14 mai 2007
Bareback
I'm laying down, eating snow my fur is hot, my tongue is cold

« Je vais t'le dire : le barbecue, c'est pas trop ton fort  » Cook la regarde à travers le grill encore collant de boue. « Nan mais c'est con hein, tout ce talent, tu sais faire de l'élaboré, du chic, du fran- » « Désolé, pas ce soir Fish » Sans rien répondre, elle le fixe en tirant une longue bouffée. Calée sur la même caisse depuis la fin du barbecue, on aurait dit le spot hanté par une louve mal léchée. Plusieurs heures maintenant qu'elle y traînait. « T'sais quoi, j'voulais juste discuter » Coudes sur les genoux, penchée en avant, son pied droit s'impatientait et mettait en mouvement l'ensemble du corps tordu. Parfois, elle relevait la tête pour observer les gens passer, sans un mot, les fixait. Si quelque chose criait l'invitation au dialogue, alors Fish en était l'opposé. Eventuellement l'homme fini de remettre le grill en ordre, soupire discrètement. La regarde. Et en partant, hésite à poser une main sur son épaule avant de s'en raviser.

Ils se connaissaient si bien.


Le temps de s'en griller une nouvelle, elle se relève finalement, ankylosée. Quand faut y'aller.. Devant la fenêtre illuminée de la caravane, la masse informe lui fait face. Honnêtement, Fish aurait aimé quelques heures de sommeil en plus. Ou juste : un réveil en douceur ; voir même : être prévenue à l'avance des coups de com' de Fenrir. Elle en avait encore plein des comme ça, dont : ne pas ramener des clochards dans la meute. Toute une liste déroulante pour chaque pas qui la séparait de la gueule du loup, comme ne pas kidnapper ses propres gosses.  Juste une très longue liste de doléances qu'il était inutile de mentionner (ne pas se tirer sans un mot). Prendre sur soi, et avancer. Il y avait désormais une plus grande préoccupation. Plusieurs ? Putain, si elle commençait à avoir une liste pour ça aussi.

« Oï ! » Le plat de sa main claque contre la porte « J'espère t'es pas à poil parce que je rentre » tandis que l'autre l'ouvre et qu'elle s'introduit tête baissée dans la caravane. « J'aurai bien ramené un p'tit quelque chose à boire mais Cook est.. » Plié en quatre, la bedaine accusant la gravité terrestre, la vision de Fenrir en train de s'épiler le dos s'ajoute aux doléances. « .. Ta fille a vraiment une mauvaise influence sur toi » Fish referme la porte derrière elle.

Butant sur le joyeux bordel, la sorcière réussi à s'affaler en un soupir sur le fauteuil défoncé qu'elle avait l'habitude d'occuper. Passe un index sur la mousse dépilatoire, la porte à son nez avant de l'essuyer sur le tissu crade. « J'préfère avec » Elle renifle bruyamment. « Qu'est-ce qui s'est passé Fenrir ? »



@fenrir greyback

Après ce repas mouvementé, tu avais senti l’irrépressible besoin de t’isoler, et plus encore, de détruire quelque chose. Mettez ça sur le compte de ta malédiction ou de ton caractère de sauvage, peu importe. Tu avais envie, besoin de tordre, d’arracher, de réduire quelque chose à néant.
Du coup, tu avais décidé de t’offrir une tortueuse session d’épilation du dos.
Qu’on ne se fasse pas d’illusion ; tu faisais pas ça pour tu ne sais quelle raison esthétique.  Après tout, ça n’était pas avec trois poils en moins sur les épaules que tu deviendrais un gentil petit père sympathique. Et puis, la malédiction étant ce qu’elle était, les poils avaient tôt fait de revenir, au grand désarroi de Hoshi, d’ailleurs, qui avait mené la vie dure à votre médecin de famille, qu’elle avait tendance à confondre avec son esthéticienne (« bah c’est le médecin des poils, nan ? »).

