”You're going?” ”Yes, I'm visiting a friend. Do you still need help with the paperwork?” ”Kuanghsi will take care of it, don't worry.” ”Alright then.” Poppy se leva en époussetant sa robe (noire), avant de décrocher sa cape (noire) du porte-manteau de l'entrée du bureau de sa mère et de sa tante ; s'il n'existait que peu de traditions dans cette famille d'indépendants, Poppy avait pour habitude de venir rendre visite aux deux sorcières lorsque son emploi du temps le lui permettait – une autre bonne excuse pour passer une partie de ses week-ends hors de l'appartement envahi par la présence à la fois fade et gênante de Thomas, quand bien même elle s'attardait rarement plus de quelques heures en compagnie des siens. Sa mère n'insistait jamais afin qu'elle reste, et Poppy ne ressentait que peu le besoin d'étendre sa visite jusqu'au dîner, sauf cas exceptionnel – et aujourd'hui, elle devait rendre visite à Abbas, pour une raison bien particulière qui la rendait à la fois légèrement nerveuse, et tout aussi impatiente à l'idée de le revoir, hors des rails du Ministère.

Ce n'était pas tous les jours que le directeur du Département des Mystères vous demandait une faveur ; ce n'était pas tous les jours qu'Abbas Shafiq en appelait à l'aide à demi-mots, et s'apprêtait à vous offrir une partie de son esprit, pleinement, entièrement – dans la limite de ses barrières travaillées d'Occlumens.

Sa mère ne lui fit aucune remarque, lorsqu'elle transplana sur le pas de la porte ; son regard sur elle était suffisamment éloquent pour que Poppy le sente traîner encore sur sa rétine, deux orbes onyx constatant en silence que cet ami avait quelque chose de spécial.
En l'occurrence, une tête formidablement bien faite et remplie, dans laquelle Poppy allait pouvoir plonger – la perspective la rendait légèrement fébrile, et elle se laissait aller à cette fébrilité pour savoir que dès qu'elle aurait en main sa baguette, et qu'elle serait dans les yeux d'Abbas, la nervosité disparaîtrait pleinement pour laisser place au calme, à la certitude, à l'expertise de ses doigts d'Oubliator, autour des sentiments douloureux du Mangemort.

Il pleuvait, à Manchester. Poppy fronça légèrement les sourcils lorsqu'une grosse goutte éclata sur son front, à son arrivée sous l'arbre devant chez Shafiq, l'en chassant tandis que Jet croassait, à la fois de mécontentement, à la fois un simple commentaire face à la maison étroite d'Abbas qu'il voyait pour la première fois. ”Nice one, isn't it?” La corneille lui répondit d'un croâ mitigé, et avec une caresse, Poppy remonta l'allée en brique avant de grimper rapidement les marches, et de toquer à la porte de trois coups secs, s'en éloignant tout juste pour jeter un coup d'oeil autour d'elle.

Ses yeux s'illuminèrent légèrement, une étincelle ténue dans ses yeux noirs, lorsqu'Abbas lui ouvrit, et elle lui adressa un sourire fourmillant de cette même impatience qui la traversait depuis quelques minutes (depuis qu'ils s'étaient vus pour déjeuner, un jour au Ministère, et avaient conclu leur accord), une nouvelle vague la prenant sous le regard du sorcier. ”Good afternoon.” Jet le salua d'un autre croassement, avant de battre des ailes lorsqu'elle pénétra à l'intérieur ; son regard embrassa l'entrée étroite, tout en longueur, le bois sombre au sol qui grinça sous ses bottines, croisant son reflet dans le miroir tandis qu'Abbas refermait la porte derrière elle.

Abbas inspire profondément une fois qu’il a sorti sa tête de l’une des deux Pensines se trouvant dans son bureau. L’appartement de Penelope a été réquisitionné lors de l’enquête, puis saisi par sa Banque: il a à peine eu le temps de débarrasser ses affaires et ses souvenirs qu’il a dû rendre le double des clefs qu’elle lui avait donné il y a quelques mois. Si Lizzie a remarqué qu’il dormait de nouveau à la maison, elle n’a rien dit. Ils ne se disent pas grand chose, de toutes façons, Abbas l’évitant avec une gêne sensible et maladroite, acceptant seulement de communiquer quand il s’agit de Sophia.
Sophia. Cela fait plusieurs heures qu’il ne l’a pas entendue. Normal, avec les petites gouttes de potion de Sommeil qu’il a ajouté à son biberon… C’est Lizzie qui a insisté pour qu’il soit seul avec elle aujourd’hui, malgré ses protestations. Quand elle lui a demandé pour quelles raisons il voulait absolument être tranquille aujourd’hui, il n’a pas su quoi répondre, a fini par hausser les épaules, marmonner quelque chose, puis à accepter sans protester - comme si s’occuper de Sophia était une punition.

