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2003. Kingsley n'a quasiment pas fermé l'oeil depuis le moment où il a été réveillé au milieu de la nuit par des cris, et par les grands yeux paniqués de Sofia dans l'encadrement de la porte de sa chambre, lui hurlant d'attraper sa baguette et qu'ils étaient attaqués. La planque de Wolverhampton est tombée, après des années de bons et loyaux services, et les troupes de l'Ordre ont été réparties à travers tout le territoire à la va-vite. Certaines personnes sont mortes, beaucoup sont portées disparues. La liste des victimes ne fait que s'agrandir à chaque fois que Kingsley s'en enquiert, si bien qu'il a fini par demander à ce qu'on éloigne toute conversation à ce sujet de lui pour le moment: il doit se concentrer sur d'autres choses, notamment comment le Gouvernement a fini par leur mettre la main dessus. Il pensait qu'ils étaient si bien protégés, et il se rend compte désormais qu'il s'est voilé la face: ils ne seront jamais, jamais tout à fait en sécurité tant que Voldemort est en vie.

“And where exactly do you think you’re going?” Sofia essaye de le retenir d’une main sur son bras, mais Kingsley s’en désiste avec un geste un peu trop brusque, rendu nerveux et encore plus maladroit que d’habitude par l’angoisse et le manque de sommeil. “I’m going to tell the boy,” dit-il une voix sombre, esquivant son regard. “Do you really think this should be your priority right now?” En apprenant comment exactement les Mangemorts avaient eu les informations nécessaires pour trouver Wolverhampton et faire tomber la planque, Kingsley a tout de suite su qu’il allait falloir réformer l’Ordre, partitionner les informations, afin que quelque chose comme ça n’arrive pas. Il doit informer tout le monde qu’il considère de confiance, et ils doivent trouver un plan, vite. Sofia a raison, peut-être que ça ne devrait pas être sa priorité, pas du tout même. Pourtant, il fait enfin grimper son regard jusqu’à elle, la détaille silencieusement pendant quelques instants. “I’m going to tell the boy,” répète-t-il d’une voix grave. “Are you coming with me?” Après avoir sondé son regard pendant quelques instants, Sofia secoue la tête. Avant qu’il ne parte, elle caresse rapidement son bras pour le retenir. “Be kind.” Kingsley renifle comme toute réponse, et transplane sans demander son reste.

Il lui faut sauter d’une planque à l’autre, celles qu’il connait, avant de trouver quelqu’un pour l’emmener à celle où se trouve Dennis ainsi que d’autres résistants de son âge. “You,” arrête-t-il l’une d’entre eux, aux traits tirés et l’air de ne pas avoir dormi beaucoup non plus. “Take me to Dennis Creevey.”

Il n’a jamais rencontré ce dernier, et sent son coeur tambouriner dans sa poitrine quand il croise son regard. Kingsley garde pourtant un visage impassible. Il a déjà fait ça, plusieurs fois à vrai dire, durant sa carrière d’Auror. C’était toujours les pires soirées, devoir se traîner jusqu’à la porte de la femme ou de l’époux d’un collègue blessé ou mort sur le terrain, devoir expliquer, supporter les questions, la colère, les cris, avant de les emmener à l’hôpital faire leurs adieux. Mais il n’a jamais, jamais annoncé la nouvelle à un gamin de dix-neuf ans qui le regarde avec de grands yeux sans trop savoir ce qu’il fait là. “Hello, Dennis. My name’s Kingsley.” Il pense qu’il n’a pas besoin de se présenter, mais peu importe. Il jette un regard alentours, chassant d’un coup d’oeil la résistante qui s’attarde en tendant l’oreille, avant de le regarder de nouveau. Il aimerait pouvoir commencer avec du small talk, lui demander si le camp est bien, si il dort la nuit, si il a été blessé et si oui si il se remet bien, mais il sait que ça ne sert à rien de tourner autour du pot, au contraire. “Is there somewhere we could talk, you and I? It’s about your brother.”

Nacho et lui avaient été traînés jusqu'à une nouvelle planque : d'appoint, leur avait-on précisé en les y larguant avec d'autres sorciers aussi débarqués, éprouvés qu'eux – sur les visages de tous pouvait se lire une lourde fatigue, poisseuse de peine et d'un découragement teinté de peur. Nacho avait perdu sa mère, et désormais était séparé de sa sœur. Devant cette horrible possibilité, Dennis ne craignait qu'une chose : que Colin ne les retrouve pas, désormais que Wolverhampton n'était plus, sa dernière lueur d'espoir sur une aube faite de cendre et de douleur.
Déraciné de ce qui avait été sa maison durant plus de cinq ans, Dennis peinait à se faire à ce nouveau décor, quand bien même il avait, comme toujours, forcé ses sourires auprès de ces sorcier qu'il ne connaissait pas, ou peu, et passé un bras compatissant autour des épaules de Nacho, tentant du mieux qu'il le pouvait d'adoucir le deuil et les pertes multiples avec les moyens du bord : sa présence, sa musique (il s'était mis à l'air guitar pour accompagner sa voix, en attendant de mieux), son amitié. Cela ne suffisait pas à combler le gouffre dans le cœur de son ami – dans le cœur de leurs nouveaux colocataires, portés à vif sur leurs visages éreintés.

