Zanjin resserre sa prise sur les sacs en plastique qu’il transporte et observe le bâtiment qui se dresse devant lui d’un regard sombre. Le Tuskers est endormi, comme la plupart de ses occupants à l’heure actuelle, mais savoir ce qui se cache derrière ces murs et surtout, ce qui s’y passe à la nuit tombée, suffit à donner à Zanjin de faire demi-tour. Mais Carrie et Nina sont à l’intérieur et c’est pour les voir qu’il s’est ramené là à dix heures du matin. Elles lui en voudront probablement de les réveiller à cette heure-ci, mais il espère apporter de quoi adoucir un peu leur humeur. Enfin ça, c’est si elles sont en état de le reconnaître. Jin ferme les yeux une seconde et prend une profonde inspiration avant de déverrouiller la porte d’un geste de la main. L’endroit n’a pas encore été complètement nettoyé et l’odeur d’alcool et de fumée qui lui agresse les narines lui donne presque la nausée. Son entrée est immédiatement signalée et Marth ne tarde pas à pointer le bout de son nez. “Oh, it’s you,” fait la matronne en pinçant les lèvres et Zanjin se force à lui adresser un sourire aimable. “They’re asleep,” ajoute-t-elle et il se contente de hausser les épaules.
“I know the way,” réplique-t-il simplement avant de passer devant elle en ignorant son regard noir. Il n’y a rien de plus satisfaisant que de savoir à quel point elle rêve de se débarrasser de lui, sans être capable d’y faire quoi que ce soit. Zanjin s’enfonce dans le bâtiment jusqu’à rejoindre la partie qui abrite les chambres des filles. Il passe devant celle de Nina et il est évident qu’il ira la voir, mais Carrie a toujours besoin d’un peu plus de temps pour se réveiller correctement alors il décide de commencer par elle.

Il ne prend pas la peine de toquer, il sait qu’elle est probablement profondément endormie à cette heure-ci et qu’elle ne l’entendra probablement pas, alors Jin se contente de pousser la porte et d’entrer dans la chambre de Carrie. La pièce est minuscule et paraîtrait presque inhabitée s’il ne pouvait pas discerner la silhouette enfouie sous les couvertures.

Il s’approche discrètement et d’un sort, agrandit la petite table de chevet et commence à déballer le contenu d’un des sacs. Une thermos de café, des tasses, ainsi que tout un tas de viennoiseries françaises - en tout cas c’est ce que prétend la boutique où il les a achetées - des toasts, du beurre, de la confiture, des oeufs brouillés, du bacon, bref, la totale. Il sait qu’il a trop pris, qu’ils ne mangeront jamais tout ça même si Nina les rejoint, mais c’est plus fort que lui. Il ne peut pas sortir Carrie de là, mais il peut au moins lui offrir un petit-déjeuner décent de temps en temps.

Une fois la table prête, il s’approche du lit de Carrie. Il ne peut voir que des mèches de cheveux blonds dépasser de la couverture, mais il discerne une épaule et l’attrape pour la secouer doucement. “Wake up, sleepyhead,” murmure-t-il et il n’obtient qu’un grognement en réponse. “Come on, I brought breakfast.” A manger pour un régiment serait plus juste, mais peu importe. Carrie finit par émerger et elle se tourne dans le lit pour lui faire face, ses paupières se soulevant difficilement et révélant des pupilles encore embrumées par l’opium.

Le coeur de Zanjin se serre, mais il force un sourire sur ses lèvres. “Hey,” fait-il dans un murmure et ses doigts approchent du visage de Carrie pour écarter quelques cheveux blonds. Ses sourcils se froncent lorsqu’il remarque l’hématome qui se dévoile sur sa joue et son sourire se fane immédiatement. Il sait qu’il aura disparu d’ici ce soir, mais le simple fait qu’il soit là le rend fou de rage.

Mais il se force à ne pas trop en montrer, parce que Carrie n’a pas besoin de sa colère inutile. Elle a besoin qu’il la sorte de là et ce n’est pas en chouinant sur les bleus qui ornent sa peau pâle qu’il fera avancer les choses. “You’re with me?” demande-t-il, la gorge serrée par l’angoisse à l’idée qu’elle soit encore trop défoncée pour le reconnaître.