C’est un peu le cas, quelque part. Il n’en veut pas, de cet enfant tant attendu, de ce bébé que Lizzie couve comme si elle était faite de verre, de ce nourrisson qui hurle la nuit et chouine le jour et se débat dans ses bras quand elle pleure. Il aurait dû insister et montrer à Lizzie combien cette décision unilatérale de sa part était aussi stupide que irréfléchie. Il aurait dû… Il y a bien des choses qu’il aurait dû faire.
Il est alerté des trois coups brefs frappés à la porte par le sortilège de protection entourant la maison, faisant réverbérer le son jusqu’à son bureau au premier étage. Abbas passe une main anxieuse dans ses cheveux, jette un coup d’oeil à l’horloge au-dessus de sa porte avant de verrouiller le bureau derrière lui en sortant - une habitude précieuse pour qui a beaucoup de secrets.

Beaucoup de secrets qu’il s’apprête à dévoiler sans gêne ni honte à Poppy. Juste une légère réticence, parce qu’il y a peu de choses qu’un Occlumens comme lui déteste plus que laisser quelqu’un pénétrer dans ses pensées les plus profondes - même alors que les plus inavouables restent encore à se prélasser joyeusement au fond des trois Pensines qu’il utilise, au Département et à la maison.

Il jette un dernier regard à l’imposant miroir trônant sur un des murs du couloir menant à la porte d’entrée, se passe une autre main anxieuse dans les cheveux avant d’ouvrir la porte, fébrile. Le sourire qui naît sur les lèvres de Poppy ne fait qu’agrandir son angoisse, même alors qu’il s’efface pour la laisser entrer. ”Good afternoon. - Hello, Poppy. Jet.” Il referme la porte derrière elle, essuie sa paume moite sur son pantalon d’un geste discret avant de se tourner vers elle. Abbas la regarde pendant un instant, ses yeux papillonnant nerveusement alors qu’il sent déjà une nausée désagréable se retourner dans son ventre.


Après leur conversation au Cauldron, l’idée a germé dans son esprit de manière intense et inattendue. Garder les murs maladroits de son Occlumancie dressés en toutes affaires est tout à fait possible, mais aussi douloureux que désagréable. Se souvenir de Penelope en entier, sans filtre… la même chose, en pire même. Trouver un juste milieu était impossible. Alors pourquoi ne pas demander à quelqu’un de spécialisé dans l’esprit et la mémoire, capable de le débarrasser des souvenirs les plus douloureux, de ne laisser qu’une vague impression, le temps qu’il se soigne? Abbas préfère nettement penser à son coeur brisé comme à une maladie commune et facilement soignable. Il préfère ça plutôt que de penser aux yeux vitreux de Sylas et de son amour ne voulant pas s’effacer, l’enfonçant encore plus profondément dans l’enveloppe vide qu’il est devenu après son passage au Ministère.

“Make yourself comfortable,” dit-il avec un temps de retard, faisant un mouvement en direction du porte-manteau. Il jette un regard curieux à Jet avant de se glisser entre Poppy et le mur en direction de la cuisine. “Would you like some tea?” appelle-t-il, sortant sa baguette pour mettre de l’eau à chauffer. “...or something stronger?” Même si ni lui ni Lizzie sont des grands buveurs, il sait qu’elle garde quelques bouteilles de vin et lui-même doit avoir une bouteille de Kingsfield qui traîne dans son bureau. Les mains fébriles, peu désireux de déjà se plonger dans l’affaire pour laquelle Poppy s’est déplacée aujourd’hui, Abbas s’empresse d’ouvrir l’étagère qu’il réserve au thé, se postant devant avec un regard sérieux pour faire sa sélection, une énième main tremblante venant se glisser dans ses cheveux comme pour les recoiffer pour la troisième fois en moins de deux minutes.

