Les cours de potions venaient avec un sentiment de nostalgie assez étrange. Noah avait passé quelques étés à préparer des potions avec sa grand-mère, à l'époque, sans savoir de quoi il s'agissait et en pensant que ça n'était rien d'autre qu'un jeu un peu étrange, qui lui rappelait néanmoins des souvenirs agréables qui semblaient appartenir à un autre univers, un univers dans lequel tout allait pour le mieux. Ca le rendait toujours assez joyeux, donc, et les cours de potions avaient donc une atmosphère particulière. Surtout lorsqu'Obelia était là.

Les dernières semaines avaient été un peu tendues, entre eux. Noah ne savait pas vraiment comment ni pourquoi les choses étaient devenues ainsi, même si son esprit médisant lui suggérait fortement que c'était de la faute de Plate, mais ils s’étaient un peu éloignés, Obelia avait passé de plus en plus de temps avec son mec et de moins en moins de temps avec lui, et le changement était rude.

Mais là, à cet instant précis, tout allait pour le mieux. Ils étaient en cours depuis environ quarante minute, et ils devaient préparer une potion Wiggenweld. Ca n’était pas difficile en soit, mais il y avait beaucoup d’ingrédients, et Obelia avait tendance à être beaucoup trop enthousiaste en ce qui concernait la magie et Noah savait qu’elle était prête à ajouter plus que les deux gouttes nécessaires mucus de Veracrasse et qu’ils allaient se retrouver avec un masse épaisse et visqueuse plutôt qu’une potion traditionnelle. Il l’observa à nouveau alors qu’elle prenait le pot contenant le mucus avec détermination et, cette fois, attrapa son poignet avant qu’elle ne puisse en verser la moitié dans leur chaudron. “Woah, calm down, it says only two drops so dont drop the whole thing in there,” il lui dit avec un sourire amusé. Il relâcha son poignet après un instant, embarrassé par ce contact qui devrait être si familier pour eux. “Sorry, déjà vu,” il expliqua brièvement, elle avait l’habitude de toute façon. Il y avait eu des dizaines et des dizaines de moments tels que celui là, où Noah avait su qu’elle allait dire ou faire quelque chose avant qu’elle ne le fasse et ils avaient appris pourquoi, par la suite, mais Noah ne pouvait se débarrasser de cette sensation de vivre sa vie en deux parties et il semblait que les seules choses qu’il ne voyait pas venir étaient les choses importantes et qu’il aurait voulu pouvoir empêcher, mais il préférait ne pas y penser. Tout le monde disait qu’il fallait se concentrer sur le moment présent, et le moment présent était parfait. Obelia était là et, certes, ils auraient pu faire autre chose que des potions mais ils étaient ensemble et tout semblait normal et Noah était juste satisfait de ce moment. “I’m uh, I’m glad we're doing this together,” il lui dit timidement, “even if you’re going to mess up our potion,” il ajouta avec un léger rire. C’était le dernier de leur problème, vraiment.

Obelia aime bien les cours de potions, même si elle n'a jamais été réputée pour avoir une patience à toute épreuve: au contraire, même pendant les quelques cours qu'elle et Noah ont eu à Hogwarts, elle se rappelle qu'elle se faisait chier comme un rat mort en regardant le contenu de son chaudron tournoyer sans véritables effets visibles. Maintenant qu'elle a quelques années de pratique sous le capot, elle a appris à apprécier cet art délicat, même quand leurs professeurs insistent pour leur faire créer des philtres et des concoctions qu'ils ont déjà fait des dizaines de fois... Obelia se demande parfois si les choix de cours de leurs professeurs sont anodins ou si, comme certains élèves le disent parfois, ils sont véritablement à la Fawkes pour apprendre à se défendre et pour prêter main-forte aux autres membres de l'Ordre du Phénix.

