Le lendemain de cet entretien catastrophe, qui avait pris plus de tournures inattendues que ce que Shaula n'aurait pu le prédire, la sorcière avait repris contact avec Mengwu, par le biais plus intime des lettres, où elle s'excusa encore pour la présence inattendue de son frère. Nefiset lui était prestement revenue, portant avec elle la promesse d'un autre rendez-vous ; Shaula lui assura, à demi-mots, qu'elle viendrait cette fois seule, et qu'ils pourraient reprendre la routine rassurante de leurs entretiens privés.

Sauf que cette routine ne serait plus la même, désormais.

Mengwu l'avait observée avec insistance, à la mention de sa Vision – Lesath avait livré cette vérité comme si elle avait été la sienne, comme il le faisait désormais auprès de leurs nouvelles connaissances. On valorisait avec certitude le don de Troisième Oeil, comme on l'appelait au Royaume-Uni ; mais dans les yeux de Mengwu, Shaula avait lu un intérêt différent de la curiosité qu'on lui opposait d'ordinaire. Cet intérêt était obscurci par une crainte ombrageuse, une compréhension tacite qui avait fait se recroqueviller le sorcier derrière ses sourires polis.
 
Puis il y avait eu ce regard, entre elle et Quon.
Shaula se rappelait nettement les signes gravés à même ses iris, lui montrant avec une clarté affable, presque trop brillante, le chemin à suivre sans en dessiner pourtant entièrement les contours. Si elle avait l'habitude des manifestations sibyllines des étoiles, cette prédiction à retardement la chamboulait outre-mesure ; le pressentiment qui l'avait assaillie, sur l'instant, avait laissé une empreinte sensible en elle, comme s'il faisait partie d'un tout qu'elle n'aurait su voir pleinement, en l'état des choses – comme si elle savait réellement ce qu'il en était, et ce qu'il en serait encore, au fond.

Il fut convenu qu'elle viendrait un autre après-midi de semaine, lorsque l'activité du casino était encore tranquille. Une tension légère parcourait ses muscles, tandis qu'elle pénétrait dans l'établissement que le passage du temps ne semblait pas affecter moindre mesure – ses yeux parcoururent la salle de jeux avec une tranquillité qu'elle chercha dans un coin de son cœur, derrière le battement plus appuyé de celui-ci, face à cette nouvelle visite dont les conditions avaient intrinsèquement changé.

Elle n'attendit qu'une étonnante poignée de secondes, après s'être annoncée, comme d'ordinaire ; elle pivota en entendant son nom, et tomba sur Quon.

De nouveau son regard s'arrima au sien avec une facilité similaire, comme s'ils avaient passé leur vie à s'observer, plongés l'un dans les yeux de l'autre durant des heures, des jours, des siècles – cette fois néanmoins Shaula se rattrapa à la réalité du monde extérieur, se sortant de ces pupilles hypnotisantes en invoquant les remarques de son frère sur les hommes et le pouvoir de leur regard lorsqu'ils souhaitaient obtenir l'affection de femmes comme elle.

La sensation désagréable la tenait assez lucide pour qu'elle puisse lui faire face sans avoir à rougir. “Good afternoon“, le salua-t-elle poliment, car ce regard n'avait rien à voir avec le sorcier qui se tenait devant elle, désinvolte, détaché, en soi, de cet écho résonnant encore en elle. “Is Mengwu around?“ ajouta-t-elle en détachant ses yeux de lui, à la recherche de son ami sur les visages inconnus qui défilaient sous ses pupilles.

Shaula, elle s'appelle Shaula. Quon se répète ce prénom à tout va dès qu'il le peut, le tresse dans chacune de ses pensées, l'enroule dans sa bouche jusqu'à s'endormir le soir dans son lit. Shaula, elle s'appelle Shaula, et elle a les yeux verts, et Quon se rejoue en boucle les maigres interactions qu'ils ont pu avoir quelques jours plus tôt, y pensant pendant des heures et des heures comme ses scènes préférées de The Bold and The Witch.

