devrait se réchauffer le contentement de passer du temps avec lui - un vide béant qui ne fait que s'agrandir à mesure que les jours où ils ne s'adressent pas la parole s'additionnent. Un vide qui menace de tout bouffer autour de lui.

Elle l'entend bouger, dans son dos, se changer avec des gestes maladroits. Obelia renifle en apportant ses mains à son visage, massant ses paupières en espérant leur faire passer l'envie de pleurer - même elle refuse de se rabaisser à ça, pas ici, pas maintenant, pas devant lui. Elle essaye de respirer le plus calmement possible, comme le ferait quelqu'un d'endormi, mais elle sait qu'elle n'est pas convaincante quand elle s'enfonce un peu dans le matelas où Noah s'est assis à côté d'elle. Elle garde le dos résolument tourné. “I know you’re not sleeping.” Vaguement agacée, elle ne répond pas, se contente de se frotter le visage avec le talon de sa main avant de la laisser reposer sur le drap à côté d'elle. “I don’t get why you have to avoid me like that. I mean, I know, you think I’m an asshole, but I only want what’s best for you.” Obelia fronce les sourcils et, lentement, se retourne pour lui faire face - le moindre de ses gestes est précautionneux et lent, elle craint qu'il prenne peur et détale, que cette misérable tentative de conversation soit réduite à néant par un geste trop brusque. Elle pince des lèvres pour ne pas dire la première chose qui lui passe par l'esprit (notamment qu'il n'a pas du tout le droit de veto sur qui il fréquente), et à la place pose une main sur sa cuisse, cherchant ses doigts.

Les mots de Noah ont eu du mal à sortir, rendus hésitants par l'alcool, et maintenant qu'elle l'a sous les yeux, elle voit à quel point il est ivre. Elle devrait sans doute repousser cette conversation à plus tard, lorsqu'il sera sobre, mais elle a peur que le nerf les quitte d'ici là, alors elle répond: "you're the one who went out without telling me, it feels like you're avoiding me..." Ou du moins, peut-être que c'est simplement mutuel. Elle ne laisse aucune amertume apparaître dans sa voix et à la place se redresse et, sans lui demander son avis, passe ses longs bras autour de lui pour l'enlacer.

Elle enfouit aussitôt son nez dans son cou et ferme les yeux, inhalant son odeur avec plaisir. Il sent l'alcool et la cigarette et la sueur, et cela rappelle à Obelia qu'il est sorti sans elle, mais elle essaye de ne pas s'y attarder, préférant plutôt profiter de lui et de son parfum qu'elle connait par coeur, tapi sous ces autres odeurs. "I don't think you're an asshole." Elle n'aurait certainement pas dit ça il y a quelques jours, ou dans une autre situation. "Although you sometimes act like one. Noah, I just..." Elle se recule en soupirant, gardant ses mains sur ses épaules, essayant de capter ses yeux clairs dans l'obscurité. "I just don't understand what's happening to you, what's happening to us. It feels like you're--" Elle s'interrompt quand elle baisse brièvement les yeux et voit une tâche sombre sur le cou de Noah, qu'elle effleure machinalement du doigt en pensant que ce n'est que ça: une tâche. Sauf qu'elle ne s'efface pas sous son toucher, et Obelia peut voir du coin de l'oeil le visage de son meilleur ami se crisper comme si la peau y était sensible.

Elle a l'impression qu'on lui plonge la tête sous l'eau, brutalement, et retire ses mains de ses épaules, estomaquée. "Uh." C'est pour ça, alors, qu'il ne l'a pas invitée. Ce serait hypocrite que d'avouer qu'elle est immédiatement jalouse, et un peu envieuse, alors elle serre les dents un bref instant pour arrêter le flot d'amertume qui remonte dans sa gorge comme de la bile. "Are you okay?" demande-t-elle d'une petite voix, sans savoir quoi dire d'autre, et sans oser relever les yeux vers les siens.

Obelia se retourna lentement et Noah put instantanément voir la tristesse sur son visage et il grimaça à  la réalisation, il était sans doute un vrai connard. Sa main sur sa cuisse le surpris quelque peu, il aurait imaginé qu’elle veuille s’éloigner le plus possible, ne rien à voir à faire avec lui à ce moment là, et pourtant elle était là, près de lui, sa main frôlant délicatement ses doigts. “You're the one who went out without telling me, it feels like you're avoiding me...” — “I wasn’t,” il lui répondit doucement. Ce n’était pas elle qu’il cherchait à éviter, c’était tout ce qu’elle représentait, tout ce qu’elle déclenchait en lui, tout ce qu’il n’aimait pas, comme il lui avait dit quelques jours auparavant. Pas elle, elle il voulait la voir tout le temps, chaque seconde de chaque minute de chaque journée.