Ce ne serait pas vraiment surprenant - après tout, pourquoi donc les logerait-on gratuitement, tout en les blanchissant et les nourrissant à leur faim à chaque repas? Depuis qu'elle a vu ses parents pour la dernière fois, sur le quai du Hogwarts Express, il y a de cela presque dix ans, Obelia n'a pas connu un seul adulte qui n'avait pas un agenda caché ou qui ne voulait pas quelque chose de sa part. Même maintenant qu'elle est techniquement une adulte elle-même, elle voue une méfiance naturelle envers les sorciers plus âgés, malgré le fait qu'ils semblent tous être bien-intentionnés au sein de la Fawkes. Elle a aussi appris à se méfier des apparences.

Et en apparence, en tous cas, la potion Wiggenweld qu'elle et Noah sont en train de préparer a l'air parfaitement correcte. Alors qu'elle s'est emparée du pot contenant le mucus de Veracrasse, Noah lui attrape le poignet et elle lui jette un regard interrogateur, sourcils froncés. “Woah, calm down, it says only two drops so dont drop the whole thing in there.” Obelia fronce d'autant plus les sourcils, perplexe. "Okay, I won't." Elle lève un peu les yeux au ciel en souriant, remarquant qu'il lui relâche le poignet un peu brusquement, sans vraiment comprendre pourquoi. Après toutes ces années, elle est parfaitement à l'aise avec Noah et lui avec elle, mais ça fait quelques semaines qu'elle sent comme un fossé qui s'est installé entre eux, et qu'elle ne sait pas trop comment franchir, n'en comprenant pas la source. “Sorry, déjà vu.” Elle hoche la tête, son petit sourire toujours hissé sur ses lèvres. "I'll be extra careful," promet-elle en essayant de dévisser le pot maladroitement mais avec entrain.

“I’m uh, I’m glad we're doing this together, even if you’re going to mess up our potion. - Hey!” Incapable de faire la moue, elle sourit mais lui envoie tout de même un léger coup dans l'épaule. "I'm not going to mess up our potion. Don't jinx it!" Ils ont déjà réussi cette même potion par le passé plusieurs fois, il n'y a aucune raison que ce ne soit pas le cas encore aujourd'hui (si on oublie les deux-trois échecs critiques qu'ils ont essuyé, aussi, par le passé). "I can't open this," marmonne-t-elle avant de lui passer le pot de mucus, prétendant s'émerveiller et enfonçant son index dans le bras de Noah quand il y parvient sans mal apparent. "When did you get so buff, Superman?" plaisante-t-elle (quoique son inspection du bout du doigt lui indique qu'effectivement, Noah tient de plus en plus du Superman que du Clark Kent). Elle récupère le pot et attrape une pipette (elle ne prend pas la peine, généralement, mais il lui a dit de faire attention) qu'elle remplit avec le mucus. "Ready? one... two..." Elle semble hésiter à en rajouter une troisième, après avoir compté ainsi de manière théâtrale et dramatique, mais éloigne la pipette du chaudron après un moment de réflexion. "See? I'm great at potion-making." Elle lui rend le pot pour qu'il le referme, et son sourire s'adoucit un peu alors qu'elle fouille son visage de ses yeux. "I'm glad we're doing this too," admet-elle d'une petite voix, timide elle aussi, comme si ils ne se disaient pas tout sans honte d'habitude - et c'est ainsi qu'elle réalise, à ce moment-là, que ce n'est plus le cas, et que cet énorme fossé a été creusé à coups de non-dits et d'omissions ces dernières mois. Mais... pourquoi?

“I'm not going to mess up our potion. Don't jinx it!” Obelia lui répondit avec force, et ses paroles ne firent que consolider le sourire sur son visage, “yeah, yeah whatever you say,” il répondit avant de se tourner à nouveau vers la potion qu’ils étaient en train de préparer. Il avait le sentiment qu’elle n’allait, en effet, rien ruiner du tout, mais il prenait toujours un certain  plaisir à la faire réagir, lorsque l’occasion se présentait. “I can't open this,” elle lui dit avec une moue triste avant de lui passer le pot de mucus en question. Noah leva les yeux au ciel, fucking girls, avant d’ouvrir le pot avec une facilité presque déconcertante.

