Travis n'a aucune envie d'être au Royaume-Uni. Tout ce qu'il sait de Londres, c'est qu'il y existe une reine vieille comme le monde et qu'il y pleut souvent - rien de très intéressant pour lui. La perspective de passer l'été loin des chaudes températures et des soleils réchauffants de son côté du monde est véritablement déprimante, et le fait que ce voyage à la durée indéterminée soit complètement involontaire rend les choses encore plus amères et désagréables. On lui a donné des documents et des papiers qu'il a signé sans relire, ainsi qu'une allocation. Quand Shae et ses minions lui ont proposé (à contre-coeur) de vivre avec eux dans l'hôtel particulier qu'ils ont trouvé au centre de Londres, Travis s'est précipité pour refuser et à la place grapiller un rien de liberté.
La chambre au dessus du Leaky Cauldron ne ressemble rien au luxe ostentatoire dans lequel il a vécu pendant des années, descendant dans les meilleurs chambres de Taiwan, Macau, Hong Kong et Singapore à l'occasion, mais peu importe. Au moins il est seul et, se tenant loin de la délégation kekonaise, peut les tenir loin de son esprit et de sa perception - se trouver auprès de tant de jade, même quand elle est portée par autrui, est absolument suffoquant et il n'y est plus habitué.

Le voyage l'a rendu un peu malade - il n'a jamais aimé les Portoloins ou les transplanages, souffrant de vertiges et de nausées pendant des heures après utilisation - mais la perspective de revoir Poppy fait battre son coeur à tout rompre dans sa poitrine et allège un peu son humeur, maussade depuis qu'il a été décidé qu'il partirait avec la délégation kekonaise en direction du Royaume-Uni. Si bien que deux jours après son arrivée, une fois son estomac bien accroché et ses responsabilités envers Shae notée dans un coin de son esprit, Travis profite de son premier samedi soir britannique pour se rendre à l'adresse fournie par Poppy dans les quelques lettres qu'ils ont échangé. Il se demande franchement si il imagine le ton sec qu'il a cru voir transparaître dans leurs échanges, ou si six années à ne pas se voir ont véritablement changé l'essence de leur relation... il préfère ne pas y penser. L'envie de la revoir, le désir de s'enquérir de sa vie, la curiosité de la redécouvrir - tout ça avale le reste, les doutes et une amertume depuis bien longtemps enterrée. Travis ne croit ni aux étoiles ni au destin, mais il trouve réconfortante l'idée que, peut-être, les choses n'étaient pas faites correctement pour eux à l'époque où ils étaient ensemble. Et malgré lui, il y a ces pensées, ces espoirs, qui existent toujours au fin fond de sa poitrine, là où il n'aime pas trop s'appesantir.

Il ne vient pas les mains vides, et a du mal à frapper à la porte une fois planté devant, rechignant à déposer l'imposante boîte qu'il tient parterre et finissant par donner quelques coups de pied dans le battant. Quand celui-ci s'ouvre, il doit se contorsionner pour apercevoir qui vient d'apparaître, tant le cadeau est absolument énorme et disproportionné, et sa bouche se fend d'un immense et chaleureux sourire quand ses yeux s'enfoncent dans ceux de Poppy.

Il a tellement de choses à lui dire et à lui raconter. Il aimerait lui détailler tout ce qui lui est arrivé, toutes les choses folles qu'il a vues et faites, les casses qu'il a réussi haut la main et ceux auxquels il a failli se faire prendre, lui parler des beaux paysages qu'il a pu admirer, de l'argent qu'il a dépensé, le whisky qu'il a bu, les cigares qu'il a mâché à n'en plus finir en jouant au blackjack. Il aimerait pouvoir lui dire si simplement, que les mots sortent comme ils le faisaient avant: sans retenue et honte, et qu'elle les attrape et les comprenne tous sans mal.
Mais rien ne lui vient, soudainement, et Travis se retrouve à ouvrir la bouche et la refermer dans un claquement sonore.

Elle a changé.
Et, il s'en rend compte, lui aussi a changé - d'une manière ignoble, en vieillissant, le pire pêché entre tous. Il a vieilli, il a grandi, il a changé, et elle aussi; devant lui se tiendrait presque une inconnue.

Les yeux de Travis papillonnent, et son sourire rapetisse un petit peu, faisant à la place briller dans ses yeux un éclat tendre. Il aimerait dévorer des yeux l'intérieur de l'appartement, chercher le fameux Thomas Keegan du regard, mais il reste perdu dans sa contemplation de Poppy, remarquant tout ce qui a changé, et remarquant aussi tout ce qui est exactement pareil -  la lueur intelligente dans son regard, les grains de beauté sur sa tempe, les tâches de rousseur sur ses joues, la courbe délicieuse de sa bouche. "Hi" est tout ce qui parvient à sortir, alors qu'il a tellement de choses à lui dire - naïvement, il pense que cette fois-ci, peut-être, ils auront plus de temps ensemble avant de parvenir à leur date de péremption.