Ses bras autour de lui le surprirent encore plus, mais il se laissa aller à son étreinte, accueillant sa présence avec un soulagement qui lui fit monter les larmes aux yeux. Il avait l’impression que cela faisait des mois qu’il n’avait pas pu l’avoir aussi proche de lui, et c’était seulement maintenant qu’il réalisait à quel point son contact était devenu essentiel à sa vie. A quel point elle pouvait lui manquer alors qu’ils se voyaient des heures par jour.

“I don't think you're an asshole. Although you sometimes act like one. Noah, I just..” Il hocha légèrement la tête contre son épaule. Il savait tout cela, savait que son comportement n’avait pas été des meilleurs ces derniers temps. Noah plongea son regard dans le sien alors qu’elle s’était éloignée, ses mains toujours posées sur ses épaules, comme un rappel qu’elle était bien là. “I just don't understand what's happening to you, what's happening to us. It feels like you're--” elle s’interrompit et Noah ne compris pas pourquoi, pas jusqu’à ce qu’elle presse un doigt contre la peau sensible de son coup, un toucher qui lui arracha une grimace alors que des flashs de la soirée lui revenait douloureusement en tête. Les mains de son amie s’éloignèrent brusquement et Noah sentit un vent de panique se répandre dans son torse. “Uh- Are you okay?” elle lui demanda et la question était tellement loin de ce à quoi il s’était attendu qu’il du prendre un moment pour réfléchir, se demander s’il venait vraiment de se passer ce qu’il s’était passé où s’il l’avait simplement imaginé. La réponse lui vint bien vite, lorsqu’il réalisa que le regard d’Obelia était fuyant, qu’elle ne le regardait plus comme elle l’avait fait avant, et la panique ne fit que s’aggraver. Il avait l’impression d’avoir été pris la main dans le sac alors qu’il faisait une bêtise, et c’était stupide, parce qu’il n’avait rien à se reprocher. Il se sentait coupable, comme s’il avait trahi sa confiance en en embrassant une autre, alors qu’ils n’étaient pas ensembles et que, par conséquent, Noah ne lui devait rien. “It’s nothing, Obelia,” sa voix était tendue, pressante, “it’s- it’s no one” il ajouta, attrapant ses mains dans le siennes. Il avait envie de la secouer, de faire quelque chose pour attirer son regard à nouveau, mais il ne fit rien. “It’s no one, there’s never going to be anyone, anyway,” il marmonna, relâchant ses mains et laissant son regard trainer sur ses genoux.

Noah met quelques instants de trop à répondre, et Obelia se met à réfléchir et à s'imaginer la scène: Noah en train de danser au Pegasus, se serrant contre une autre fille - ressemblant très vaguement à Camilla, ugh - avec un sourire aux lèvres, puis ces mêmes lèvres se pressant contre la gorge de son Noah pour y laisser leur trace. Il n'est pas son Noah, du moins pas comme ça, et elle ne devrait certainement pas ressentir cet élan possessif qui lui fait traiter l'inconnue de tous les noms dans un recoin de sa tête. C'est véritablement stupide, et déplacé, et injuste. Mais c'est plus fort qu'elle.

Il est sorti, sans elle, a bu, sans elle, a fini par faire des trucs avec une autre fille, sans elle, continue sa vie, sans elle.

Obelia serre les dents, mal à l'aise et rendue malade par la propre intensité de ces sentiments injustes qui lui torpillent douloureusement l'estomac. “It’s nothing, Obelia.” Sauf que ce n'était pas rien, loin de là, alors que ça devrait l'être. Elle devrait sourire, lui dire de tout lui raconter, comme la meilleure amie qu'elle est - mais elle ne trouve pas ça en elle, pas alors que l'idée infectueuse des lèvres d'une autre sur lui répand à la surface de sa peau des frissons désagréables et détestables. “It’s- it’s no one.” Obelia ferme les yeux, un bref instant, les rouvrant seulement en sentant les doigts de Noah entourant les siens. “It’s no one, there’s never going to be anyone, anyway.” Il la relâche mais elle relève les yeux vers lui et sourit, difficilement - un rictus crispé et maladroit qui n'atteint pas ses yeux. "Well, no one gave you a hell of a hickey," commente-t-elle d'un ton joueur, où ne transparait que quelques relents amers et acides malgré elle. "It's fine, Noah, you don't have to justify yourself to me or to anyone." Elle manque de lui demander si elle était jolie, si elle était brune, si elle était blonde, mais sait qu'en savoir plus ne ferait qu'attiser le feu haineux et jaloux qui s'est réveillé en elle; alors à la place, comme l'indifférence de Noah pour Pan, Obelia laisse retomber le sujet.