“When did you get so buff, Superman?” dit-elle alors que son doigt s’enfonçait dans la chair ferme de son bras. Il haussa les épaules, l’embarras se frayant un chemin doucement mais surement en lui. S’il avait été plus courageux, et un vrai gryffondor, il aurait aimé lui dire que c’était juste comme ça qu’il était, play it cool, alors que la vérité était qu’il n’y avait pas grand chose à faire ici à part courir et s’entrainer, et qu’il y avait pris gout; s’il avait été téméraire, et peut-être légèrement cliché, il aurait aimé lui dire qu’il voulait simplement lui montrer ce qu’elle aurait pu avoir, si elle avait des choix plus raisonnés. Noah n’était ni l’un ni l’autre, pas pour ça, en tout cas.

Obelia ajouta le mucus à leur potion son son regard attentif, qui se détacha de son visage pour se recentrer sur le chaudron alors qu’elle relevait les yeux vers lui. “See? I'm great at potion-making.” — “Yeah,” il répondit faiblement. “I'm glad we're doing this too,” Noah lui lança un nouveau sourire. Les choses avaient vraiment été étranges, ces derniers temps. Et si Noah était honnête, Obelia lui manquait terriblement. Il regrettait parfois, les moments qu’ils avaient passés seuls au monde, lorsque personne ne pouvait s’immiscer dans leur relation puisqu’il n’y avait qu’eux. Ca n’avait pas été idéal, évidemment, ils avaient passé de nombreuses lui collés l’un à l’autre dans le seul et unique but de ne pas mourir de froid; mais au moins eux allaient bien.

“So, uh, are you- are you going to the library, later?” Ils avaient quelques recherches à faire, sur les spécificités des différents types d’hybrides qu’ils pourraient être à même de rencontrer, s’ils décidaient de rejoindre activement les rangs de l’Ordre, plus tard; et l’idée de passer plus de temps avec Obelia semblait bien plus agréable que de lire des pages et des pages d’informations rébarbatives sur les êtres de l’eau tout seul.

Depuis longtemps, Obelia a peur de l'idée de grandir. Après tout, tout le monde dit que c'est très désagréable, et que la plupart des adultes ne font que settle dans leur vie sans jamais la vivre pleinement. On lui dit qu'au final, on finit sa vie avec quelqu'un avec qui on est bien mais sans plus, qu'on s'enlise dans un travail inintéressant mais qui paye bien, qu'on fait des factures pour des choses qu'on ne veut même pas, achetées avec de l'argent qu'on n'a pas - et que c'est ça la vie, rien de plus, une série de compromis insatisfaisants et injustes auxquels tout le monde doit se plier au risque de ne pas être comme les autres.
Elle a aussi peur de grandir, parce qu'elle a peur du changement: l'idée que peut-être, son amitié avec Noah n'est pas aussi forte qu'elle l'imaginait, et que leur relation finisse par pourir alors que d'autres personnes débarquent (ou reviennent... Obelia pense à Camilla avec dédain) dans leurs vies en y chamboulant toutes les dynamiques. Que ce soit les enseignants de la Fawkes, Pan, Dennis ou Cat, peu importe. Ils ne sont plus seuls au monde, réduits à survivre ensemble, et à ne compter que l'un sur l'autre.

Il est impensable qu'elle trouve un jour quelqu'un comme Noah, ou accepte simplement de vivre sa vie sans lui.
Alors pourquoi ce fossé? Ce vide, entre eux, une faille profonde et douloureuse qui lui donne le vertige. Il y a définitivement quelque chose qui pèse sur eux comme une énergie palpable et désagréable, mais quelque chose sur lequel elle n'arrive pas à mettre le doigt. Elle pense que Noah le ressent aussi et il a toujours été meilleur qu'elle pour crever ce genre d'abcès; Obelia se demande pourquoi il ne l'a pas fait.