Peut-être qu’avec le temps, Fish avait fini par le comprendre. Ou peut-être pas. Parce que ça pouvait vite devenir fatiguant d’essayer de deviner quel comportement trahissait quel état de pensée.
Pour toute invitation, tu n’avais lâché qu’un grognement à moitié étouffé par ta position saugrenue et la vieille cigarette machouillée dont la cendre s’écrasait en petit tas sur le tapis.
Tu allais pour l’envoyer chier, que tu faisais ce que tu veux avec ton corps (et tes poils). Mais le « J'préfère avec » te coupe le sifflet. Puis le « Qu'est-ce qui s'est passé Fenrir ? » encore plus. Ton regard assombri devient tout penaud. Tu interromps ton mouvement, la lame en suspension au-dessus de ton épaule à moitié rasée. « C-c’est vrai ? » que tu demandes, à la limite d’avoir des étoiles dans les yeux.
La bougresse avait le don de te désarmer en moins de temps qu’il n’en fallait à Balls pour pondre des petits.
Pris au dépourvu, tu restes un moment immobile, le bras en l’air, avant de lâcher ton couteau à cran d’arrêt. Tu te redresses sur les genoux, agrippes le bras du fauteuil dans lequel elle a posé ses fesses, pour essuyer la mousse restante avec ton marcel roulé en boule, avant de le lui tendre.

« Tiens, tu m’aides ? » Penché en avant, tu lui tournes le dos, les mains sur les cuisses, les genoux douloureusement fichés dans le tapis élimé.
Tu restes silencieux un temps, profitant sans doute de ce moment d’accalmie. Ça continue de brailler dehors, les parois de la caravane filtrent mal, épaisses comme du papier. Pourtant, au coeur de l’habitacle, tu prierais bien un p’tit coup pour qu’il ne reste que vous deux.

« Qu’est-c’tu veux qu’j’te dise c’qui s’est passé ? » Ta voix, bougonnante, caverneuse, écrase le silence comme un ogre sur des plate-bandes. « J’vous l’ai d’jà dit, le vieux là, c’était une erreur » Visant volontairement à côté, voilà que tu remets le pauvre Caleb au centre des débats. Parce qu’apparemment, de tous tes problèmes du moment : Nadja, Balls, tes rhumatismes, Numa, Butter, et on en passe des meilleurs, c’est celui qui t’embarrassait le moins.

« C-c’est vrai ? » Clope jaunie aux lèvres et couteau à cran d'arrêt contrastaient avec la crème dépilatoire et les grands yeux ronds qui lui étaient adressés. Fish hausse les épaules, pense qu'il se fout d'elle : dévie le sujet de conversation pour mieux éviter de l'aborder. Tête baissée, elle fixe l'homme au sol jusqu'à ce que sa masse ne se mette finalement en mouvement - difficilement. Les os grincent lorsqu'il enlève ce qu'il peut de mousse avec un tissu. Peut-être qu'il était sérieux. « Tiens, tu m’aides ? » Il se baisse à sa hauteur, le souffle lourd.

Sous le tissu sale, la mousse glisse mal. Quand elle retourne le linge, mêlé à la crème quelques poils partent malgré tout, bruns sales, gris. De nouvelles cicatrices se découvrent aussi. Et Fenrir ne dit rien, et Fish non plus. Le genre de situation où chacun attend que l'autre parle - ou plutôt - où aucun n'a vraiment envie de parler. Ça la dérange pas. Au contraire, elle apprécie. Elle qui pensait se jeter dans la grande gueule du loup péteux du barbecue retrouvait au final loin des regards l'homme qu'elle avait toujours connu.
« Qu’est-c’tu veux qu’j’te dise c’qui s’est passé ? » La voix fait gronder ses côtes. « J’vous l’ai d’jà dit, le vieux là, c’était une erreur » Ses griffes appuient sur le tissu, enlèvent les dernières traces blanc sale qui zèbrent encore son dos. Sent la crispation de ses muscles. Un dernier coup, et le marcel est balancé au loin. « T'es tout bon » On peut causer. Fish frotte le résidu de mousse de ses mains et sort son paquet. Une cigarette se coince entre ses dents, la seconde est envoyée à l'autre.