Shaula, elle s'appelle Shaula, et il a fait promettre à Jie de le prévenir dès son retour au Casino, parce qu'il n'a pas osé demander à Mengwu. Il ne pense pas que son aîné aurait eu quelques raisons de lui refuser cette information, mais Quon se méfie surtout de son regard scutateur et de ses questions d'interrogatoire qui n'en ont pas l'air. Il connait bien son frère, il sait bien comment il marche, et il sait aussi que derrière ses regards profonds et ses prises de paroles posées se cache un esprit un peu trop bien fait qui verrait clair à travers son jeu.

Quon ne veut pas être vu, compris, tiré au clair; il ne veut pas partager le moindre des sentiments qu'il éprouve en repensant au nom de Shaula et à son regard incandescent. Même si il n'en pensera pas moins, Jie au moins ne posera pas de questions, quand bien même Quon les voit déborder dans ses yeux quand il transplane et le trouve à l'entrée du casino. Son frère pivote aussitôt pour lui désigner la silhouette de Shaula et Quon a du mal à en détacher son regard, ou à écouter ce que Jie est en train de lui dire. "I need you to do as we said." Quon l'interrompt pour se tourner vers lui d'un air sérieux. Jie grimace. "Quon, I'm not going to lock Mengwu up in his own office. - I just need you to stall him... Listen, I need to talk to her. - But why?" Quon secoue la tête - à la fois pour balayer la question sous le tapis, mais aussi pour ne pas admettre qu'il n'a pas de réponse. "I need to talk to her," répète-t-il simplement, avant de tapoter l'épaule de son frère et de lui adresser un dernier regard sérieux, puis de le laisser.

En se rapprochant, il sent son coeur s'accélérer dans sa poitrine et sa gorge se nouer. Que va-t-il bien pouvoir lui dire?

"Shaula?" Le prénom, pour la première fois prononcé à haute voix, lui picote les lèvres et la langue. Elle se retourne et lui fait face, et ses merveilleux yeux verts noient complètement Quon, qui entend à peine ses salutations et la question qui suit. Il a essayé de s'imaginer leurs retrouvailles, s'est passé un nombre incalculable de films hypothétiques dans sa tête, mais rien n'a pu le préparer à l'intensité de ce regard ancré dans le sien, et à la sensation vertigineuse et incompréhensible qui l'étreint face à elle.
Elle a dit quelque chose à propos de Mengwu, réalise-t-il avec un temps de retard, avant de déglutir difficilement et d'enfin hisser un sourire sur ses lèvres - ce n'est pas souvent que Quon oublie de s'en parer, ou qu'il s'autorise à le laisser tomber ainsi. "He'll be there shortly," ment-il, en espérant que Jie ait bien voulu au moins le retarder, au mieux le dissuader de venir. "He won't be long. While you wait, I thought you would appreciate a tour of the place - I'm sure Mengwu hasn't bothered to show you around, has he? And if you want, I can show you the machines that will guarantee you a win every time, but only if you promise not to tell anyone." Il lui adresse un petit clin d'oeil, plus complice d'autre chose, s'avance d'un pas hasardeux vers elle, attiré comme par un fil.

Il y eut une seconde de latence, où Shaula sentit une pointe de malaise se cristalliser dans son torse. C'était l'intensité de son regard sur elle, qu'elle raccrocha lorsque le silence perdura légèrement – des années aux côtés de son frère avaient provoqué ce réflexe presque physique de chercher à se soustraire aux regards des autres, parce que Lesath le verrait, parce qu'il lui ferait une autre remarque, qui soulignerait d'autant plus son inconfort, parce qu'elle préférait que son jumeau soit au centre d'attentions qu'elle n'aurait su comment recevoir. C'était ce qui la gênait, chez le frère de Mengwu : de trouver son regard rivé sur elle comme si Lesath n'existait plus, et maintenant qu'elle se trouvait seule, comme si le reste du casino, avec ses lumières vives et ses couleurs, s'était évanoui autour d'eux.