“So, uh, are you- are you going to the library, later?” Elle détourne les yeux de lui en hochant la tête, rangeant le mucus et réarrangant leur paillasse pour ne pas qu'elle soit complètement retournée dans tous les sens quand ils en auront fini avec leur potion. "Yes, me and Pan are meeting up to study together," fait-elle d'un ton léger, avec un petit sourire quand elle mentionne son petit ami. Comment, après tout, ne pas éprouver une énorme tendresse pour quelqu'un qui vous aime au point d'avoir des étoiles dans les yeux à chaque fois qu'il vous effleure? "Do you want to come with us? It'll be fun, and we'll finish up quicker, the three of us." Elle aimerait bien, aussi, que Noah et Pan apprennent à mieux se connaître, malgré les réticences de ce premier qui, Obelia a fini par le comprendre, doit lui aussi redouter de perdre leur amitié au milieu de ces nouveaux étrangers qui s'introduisent dans leur vie. "And then maybe we could fly around the Center a bit. I'm getting pretty good at it, I'm sure I can race you and win now," le taquine-t-elle avec un sourire en coin, faisant rentrer son coude dans ses côtes.

Noah l’observa alors qu’elle rangeait leur espace de travail. Ca avait souvent été comme ça, pendant les moments où ils vivaient ensemble. Noah n’était pas le genre de personne à faire les choses au fur et à mesure, alors qu’Obelia était plus réfléchie, plus logique dans un sens. Ces souvenirs lui donnaient le sourire, cependant. Son sourire s’effaça bien vite à la mention de Pan. Obelia avait déjà prévu d’étudier avec Pan et la simple mention de son prénom lui donnait un sentiment d’agacement bien plus intense qu’il n’aurait du l’être. “Oh,” il répondit simplement, il ne voulait pas s’étaler. Il savait que s’il commençait à parler, il ne pourrait pas s’arrêter avant d’avoir dit quelque chose qu’il regretterait ou qui les mettrait dans une position encore plus inconfortable. Le sourire qu’elle affichait l’irritait encore plus.

Il savait que ça n’était pas sain et que ça faisait de lui un très mauvais ami, mais il ne pouvait contenir l’animosité qu’il ressentait pour ce mec, et pour cette relation, de manière générale. Obelia méritait beaucoup mieux que lui, Pan ne pourrait jamais la connaitre, la comprendre, comme lui la connaissait. “Do you want to come with us? It'll be fun, and we'll finish up quicker, the three of us.” Obelia ajouta, et Noah prit le temps d’y réfléchir un instant. Il voulait essayer de faire des efforts, vraiment, mais il n’était pas certain de pouvoir se contrôler et sa patience avait des limites, qui n’étaient pas franchement très hautes quand il s’agissait d’elle. “And then maybe we could fly around the Center a bit. I'm getting pretty good at it, I'm sure I can race you and win now,” elle ajouta en lui donnant un coup de coude qui le fit sourire. Ca aurait été vraiment bien que tout reste ainsi, toujours, qu’ils n’aient à se soucier que d’eux. Mais Noah savait ce que les gens pensaient, qu’ils étaient trop co-dépendants, que c’était une bonne chose qu’ils voient d’autres personnes; il comprenait leur logique, mais il pensait tout de même que c’était complètement stupide.

Il prit une profonde respiration avant de relever son regard vers le sien. “I, uh, I think it’s probably best if I don’t come with you. I don’t want to intrude on … whatever,” il marmonna, essayant difficilement de retenir ce qu’il pensait vraiment. Il ne voulait pas tenir la chandelle, il ne voulait pas les voir être heureux, il ne voulait pas entendre la voix niaise de Pan quand il parlait à Obelia, et la bibliothèque était un endroit fait pour étudier, pas pour afficher sa relation. “But yeah, maybe we could meet up after,” au moins, à dos de balai même si Pan était là, il serait assez loin pour que Noah n’ait pas envie de lui casser la figure.