Les yeux de Poppy revinrent se poser sur Abbas, après un bref examen du vestibule étroit où elle pénétrait pour la première fois. Poppy avait, du temps où elle travaillait encore avec sa mère, aux runes, visité nombre de maisons sorcières, et celle des Shafiq faisait partie de ces modèles tout en longueur, s'enfonçant loin (et haut, certainement, il était difficile de le dire depuis l'extérieur) dans les dimensions magiques ouvertes par de savants sortilèges. C'était autre chose que l'appartement moderne où son mariage (et des dettes de jeu) l'avait poussée à s'installer depuis de trop longues années – sur le côté, Poppy économisait pour pouvoir s'offrir le luxe de la liberté, une maison au standing autrement moins élevé que la demeure gothique d'Abbas. Il y avait un pas, entre le salaire d'un chef de département et celui d'une responsable de service, aussi essentiel fût-il.

“Make yourself comfortable.” Poppy esquissa une amorce de sourire, en considérant Abbas une seconde de trop, comme un écho à son manque de timing (une bagatelle dans leurs dialogues à contre-temps) ; il transpirait (littéralement) la nervosité, un contraste saisissant avec l'assurance dont il avait fait preuve lors de leurs retrouvailles quelques temps plus tôt, au N5. Son observation muette se dissolut lorsqu'elle détourna les yeux, se défaisant de son manteau d'une épaule, faisant basculer Jet sur l'autre pour ce faire – tout un procédé pour se dévêtir depuis que l'animal ne pouvait que planer (avec difficulté) et rechignait à quitter les épaules de sa sorcière.

Elle se plaqua contre le mur, son manteau à moitié enfilé, pour laisser à Abbas le loisir de se faufiler sans la toucher. “Would you like some tea? ...or something stronger?” ”Tea would be just fine”, répondit-elle en se débarrassant enfin du vêtement, qu'elle accrocha prestement sur le porte-manteau, assez aimable pour se pencher vers elle et récupérer ses affaires ; elle suivit les pas d'Abbas jusque dans la cuisine, où elle le trouva devant ses placards, plongé dans ce qui semblait être une profonde réflexion face au choix cornélien du thé. ”We'll probably need something stronger after, however”, fit-elle après un bref examen des boîtes, à distance, debout dans l'encadrement de la porte, son regard revenant au sorcier.

Lui dire qu'il n'avait aucune raison d'être nerveux aurait été un mensonge ; Poppy allait plonger directement dans son esprit bien gardé, rodé aux protections d'une occlumancie qu'elle redoutait être solides, tenaces – difficiles à abattre, probablement, après tant d'années érigées autour de lui. ”Are you going to be alright?” lui demanda-t-elle instinctivement, une assurance presque médicale qu'elle n'était pas venue pour rien, et qu'ils pourraient procéder à ce plongeon de choix, auquel elle pensait peut-être depuis leur dernière entrevue.

”Tea would be just fine.” Oui, du thé, parfait. Sauf qu'il le collectionne et qu'il en a des dizaines de boîtes, toutes rigoureusement rangées et gardées dans des conditions optimales, venues des quatre coins du monde, et quel thé serait le plus approprié pour ce qu'ils s'apprêtent à faire? Une infusion pour le détendre, quelque chose de revigorant pour qu'elle se concentre, un Assam magique malté aux propriétés vivifiantes... Abbas sait bien qu'il s'use dans sa décision pour ne pas laisser son esprit vagabonder sur la véritable raison de la venue de Poppy, et il sait qu'ignorer son angoisse ne fera que la décupler au moment venu, mais il ne peut pas s'en empêcher. ”We'll probably need something stronger after, however. - Probably," répond-t-il d'un ton absent, ses yeux sombres continuant de déchiffrer des mots qu'il connait par coeur, observant les boîtes en métal empilées avec une intensité habituelle pour lui, mais rare pour ce sujet.

Les yeux d'Abbas s'attardent sur une boîte rouge de chai, et il se souvient que Penelope l'aimait particulièrement, et il sent son coeur faire un bond douloureux dans sa poitrine, comme un diable essayant de sortir de sa boîte.

”Are you going to be alright?” Il en sursauterait presque, se retournant d'un air coupable vers Poppy et ses yeux sombres, le dardant depuis l'encadrement de la porte. Il la regarde posément, réfléchit. "I think I will," dit-il au bout d'un moment. "I just need to pick the right tea."

Il ne sent pas de jugement de sa part, ou d'impatience, alors qu'il reste quelques minutes de plus à regarder les diverses boîtes d'un silence religieux, calmant lentement la cavalcade de son coeur dans sa poitrine. Il a l'impression d'être un gamin de nouveau, de bloquer face à une décision en apparence facile (ou qu'il l'est, tout simplement, pour les autres) et de s'enliser dans ses analyses pointues et instinctives à la fois. Non, pas le Darjeeling, non, pas le Keemun, non pas un Oolong, non pas le Gunpowder...