"He'll be there shortly. He won't be long.” Shaula peinait à remettre la main sur ses sourires, quand bien même l'assurance que Mengwu viendrait à elle dans quelques instants aurait dû la rassurer ; l'écume de ce pressentiment saisissant était restée entre ses côtes, et les pupilles de Quon, désormais parées d'un sourire engageant (”a smile to take you to bed, sister”), achevaient de la clouer dans sa gêne. Mengwu ne tarderait pas – il ne tardait jamais ; Shaula constata que son frère n'esquissait pas de mouvement pour se retirer, et la regardait encore. ”While you wait, I thought you would appreciate a tour of the place - I'm sure Mengwu hasn't bothered to show you around, has he? And if you want, I can show you the machines that will guarantee you a win every time, but only if you promise not to tell anyone." Il lui adressa un clin d'oeil, et Shaula put se sentir rosir, son coeur faisant une brusque embardée dans sa poitrine. ”I'm good”, répondit-elle en se décalant légèrement, prétendument pour ne pas être un obstacle dans le passage des clients, à qui elle adressa un léger coup d'oeil – un autre de ces réflexes physiques, déclenché par le pas de Quon dans sa direction.

Puis, comme attirés à un aimant, ses yeux revinrent à lui, en dépit de ce malaise qui, se rendait-elle compte nerveusement, avait plus à voir avec ses propres barrières qu'avec Quon lui-même. Elle avait déjà connu, avant, cette oscillation déstabilisante lorsqu'on avait cherché à l'approcher, en dehors du regard de son frère ; et sa loyauté indéfectible envers ce dernier, ainsi que des années d'une éducation stricte, qui l'avaient enfermée dans ses propres craintes, l'avaient poussée à couper court à tout contact personnel.

Jusqu'à présent, néanmoins, le zairja ne s'en était jamais mêlé ; et Shaula avait appris à écouter les étoiles, guides silencieux qui ne l'avaient jamais trompée. ”That's very kind of you, but I'd rather wait here... Just in case”, reprit-elle en arborant, cette fois, un sourire embarrassé de devoir refuser son invitation – Mengwu lui avait proposé, la première fois, et Shaula s'était contentée d'un rapide aperçu des salles, peu intéressée par les couleurs chatoyantes des lieux. Et puis, Quon lui avait dit que Mengwu ne tarderait pas, n'est-ce pas ?

Quon ne croit pas véritablement au grand amour ou aux coups de foudre: c'est bien le genre de conneries auxquelles croyait Feng quand elle était plus jeune et lisait un peu trop de romans à l'eau de rose pour son propre bien, et le genre de chimère que des gens de leur acabit n'auront jamais le loisir d'entretenir. Leur vie violente, incertaine, d'excès et de sang n'est pas véritablement faite pour accepter la moindre relation stable, malgré les quelques vains essais de certains membres de leur famille. À la fin de la journée, seuls comptent le Clan et sa réussite, et rien ne peut se mettre en travers de ce chemin menant au succès, au pouvoir et à l'argent.
Mais maintenant qu'il y a les yeux verts de Shaula qui existent, Quon ne sait plus trop à quoi il croit. Il se demande si elle ressent la même chose, mais c'est difficile à dire: même à avoir l'impression de la connaître, elle reste impassible et impossible à lire, étrangère malgré le sentiment intense de familiarité que Quon ressent dans sa poitrine.