Obelia sent la réticence de Noah comme un mur de briques construit autour de son coeur, ses yeux, autour de lui tout entier, et elle ne sait pas trop quoi faire. Elle a essayé de trouver une faille, ou d’y creuser elle-même, mais elle a vite compris que c’était inutile: quand il s’y met, Noah peut être incroyablement têtu et s’enfermer profondément en lui sans laisser quiconque l’approcher, pas même elle. Ce n’était pas comme ça avant, quand ils partageaient tout sans gêne ni honte et qu’ils étaient seuls au monde. Il arrive à Obelia de, parfois, regretter d’avoir insisté pour qu’ils trouvent l’Ordre. Comme l’a si bien dit Noah de nombreuses fois, ils se débrouillaient très bien tous les deux, seuls face au monde. Enfin, plus ou moins, mais quand même… Maintenant, tout est différent. Tout a changé. Et parfois, Obelia a l’impression que c’est pour le mieux.

Souvent, elle a l’impression que c’est pour le pire. Surtout quand il la regarde comme ça... “I, uh, I think it’s probably best if I don’t come with you. I don’t want to intrude on … whatever.” … et lui brise le coeur en repoussant sa main tendue. Une partie d’elle comprend pourquoi Noah réagit comme ça, elle sait qu’il est jaloux de sa relation avec Pan. Elle n’a jamais eu que lui comme ami et comme homme dans sa vie, et tout d’un coup elle doit diviser son attention entre eux deux. Mais elle ne comprend toujours pas pourquoi son meilleur ami ne veut pas lui donner le bénéfice du doute, ou croire en elle et sa capacité à l’aimer comme avant. Il ne l’a jamais regardée comme la regarde Pan, ce n’est pas la même chose. Pan, lui, l’a bien compris. Pourquoi pas Noah?

Déçue, elle se détourne un peu en laissant une mèche de cheveux blonds tomber sur son profil, la séparant de Noah comme un rideau. “Oh… okay.” Malgré tout, elle sent une légère frustration grandir en elle, une colère injuste. Noah lui donne l’impression de la mettre au pied du mur et de la confronter à un choix qu’elle n’a pas envie de faire. Qu’elle ne devrait pas avoir à faire. “But yeah, maybe we could meet up after. - Sure.” Sa voix reflète sans mal son manque d’enthousiasme et elle hausse les épaules, agacée par la propre tristesse qui la prend aux tripes à l’idée de perdre Noah tout simplement à cause de son orgueil mal placé. “You know…” Peut-être devrait-elle attendre la fin des cours avant de continuer mais en jetant un coup d’oeil à leur chaudron et à ceux des autres, elle estime qu’ils ne sont pas trop en retard et peuvent donc se permettre de discuter rapidement. “You wouldn’t be intruding at all. You’re my best friend, Noah, and I’d like for you two to get along…” Elle mord un peu de l’amertume et de la rancoeur qu’elle ressent comme à chaque fois qu’elle se rend compte à quel point son ami d’enfance n’a aucune envie de faire partie de sa nouvelle vie.

Parce que c’est ce qu’elle est en train de vivre. Une nouvelle vie, avec des nouvelles personnes, dans un nouvel environnement. La transition a été dure pour eux deux, mais elle ne comprend toujours pas pourquoi insiste pour enfoncer ses talons dans la terre en rechignant au moindre geste fait dans sa direction. Ca la rend tellement triste. Pan lui a dit que Noah finirait par comprendre, mais elle a l’impression d’attendre depuis des semaines que les choses redeviennent comme avant, tout en sachant pertinemment que rien ne pourra jamais être comme avant - c’est bien le problème avec le fait de grandir. Elle relève un peu la tête pour le regarder, replaçant sa mèche de cheveux décolorée derrière son oreille. “I both love you very much. So it’s important for me that, you know, we can all be together.” Et elle aimerait qu’il fasse un effort.