"I hope it was fun," dit-elle tout de même, insincère et amère, avant de lentement commencer à se rallonger. "I'm tired." Une indication pour lui dire de retourner à son lit, afin qu'elle puisse s'allonger dans le sien et se rendormir - ils n'ont rien à se dire, et si elle était prête à discuter et à faire la lumière sur leur étrange relation de ces derniers temps, cela lui semble parfaitement impossible désormais. Elle n'a plus la force d'essayer, elle n'a plus la force de se battre, elle n'a plus la force de prétendre - ils se sont perdus, réalise-t-elle, et elle a l'impression d'être la seule à essayer de faire en sorte que ce ne soit pas pour toujours. Alors si Noah est content de cette distance qui s'est installée, et si il trouve du réconfort et du bonheur dans ce nouvel état des choses, tant mieux pour lui.

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“Well, no one gave you a hell of a hickey” Noah releva les yeux vers elle et lui lança un regard confus. Il avait pu entendre dans ses mots tout le venin qui s’y trouvait et il pouvait le voir à son sourire crispé, aussi faux qu’elle aurait pu le rendre. “It's fine, Noah, you don't have to justify yourself to me or to anyone,” elle ajouta et il était toujours si surpris de sa réaction qu’il ne put même pas y répondre. Il n’avait pas pu entendre correctement, elle n’avait pas pu vraiment avoir dit ces mots de cette façon là. Ca n’avait pas de sens, et ça ne pouvait être qu’un autre tour que lui jouait son esprit, aidé par l’alcool qui pulsait encore dans ses veines, qui lui avait fait croire qu’elle était si amère, si sèche.

Pourtant il ne rêvait pas, pas quand elle lui lâcha un “I hope it was fun,” tout aussi sec avant de commencer à se rallonger dans son lit, lui annonçant qu’elle était fatiguée, et de ce fait qu’il ferait mieux de la laisser tranquille, mais il en était incapable. L’incrédulité s’était transformée en une montée de colère intense et surprenante. “No,” il lui répondit, avec un petit rire qui ne transmettait qu’une pensée are you fucking serious?. “No, you don’t get to run away from this,” il lui dit plus sérieusement, plus fermement, cette fois. “What the fuck’s wrong with you Obelia? You get to fuck your boyfriend all the time and you give me shit because I made out with a girl once?” C’était clairement du foutage de gueule. “Not to mention you’re the one who told me I should have sex, didn’t you? and now you’re upset because I’m actually following your shitty advice?” Tout était de sa faute de toute façon, c’était elle qui l’avait poussé dans les bras d’une autre, c’était elle qui lui avait dit devant tout le monde qu’il devrait coucher avec quelqu’un. Il avait été si stupide, de se sentir coupable pour ça, d’avoir pensé pendant une demi seconde qu’il avait quelque chose à se reprocher. Et il était en colère, tellement, parce qu’il lui avait toujours tout donné, et que ça n’était jamais suffisant, jamais assez. Parce que, de toute façon, il n’atteindrait jamais ses standards et que tout ça n’était que souffrance et désolation pour lui.  

“What is it? you’re sad because you’re not the center of attention anymore? is that it? did you think I would follow you around my whole life hoping that one day you would want me for a change?” Il lui dit avec un rire moqueur. Il savait qu’il en avait trop dit, mais au point où il en était, ça n’avait plus vraiment d’importance, si Obelia n'avait vraiment rien remarqué depuis tout ce temps, elle était plus stupide qu'il ne l'aurait imaginé, et si elle savait déjà, le dire au grand jour ne changerait rien, de toute façon.

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“No,” lui assène Noah d'un ton sec, avant de rire légèrement, faisant se froncer les sourcils d'Obelia qui s'est rallongée, appuyée sur ses coudes en le regardant. “No, you don’t get to run away from this.” Noah n'a jamais été un mean drunk, du moins pas avec elle, donc elle ne comprend pas quel est son problème, surtout quand il porte une expression si cruelle sur le visage. "Run away from what now?" répond-t-elle d'une voix tremblante, redoutant la réponse. “What the fuck’s wrong with you Obelia?” Elle se sent devenir blême, du moins encore plus que d'habitude, et se redresse légèrement, vexée et énervée. What the fuck is wrong with you? Elle a l'impression d'avoir entendu cette phrase des milliers de fois maintenant, et pas toujours à haute voix: ces mots sont parfois ancrés dans le regard des gens la regardant de haut en bas en essayant de comprendre quoi elle est. Elle sait que Noah ne pense pas à ça tout de suite, mais ces mots se fichent en plein coeur, rouvrent une plaie jamais tout à fait fermée malgré les apparences légères et désinvoltes d'Obelia parfois.