Il semblerait pourtant impossible qu'elle ne ressente pas la même chose: les émotions de Quon sont tellement fortes et intenses qu'il est improbable qu'elles ne soient réservées qu'à lui à ses yeux.
C'est peut-être pour ça que Quon ne cille pas trop face au rejet, offert d'un ton poli mais détaché: ”I'm good.” Au contraire, il en sourie même, sans pour autant bouger alors qu'elle se décale, à la fois pour faire passer les autres clients de cet après-midi, et aussi pour lui laisser de la place. Quon garde une distance respectueuse, comme si il n'avait pas envie de s'approcher, de se pencher, de lui prendre la main, pour découvrir sa peau, son toucher, sa chaleur, comme si tout son corps ne vibrait pas à l'idée de frôler le sien. "Alright." Il n'est pas prêt à bouger, pourtant, hypnotisé par ce qu'il a sous les yeux, quoique réticent à trop insister comme il le ferait d'ordinaire, quitte à noyer la moindre de ses réticences sous un flot de paroles impossible à interrompre. Mais rien n'est ordinaire, à cette situation. Pour une fois, Quon ne se sent pas obligé de parler, de combler ce vide et ce silence qui ont pourtant tendance à lui faire craindre le pire.

Il devrait dire quelque chose, pourtant, faire un geste, quelque chose, n'importe quoi - l'idée qu'ils en restent là, à quelque chose qui ne sera rien au final, est angoissante au possible. Que sera-t-il sensé faire, sans les yeux de Shaula? ”That's very kind of you, but I'd rather wait here... Just in case.” Il hoche la tête, légèrement amusé. "Do you mind if I wait with you?" demande-t-il d'un air sérieux, en se promettant qu'il la laissera tranquille si elle dit non - quitte à courir jusqu'au bureau de Mengwu, s'excuser en passade d'avoir demandé à Jie de l'y enfermer, et le supplier de l'aider dans sa quête désespérée d'attirer l'attention de Shaula.
Il pensait, pourtant... "My brother, he mentioned that you were a professor at uni, is that right?" reprend-t-il, attrapant le premier sujet de conversation auquel il pense - et pour lui montrer qu'il n'est pas creepy au point de simplement vouloir la dévisager en silence et que son offre de lui tenir compagnie est légitime. "He said you studied stars and taught about them. Well, I know many stars, so that interests me." Un nouveau sourire, encore, moins large que les précédents, mais aux reflets plus sincères. "Have you ever heard about the love of two stars? It's a classic tale that my parents used to tell me. Do you know it?"

"Do you mind if I wait with you?" Il y avait une tranquillité dans sa voix qui rejoignit celle qui logeait, déjà, dans son regard – loin des clins d'oeil, de l'élan qui l'avait attiré à elle, une forme de respect que Shaula put sentir à même sa peau, une douceur qui retint son regard vert sur lui, une seconde de latence qui parut durer des dizaines d'autres, tandis qu'elle se sentait, de nouveau, plonger dans ses yeux sombres.
Elle se retint au bord de ses pupilles, se rattrapant juste à temps avant de se laisser enrober parfaitement par cette invitation muette, une offre de paix et de tendresse qu'elle pouvait entrevoir, perchée au bord de ses yeux.

Quon n'était pas une menace ; pas de celles contre lesquelles les hommes de sa famille l'avaient mise en garde. Il n'y avait dans ses yeux ni le désir brûlant de la posséder entièrement, ni celui, tout aussi égoïste, de la prendre pour la laisser ensuite ; il semblait vouloir l'entendre et l'écouter, et semblait déjà la comprendre. "No, I don't." Sa propre voix lui parut sortir de limbes lointaines ; comme l'écho d'un futur à venir, un dialogue qu'ils avaient tenus sans l'avoir encore fait.