“Sure,” Obelia lui répondit sans grande joie et Noah savait que ce qu’il avait dit n’avait pas été ce qu’elle espérait. Mais elle s’attendait à quoi, en même temps ? Etait-ce si difficile à comprendre qu’il ne veuille pas s’introduire dans leur petit date à la bibliothèque et les voir agir comme deux gamins transis d’amour ? Noah n’avait pas l’impression que ce soit si difficile à enregistrer. “You know … You wouldn’t be intruding at all. You’re my best friend, Noah, and I’d like for you two to get along…” Noah reposa ses yeux un instant sur le chaudron et le liquide qui bouillait joyeusement à l’intérieur. Il savait tout cela, il savait que c’était ce qu’elle voulait, il l’avait bien compris. “I know,” il répondit lentement, sans la regarder. Il aurait aimé pouvoir faire ce qu'elle voulait, être comme elle voulait qu’il soit, mais il n’y arrivait pas. Il aurait tout fait pour elle, il avait tout fait pour elle, et c’était la seule chose qui était trop. Et ça le tuait autant qu’elle. Il savait qu’il était égoïste, il savait qu’il était méchant avec Pan et que ça la rendait triste, elle, mais il ne savait pas comment faire pour passer au dessus de la colère qui surgissait en lui dès qu’il les voyait ensemble.

“I both love you very much. So it’s important for me that, you know, we can all be together.” Il ne put retenir un petit rire jaune à ces mots. Elle l’aimait, elle les aimait tous les deux, comme s’ils pouvaient être comparables alors qu’elle connaissait Pan depuis deux jours et qu’elle le connaissait lui depuis toujours. Il respira à nouveau profondément, essayant de ne pas dire tout ce qui lui passait par la tête, parce qu’il savait qu’un jour ou l’autre, il irait trop loin, et c’était ce qu’il redoutait le plus, dans le fond. “I can’t,” il murmura en lui jetant un coup d’oeil rapide. Il ne pouvait pas les voir tous les deux, pas sans finir par craquer sous la pression et leur dire tout ce qu’il voulait leur dire, au mieux, et pas sans essayer de régler le problème physiquement, et de faire en sorte que Pan ne soit plus en état de sortir, au pire. Et il ne voulait pas de tout ça. “I don’t- I don’t like the person I become when he’s there and you don’t like it either,” Noah détestait la façon dont les mots semblaient se bloquer dans sa gorge, et il détestait d’avoir à dire ça de toute façon, alors qu’Obelia le connaissait bien assez pour comprendre que rien de bon ne ressortirait de tout ça, et qu’elle ne pouvait pas forcer les choses à se passer bien juste parce qu’elle le voulait. “I really don’t think it’s a good idea, sorry,” il termina doucement, incapable de ne plus la regarder dans les yeux alors qu’il la rejetait une nouvelle fois.

Noah se met à rire en l'entendant.

À rire. Un rire disonnant et malhonnête, amer. Tout simplement, un rire presque méchant qui la laisse aussi interloquée que confuse pendant un bref instant, clignant des yeux, l'observant comme si venait de lui pousser une deuxième tête. Si il avait effectivement deux têtes et deux cerveaux, peut-être que Noah pourrait ainsi être plus doué pour réfléchir et ne pas faire le gros con comme il est en train de le faire maintenant; dans le ventre d'Obelia, la confusion se transforme très rapidement en frustration puis en colère, alors qu'elle devine déjà la suite. “I can’t.” Elle cligne des yeux, poussant une petite esclaffe railleuse. "You can't? Or you won't?" grogne-t-elle malgré elle, un peu scandalisée par le comportement de la personne qu'elle considère comme son meilleur ami.

“I don’t- I don’t like the person I become when he’s there and you don’t like it either.” Obelia pince des lèvres en entendant Noah, piquée à vif. Oui, elle n'aime pas le doofus que devient Noah quand Pan est dans les parages, mais elle comprend quelque part, ses réticences et son comportement protecteur presque possessif. Ils sont encore dans leur période de transition avec le monde extérieur, après avoir passé des années seuls à deux, c'est normal qu'ils aient du mal à laisser entrer d'autres personnes. C'est normal. Mais c'est frustrant. Et surtout, aux yeux d'Obelia, c'est injuste, surtout après qu'elle lui ait ainsi révélé ses sentiments. Elle les aime, tous les deux, et elle ne veut pas avoir à faire de choix entre Pan et Noah.