Enfin face à face, Fish le détaille. S'enfonce comme elle le peut dans le rembourrage fatigué et marmonne : « On a connu mieux comme introduction dans la meute. » Peu importaient les efforts, son regard revenait inexorablement à l'oeil crevé. « Sacré gars, pas vrai ? » Une question qui n'appellait pas vraiment de réponse. Quittant l'Alpha, ses yeux glissent sur la caravane sans vraiment la voir pour finir sur le bout de braise contre ses doigts. Elle pouvait pas se payer le luxe de laisser le silence s'installer de nouveau. Fish reprit : « Et c'est pour lui qu't'es parti - pendant quoi, deux mois ? » Méthodiquement, la pointe de ses ongles s'écrase dans la pulpe de son pouce, et plie la corne en deux. Elle relève le menton dans sa direction et ajoute : « J'dois savoir Fen' » Et elle pesait ses mots.

Tu t’assois au bord du plumard dont le matelas touchait presque terre, à force d’avoir été creusé par ta carne. Les draps, pourtant, sont tirés, et il pourrait s’en dégager une impression de fraîcheur, s’ils n’étaient pas d’un brun-gris douteux.

« Sacré gars, sacré gars, sacrées emmerdes, oui » C’est pas souvent que tu vois le mauvais côté du verre. La plupart du temps, au contraire, tu étais bourré d’optimisme jusqu’à la pointe de tes cheveux sales, à en devenir insupportable, à avoir la réponse à tout. Mais disons que tes ronchonnements vont de paire avec la singulière ambiance sous le plafond bas de ta caravane. Plus encore que les reproches à peine maquillés, c’était plus rare encore de ne pas te voir sourire.
En fait, présentement, tu avais enfin l’air de ce que tu étais vraiment : un vieux con fatigué. Et il n’y avait que Fish, plus de quarante ans de carrière, qui avait le droit à un pareil spectacle.

« Et c'est pour lui qu't'es parti - pendant quoi, deux mois ? J’dois savoir Fen’ » « Hein ? Non, non, lui, il a rien à voir... » que tu t’empresses de répondre, sidéré à l’idée d’avoir pu manquer à quelconque devoir de daron, juste pour les beaux yeux globuleux de Clébard (ou Merlin seul sait c’était quoi son nom).
« C’était que deux mois, ça va... » que tu ronchonnes, après qu’elle t’ait mis le nez dans ta bouse. Près de cinquante ans à surveiller le moindre louveteau de ta meute, et c’est deux petits mois d’errance qu’on retenait ! Bah, c’était un juste retour des flammes : à force d’être derrière tous leurs mouvements, ils supportaient mal que tu disparaisses, quoiqu’ils en disent, à grands renforts de « oh la la c’que c’était bien quand t’étais pas là, on pouvait se coucher tard ! » T’aurais payé cher, tiens, pour les voir croupir, la queue entre les jambes, à attendre au portail que tu reviennes.
« J’ai fait ça pour vous, j’te signale » Comme d’habitude, Fish faisait office de porte-parole pour le reste des râleurs, parce que c’était la seule munie de suffisamment de courage pour te tenir tête, tant et si bien que tout seul comme un grand, tu t’imaginais avoir des comptes à lui rendre. C’est qu’elle ressemblait presque à un chaperon qui demande au fils prodigue où qu’c’est qu’il s’était encore fourré…

Tu aurais pu lui répéter encore une fois le flambant discours sur la cause des NSFW et lui réciter les innombrables raisons de les rejoindre (en tête de liste, rappelons-le, l’imminence de leur chute). Mais elle a déjà dû se les farcir au barbecue. Et elle était certainement pas venu te gratouiller le dos pour réclamer du rab. La NSFW, c’était l’excuse ronflante qui faisait bien, l’investissement à long terme qui expliquait le départ précipité.
Mais, si on se penchait plus près du bouzin, on pouvait renifler que ça sentait la merde, cette histoire. Ça sentait la décision prise dans un moment de déprime, la binouze au bout du bec, la morve aux yeux et les larmes au pif.

« Trente ans à servir ces connards de Mangemerdes, t’crois pas, il est temps de passer à autre chose ? »
Alors là.
C’est Sainte-Mangouste qui se fout de la charité.
« On va vous sortir de là, et on ira se la couler douce loin d’leurs bureaux d’merde et d’leurs brigadiers à la baguette facile, là… » C’est pas que tu commençais à comptabiliser plus de pertes dans votre meute de la main du Ministère que de celles des résistants mais… presque.