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Le sommeil est toujours une douce délivrance, qui lui permet de s'enfoncer dans une profonde absence sans rêve qui dure plusieurs heures et qui, même si elle la laisse groggy et de mauvaise humeur pendant plusieurs heures, est bien plus agréable que les heures passées à tourner dans le lit en chassant vainement l'oubli. C'est toute une science, pour quelqu'un comme Marth, de s'occuper de ses petites colombes: en plus que de devoir modérer leurs attentes et leurs désirs, elle doit aussi s'inventer pharmacienne et chimiste pour que tout leur régimen de philtres, drogues et autres prescriptions fonctionnent ensemble. Les Glamours coupent l'appétit et rendent insomniaques, donc il est toujours important de les forcer à finir leurs assiettes et à les assomer d'opium jusqu'à ce qu'elles aillent se coucher - et peu importe si c'est juste avant les derniers clients, la plupart savent déjà pourquoi ils sont là et se démerderont bien des poupées désarticulées qu'on leur offre pour se repaître.
Carrie est bien habituée à ce rythme, maintenant. Cela fait quelques mois que Jin l'a abandonnée au Tuskers où elle a retrouvé Nina, quelques mois qu'elle a fait son lit dans une petite chambre sous les combles, vide et austère, froide la nuit, étroite tout le temps. Quelques mois que la fureur bat aussi fort que possible dans son coeur et entre ses tempes, et quelques semaines qu'elle le sent s'amoindrir, oublié dans des volutes d'opium.

Les rations sont copieuses, généreuses, tombent toujours à pic - apparemment, c'est seulement quand Marth est contrariée qu'elle en prive ses colombes, pour leur rappeler qui est le chef. Pour l'instant, Carrie est parvenue à rester dans ses bonnes grâces, se faisant aussi discrète que possible, apprenant sur le tas le savoir immémorial et bizarrement ardu du métier le plus vieux du monde.
La plupart du temps, elle ne préfère pas y penser. Et c'est plutôt facile, surtout quand son hybridté est un véritable atout et qu'on lui demande simplement, au final, d'offrir quelques sourires, d'écarter les jambes, et de fumer cette douce opium pour clôre la journée. Ad nauseam.

Au moins, tous ses souvenirs sont imprécis et flous, et elle peut passer ses maigres heures de repos avec Nina, qui dort quelques chambres plus loin et qui lui offre, comme d'habitude, une force que Carrie ne pensait pas avoir au fond d'elle.
Bien loin d'elles toutes ces réflexions, en cet instant précis: Carrie dort d'un profond sommeil, assommée par son long service de seize heures et sa double dose d'opium. Même si elle est aussi moche que cruelle, Marth sait aussi se montrer généreuse avec ses colombes les plus dociles et travailleuses.

Une main l'agite, la faisant grogner et se recroqueviller - elle pense au début que c'est la Dog en question, venue la réveiller pour lui dire de prendre une douche fissa et de retourner dans l'une des chambres de travail, en bas. “Come on, I brought breakfast.” Sauf que c'est la voix de Zanjin, et sa main sur son épaule. Même pas besoin de savoir pour savoir qu'elle est lui, cette grande patte dont les doigts atteignent presque sa clavicule. Carrie roule lentement sur le côté en lui jetant un regard noir à travers ses cils qui semblent vouloir rester hermétiquement collés. "Breakwhat?" marmonne-t-elle, confuse, avant de froncer du nez quand ses yeux tombent sur la nourriture en question.
L'odeur l'agresse, le gras qu'elle peut voir suinter à la surface du bacon et des toasts beurrés aussi. En plus de ça, il y a trop, beaucoup trop; elle sent déjà son estomac se serrer à l'idée d'ingurgiter quoique ce soit. “Hey.” Les yeux de Carrie volent jusqu'à lui et elle fronce les sourcils en le voyant sourire d'un air piteux. Elle renifle un peu en se redressant, le laissant effleurer sa joue et repousser une mèche de cheveux blonds de son visage - elle écrase quant à elle, sans grande douceur, le talon de sa main sur sa paupière pour la frotter et espérer en chasser les restes du sommeil.

“You’re with me?” Carrie grogne en réponse, et laisse retomber son poing sur sa jambe. Tout sourire incertaine a disparu des lèvres résolument sérieuses de Jin, et elle devine aisément ce qu'il craint. Son coeur se pince à cette idée, et elle s'efforce elle-même de sourire - une risette qui n'atteint pas ses lèvres, mais qui étire les coins de sa bouche d'un rictus improvisé et crispé. "Yeah. I'm with you, you posh bastard." L'accent de plus en plus poli de Jin, un peu forcé mais qui devient de plus en plus naturel, a le mérite de donner un peu de sincérité à son léger sourire.
Elle a l'impression que tout ce qui n'est pas Jin ou la table d'aliments à côté d'elle est flou, lointain, comme si elle considérait le monde à travers un prisme ouaté et mal nettoyé. Sa tête lui donne l'impression de peser trois tonnes, et elle pense aussi qu'elle va se briser la nuque si elle fait des gestes trop rapides. Alors elle reste résolument immobile, le temps d'émerger et de repousser les restes de ses songes opiacés au plus profond d'elle, là où même pas Marth ne peut venir. "Coffee," demande-t-elle difficilement, en tendant la main. Elle referme les doigts sur le gobelet que Jin presse contre sa paume, et l'apporte à son visage pour en humer l'odeur amère et désagréable. Mais peu importe, tout est bon quand on essaye de se réveiller.