Déstabilisée par ce plongeon simultané dans le passé, le présent, et l'avenir, elle détourna un instant les yeux, et rabattit une mèche de cheveux derrière son oreille – son zairja aurait l'une des réponses à ces inconnues qui se dévoilaient à elle, au battement de son cœur régulier, pourtant assourdissant entre ses côtes. Elle se demanda un instant si lui aussi avait la Vision, qu'elle soit ou non semblable à la sienne ; non – Quon était tout autre chose, une connexion autrement plus intime qu'elle pouvait ressentir dans chaque pore de sa peau pâle. "My brother, he mentioned that you were a professor at uni, is that right?" Ses yeux revinrent à lui, nerveuse, et elle hocha sobrement la tête, en dépit de la fébrilité qui lui fourmillait dans les membres. "He said you studied stars and taught about them. Well, I know many stars, so that interests me." Aucun mensonge, dans son sourire ; Shaula le trouva plus éclatant que les lumières clinquantes qui brillaient sur le fond de cette conversation qui se jouait sur différents plans, visibles et invisibles. "Have you ever heard about the love of two stars? It's a classic tale that my parents used to tell me. Do you know it?" Ses yeux parcoururent un instant les traits de Quon, à la recherche de ce conte qui échappait à ses connaissances gargantuesques. "No, I don't." Puis, elle reprit sur la même inspiration, comme si ne pas perdre le fil était plus important que de respirer (ou d'entretenir sa réserve, comme d'ordinaire) : "There are many tales, about stars, sometimes it seems as many as the stars themselves." Et elle se laissa de nouveau happer par ses pupilles, sa voix coulant avec un naturel effrayant tandis qu'elle lui demandait : "What is this one about?"

Chose étrange, que de mentionner ses parents au sein même du casino, au centre même du fief des Wangs - Quon n'y pense jamais, à cette vie d'avant qui appartenait à Ki-woo et qui n'a aujourd'hui aucune valeur, tuée comme ses parents par la main de Wei. Sa famille, c'était Wei, et c'est maintenant ses frères et ses soeurs. Face à eux, il ne lui viendra jamais à l'esprit de mentionner ces deux spectres d'un autre monde, et il pense que même pas leur existence ne lui viendrait à l'esprit même si il s'y essayait.
Mais les mots coulent facilement, face à Shaula, s'extirpent de sa bouche sans qu'il ait besoin de les matérialiser. Non pas qu'il soit quelqu'un de très cérébrale pensant au moindre de ses propos, mais il a plus l'impression de laisser les commandes à un autre Quon, caché jusque là, révélé par les iris verts de sa vis-à-vis; un Quon qui a été oublié depuis longtemps, et qui veut désormais sortir, ne s'entravant pas du masque épais et pesant qui repose habituellement sur son visage. "No, I don't." Une vague de satisfaction s'empare de Quon, dont le sourire s'approfondit. "There are many tales, about stars, sometimes it seems as many as the stars themselves." Bien qu'il ait dit en connaître beaucoup, Quon lui-même doit avouer que ça n'est pas tant que ça, surtout si il s'aventurait à se comparer à une professeure comme elle, ou si il osait se comparer à l'infinité d'astres présents dans le ciel nocturne. Il se demande si elle accepterait un échange: une histoire contre une autre, mais n'ose pas demander.

"What is this one about?" Même si il n'y pense jamais, et que la plupart de ses souvenirs, langue coréenne comprise, sont flous et imprécis - pas du tout aidés, en plus, par les problèmes de mémoire lui lacérant l'esprit, approfondissant des lacunes déjà effrayantes à mesure que le temps passe -, l'histoire lui vient naturellement, d'un filet de voix posé qui s'élève à peine au-dessus du brouaha ambiant, mais n'a aucun mal à atteindre Shaula face à lui: "the story begins with the King in the Sky, who had a daughter named Jingnyeo, and she was a weaver. One day, the King sensed in her a deep loneliness and, in order to make her happy, introduced her to Gyeonu, a cow herder. They fell in love, and got married, with the King's blessing." En parlant, il ne peut pas s'empêcher de fouiller le visage de Shaula du regard, avec une curiosité dévorante. "And everything was fine, for a time. Their love was beautiful beyond description, and they could hardly bear to be out of each other's sight. They were so absorbed in on another that they started to neglect everything outside of their love: Jingnyeo stopped weaving, leaving the King and his servants unclothed, and Gyeonu left his cows unattended, and they started to wander accross the galaxy."