« Hein ? Non, non, lui, il a rien à voir... » Lentement mais sûrement, on y arrivait. On revenait sur le sujet, laissé en plan deux mois plus tôt. A croire que Fenrir préférait buter deux-trois gars plutôt que d'avoir une conversation - et le sous-entendu a visiblement percuté l'homme déjà bien avachi qui, par facilité, lui balance le classique "c'est rien, c'est passé". « C’était que deux mois, ça va.. » Y'a des habitudes qui, même avec le temps, ne changeront jamais, et ça arrache un claquement de langue sec à Fish. Deux mois à savoir qu'il était là, présent mais délibérément absent. Qui laisse Chip en charge. Prend Hoshi sans dire merci - ni merde. Et ce mariage où il a débarqué, braquant l'Oeil du Ministère sur les Hounds connement enregistrés sous son nom. Greyback, ah !, y en étaient pas peu fiers. A attendre des jours durant de le voir revenir, il se pointe que pour du sang-pur et des petits fours. Mais ouais, deux mois, c'est rien. On s'fait chier, en deux mois. Fish a les lèvres serrées autour de sa cigarette. « Ouais, ça va ouais » Le ton était plus franc. Elle crevait d'envie d'hurler autant qu'elle voulait l'éviter ; y'avait p'tet' là une jolie métaphore à en tirer. Jambes croisées, son pied reprend son agitation nerveuse. « J’ai fait ça pour vous, j’te signale »

Un éclat de voix comble l'espace pesant. « C'est trop facile de nous servir ça à chaque fois » Et c'était encore plus facile de s'en tirer. « Tu peux pas juste disparaître et revenir comme une fleur, nous dire de tout changer » Elle parle plus fort, plus rapidement. J'fais ça pour vous, à crever l'coeur, ses bras s'écartent et prennent l'espace. « .. Te tirer en pleine nuit.. »  Elle fumait le filtre qu'elle écrasa contre sa semelle. « .. Pour revenir ici, avec des steaks et des promesses »  « Trente ans à servir ces connards de Mangemerdes, t’crois pas, il est temps de passer à autre chose ? »
Fish se redresse.
Et puis, se lève. Dégourdit un peu ses jambes, nerveuse, elle accuse le coup. S'il avait bien une qualité, Merlin en était témoin, c'était l'audace. « On va vous sortir de là, et on ira se la couler douce loin d’leurs bureaux d’merde et d’leurs brigadiers à la baguette facile, là… » Elle regarde par la fenêtre. Gy' lui fait coucou - elle ferme les rideaux. « Vraiment tu - tu fais ça pour nous ? » Bêtement, la Beta rit, un peu, découvre ses dents serrées avant de se rassoir un mauvais rictus en bouche. Face à la masse fatiguée de Fenrir, Fish plonge en avant, coudes sur les genoux grand écartés. Son regard vise cette fois-ci l'œil qui lui restait de valide, à quelques centimètres d'elle. « Alors, t'as fait quoi pour Najda ? »  

Ça faisait du bien, de le lui dire en personne.

« T'as fait quoi pour tes Hounds, Fenrir, pour qui c'qu'une question de temps grâce à l'attentat d'tes nouveaux meilleurs amis ? » Un regard noir parcourt Fenrir de haut en bas. Qu'il ose seulement essayer de lui mentir comme il ment aux autres : il venait les tirer du merdier qu'il avait créé, même s'il voulait pas le cracher. Fish laisse une pause, pesant ses mots, elle ouvre la bouche avant de la fermer, sans un son, immobile, méritant bien son surnom. Probablement parce que y'avait plus rien à rajouter. Que si elle continuait, elle allait gueuler, et ça allait pas l'aider à lui sortir les vers du nez. Ça réveillerait les gosses aussi. Le jour du retour du papa, ça fait toujours un peu tâche. Qu'est-ce qui s'est passé ? 


@fenrir greyback

C’est que tu pensais t’en sortir, une fois encore, une fois de plus, avec ce genre de pirouettes. Généralement, ça marchait. Mais ça marchait avec les enfants, ça marchait avec Hoshi, quand elle se faisait les ongles, ça marchait avec Cave, quand iel écoutait sa musique trop fort. Mais ça n’aurait jamais marché avec Fish, les yeux de la meute, le sang et les oreilles de la meute. La cellule grise des Greyback (quoiqu’en disent Nums et Wyvern).
Tu pensais avoir le droit de te tirer sans rien dire pendant deux mois, parce que c’était toi le chef. Parce que tu étais l’alpha, à l’origine de tout ce merdier et que, le jour où t’en avais marre de gouverner, tu serais aussi en droit de tout finir. L’Apocalypse selon Fenrir.