Le silence qui suit est familier et réconfortant. Elle aimerait bien que Jin se rapproche un peu, s'asseye à côté d'elle, la laisse se presser contre lui, mais elle ne demande pas. Même si elle sait qu'il ne la rejetterait pas forcément, elle ne veut pas qu'il se sent obligé ou mal à l'aise, pas quand ils ont si peu de temps ensemble qu'ils ont à peine l'opportunité d'en profiter pleinement. "You cut your hair," parvient-elle à faire sortir au bout de quelques longues minutes, après avoir papillonné des yeux douloureusement à plusieurs reprises. "You look dapper." A mesure qu'elle se réveille, et surtout quand elle sourit légèrement pour souligner son propos, Carrie sent un désagréablement picotement se réveiller sous sa peau, au niveau de sa pommette, et elle fronce les sourcils en reposant maladroitement son gobelet de café et en tendant la main vers le tiroir de la table de nuit. "There's a mirror in there, give me." Elle s'est sans doute endormie sur sa joue dans une position inconfortable sans le savoir, imagine-t-elle en levant la main pour tâter la peau sensible et douloureuse, mais vu les yeux que Jin garde rivés sur elle, elle préférerait encore vérifier pour elle-même.

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"Yeah. I'm with you, you posh bastard," réplique-t-elle et Zanjin sent son visage qui chauffe sous l’embarras. Il sonne faux, pas vrai ? Il sait qu’il en fait trop, que ça ne fait pas naturel et que ça se remarque à dix kilomètres, mais Jin a un plan. Un plan qui implique qu’il ne sonne plus comme l’infâme street rat incapable de baragouiner plus de trois mots en anglais qui amuse la galerie et qui inspire tout sauf le respect. Alors il s’entraîne chaque jour, passe des heures à converser avec Elias et enregistrer chaque correction pour qu’un jour, personne ne puisse deviner d’où il vient rien qu’en l’entendant parler. Il apprendra à Carrie à se défaire du sien aussi, si elle le souhaite, et personne ne saura ce qu’ils ont traversé pour en arriver là. "Coffee," la demande lui tire un sourire et Jin s’empresse de remplir l’un des gobelets avant de le tendre à Carrie. Il la fixe d’un regard attentif, se délecte de voir que même si elle n’est pas tout à fait sortie de la brume qui enveloppe son esprit, elle est Carrie aujourd’hui, et non la coquille vide qui la remplace lorsque l’opium court dans ses veines et efface toute trace de sa petite soeur.
"You cut your hair," dit-elle soudainement et Zanjin passe une main dans sa nuque dégagée. “Ah, yeah,” fait-il avec un petit sourire. C’est Elias qui s’en est occupé, après que Zanjin se soit encore plaint de ne pas être pris au sérieux par les autres Dogs. (“You should cut your hair, it’s too long. Makes you look like a kid.” “Your hair is long too!” “Yeah, but I can grow a proper beard.” "Fuck you, Elias.") Ses cheveux n’ont jamais été aussi courts, mais c’est vrai que ça lui donne un air plus âgé, plus mature. "You look dapper." Un sourire satisfait se dessine sur ses lèvres. “Yeah?” fait-il, étrangement soulagé que Carrie approuve. Il sait qu’il change beaucoup, dernièrement. Les vêtements qu’il a sur le dos ont à peine deux mois et sont impeccables, propres. Il a pris du poids, des muscles aussi grâce à l’entraînement physique auquel Masahiro le soumet depuis qu’il est sous ses ordres. Il va sur ses dix-huit ans et il sait qu’il commence enfin à ressembler à un adulte.

Il évolue, alors que Carrie est coincée là.

Il ne la remercie pas, parce que sa nouvelle apparence, il la doit en partie à Carrie qu’il a abandonnée ici et un thank you lui semble ridicule, presque insultant, face au sacrifice qu’elle fait chaque jour. "There's a mirror in there, give me." Zanjin pince les lèvres. Une partie de lui a envie de refuser, de la protéger en l’empêchant de voir les traces qu’ils ont laissées sur son corps. Mais qu’en est-il de toutes les fois où il n’est pas là ? Et quand il partira, parce qu’il finit toujours par devoir repartir, elle les verra bien avant que Marth ne s’occupe de tout faire disparaître pour que les clients de ce soir n’aient pas l’impression qu’on leur refourgue des restes de la veille. Il faut bien maintenir l’illusion, après tout.
Alors il ouvre le tiroir et en sort le miroir avant de s’assoir à côté de Carrie. Il se cale juste à côté d’elle, presse son épaule contre la sienne et lui tend enfin le miroir. Il attend, le regard fixé devant lui et la gorge nouée, qu’elle observe son reflet. Et parce que le silence qui s’installe lui donne l’impression qu’on lui plante des aiguilles sous la peau, il finit par ouvrir la bouche : “I brought more,” dit-il précipitamment avant de se pencher pour récupérer l’autre sachet plastique qu’il a ramené. We’ll kill them all, Carrie, c’est ce qu’il avait vraiment envie de dire mais… il l’a déjà tant répété qu’il a l’impression que ça ne veut plus rien dire.