“I really don’t think it’s a good idea, sorry.” Il a l'audace de détourner le regard, la faisant renifler de mépris. "Are you?" Elle fronce les sourcils quand il ne la regarde toujours pas. "Sorry? Are you really sorry? I don't think you are. I think you're a little coward." Comme à chaque fois qu'elle est vexée ou se sent acculée, Obelia se fond avec une facilité déconcertante dans l'agression. "Are you, like, jealous or something?" Elle lève les yeux au ciel, agacée - si il est jaloux qu'elle ait un copain, il n'a qu'à essayer d'être un peu plus aimable, sans aucun doute qu'il se trouverait quelqu'un avec qui sortir lui aussi. Mais Noah ne semble pas être intéressé par les autres filles de la Fawkes, même par Camilla qu'ils ont récemment retrouvée au grand déplaisir d'Obelia - elle pense néanmoins que si il lui proposait, leur ancienne.... ""amie"" se ferait un plaisir d'éponger ses peines de coeur. "Why can't you just be happy for me? I thought you were my best friend," l'accuse-t-elle d'un ton amer. "Or maybe it means more to me than it does to you."

“Are you?” Obelia lui demanda et Noah resta les yeux gravés dans leur chaudron. Il aurait aimé pouvoir lui dire qu’il l’était vraiment, mais ça aurait été mentir, et Obelia aurait déceler le mensonge en une seconde. Il n’était pas désolé, pas pour les raisons qu’il sous entendait, en tout cas. Il était désolé qu’elle ait trouvé quelqu’un d’autre que lui, qu’elle se soit accroché à ce mec sans intérêt du jour au lendemain et qu’il ait été relayé sur le banc de touche; il n’était pas désolé de refuser de passer du temps avec eux. “Sorry? Are you really sorry? I don't think you are. I think you're a little coward.” Noah ferma les yeux un instant, la mâchoire serrée autour des mots qu’il se refusait à dire. Il faisait de son mieux, vraiment, pour ne pas détruire ce qu’ils avaient construit toutes ses années, et ça prenait plus de force qu’elle n’aurait pu l’imaginer. “Are you, like, jealous or something?” — “I’m not jealous,” il marmonna vers son chaudron. Peut-être qu’il l’était, ça ne changeait rien de toute façon.

“Why can't you just be happy for me? I thought you were my best friend. Or maybe it means more to me than it does to you.” Il ne put retenir le “really?” estomaqué qui s’échappa de ses lèvres, c’était toujours mieux que le fuck you qu’il lui avait presque échappé. Obelia ne pouvait pas être sérieuse. Il avait passé les dernières années à mettre ses besoins après les siens, à tout faire pour qu’elle soit heureuse, parce qu’elle était toujours plus importante que lui, parce qu’il la plaçait toujours en premier, et elle osait lui dire ça ? Alors que c’était elle qui était partie, elle qui avait tout fait pour trouver quelqu’un d’autre et l’insérer dans leur vie, alors qu’ils étaient très bien tous les deux et qu’ils n’avaient besoin de personne.

Cette fois, la colère qui montait en lui était trop forte pour être contrôlée. “I thought you were my best friend but then you had to go and get the first fucking guy you saw to be your fucking boyfriend, like you couldn’t wait to get away from me.” Ses mots, il les lui cracha au visage, relevant les yeux vers elle avec tout le dédain dont il était capable. Il savait qu’il en avait trop dit, que sa colère lui avait fait dire des choses qu’il n’avait même pas admises lui-même, mais l’injustice des paroles d’Obelia avait été trop importante pour qu’il ne puisse la laisser passer. Lui n’était pas parti, lui était resté fidèle, lui l’attendait toujours désespérément. C’était elle qui avait décidé de briser la bulle parfaite qu’ils s’étaient créés, sans aucune raison. “So clearly it means more to me than it does to you,” il termina avant de touiller durement la potion qui frémissait joyeusement devant lui.