Sauf que tu t’en sors pas.
Fish s’éjecte de son fauteuil, animée d’une rage et d’une frustration qui doit macérer derrière ses dents jaunies depuis deux mois, depuis deux ans, ou peut-être quarante ans. D’habitude, c’était toi qui bougeais plus que ton interlocuteur, qui envahissais son territoire, l’intimidais pour asseoir ta supériorité. Cette fois-ci, pourtant, tu restes vissé au bord du lit, suivant d’un oeil las les va-et-vient de ta louve. « Il fallait que j’parte » que tu marmonnes, ou peut-être que tu le penses juste, parce que le bruit des rideaux tirés couvrent le son de ta voix. Du jamais vu, ou plutôt du jamais entendu.
« Vraiment tu - tu fais ça pour nous ? » « Pour qui d’autre ? » Pour Nadja. Pour Nadja. Pour Caillou, Lyall et tous les autres. Pour Nadja. Tu n’opposes qu’une résistance molle, résignée. C’est que t’en as marre de te répéter, de te justifier. C’est toi le chef, t’as aucune raison à leur fournir.

Alors oui, pour qui d’autre ? « Alors, t'as fait quoi pour Nadja ? » Fish est à quelques centimètres de toi. Aussi, l’odeur moite de ton désarroi doit lui rentrer en plein dans le pif. Ton oeil, livide, larmoyant, trébuche dans son regard noir. Elle voit tout, mais comprend peut-être pas jusqu’au bout, puisqu’une autre question se précipite à la suite du nom de votre disparue. « T'as fait quoi pour tes Hounds, Fenrir, pour qui c'qu'une question de temps grâce à l'attentat d'tes nouveaux meilleurs amis ? » Tu souffles, rétablis une respiration abrupte que tu avais retenue, apparemment.
« On va vous sortir de là » assènes-tu, penché en avant ; vos chicots pourraient s’entrechoquer à ce stade. « On tendra des embuscades, on vous attendra là où vous s’rez envoyés en mission, on arrachera la glyphe de vos handlers. »
Le vieux maillot de corps que tu malmenais entre tes pattes finit roulé en boule autour de ton poing, à l’instar de Nadja, de son absence d’odeur, que tu roules en boule au fond de ta tête et de ta gorge. « J’vous laisserai pas finir comme elle. » En travers de la gorge. « J’les laisserai plus vous faire du mal- »

Fenrir était là, à quelques centimètres du visage de Fish. Elle se dit que ça devait être beau à voir. Qu'après toutes ces années, ils en étaient réduit à ça : « On tendra des embuscades, on vous attendra là où vous s’rez envoyés en mission, on arrachera la glyphe de vos handlers. » Fish savait pas que c'était possible, mais elle pouvait effectivement serrer plus forts les dents. Ses lèvres s'écartent et elle les découvre. C'est censé être un sourire ironique - mais ç'en était loin. Ça ressemblait à rien comme le grand rien qu'il lui servait « Arrête de radoter et répond-moi »
A ce stade, sa voix avait plus rien de très humain.
A ce stade, Fenrir avait plus rien de très Alpha.
Elle déteste ce qu'il lui dit, parce que c'est la même soupe qu'elle avait toujours servi aux gosses. Il dit : « J’vous laisserai pas finir comme elle. » et Fish entend : « J'ai laissé les autres finir comme elle ». Elle ressert des dents qui commencent à grincer.  « J’les laisserai plus vous faire du mal- » J'les ai laissé vous faire- « Arrête ! » Deuxième service du ragoût de promesses, ça lui file des hauts-le-coeur. Elle crache « Tu m'fais pitié » et le repousse en plaquant ses mains contre ses épaules avachies pour qu'il vire de son visage (pour le réveiller, provoquer, frapper) « T'as aucune idée de c'que tu fais pas vrai ? » Elle recommence mais en un peu plus fort - les mains claquent contre sa peau. « Hein ? Tu fais passer tes problèmes en solutions et serre les fesses pour qu'on y croit c'est ça ? » Et en encore un peu plus fort. Réalise que c'était comme frapper un homme à terre, alors de nouveau elle bondit sur ses pieds. Un des deux shoote dans une boîte de conserve moisie avec la même intensité que si c'était les couilles du vieux, rebondit sur le mur, puis le sol, et elle se remet à marcher - avant de se dire que non - qu'elle allait pas s'arrêter là. Fish se retourne de nouveau tête baissée, vide, creuse, dedans y'a les huit noms décédés, les mots du Travers, et la peur dans les yeux ronds de Chip, Loomis, Balls.. « C'est toi qui nous fait du mal, c'est pas eux : c'est toi, parce que t'es trop con Fenrir » Et parce qu'elle voulait même plus le toucher, Fish fini sa tirade sur un molard tiré de derrière les gencives qui s'écrase à ses pieds.