Les mots n’ont aucune valeur, seules les actions comptent, et Carrie saura qu’il a toujours eu l’intention de tenir sa promesse lorsque son plan se mettra véritablement en marche. En attendant, c’est plus facile de faire semblant.

Alors il plonge une main dans le sac et en sort les livres qu’il a achetés pour elle. “Nina used to teach us, I don’t know if she’s still helping you, but I thought… I thought you’d like the practice.” Il pose la pile de livres sur la table. Il ne sait pas si ce qu’il a pris intéressera Carrie, il a bien tenté de demander de l’aide à la libraire qui s’est montrée plus qu’inutile. (“I, uh-- she’s sixteen.” “Okay, what does she like?” Being warm, going to bed on a full stomach, that big red coat I got her when we were kids, she liked it a lot. “I-- I’m not sure,” il a bafouillé avant de la laisser l’entraîner à travers les rayons et lui mentionner tout un tas de romans censés plaire à une jeune fille de seize ans. Mais pas à une jeune fille comme Carrie. Alors il a fini par se tirer et se rendre dans une autre librairie, où il a choisi tout seul). “I got you this, too,” il sort des carnets, des stylos et feutres de toutes les couleurs. Un grand plaid doux et rouge, parce qu’il sait que Carrie aime avoir chaud la nuit. “And uh, more food.” Des gâteaux, des bonbons, tout finit éparpillé sur la table et le lit.

“I-- breakfast?” finit-il par dire, lorsqu’il se rend compte qu’il n’a plus rien à sortir de son sac. Plus rien à lui offrir pour tenter de combler le vide qu’il a laissé en l’abandonnant ici.

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Zanjin la rejoint sur le lit, ce qui rassure légèrement Carrie qui se presse volontiers contre son épaule en attrapant le miroir qu’il lui tend. Elle le retourne sur ses genoux et se penche un peu, pinçant des lèvres en découvrant l’hématome qui s’étale sur sa pommette et sa joue. Soudainement, c’est comme si voir la source de l’inconfort qu’elle ressent depuis son réveil était la source de sa douleur: elle sent aussitôt un picotement plus accru encore se précipiter sous son épiderme, réveiller un feu lancinant sur cette partie tuméfiée de son visage.
Ce n’est pas fréquent, de se réveiller avec quelques bleus, mais ce n’est pas rare non plus. Carrie n’a qu’une envie: repousser ses draps et se déshabiller pour inspecter le reste de son corps à la recherche d’autres traces qu’on lui aurait laissées, mais elle se le refuse de le faire devant Jin. Déjà, même si ils sont proches, elle aurait comme d’habitude trop peur de le gêner avec trop de nudité. Ensuite, elle aurait peur de sa réaction en trouvant d’autres marques.
Malheureusement, Jin ne peut pas la sauver du Tuskers, de Marth, de la colombe que l’on a tatouée sur ses côtes. Même si il lui a promis qu’il trouverait une solution, qu’il la tirerait de là, Carrie sait d’ores et déjà qu’il a menti. Elle ne lui en veut pas, elle fait pareil quand elle se force à se détendre et à ne pas montrer la rage obsédante dans laquelle le bleu sur son visage la plonge. Elle a envie de s’arracher la peau, de s’en débarrasser, de se recroqueviller dans un coin pour pleurer en attendant que Marth vienne la chercher pour une nouvelle soirée à travailler. Elle a envie d’une douche, d’un bain, de se noyer - de faire quelque chose, de pouvoir faire quelque chose.
Mais elle est complètement impuissante, comme toutes ces nuits dans la maison de Blake.