Samedi soir. Samedi soir. Samedi soir. Les pensées de Poppy, aussitôt qu'elles décrochaient du travail, revenait inlassablement sur ce foutu samedi soir – une obsession pour son crâne prône aux fixations, la rendant nerveuse, presque irascible aux mentions de ce week-end à venir. La vérité était que Poppy redoutait foncièrement l'arrivée de Travis : elle redoutait la gêne de longues années d'absence entre eux deux, elle redoutait le retour d'un passé lointain, qu'elle avait laissé derrière elle en quittant Macao, les réminiscences de ses excès révolus (du moins se le répétait-elle régulièrement, assez pour tenir lesdits excès à distance) – elle redoutait la déferlante d'émotions malvenues, de sentiments enterrés avec difficultés lors de son départ forcé. Elle redoutait retrouver un parfait inconnu, toute trace d'affection et de complicité effacées avec le temps, autant qu'elle redoutait retrouver Travis tel quel, inchangé, capable de provoquer chez elle le même tumulte d'un regard, d'un sourire, d'un simple geste – cette inconnue apposée sur son emploi du temps comme un sceau énorme, immanquable, lui écrasa les nerfs le temps que dura son attente.

Elle s'était arrangée pour que Thomas ne soit pas là, ce soir-là ; comprendre, elle avait toqué à sa porte en rentrant un soir, après le travail, et lui avait demandé s'il serait là ce week-end, d'un ton égal, presque chirurgical – disséquer les allées et venues de son mari était devenu un sport, depuis son retour définitif au Royaume-Uni. L'obstacle que composait la présence de Thomas ainsi écarté, Poppy avait pu se laisser aller à ses autres tâches : tourner et retourner la rencontre dans sa tête, inlassablement, jusqu'à ce qu'il toque à sa porte.

Son cœur lui remonta dans la gorge, encombrant sa respiration, battant à même sa glotte ; une sensation désagréable qui fit croasser Jet, perché, comme d'ordinaire, sur son épaule, quand bien même la proximité de son animal-lié, une autre partie d'elle, lui donnait l'impression d'étouffer un peu plus.

Elle ouvrit la porte sans attendre, et fut confrontée, d'abord, à un imposant paquet avalant l'identité de son porteur – si Poppy eut le vague espoir, teinté des effluves de la déception, d'avoir affaire à un livreur, il disparut bien vite lorsqu'apparut le visage de Travis, au détour d'un imposant ruban.
Le tumulte se leva dans son ventre et dans son plexus, faisant battre le cœur toujours coincé dans sa gorge – des années d'absence, la douleur lancinante de le perdre, les pics de bonheur fulgurants en sa compagnie, dix ans plus tôt, l'étrangeté de le revoir, sans savoir s'il n'avait pas changé d'un pouce, ou si elle avait en face d'elle un sorcier totalement différent de celui qu'elle avait connu, alors.
Ils se regardèrent un temps interminable, beaucoup trop court pour pouvoir déterminer quoi que ce soit encore ; Poppy cilla, en voyant ses traits s'assouplir en un sourire sincère, remontant jusque dans ses yeux sombres. "Hi." "Hi", s'entendit-elle répondre d'une voix qui ne semblait pas lui appartenir, trop grave, presque tremblante, un souffle d'outre-tombe devant ce fantôme débarqué à sa porte. Une nouvelle seconde, avant qu'une décharge de nervosité électrique ne lui saisisse la nuque."Please come in." Son corps suivit l'impulsion en se décalant, enfin, ouvrant la porte pour laisser passer l'homme et l'objet ; Poppy referma la porte derrière lui, reportant les yeux sur lui aussi rapidement qu'elle les avait détournés, s'accrochant de nouveau à son regard – dont la lueur, elle, n'avait pas changé. "That's huge", commenta-t-elle en lui offrant un sourire maladroit, chassant les émotions diverses une seconde en constatant l'immense cadeau dans ses bras ; un seul commentaire, vide de sens et soulevant pourtant un nouveau souffle sous sa peau, qui retomba dans le silence.