Quon se souvient aussi, en même temps que les mots, des images du livre que sa mère utilisait pour lui raconter l'histoire. Il laissait toujours ses doigts retracer les lignes comme si il en était le dessinateur, ou pouvait imprimer le conte à même la peau de ses doigts. "Of course, the King was furious, and he revoked his blessing of their marriage. He separated them and sent them off on opposites sides of the Milky Way with Jingnyeo in the West and Gyeonu in the East. Devastated, the two started crying, and crying, and crying, their wails of despair echoing through the skies. Their cries were so loud that they reverberated accross the galaxy to Earth, where their grief deeply moved all the magpies and the ravens, who flew up to the heavens to form a bridge accross the Milky Way, every year, on the seventh day of the seventh month of the Luna Calendar, on Chilseok - that's a Korean holiday." Son sourire s'élargit à l'adresse de Shaula. "They say that if it rains on Chilseok, that's from the tears of the reunited lovers' happiness - and the rain that follows, for Chilseok marks the beginning of the Wet Season, is the tears of grief and heartbreak as the lovers are separated once again for a full year."

Un léger silence accompagne la fin de son récit, et Quon a les lèvres sèches d'avoir tant parlé. Il les pince légèrement et baisse les yeux, l'intensité du regard de Shaula étant presque trop en cet instant précis. "You would know Jingnyeo as Vega and Gyeonu as Altair. I hoped you liked the story...?" demande-t-il timidement, en la regardant entre ses cils.

Lorsqu'il reprit la parole, cette fois, Shaula relâcha le bord et se laissa entraîner par ses mots jusqu'aux profondeurs de ses pupilles, qui se distinguaient à peine de ses iris désormais.
C'était ce que lui reprochait régulièrement son frère : sa naïveté, sa curiosité, sa capacité à se laisser happer par un regard ou un sourire – Shaula taisait régulièrement son désaccord, consciente qu'il s'agissait d'une bataille perdue d'avance, car après tout peut-être qu'il la connaissait mieux qu'elle-même.

Elle se rendit rapidement compte qu'elle connaissait, techniquement, déjà cette histoire sous sa version chinoise ; le conte du bouvier et de la tisserande était connu, dans leur domaine de recherches – une plaisanterie ethnique, selon certains chercheurs ayant peu de considérations pour les contes anciens. Néanmoins ce fut comme si elle découvrait le récit pour la première fois – ses repères étaient brouillés, chaque première avec lui semblait faire écho à quelque chose de familier, et à l'inverse, la familiarité se révélait être immanquablement une nouveauté.
Aussi Shaula se laissa-t-elle porter par la voix tranquille et chaleureuse de Quon, qui l'invitait à la suivre toujours plus loin dans l'onde noire de ses yeux.

Il lui dessina une fresque sur ce fond peu propice aux contes millénaires, et Shaula pouvait sentir vivre le couples d'étoiles, leur déchirure et leur amour – non pas comme deux inconnus, mais comme si Quon lui racontait deux parties d'elle, deux morceaux voués à se rejoindre un jour ou l'autre. Plus Shaula laissait s'enfoncer les mots en son cœur, plus elle les sentait entrer en résonance, sur une fréquence cachée qui lui était encore lointaine ; si elle avait apprécié l'histoire, la première fois qu'elle l'avait entendue, elle avait l'impression, cette fois, de l'embrasser entièrement sur le souffle de Quon.