“I brought more.” Carrie repose le miroir à plat pour qu’il ne montre plus que le reflet du plafond, et tourne la tête vers lui en arquant les sourcils. “Show me,” demande-t-elle simplement, reconnaissante qu’il ne s’attarde pas non plus sur le triste infâme de cette situation. Elle l’observe se pencher récupérer un sac en plastique, se forçant à articuler un petit sourire amusé sur ses lèvres. En se réveillant lentement, elle se rend compte qu’elle est fourbue, comme d’habitude. L’inconfort lancinant qui remonte de son entrejambe est familier maintenant, ainsi que les tensions dans les muscles de ses jambes et de son dos. Ses poignets lui font mal, et elle tire légèrement les manches de son haut de pyjama pour ne pas que Jin les voit même du coin de l’oeil. Elle fait aussi un rapide décompte dans sa tête, et doit retenir une vague d’agacement de la submerger quand elle avise qu’il est encore tôt et qu’elle devra attendre quelques heures qu’on lui donne sa pipe - un médicament magique et ô combien apprécié pour toutes les fois où elle se sent comme ça, fébrile, mal à l’aise, en colère aussi.
Zanjin produit quelques livres de son sac et Carrie grogne. “Nina used to teach us, I don’t know if she’s still helping you, but I thought… I thought you’d like the practice. - Ugh…” Et pourtant elle attrape le premier livre de la pile avec un petit sourire, sincère cette fois, et en caresse la couverture mouvante du bout des doigts. “More reading, thank you so much Zanjin.” Si son ton est ironique, elle est sincèrement touchée. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas lire, elle trouve juste ça incroyablement frustrant. Elle savait déjà lire, avant, mais pas cet alphabet-là, et autant dire que tout désapprendre pour tout réapprendre est désagréable, surtout quand elle préfère de loin le cantonais et mandarin récupérés en miettes auprès de Jin et Yanli à la maison de Blake, et aussi quand l’anglais est une langue qu’elle trouve incroyablement traîtresse.

“We’re halfway through Alice in Wonderland,” lui indique-t-elle d’un ton distrait en ouvrant le livre sur ses genoux, détournant seulement les yeux en l’entendant: “I got you this, too.” Et comme dans les contes agonisants que Nina la force à lire, Jin produit du sac encore plus d’objets, un plaid qu’elle caresse du bout des doigts, et des carnets, des crayons, des feutres, plein de papeterie qui la fait doucement sourire. “And uh, more food.” Carrie regarde le trésor rassemblé devant elle avec une certaine satisfaction teintée de culpabilité. Elle sait exactement pourquoi Jin la recouvre de cadeaux, et ça réveille en elle une frustration mesquine - elle pourrait lui dire que jamais ses attentions ne pourront tout à fait combler le trou créé par son absence, qu’il l’a quand même abandonnée, et qu’elle commence déjà à craindre qu’il la laisse pourrir ici.
Après tout, il est un Dog, et il a Masahiro, et il a Elias, et ses nouvelles fringues, et sa nouvelle coupe de cheveux, et il a un certain contrôle sur sa vie. Il a pris du poids, ce qui lui fait plaisir, et il remplit de plus en plus sa veste. Elle voit aussi à la manière qu’il a de se tenir et de parler que son frère est en train de changer, de grandir - alors qu’elle va être cristallisée dans ce corps et cette situation pendant des années. Quand il pourra venir la sauver, restera-t-il quoique ce soit de la Carrie qui est sa soeur dans son enveloppe de Dove? “I-- breakfast?” Carrie lui jette un regard en coin et pose sa joue contre son épaule, comprenant sans qu’il ait besoin de le dire à haute voix ce qu’il pense. “That’s pretty cool,” dit-elle en désignant d’un geste de la main tout ce qu’il lui a ramené. “Those are my favourites, and I like those too.” Elle désigne quelques bonbons qu’elle aime bien (elle se souvient vivement de la première fois où ils les ont volés dans une supérette moldue avant de se les partager dans la rue, faisant une compétition de qui en mettrait le plus dans sa bouche - il avait gagné, cette fois-là du moins), et puis pose la main sur le plaid. “And this is really soft. I like the red.” Elle pense que c’est sa couleur préférée. Ca lui rappelle la veste que Jin lui avait offerte, il y a des années, mais aussi les tomates qui poussaient dans le jardin entourant sa maison, quand elle était petite.

“Should we not wait for…” Elle n’a pas le temps de finir sa phrase que, pile au bon moment, la porte de sa chambre s’ouvre. Ce n’est pas la violence des gestes de Marth, alors Carrie tourne un regard amusé en direction de l’encadrement en sachant déjà qui elle va y trouver: Nina, qui se fend d’un énorme sourire en voyant Jin. “You cheeky bastard, I knew it was your voice.” Nina s’avance mais se fige en croisant le regard de Carrie - cette dernière peut sentir ses yeux détailler la blessure qui la défigure avec stupeur et colère, et elle lui offre un petit sourire. “You should see the other guy.” Nina, elle aussi, se force à sourire en s’approchant sans pour autant répliquer. “Is that all for me? - Fuck off, Jin said it was for me,” répond aussitôt Carrie au quart de tour en fronçant les sourcils et en repoussant du pied son amie qui essaye de s’asseoir au bord du lit. “He’s my sugar daddy now. And no, I’m not sharing my Freddos or my Twizzlers with either of you. - My Freddos nor my Twizzlers,” la corrige Nina avec un sourire plein de dents et Carrie jette un regard ennuyé à Jin, surtout en voyant leur soeur se servir un verre de café. “Can you throw her out? For me. Don't forget I'm your favourite. And you don't like it when I pout.”