Personne peut comprendre à quel point Fish est belle, tant qu’il l’a pas observé de tout près. Même si elle a les cheveux sales, même si elle a les gencives grises et les dents jaunes, même si elle a une voix plus éraillée que la bécane à Balls.
Personne peut comprendre à quel point Fish est en colère tant qu’il l’a pas observé de tout près. C’est comme se regarder dans un miroir ; et faut dire que, vu ta dégaine, ça devait pas arriver souvent. A ce moment-là, Fish te méprise peut-être autant que tu te méprises toi-même.

C’était un phénomène assez récent, ou peut-être pas ; peut-être que ça remontait à plus loin dans votre histoire, mais qu’à l’époque, tu l’avais roulé en boule dans un coin de ta tête, comme du linge sale qu’on lave pas en famille. La famille a plein d’autres choses à faire. Cependant, à force, ça s’était accumulé jusqu’à puer à des kilomètres à la ronde. Fish n’avait jamais été dupe par rapport à tes petites magouilles ; mais là, ça tenait quasiment du pif au milieu de la figure. A quelques centimètres. Et puis elle se tire.

Elle s’agite dans la caravane, envoie valser des trucs. Tes phalanges blanchissent autour du tissu du t-shirt que tu compresses. Elle rabâche ton incompétence, tes fausses bonnes idées et tous tes plans foireux… Comme si c’était une nouvelle ; elle était pas dupe, elle t’avait suivi, pourtant. (Mais lui en avais-tu laissé le choix ?)
« C'est toi qui nous fait du mal, c'est pas eux : c'est toi, parce que t'es trop con Fenrir » T’avais la tête baissée, alors t’es aux premières loges pour voir le molard s’écraser entre tes pieds. Tu vois flou.

Tu relèves subitement la tête, le regard furieux. Elle va trop loin. C’est la merde qu’elle cherchait, alors tu allais lui chier à la gueule, toi aussi. Tu te lèves, énorme, immense, on dirait que la caravane a été construite tout autour de toi. Un pas vers elle (vous êtes tant à l’étroit que même si elle veut s’éloigner de toi, elle peut pas vraiment) qui fait grincer le plancher de la caravane. Tu attrapes le col de sa veste en cuir, fulminant ; on dirait que les poils sortant de tes oreilles, c’est de la fumée. « Crois-moi que si j’voulais vraiment vous faire du mal, tu serais pas en état de t’en plaindre… » Encore une fois, son visage à quelques centimètres ; c’est comme ça, les loups, ça aime la proximité physique pour faire passer des trucs. Dès que ça s’éloigne, c’est tout de suite plus marquant. « Vous croyez que j’ai pas mal, moi ? » Ah, c’est là que ça coince, à voir comment ton oeil tremble. « Vous croyez que j’me marre chaque fois que vous vous pétez la gueule ? Vous croyez que j’me casse pas la gueule, moi ? Que j’ai pas mal ? » Toute ta figure tremble, se trouble. Hé, au moins, Nadja, elle n’avait plus de problème… elle n’avait plus d’odeur non plus. « Tu crois que Shoebox, Lyall, que Nadja ça m’a pas fait mal ?! Ils vous l’ont volé autant qu’à moi ! » Tu lâches subitement Fish, fais volte-face et retournes violemment le lit de camp, poussant un hurlement déchirant, refusant de t’en prendre à ta louve. « Moi aussi je l’ai perdue, Nadja ! Moi non plus j’arrive plus à sentir son odeur ! » que tu martèles, suffoquant. Tu envoies valser d’autres affaires, te démènes comme un pauvre diable, avant de tomber à genoux. « Pourquoi vous voulez pas comprendre ça ?! » Tu fixes le plafond, comme si, peut-être, tu espérais que Nadja, et que tous les autres qui n’étaient plus là, le comprennent, eux, désormais.