"Got it," finit-il par murmurer, se mettant sur la pointe des pieds pour récupérer la boîte de Kukicha, ramenée de Kyoto par sa mère après des vacances. Il l'ouvre pour en humer l'odeur avant de commencer à préparer le thé, sans véritablement demander son avis à Poppy, concentré sur ses mains, sentant lentement son appréhension laisser place à une sérénité de bon augure. L'eau bouillante est arrêtée d'un sort, et les feuilles trempées le temps de quelques battements de coeur dans la bouilloire avant d'être retirées et gardées dans une petite boîte en bois - il a pris l'habitude de garder les restes de ses infusions, pour les utiliser plus tard, en magie ou en potions. Il revient vers elle, qui s'est assise à la table, un plateau le suivant avec bouilloire en fonte et tasses en terre cuite. "Let's go to my office."

Abbas monte avec habitude les marches raides et étroites de l'escalier, et déverrouille la porte de son bureau - si, de l'extérieur, l'architecture de la maison des Shafiq ne paye pas de mine, les archimages qui s'en sont occupés n'ont pas lésiné sur les moyens et ont agrandi chacune des pièces maîtresses avec brio. Un mur est recouvert de livres qui ont tous la tranche endommagée à force d'avoir été consultés et lus et relus des dizaines de fois. Le mur d'en face est serti d'un imposant meuble aux vitres immaculées, derrières lesquelles sont enfermés des objets précieux et magiques à ne surtout pas manipuler à mains nues - des reliques ayant appartenu à Hisham, desquelles il n'arrive pas à se séparer sans pour autant leur trouver une véritable utilité. Si l'endroit est parfaitement rangé et ordonné, le bureau est quant à lui recouvert de divers documents s'enchevêtrant joyeusement, exposant ses derniers travaux.

Et à sa gauche, toujours, la cheminée où brûlent des flammes vertes sans chaleur, attendant le prochain appel du Lord pour qu'il s'y engouffre.

"Make yourself comfortable," lui dit-il en s'avançant dans la pièce, lui désignant l'imposant fauteuil en velours vert bouteille qui fait face au bureau, contournant ce dernier pour s'y asseoir après avoir rangé ses documents d'un sort, et y avoir déposé le plateau. Sa baguette ne quitte pas sa main, et un cabinet à l'apparence innofensive s'ouvre derrière lui dans un craquement, révélant une Pensine qui s'avance jusqu'à la gauche d'Abbas. Il la regarde un instant, pondère la chose, sent l'angoisse revenir et lui enserrer la gorge, avant qu'il ne pose ses yeux sur Poppy. "Let's have tea, first," propose-t-il, servant leur deux tasses avec des mains nerveuses et légèrement tremblantes, renversant un peu du liquide sans pour autant s'en excuser ou faire mine de le remarquer. "Tell me about your week." L'offre est maladroite, mais il a besoin de s'occuper l'esprit avec autre chose, ses yeux nerveux quittant d'ores et déjà son invitée pour se balader dans la pièce, regardant sans voir son fief avec une fébrilité certaine.

Poppy s'était assise à la table de la cuisine étroite, derrière Abbas, et l'avait laissé choisir son thé (le bon thé, plus exactement), dans un silence tranquille, seulement entrecoupé des croassements de Jet, et des murmures que sa sorcière lui adressait. Elle se permit de discrets coups d'oeil à la silhouette, figée dans une posture pensive ; tous les sorciers avaient leur façon de gérer le stress, l'angoisse, ou même le poids de l'existence sur leurs épaules – et Abbas Shafiq, en l'occurrence, officiait de la même façon avec son thé qu'avec ses pensées. Un tri réfléchi, précis, qui ne laissait pas de place à l'erreur. Aussi Poppy attendit-elle avec patience, jusqu'à ce qu'un discret "got it" ne s'échappe des lèvres du sorciers. Elle attendit encore quelques instants, où elle observa les gestes d'Abbas, et elle releva les yeux vers les siens lorsqu'il se retourna, peu désarçonné par sa présence dans son dos durant ces longues minutes : "Let's go to my office."

Poppy s'appuya discrètement au mur, en gravissant les marches étroites de l'escalier ; ce dernier lui rappelait l'étroit passage de la maison où elle avait grandi, celui qui donnait sur l'étude de sa mère, et où elle s'aventurait pour lui apporter le thé ou griffonner quelques runes en sa compagnie. Le même passage, la même magie – au fur et à mesure des marches, l'Oubliator pouvait sentir la douce pression des particules magiques à même sa peau.