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“Really?” Obelia sait qu’elle est allée trop loin et pourtant, elle se retrouve incapable de céder même face au choc lisible et désagréable inscrit sur le visage de Noah; à la place, elle carre les épaules, serre la mâchoire, et garde sur lui son regard furibond. “Yeah, really.” Le regret viendra plus tard, quand ils se réconcilieront et qu’elle pourra se faire pardonner en lui faisant les yeux doux et en lui marmonnant sincèrement qu’elle n’en pensait pas un mot. Pour l’instant, elle est bien incapable de faire autre chose que de le darder d’un air peu amène, la langue brûlante sous l’acidité de sa propre remarque pourtant bien fausse.

Noah a toujours fait partie de sa vie, et fera toujours partie de sa vie, qu’il le veuille ou non. Elle le connaît mieux que personne, et inversement, alors elle ne comprend pas très bien pourquoi il instaure cette distance entre eux, ce fossé effrayant et vertigineux qui la frustre et l’embête, réveille en elle une peur panique à l’idée qu’il soit un jour trop grand pour être traversé. Ca a toujours été eux deux contre le monde, pourquoi est-ce que ça devrait changer maintenant?

“I thought you were my best friend but then you had to go and get the first fucking guy you saw to be your fucking boyfriend, like you couldn’t wait to get away from me.” Les yeux d’Obelia s’agrandissent sous le choc, avant que ses traits ne se ferment alors que les mots s’imprègnent dans son esprit. “What the fuck, Noah?!” siffle-t-elle en réponse, sentant ses joues devenir rouges sous l’assaut. Il va faire quoi, maintenant, la traiter de slut, tout simplement parce qu’elle sort avec un mec? Le mépris qu’il peut lire en filigrane dans ses yeux, qu’il soit à son encontre ou à celle de Pan, lui tord l’estomac de manière incroyablement désagréable. Est-ce véritablement l’opinion qu’il a d’elle, qu’elle s’est jetée sur le premier mec sur lequel elle a posé les yeux et tout ça pour quoi? Pourquoi la juge-t-il, il est sensé être son meilleur ami, son premier ami et, pendant un temps, son seul ami?

Obelia pensait que Noah serait le dernier garçon sur Terre à lui briser le coeur; elle avait tort. “So clearly it means more to me than it does to you.” Il ose détourne le regard et le visage et Obelia se mord la lèvre de frustration, sentant son heurt monter en elle en un torrent ravageur et détestable, l’injustice criante de la situation menaçant de faire monter des larmes rageuses et amères. “Fuck you, Noah.” Sans demander son reste, Obelia attrape son sac à leur pieds et commence à rassembler ses affaires étalées sur la paillasse pour les faire tomber dedans en désordre, les joues rouges et les sourcils froncés. “Maybe it doesn’t mean anything at all, then, how about that?” Alerté par la brusquerie de ses gestes et son ton commençant à s’érailler en montant, elle voit du coin de l’oeil leur professeur improvisé de Potions les regarder et s’approcher en comprenant qu’elle cherche à se tirer. “Miss Petras… - I’m not feeling well, I’m going to the infirmary,” grogne-t-elle sans lui jeter un regard, ses yeux brouillés rivés sur ses mains tremblantes en train de refermer son sac dans des gestes énervés et maladroits.

Elle met le sac sur son épaule et bouscule Noah en le contournant, sous le regard à la fois inquiet et réticent de leur professeur, qui n’a apparemment pas envie de s’en mêler. “Not my fault you want to die a fucking virgin and be miserable your whole fucking life,” rajoute-t-elle, avec un regard noir et brillant, commençant déjà à s’éloigner vers la porte de la salle de classe. “At least Pan doesn’t make me cry.”