L'organisation encore chaotique de cet après les avait laissés avec des combinaisons de vivres hétéroclites ; après avoir signifié à Alexis qu'il allait piocher dans leurs stocks (il grandissait encore, s'était-il plaint, et la vie continuait malheureusement pour lui), il avait donc entrepris de créer son propre sandwich, ses yeux virant d'une boîte de conserve à l'autre, jusqu'à ce que le déclic ne se fasse. “Hello, Dennis. My name’s Kingsley.” Holy shit – Dennis ravala son insulte surprise, son sandwich, en considérant Kingsley Shacklebolt avec de grands yeux effarés.
Kingsley. Shacklebolt. Du cercle sept. Chez eux – chez lui. Dennis admirait ce sorcier comme il pouvait admirer les grands noms de la guerre : Maugrey, Harry. Il se leva immédiatement, repoussant gauchement sa chaise, et reposa précautionneusement la composition thon, tomate, ananas, que certains auraient pu qualifier de hasardeuse pour mieux s'essuyer ses mains poisseuses – il espérait qu'il n'aurait pas à lui serrer la main, et, merde, devait-il lui proposer un sandwich, par politesse ? Du thé ? Ce n'était l'heure ni de l'un, ni de l'autre ; et la voix grave de Kingsley coupa court à toute nervosité déplacée, pour ne laisser place qu'à un grand sérieux. “Is there somewhere we could talk, you and I? It’s about your brother.” Un poids tomba lourdement au fond du ventre de Dennis, mû par un brusque pressentiment, insufflé par le regard de Kingsley sur lui, le pincement léger de ses lèvres, la façon dont il avait dit your brother. “Of- of course, Sir“, buta-t-il en sentant une angoisse aiguë lui remonter jusqu'à la gorge, “my room, if it's alright with you.“ Il esquissa un sourire inquiet, une vague apeurée collée sur ses lèvres, et se passa une main dans les cheveux en passant devant Kingsley, se détournant difficilement de son imposante carrure – il avait, avec son long manteau, des allures de messager funeste.

Dennis referma la porte derrière eux, avant de reporter son regard sur le sorcier, immense au milieu de la pièce où se trouvaient deux lits gauchement agencés (son œuvre à lui et à Nacho, qui s'étaient débrouillés comme ils le pouvaient au milieu de la tempête). “Did you... find him?“ demanda-t-il avant d'ajouter rapidement, d'une voix fluette, comme pour chasser ce vilain pressentiment qui lui collait aux entrailles, “is he back?“ Et il se mura derrière un faible sourire, qui se voulait plus vaillant qu'il ne parvenait à l'être, sur l'instant, gardant contre ses lèvres la suite de ses interrogations inquiètes : if he's back why hasn't he come with you, then?

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Ce n'était peut-être pas la meilleure manière d'amener la chose, se dit Kingsley, mais ce qui est dit est dit et il se contente de regarder Dennis d'un air tranquille sans revenir sur ses mots et sans essayer de les envelopper dans un mensonge ouaté et destiné à être rassurant - il connait bien le chagrin, et Dennis ne mérite pas de mensonges quand il va devoir faire face à quelque chose comme ça qui va brusquement et violemment bousculer sa vie et la fissurer en deux, définir un avant et un après qui le poursuivra pour les années à venir. “Of- of course, Sir,“ lui répond-t-il dans un petit couac, “my room, if it's alright with you. - Lead the way." Il le suit sans rien dire, après avoir hoché la tête, notant les signes de nervosité grandissante chez le jeune homme, et Kingsley se barricade le coeur parce qu'il le sent déjà en train d'exploser, sensible à la détresse de ce qui n'est, en tout et pour tout, qu'un gamin.

En arrivant dans la chambre, il jette un regard à la décoration et aux deux lits, inspecte silencieusement l'agencement de la petite pièce de transition, et espère qu'ils trouveront pour lui et pour eux tous d'autres planques, d'autres endroits où dormir autrement plus confortables. “Did you... find him?“ Les yeux de Kingsley reviennent sur Dennis et il ne bouge pas pendant un instant, rassemblant ses pensées. “Is he back?“ Il aimerait pouvoir lui dire oui et lui dire qu'il va l'emmener quelque part où se trouve son frère. Qu'il est blessé, que c'est pour ça qu'il n'est pas là avec lui, qu'il va l'amener là où il est soigné, et qu'ils vont être réunis.

Mais Kingsley n'est pas en menteur, alors il répond simplement: "no, Dennis." Et avant même de voir la compréhension s'infiltrer sur son visage et effacer ce sourire de ses lèvres, il continue: "your brother was captured by Death Eaters and he was kept by them for a period of time that they used to interrogate him. He was killed afterwards. We are still working towards getting his body back." Il a troqué le torture qui lui est venu pour un interrogate, même si les divers rapports de leurs agents-doubles ont été formels. "I'm very sorry," répète-t-il, avant de faire un pas dans sa direction. "I wanted to tell you myself." Il fait un autre pas et aimerait poser sa main sur son épaule, mais n'ose pas. "Your brother died a hero, Dennis. I'm so very sorry. We... we didn't know." La gorge de Kingsley se serre et il se force à ne pas baisser les yeux, et à ne pas se laisser affliger par le regret coupable qu'il ressent à l'idée d'avoir laisser tomber les deux frères Creevey.