tw: mention of forced drug usage, rape, prositution “That’s pretty cool,” dit Carrie et Zanjin laisse enfin échapper le souffle qu’il retenait, la gorge nouée par l’angoisse. “Those are my favourites, and I like those too.” Il sait qu’elle fait autant semblant que lui - qu’est-ce qu’elle peut bien en avoir à foutre, de toutes ces conneries qu’il lui a ramenées ? Comme si ça pouvait améliorer sa situation. comme si quelques bonbons et des bouquins à lire allaient lui permettre d’oublier ce qu’elle subit ici chaque jour pendant que Jin se fait couper les cheveux, apprend à contrôler sa magie auprès de Masahiro et se paye des fringues neuves. Une partie de lui préfèrerait presque que Carrie se mette à hurler et à le frapper de toutes ses forces, plutôt que de la voir jouer le jeu et prétendre que ce qu’il fait lui apporte le moindre réconfort. “And this is really soft. I like the red.” Il sourit, et comme toujours ça n’atteint pas vraiment son regard. C’est plus un réflexe qu’autre chose, à ce stade. “I’m glad you like it.” C’est tout ce qu’il peut faire, lui offrir un foutu plaid pour la protéger du froid, en écho à ces nuits qu’il a passées avec Carrie pressée contre lui pour lui tenir chaud et la protéger des autres Rats, dans la cave de Blake. C’en est presque risible.

“Should we not wait for…” commence Carrie, mais c’est alors que la porte s’ouvre sur Nina qui leur adresse un large sourire et Zanjin ne peut s’empêcher d’y répondre. “You cheeky bastard, I knew it was your voice.” Il plisse le nez. “I was about to come get you,” dit-il avec une moue. Il peut voir sur son visage le moment où elle remarque le bleu qui orne sa pommette et Zanjin serre les dents. “You should see the other guy.” Il est incapable de se forcer à sourire comme le fait Nina, alors il garde la tête tournée dans sa direction, pour éviter de croiser le regard de Carrie. “Is that all for me? - Fuck off, Jin said it was for me,” Aussitôt, Zanjin se sent mieux. Nina et Carrie qui se chamaillent, c’est familier, c’est normal, autant que les choses peuvent l’être pour eux, en tout cas. “Hush now, don’t start,” fait-il en donnant un petit coup d’épaule à Carrie alors qu’elle tente de pousser Nina du lit. “He’s my sugar daddy now. And no, I’m not sharing my Freddos or my Twizzlers with either of you.“ Zanjin s’étouffe à moitié au my sugar daddy. “My Freddos nor my Twizzlers,” réplique immédiatement Nina et Zanjin ne retient pas un petit ricanement moqueur. “Can you throw her out? For me. Don't forget I'm your favourite. And you don't like it when I pout.” Jin lève les yeux au ciel et glisse une main dans les cheveux blonds de Carrie.
“I love you, but no,” réplique-t-il, implacable. “Plus, you won’t have to share anything with Nina, I got her some things as well,” ajoute-t-il en désignant le dernier sac qu’il a laissé par terre avec un clin d’oeil à l’attention de l’aînée. Mais il se penche tout de même vers Carrie, pour murmurer à son oreille. “Don’t worry, you got more,” de manière à ce que Nina puisse tout de même entendre. “I see how it is,” dit-elle avec un reniflement méprisant.

“Come on, I’m shit at reheating spells and the food is getting cold.” Et il meurt sérieusement de faim, parce qu’il s’est levé aux aurors pour se faire éclater par Masahiro avec à peine de quoi lui donner un peu d’énergie dans l’estomac avant de crapahuter en ville pour acheter tout ça. “You got strawberry jam!” Nina s’exclame brusquement avant de se jeter sur les toasts et la confiture avec enthousiasme. Ca en fait au moins une qui semble apprécier ses efforts, et Zanjin esquisse un sourire satisfait avant de se servir un café à son tour.

“I managed to hit the old coot today,” dit-il avec une pointe de fierté, en piochant parmi les viennoiseries pour en prendre une bouchée. Ce n’est pas la première fois qu’il leur parle de Masahiro et de l’entraînement qu’il subit depuis que le vieux taré a décidé de le prendre sous son aile. “He then proceeded to wipe the floor with me, but it was so worth it,” poursuit-il la bouche pleine. Il s’est enfilé trois antidouleurs qu’il a piqués dans une pharmacie moldue avant de venir pour oublier son corps meurtris, parce que Masahiro ne s’occupe que des blessures graves et répète inlassablement que la douleur fait partie de leur apprentissage.