Jet s'était tu, sur son épaule, et Poppy pénétra à l'intérieur du bureau lorsqu'Abbas lui ouvrit la porte. Son regard balaya les livres usés, pour mieux accrocher, rapidement, le meuble vitré où reposaient une collection d'objets qu'elle pouvait sentir chargés de cette même magie qui imprégnait l'air – elle manqua faire quelques pas, au-devant de l'appel de ces artefacts inconnus, et la voix d'Abbas la rappela doucement à la politesse. "Make yourself comfortable." Poppy esquissa un crépitement de sourire, et, détournant enfin le regard de la vitrine, vint s'asseoir sur le fauteuil vert, laissant Jet sautiller jusqu'à l'accoudoir, après un bref battement d'aile. "This is a nice office," commenta-t-elle avec un regard à la cheminée, revenant rapidement aux yeux noirs d'Abbas – qui brillaient comme deux perles dans la pénombre de la pièce, quand bien même il faisait jour (le signe immanquable d'une longue pratique de la magie noire). Poppy avait pu voir le bureau de sa tante s'assombrir, au fil des années, avant que cette dernière ne doive se résoudre à purifier la pièce – d'étranges manifestations avaient commencé à se faire sentir, et, surtout, à essayer d'en attenter à leurs vies.

"Let's have tea, first." Poppy récupéra la tasse humide, essuyant ses doigts discrètement sur ses vêtements – ce n'était que du thé, du thé vert, aux arômes grillées, qu'elle huma légèrement sans se formaliser de la Pensine ou de la nervosité d'Abbas. "Tell me about your week." Oh. Poppy se redressa légèrement sur son siège, en revenant à son vis-à-vis. "I don't know if my week will help", fit-elle avec une expiration amusée sans l'être réellement, refermant ses doigts sur sa tasse – Clearwater en avait été la principale attraction, l'anomalie dans son quotidien d'Oubliator zélée. Puis elle se reprit devant le regard nerveux d'Abbas, où elle pouvait presque lire un please muet ; elle se rendit compte, qu'avec lui, elle n'avait pas besoin de se réfugier derrière la mention « top secret » apposée sur chacun de ses dossiers.

Les avantages à fréquenter le Directeur du Département des Mystères, membre de l'élite mangemort, proche du Lord – Abbas savait de quoi elle parlait, et surtout, pouvait savoir, sans qu'il n'y eut aucune conséquence pour elle. "Well, Blackpool is taking most of my time. We thought it ought be easier than Brighton, population and popularity-wise, but the thing is summer is getting closer and those Muggles really love to gamble..." fit-elle en insistant sur ce really, coincé entre ses lèvres avec un léger regard en diagonale – comme s'il était absurde de vouloir s'adonner à cet incompréhensible vice, qui, parfois, durant les nuits trop courtes, revenait la heurter de plein fouet. Elle prit une gorgée de son thé, son regard coulant naturellement sur le bureau rapidement rangé d'Abbas, avant de revenir à ce dernier, après quelques secondes de silence. "Have you ever been gambling?" demanda-t-elle avec une voix légèrement plus tranquille, faussement désintéressée, comme si elle lui demandait s'il avait déjà fait du Quidditch ou pratiqué du squash sorcier.

"I don't know if my week will help." Abbas sait que Poppy a raison. Rien que ce qu'elle pourrait lui dire à propos de sa semaine, ou à propos de tout et n'importe quoi, ne saurait aider à calmer la nervosité légère mais doucement envahissante qui s'empare lentement de lui et de sa psyché normalement égale et sévèrement contrôlée. Abbas expire légèrement, hoche la tête, embarrassé peut-être qu'elle ne se prête pas eu jeu. Il joint ses mains devant son visage, se pince rapidement l'arête du nez. "I guess not," répond-t-il, presque laconique, lui jetant un regard d'excuse où brille encore une légère lueur d'espoir. Poppy semble la remarquer et s'en emparer, parce qu'elle se plie à sa demande silencieuse, lui arrachant un léger soupir soulagé: "Well, Blackpool is taking most of my time. We thought it ought be easier than Brighton, population and popularity-wise, but the thing is summer is getting closer and those Muggles really love to gamble..." Il a entendu parler de cette histoire de Blackpool, et s'est aventuré à Brighton pour regarder le travail des archimages et Oubliators, agréablement surpris du résultat. L'expansion soudaine et aggressive du monde sorcier est une bonne chose, il imagine qui démontre le pouvoir du Lord et de son gouvernement.