Elle cilla légèrement lorsqu'il se tut, comme pour reprendre contact avec ce nouveau elle, réceptacle de Jingyeo et Gyeonu."You would know Jingnyeo as Vega and Gyeonu as Altair. I hoped you liked the story...?" Shaula esquissa un sourire devant son ton hésitant, qui contrastait sensiblement avec son assurance des premiers instants. "I did. I had heard it before, through other names, but you tell it well. Better than my fellow scholars." Ses yeux sondèrent un instant ceux de Quon, outrepassant la frontière délimitée par elle et son frère – il y avait eux, puis il y avait le reste du monde, et leur accorder une attention soutenue était un crime qu'ils s'étaient promis de ne jamais commettre. "Is this how you grew interested in stars? With this tale?" demanda-t-elle avec intérêt, comme lorsque l'on touchait de près ou de loin à ses étoiles – son regard était désormais sur Quon, jusqu'à en oublier de balayer les alentours à la recherche de Mengwu, qui finirait par arriver bien assez vite dans tous les cas.

Le silence qui accueille la fin de son récit pourrait être gênant. Que vient-il de se passer, pourquoi a-t-il cru bon de partager cette histoire, sortie des tréfonds de son enfance et de ses souvenirs dépoussiérés à la va-vite et oubliés sitôt qu'ils ont été effleurés? Il pourrait diffuser la situation d'un sourire et d'un rire, d'une remarque badine facile et stupide, le genre de choses qu'il dit sans réfléchir - mais, pour une fois, Quon préfère attendre une réaction de sa part plutôt que d'envahir l'espace invisible de cette conversation, guettant un peu les réactions de Shaula avec angoisse.
Quand elle sourit, il sent son coeur battre à toute allure dans sa poitrine, un oiseau en cage qui n'a qu'une envie: sortir, voler, aller loin. "I did. I had heard it before, through other names, but you tell it well. Better than my fellow scholars." Il est pris de court en l'entendant, ayant toujours imaginé l'histoire inédite et rare, le genre de choses que l'on découvre dans un livre et qui n'existe nulle part ailleurs. Néanmoins, le compliment le fait légèrement sourire en retour, et il se surprend à penser qu'elle ne dit pas simplement ça par politesse. "That's very kind."

Leurs yeux n'ont de cesse de se chercher, et Quon aimerait se faire happer tout entier par ses iris, afin qu'elle ne regarde jamais que lui. Le monde, autour d'eux, continue pourtant sans arrêter sa fanfare: Quon peut sentir autour de lui des clients aller et venir, les bips stridents des machines à sous qui n'ont jamais de repos, les croupiers qui s'exclament avec entrain aux tables de roulettes, et les dealers et leurs chorégraphie incessante de cartes et de mouvements de la main. Il connait tous ces sons par coeur. Même si il n'a jamais travaillé au casino (à part sur les déclarations de revenus du Clan), il a appris comme les autres à apprivoiser le centre névralgique des Wang et ses habitudes. Il a aussi appris à garder l'oeil ouvert, et à prêter main-forte au besoin, au moindre tricheur, impertinent ou flambeur au visage connu méritant une attention particulière.

Mais en cet instant précis, il est complètement absorbé par Shaula et son beau regard, et les mots qui sortent d'entre ses lèvres, des questions qui lui couperaient presque la respiration: "Is this how you grew interested in stars? With this tale? - Yes." Il a l'impression de sentir le temps comme si il était matériel autour de lui, les secondes s'égrénant à toute vitesse; bientôt, Mengwu aura fini de tirer l'oreille de Jie, bientôt, Mengwu viendra rencontrer Shaula, bientôt, ses beaux yeux verts seronts tournés vers son frère. À cette possibilité, Quon sent son coeur s'emballer de plus belle dans sa poitrine, résonner jusque dans sa gorge, ses oreilles, son crâne, battre un rythme effréné et nauséeux qui le ferait presque perdre pied - un mauvaise pressentiment, assurément, qui le plonge dans une panique interne peu caractérielle. "They are familiar, somehow, when everything else is not. I remember going for a late bike ride in Hamsterley, and I remember looking up. It felt like I had not looked up in ages. We tend to forget to look up, don't we?" Il sourit en se remémorant cette soirée-là. "And the stars were all there: brighter than ever, the Milky Way was shining softly and..." Un mouvement attire son attention - c'en est presque absurde, tant ça semblait impossible il y a quelques secondes. Les yeux de Quon papillonnent sur Jie, qui fait un signe de main en direction du balcon intérieur, où il peut voir Mengwu accoudé à la rambarde, les couvant de son regard sérieux, sans pour autant bouger.