Vieux con.

“Don’t talk with your mouth full,” Nina le chastie en fronçant le nez, alors il plisse les yeux et se met à mâcher bruyamment en ouvrant un peu plus la bouche. “I should have words with this old guy, tell him to teach you some good manners,” soupire-t-elle. “It’s cultural,” réplique Zanjin, comme à chaque fois que Nina lui fait la remarque. “No, it’s not.” “It is. Stop being so racist. Carrie, tell her to stop being racist,” geint-il, comme si Carrie était la personne à qui il pouvait demander de l’aide à ce sujet.

tw: eating disorder, mild ocd, racial slur, crude language

“I love you, but no.” Carrie lève les yeux au ciel en grognant, malgré la main que Jin glisse dans ses cheveux dans un geste tendre, et ces trois petits mots qui malgré tout la font fondre comme neige au soleil, et ont même un certain talent pour court-circuiter son cerveau et l'empêcher de répondre, la plongeant dans un silence frustrant et dubitatif. Heureusement pour eux deux, Jin reprend vite: “Plus, you won’t have to share anything with Nina, I got her some things as well.” Elle jette un regard aux yeux plissés de dédain en direction du sac en plastique désigné par Jin, et glousse en l'entendant lui chuchoter un “Don’t worry, you got more” qui la fait sourire d'un air très satisfait. "Good boy. - I see how it is.” Carrie se contente de tirer la langue à l'adresse de Nina, qui répond simplement d'une légère grimace, roulant des yeux exaggérément.
Carrie a l'impression de respirer, quand Jin et Nina sont là, quand elle peut passer quelques temps loin de Marth et du regard aiguisé des autres Doves: elles vivent dans un nid de serpents, et il n'y a que très peu de gens en qui elles peuvent placer leur confiance sans se faire poignarder derrière, malgré les mythes de grande famille qui traversent les rangs des Warlocks de temps en temps. Apparemment, dans quelques mois, quand Marth lui fera plus confiance, elle aussi aura des permissions une fois par semaine pour sortir en compagnie de Nina, et celle-ci lui a promis de lui faire visiter Londres: longer la Tamise (humide), aller au musée (chiant), faire du lèche-vitrine (frustrant). Autant d'activités que Carrie attend impatiemment, mais qui ne feront que attiser son envie de quitter le Tuskers pour toujours; mais la marque des Warlocks, profondément brûlée dans le son talon de son pied, la ramènera toujours dans leurs filets.

Pendant quelques instants, Carrie n'y pense pas et se presse à la fois contre son frère, tout en observant sa soeur attraper pain, beurre et confiture avec enthousiasme. Elle-même n'a pas trop faim: depuis son arrivée au Tuskers, elle ne mange que trop rarement, juste avant de travailler, la pensée de se nourrir la plongeant dans un profond désespoir incompréhensible. Si les Glamours desquels on les bourre coupent l'appétit, les menaces cruelles de Marth à l'encontre de quiconque prendrait le moindre gramme ont eu raison des premiers dîners copieux qu'elle s'est vu offrir au sein de la maison close. Elle garde ses mains autour de son café, heureuse d'être là, faisant l'inventaire rigoureux des cadeaux de Jin dans un coin de son esprit; elle le refera plus tard, aussi, en trouvant une place précise pour chaque objet dans sa chambre bien rangée, quitte à les placer et les replacer à n'en plus finir jusqu'à être satisfaite.

“I managed to hit the old coot today.” Carrie glisse un regard en coin à Jin en levant son gobelet de café à ses lèvres, l'amertume du liquide bien plus agréable que celle de la jalousie qu'elle sent déjà poindre dans un coin de son esprit. “He then proceeded to wipe the floor with me, but it was so worth it.” Même si l'idée de se battre à mains nues l'horrifie un peu - quoiqu'elle ait dû donner quelques claques, griffures et coups de poing pour ne pas se faire complètement rouler dessus parmi les Rats -, chaque anecdote de la vie de Jin lui tord l'estomac d'envie, supplantant la satisfaction et la fierté qu'elle ressent en l'entendant dire qu'il progresse et qu'il s'améliore chaque jour. "Nice," commente-t-elle sobrement, essayant d'imaginer la scène à grand mal - elle n'a aucune idée d'à quoi ressemble Masahiro. “Don’t talk with your mouth full.” Même Carrie grogne quand Jin ne fait qu'exagérer sa manière de mâcher. "Ew. - I should have words with this old guy, tell him to teach you some good manners. - It’s cultural.” Discussion éternelle autour de la table à manger, liguant la plupart des good children contre un Jin survolté et une Yanli apologétique mais docte; Carrie sent un pincement au coeur en pensant à son amie qu'elle n'a pas vue depuis des semaines... “No, it’s not. - It is. Stop being so racist. Carrie, tell her to stop being racist. - Yeah, stop being such a fucking racist, Nina," répond-t-elle au quart de tour en vrillant son regard noir en direction de sa soeur. "Chinks love talking with their mouths full, it shows appreciation for the food."