« Son odeur, Fish… » souffles-tu, à mi-voix, excédé, blessé dans l’amour sordide mais inconditionnel que tu portais à ta meute. « C’était quoi son odeur ? »

Tout s’est passé très vite. Ça a pris du temps, mais Fenrir se montrait enfin. Pas la grande gueule tout sourire qui racontait ses niaiseries, mais la masse de colère sourde qui se redressait devant elle. Elle rétrécit presque dans l’ombre projetée avant que sous ses pieds les planches de la caravane craquent lorsqu’il s’élance sur elle pour la décoller du sol, la rapprocher, s’imposer. Ils ont le même regard mauvais, même son oeil crevé elle le savait la maudissait, et elle en était fière, ça se voyait. « Crois-moi que si j’voulais vraiment vous faire du mal, tu serais pas en état de t’en plaindre… » Entre son Alpha et le vieux qui s’épilait le dos, y’avait tout un monde. « Vous croyez que j’ai pas mal, moi ? » Y’avait aussi vingt minutes à tourner autour du pot avant de devoir gueuler pour l’entendre l’avouer, percer l’abcès. « Vous croyez que j’me marre chaque fois que vous vous pétez la gueule ? » A chaque interjection le poing qui tient sa veste l’agite un peu plus en un pantin désarticulé. Elle a la gorge serrée, le crâne qui sature de voir la rage d'aussi près. « Vous croyez que j’me casse pas la gueule, moi ? Que j’ai pas mal ? » Et même si Sally l’avait cherché, elle réalise qu’elle le regrette. Qu’elle voulait pas entendre ni écouter un dégueuli de sentiments comme dégoulinaient les postillons sur son visage, à croire qu'il était seul lui et son haleine aux relents de deuils mal gérés, qui lui beugle « Tu crois que Shoebox, Lyall, que Nadja ça m’a pas fait mal ?! Ils vous l’ont volé autant qu’à moi ! » comme si ça justifiait conneries sur conneries, années après années, il la lâche comme une merde et ses semelles claquent sur le plancher, et puis la déco valse, un lit est retourné.
Y’a des objets qui volent, des fracas, ses cris, et Fish bras croisées figée là où il l’avait laissée dans le fin fond d’une caravane chaotique le coeur au bord des lèvres, elle l’observe s’écrouler et lui il regarde le plafond, l’ampoule qui grésille dans le silence de plomb que laisse son égocentrisme mal placé. « Son odeur, Fish… » « Arrête.. » mais sa voix était trop nouée. « C’était quoi son odeur ? » Alors elle hoche juste la tête, resserre ses bras contre elle, déglutit puis ré-essaie : « Me demande pas ça Fenrir » Les yeux plissés elle voit flou. Elle parle bas : « Alors que t’es jamais allé voir Loomis ce soir là, avant de te tirer, me demande pas ça, m'dis pas ça » Entre eux, il y a toute une distance qu’elle ne franchit pas. Des années.  « Demande pas ça alors que tu sais toujours pas ce qui l’a tuée - ce qui l’a vraiment tuée. J'pensais que t'allais trouver, que t'étais parti pour ça pas pour faire exactement c'que le Ministère attend de nous depuis le début, une raison pour tous nous abattre- » Sur la fin la voix avait plus de souffle - elle a besoin besoin d’un verre.
De plusieurs même.
Fish essaie de faire un pas vers lui, mais c’est que du sur place. Le voir comme ça lui donnait autant de peine que ce qu’elle lui balançait du bout des lèvres. « Tu connais l’odeur de Butter ? De Lucius ? » La manière dont ils sautent dans tes bras quand ils te voient. « Parce que si l’un d’entre eux meurt Fenrir, n’importe lequel, même l’autre erreur, le prochain que j’enterre à cause de ta petite guerre.. »  Elle se rapproche finalement d'un pas dans le bordel en reniflant, s’agrippe à un tiroir pour arrêter de trembler, de la nuque aux bras, redescente d’adrénaline qui passait pas « ... » ça coince jusque dans la trachée. A l'idée de perdre un nouveau petit sa respiration était instinctivement bloquée. C'était pas sa première menace, mais la voix était saccadée.
« Si faut t'caner pour que ça cesse - j'le ferai »