“You get to fuck your boyfriend all the time and you give me shit because I made out with a girl once?” Après avoir blêmi, elle rougit. "Excuse me?! - Not to mention you’re the one who told me I should have sex, didn’t you? and now you’re upset because I’m actually following your shitty advice? - I never told you that you should have sex," proteste-t-elle en se redressant tout à fait, énervée. C'est bien Noah, ça, de toute interprêter de travers, comme d'habitude. "You're drunk," lui rappelle-t-elle, avant qu'il dise quelque chose qu'ils finiront tous les deux par regretter, "and we're not doing this right now."

Comme d'habitude, Noah ne veut rien entendre et insiste pour rendre la situation encore pire. “What is it? you’re sad because you’re not the center of attention anymore? is that it? - What is that supposed to me-- - Did you think I would follow you around my whole life hoping that one day you would want me for a change?” Obelia cligne des yeux sans comprendre. "What the fuck are you talking about, Noah?" Il est bourré, définitivement bourré, et ne fait aucun sens: il dit des mots sans les penser, sans y réfléchir, et il rit pour lui faire du mal. Mean drunk jusqu'au bout, Noah s'invente cruel soudainement parce que quoi, il est déçu, vexé, que ça s'est mal passé avec son no one?

Le coeur d'Obelia n'écoute pas ses pensées très rationnelles pourtant, et fait une embardée douloureuse et violente dans sa poitrine, lui donnant l'impression qu'il va finir par prendre résidence permanente dans sa gorge. "You're drunk," insiste-t-elle d'une petite voix, "and you're being mean and I don't know why. I'm not giving you shit for making out with some girl, I don't care, you do you, it's your business." Son ton est insincère, un peu trop amer, mais qu'importe. "I'm just sad I didn't get to go out with you, is all." Entre autres. "And Pan and I we never... it's not like that, okay? Just stop... just stop assuming shit when you're drunk, it's fucking ridiculous. Or when you're sober, for that matter." Elle fronce les sourcils et pose ses deux mains sur ses épaules, pour le repousser légèrement afin qu'il arrête d'être assis sur son lit et retourne vers le sien. "You should go to bed before you say something you don't mean."

“What the fuck are you talking about, Noah?” Obelia lui demanda, avec toute l’incompréhension sur son visage, ses grands yeux presque hagards, comme s’il venait de lui annoncer quelque chose de complètement incohérent. “Don’t play dumb, Obe,” il lui murmura presque cette fois. Il savait qu’elle avait raison sur certaines choses, notamment le fait que c’était loin d’être le moment approprié pour cette conversation, qu’ils feraient sans doute mieux d’en parler à un autre moment, quand Noah serait complètement sobre et qu’ils pourraient tous les deux avoir une discussion posée. Il ne savait pas si c’était possible, pas vraiment. Noah avait toujours eu du mal à parler de ce genre de choses, et il avait souvent eu l’impression d’étouffer dans ce secret qui n’en était pas un. Tout le monde savait, Noah avait vu les regards incrédules de ceux à qui il disait qu’ils n’étaient qu’amis, avait vu la surprise dans leur réaction. Elle ne pouvait pas ne pas l’avoir remarqué, pas alors qu’elle était en général bien plus observatrice que lui-même ne l’avait jamais été.

“You're drunk and you're being mean and I don't know why. I'm not giving you shit for making out with some girl, I don't care, you do you, it's your business.” Ses mots le blessent plus qu’il ne l’aurait souhaité. Il sait qu’elle n’est pas honnête, pas tout à fait du moins. “I'm just sad I didn't get to go out with you, is all.” - "That's all?” il demanda en levant presque les yeux au ciel. Obelia ne lui avait rien dit sur le fait qu’il était sorti, et même s’il ne doutait pas qu’elle était réellement triste de ne pas avoir été invitée, ça n’était pas ce fait là qui avait déclenché tout ça. “And Pan and I we never... it's not like that, okay?" - “What do you mean it’s not-” - “Just stop... just stop assuming shit when you're drunk, it's fucking ridiculous. Or when you're sober, for that matter.” Elle finit par poser ses mains sur ses épaules, en un geste qui n’était pas confus, contrairement à tout ce qu’elle disait, en un geste qui lui signifiait qu’elle voulait qu’il parte. “You should go to bed before you say something you don't mean.” - “Yeah you wouldn’t want me to become a fucking liar like you, right?” il ne put retenir, trop surpris par ses mots et sa lâcheté. “When can we talk about this? There’s always something, now I’m drunk and tomorrow we’ll have class and the next day you’ll have to see Pan. Just say the truth, just say that you don’t want to talk about this because you don’t want this,” il termina finalement, grimaçant au son de sa propre voix qui semblait bien trop fragile à cet instant.