Carrie se fend d'un large sourire satisfait en voyant les joues de Nina se colorer d'un rouge embarrassé comme une nonne qu'on aurait emmenée au Tusker un samedi soir. "Carrie, you can't say that word! - What, appreciation? I'm pretty sure my accent was right on this one. - Oh my fucking God. - It's just a word, Nina. - It's not a word, it's a slur." Carrie lève les yeux au ciel. Elles ont eu cette discussion des dizaines de fois, et à propos de plein de mots différents qui se sont profondément ancrés dans le vocabulaire de Carrie après des années passées dans l'un des sous-sols des Rats, au contact de gamins venus des quatre coins du monde et représentant généralement la lie de la société. "You kindly explained, multiple times by the way, that a "slur" was, and I quote, an "insulting and discriminatory word" - word, being the key... word. - Your voice is... so fucking annoying... - And Jin doesn't mind. You don't mind," rappelle-t-elle à son cher frère en lui tapotant la cuisse d'un coup sec du bout des doigts. "And you love me. Both of you. It's just a word, you shouldn't be bothered by a fucking word, you damn fucking idiots." Carrie apporte son café à ses lèvres de nouveau avec un petit haussement d'épaules, apparemment très fière d'elle et de l'énervement frustré qu'elle peut lire sur le visage de Nina.

"Do you run your mouth off like that all day? Is that why you look like that? I would punch you too if it meant just a few hours of peace." Carrie manque de s'étouffer sur son café en l'entendant, sentant une vague de frustration et de colère lui tordre le ventre et monter jusque dans son visage, faisant cruellement brûler les restes de l'hématome qui s'étend sur sa joue. Elle jette un regard noir à Nina, en hésitant à lui envoyer le reste de son café encore chaud à la figure; et elle peut voir, dans les prunelles claires de sa soeur, qu'elle aussi la jauge en se demandant si elle est allée trop loin.
Elles vont toujours trop loin, c'est même la règle entre les Doves: si Jin entraîne son corps à devenir pus résistant, elles n'ont pas le privilège d'avoir le moindre contrôle sur ce dernier. Elles n'ont que leurs esprits acérés et leurs langues acerbes pour attaquer et se défendre, et pas grand-chose d'autre: Carrie l'a appris bien assez tôt, au contact des autres Doves aigries et amères ayant peur de se faire remplacer par les nouvelles venues.
Carrie repose son gobelet sur la table de chevet et reprend le miroir sur ses genoux, qu'elle lève en direction de Nina, pour lui montrer son propre reflet. "At least I don't look like that," dit-elle avec tout le dédain dont elle est capable, avant de pencher la tête sur le côté pour croiser son regard et lui offrir un sourire plein de dents. "And I don't have herpes every other week all over my pu-- - FUCK YOU! - HEY!"

Leurs trois têtes se tournent en même temps vers l'encadrement de la porte où se tient une Marth rouge de colère, qui pointe un doigt accusateur en direction de Jin. "You stop making all that noise or else I'm kicking your little boyfriend out and he won't be welcome here anymore, do you hear me? - Yes ma'am. - Yes ma'am. - GOOD! For Merlin's fucking sakes!" Elle disparaît de nouveau dans le couloir. Après quelques secondes, Nina fait un vaste geste de la main, et la porte de la chambre de Carrie se ferme dans un claquement assourdissant.
Cette dernière grogne un peu en baissant les yeux sur le miroir de nouveau pointé vers le plafond. Au bout de quelques secondes, une fois qu'ils sont de nouveau seuls: "Heinous bitch. - Ugh. Here, have that." Carrie n'essaye pas de protester quand Nina lui met dans les mains la tartine de confiture qu'elle était en train de beurrer et de confectionner depuis le début - elle sait que ça ne sert à rien, elle n'est pas vraiment du genre à abandonner si facilement. "We managed to break into her office the other day," murmure-t-elle doucement, à l'adresse de Jin, en lui adressant un regard en coin. Carrie pose sa joue contre l'épaule de son frère en apportant la tartine à ses lèvres sans appétit ni envie, les lèvres sèches à l'idée de manger. "We couldn't find her books, but we'll look again. - Did you hear anything interesting, Jin? They say it's getting pretty scary, out there."