« Me demande pas ça Fenrir. Alors que t’es jamais allé voir Loomis ce soir là, avant de te tirer, me demande pas ça, m'dis pas ça » Toi, ce soir-là, t’avais préféré aller voir Nadja une dernière fois. Fallait que quelqu’un reconnaisse le corps, que tu aurais pu lui répondre. M’dis pas ça. Que tu lui avais répondu, ce soir-là. M’dis pas ça. Y avait plus grand-chose à reconnaître, ceci dit. Tu aurais voulu emporter avec toi le souvenir de Nadja quand elle essayait de démêler les cheveux de Miss Chiwa, quand elle gueulait parce qu’elle savait pas si elle avait marché dans la boue ou dans une merde de chien, Nadja quand elle prenait Loomis par la taille, quand elle la regardait fumer. M’dis pas ça. Tu aurais voulu emporter Nadja avec toi, et pas cette enveloppe avec la figure de Nadja, mais sans Nadja dedans. Mais faut croire que t’avais préféré ça, gâcher pour toujours le souvenir de Nadja, plutôt que d’aller voir Loomis, ce soir-là.

« On sait ce qui l’a tué ; c’est ce foutu Ministère qui l’a tué ! » marmonnes, sans chercher à savoir si elle t’écoute. Et le pire, c’est que tu y crois à cette histoire, parce que c’est tout ce que tu sais. Tu ignores la vérité moche qui se cache sous cette sordide affaire. Tu ne vois qu’un ennemi, gigantesque, sans nom et sans visage, qui piétinait tout sur son passage, dévorant tes loups à la chaîne comme toi un soir de pleine lune. Jusqu’à présent, le gouvernement était passé au-dessus de tes mômes les plus jeunes ; mais ça n’était qu’une question de temps, de secondes, avant que l’un d’eux ne soit emporté par la marée hurlante. Butter avait compris les dangers de l’extérieur ; elle se tenait à carreaux, à présent, triturant sa mèche blanche en traînant dans les pattes de Cook.

« Si faut t'caner pour que ça cesse - j'le ferai »
Un ricanement lugubre s’échappe de ta silhouette courbée, toujours à genoux. Tu relèves la tête, un sourire tordu plaqué sur ton visage, alors même que tu avais les yeux encore humides de tes précédentes effusions. « Bien sûr qu’tu l’feras… » répètes-tu, ravi face à cette évidence. Tu te relèves, lourdement, prenant appui sur le même meuble contre lequel elle contenait avec peine ses tremblements, si bien qu’il manque de craquer pour de bon. Tes articulations douloureuses mettent un temps à se relâcher pour que tu redresses ton échine et fasses un pas vers elle. « Pourquoi attendre, d’ailleurs ? Hm ? » Tu la détailles, le regard un peu de travers, jouant un coup avec la boucle du col de sa veste, un coup avec une mèche de cheveux secs. « … Tu pourrais en finir maintenant, tu sais ? » Un coup d'œil embrassant la pièce sans dessus dessous, tu ramasses le couteau avec lequel tu t’étais taillé les poils du dos, le brandis sous son nez. « Allez, vas-y ; ils attendent que ça, dehors, tu sais ? » Tu ouvres les bras, le menton haut pour exposer ta jugulaire. « C’est pour ça que Balls est revenu, pas vrai ? Il a senti qu’j’allais crever sous peu ? »

Tu forces l’arme dans sa main. « Fais-le, Fish. » Guides sa main jusqu’à ta gorge, le regard planté dans le sien, la lame flirtant avec ton gosier, rapant même contre ta pomme d’Adam quand tu déglutis. « Et si tu le fais, Fish… » Une main cramponnée à la sienne pour assurer son geste, l’autre fermement posée à l’arrière de sa tête pour soutenir tes yeux fous. Tu exerces une pression, afin de coller un bécot sur son front, brutal, impérieux. « J’te souhaite bien du courage pour la suite. »