Le coeur de Quon s'effondre dans sa poitrine quand il revient aux beaux yeux de Shaula, parvenant à ajuster un sourire sur ses lèvres de justesse. "My brother is waiting for you upstairs." Il dodeline de la tête, mal à l'aise, incapable de retirer du ton de sa voix le regret épais et poisseux qui s'y est accroché. "Should I walk you?"

"Yes. They are familiar, somehow, when everything else is not. I remember going for a late bike ride in Hamsterley, and I remember looking up. It felt like I had not looked up in ages. We tend to forget to look up, don't we?" Dans son sourire se trouvait le souvenir de ces étoiles – Shaula les y décela sans peine, éclairant chaque face de l'émail qu'il lui offrait. Il fallait se méfier des conteurs, lui avait-on dit, des sorciers délivrant des histoires aussi facilement que Quon, envoûtant son public jusqu'à l'étourdir et le dépouiller de ses biens – et elle l'encourageait, se serait insurgé Lesath, dont elle pouvait sentir l'indignation au creux de son ventre.

Une certitude, néanmoins, l'empêchait de plonger pleinement dans cette honte distillée par les mots des siens : celle que Quon, tout conteur qu'il était, ne cherchait pas à l'envoûter elle, qu'il la regardait comme il le faisait simplement pour la regarder, la comprendre, l'écouter alors qu'ils se parlaient d'étoiles et partageaient d'anciens souvenirs. Shaula avait l'impression de se promener, sous le ciel de Hamsterley, avec lui ; la sensation insufflait une appréhension légère sous la peau, face à ce tableau naturel, simple, qu'elle croyait déjà connaître – sa main dans la sienne, à regarder la voûte stellaire, qu'elle pouvait voir sans peine au fond de ses yeux noirs. "And the stars were all there: brighter than ever, the Milky Way was shining softly and..."

Il y eut une cassure – légère, un craquement dans l'air, qui les arracha à la contemplation de la Voie Lactée. Shaula suivit le regard de Quon, avec une politesse mesurée qui la conduisit tout de même à l'un de ses frères, que Mengwu lui avait rapidement présenté durant son ersatz de tour ; puis à Mengwu lui-même, dont le regard était posé sur eux avec une tranquillité différente du calme qu'il affectait d'ordinaire.

Shaula eut soudainement l'impression d'être prise sur le fait ; et tout l'embarras, et toute la gêne, lui revinrent dans un souffle, tandis qu'elle détournait les yeux de ceux trop calmes de Mengwu, revenant à ceux de Quon qui brillait d'une lueur attestant, elle aussi, de cette brisure qui venait de s'opérer. "My brother is waiting for you upstairs." Shaula esquissa un léger sourire, alourdi par le malaise qui avait fleuri entre eux, se hissant hors de l'onde noire de ses yeux, le corps encore engourdi par se plongeon dans les abysses. "Should I walk you?" "It's alright, thank you." Et elle s'éloigna, cillant légèrement comme pour se défaire de son regard sans y parvenir entièrement, rattachée à ce fil qu'elle sentait tirer entre eux : "Thank you for the story." Puis elle détourna enfin son regard où luisait un embarras palpable, pour monter jusqu'au balcon intérieur, les yeux rivés sur les marches avant de se confronter, enfin, aux yeux lucides de Mengwu.