Parfois, il en oublierait presque qu'il en fait partie... Un silence s'étire, alors qu'il pondère ce qu'il sait de Blackpool (pas grand chose, si ce n'est que leur équipe locale de cricket sorcier est médiocre d'après les dires de son père) et il cligne des yeux, surpris, quand Poppy reprend: "Have you ever been gambling? - Gambling," répète-t-il, le mot tant étranger dans sa bouche que dans ses pensées. "I've never been gambling, no." L'idée lui semble légèrement absurde. Il n'a jamais porté un grand intérêt aux cartes ou à l'argent, de manière générale, et l'idée de participer à des jeux de hasard ne l'a jamais effleuré - ou alors seulement avec une pointe de mépris, parce qu'on ne laisse pas les choses entre les mains du hasard lorsqu'on est un sorcier tel que lui. "There is a wizarding casino, in Blackpool," se souvient-il soudainement, comme une encyclopédie magique qui aurait enfin trouvé la bonne page après avoir cherché dans le vide pendant quelques instants. "That is interesting. We prohibit excess, alcohol and smoking amongst other things, but we are fine with gambling," fait-il d'une voix momentanément absente, perdue dans sa réflexion. "I guess it's a poison too insidious for most people to fear."

Sans doute ne devrait-il pas ainsi partager ses pensées avec Poppy, et il semble se faire cette réflexion en clignant ses grands yeux sombres dans sa direction. "One moment," lui demande-t-il avant d'attraper sa baguette, la faisant tourner habilement entre ses longs doigts fins. Il en pose le bout contre sa tempe et ferme brièvement les yeux, concentrant son Occlumancie pour lâcher un peu de lest et rassembler, rapidement et efficacement, les détails qu'elle ferait mieux ne pas connaître. Que ce soit les sombres secrets dangereux du N9, le regard vide de Sylas Hoaxley-Young, le sourire torve de Blaise Zabini, ou la pile de cadavres exsangues au pied du Lord, il met tout dans un coin de sa tête, et l'extraie habilement du bout de la baguette, les gestes rodés par l'habitude. Il fronce légèrement les sourcils - ce n'est jamais agréable - et guide ses souvenirs dans la Pensine, les laissant s'y prélasser paresseusement.

Même après toutes ces années à pratiquer la magie mnésique, Abbas ne peut pas se laisser d'observer les filaments luisants des souvenirs et de la mémoire. Il en a une jolie collection, dans son bureau au Ministère: un mur entier où des milliers de souvenirs sont gardées dans des fioles méticuleusement numérotées. En revanche, aucun de ceux-ci ne lui appartient.

Déjà, Abbas sent les souvenirs se déliter dans son crâne, Gracefield s'effacer de ses pensées, l'angoisse de Sylas être avalée par l'oubli, et il se détend légèrement. "There are some things that I can't show you even if I wanted to," s'excuse-t-il. Penelope pensait toujours qu'il lui cachait quelque chose, lorsqu'il s'exécutait ainsi avant leurs leçons communes de magie de l'esprit. Malheureusement, Abbas sait que certains de ses souvenirs sont littéralement frappés de malédictions communes dans le N9, destinées à rendre fou quiconque y jetterait un oeil sans y être invité - son esprit est un champ de mines, littéralement.

Et il va y inviter Poppy.

Abbas se trémousse sur son siège, maladroit et légèrement mal à l'aise, se rassied correctement, prend son thé et l'amène à sa bouche, même si il est encore un peu trop chaud à son goût. "I'm not really good at small talk," admet-il au bout de quelques instants de silences, passés à siroter son thé. "I know you don't mind at all, of course. But I'm still not really good at it." Il a du mal à trouver des accroches ou des trucs qui pourraient intéresser autrui.

Il repose sa tasse sur sa coupelle dans un geste presque solennel. "I'm sorry to say that I might give you a hard time without meaning to," s'excuse-t-il d'un sourire crispé en parlant lentement. "I have made my occlumentic protections just as I wished them to be, just the thickness, just the shape. It's not easy to undo them, even temporarily." Son sourire disparaît, et il plonge son regard dans le sien, comme si c'était lui qui cherchait à explorer la moindre de ses pensées. "Should the walls go up again in a reflex, please be kind to them. I do still need most of my head..."