Malgré les longues années de séparation et d'absence, Travis sent la nervosité de Poppy l'envahir comme si elle était la sienne - quelque chose d'inconfortable et d'électrique qui se fiche sous sa peau sans la quitter. Il ignore si c'est parce qu'il la connait bien, ou grâce à la jade qu'il porte et qui décuple ses sens: il réalise simplement que, peut-être, Poppy n'est pas ravie de le voir et aurait préféré qu'il la laisse tranquille pendant quelques temps au moins. Le "Hi" aussi éloquent que le sien qui s'échappe d'entre ses lèvres lui fait l'effet d'une douche froide.
Avec tout ce temps qui a passé, il ressent la même affection pour Poppy, ou du moins ce souvenir qu'il a de Poppy - et il se rend compte que peut-être, maintenant qu'il est face à elle, ce n'est pas le cas pour elle. Peut-être qu'elle est véritablement passée à autre chose, tombée amoureuse de son british de mari, peut-être qu'elle aurait préféré qu'il ne la contacte pas et peut-être qu'elle l'invite seulement d'un "Please come in" gêné et gênant parce qu'elle s'y sent obligée.

Cette possibilité est désagréable et fait exploser une déception amère et infâme dans sa bouche. Il est trop tard pour faire marche arrière, et sa curiosité est trop grande, alors Travis s'immisce avec une maladresse qui ne lui ressemble pas dans l'encadrement de la porte, balayant des yeux l'intérieur richement décoré avant de les poser de nouveau sur Poppy, la dominant toujours de quelques dizaines de centimètres. Il se sent un peu gauche dans cet intérieur étranger, trop grand et trop épais, comme un meuble qui n'aurait pas sa place mais qu'on aurait déménagé tout de même par nostalgie, sans savoir si on serait en mesure de l'accueillir comme il se doit. "That's huge." Travis a l'impression que ces petits mots enclenchent enfin la marche avant dans son cerveau, et son sourire - qui s'est évanoui de ses lèvres quand il est entré - revient illuminer son visage, ténu peut-être par la gêne qu'il peut sentir chez son ex-femme malgré son propre léger rictus.

"It's for you." Et, muni d'une confiance tranquille et intrinsèque à sa personne, Travis s'engage dans l'appartement comme si il s'y était rendu mille fois, cherchant du regard une surface pour déposer l'énorme boîte soigneusement enveloppée et habillée pour paraître festive. "It's a care package with all of your favourites - Japanese whisky and sake, Hello Pandas, some of that incense from that lil' shop in Macao you liked, Fengli Su from that bakery in Songshan District, kekonese cuttlefish, spicy noodles, and some other stuff." Il parle d'un ton léger et habitué, soupirant d'aise en reposant la boîte et inspectant sans gêne son environnement, ses yeux passant des fenêtres aux décorations aux meubles aux espaces très grands et bien ordonnés. Heureusement qu'elle est allée à l'autre bout du monde pour vivre une vie de rêve avec un idiot de "vrai" sang-pur... Travis préférait nettement leurs suites à Macau et à Taiwan mais tout le monde s'en fout, de ses préférences, dans cette affaire. "That's well nice, Tommy has good taste." Son sourire s'agrandit tandis qu'il se tourne vers Poppy, les yeux pétillants, se forçant peut-être dans ce rôle qu'elle a connu chez lui et qui ne lui correspond plus qu'à moitié. "But of course, I knew that already." Si il est marié Poppy, et qu'il l'est encore, c'est qu'effectivement il a bon goût - peut-être qu'ils s'entendront bien, au final.

Travis la dévisage et la détaille de bas en haut, rapidement, puis finit par mettre le doigt sur ce qu'il a senti depuis son arrivée: "you're not wearing your jade." Si son ton n'est pas accusateur, juste curieux, une certaine tension y demeure, parce qu'il ne sent pas non plus présence de jade dans le reste de l'appartement. Il se crispe imperceptiblement à l'idée qu'elle s'en soit débarassée, son corps ratant un battement dans sa poitrine avec angoisse.

"It's for you." Il n'aurait pas dû, songea-t-elle en sentant une couleuvre de gêne onduler dans son ventre, traçant avec elle les prémices d'émotions indésirables dans ces circonstances. Si Travis l'avait vue dans tous ses états, à Macao, pleurer devant lui n'était certainement pas une option – quand bien même le voir évoluer, avec son paquet immense et son corps de géant, chez elle était une image saisissante, dont elle détourna rapidement les yeux en le suivant, pour déposer Jet sur le dos d'une chaise. "It's a care package with all of your favourites - Japanese whisky and sake, Hello Pandas, some of that incense from that lil' shop in Macao you liked, Fengli Su from that bakery in Songshan District, kekonese cuttlefish, spicy noodles, and some other stuff." "That's too much." Beaucoup trop – Travis n'avait jamais fait dans la mesure (comme elle), et Poppy n'avait jamais retenu ses remarques honnêtes, avec lui, quand bien même lui dire qu'il en faisait trop, quand elle aurait pu se contenter de le remercier, traçait une limite sensible dans le nouveau rapport qui était en train de s'établir entre eux.

Ses yeux suivirent le mouvement de ceux de Travis, nerveuse, profitant de ces quelques secondes d'accalmie pour recomposer les morceaux brisés de sa contenance par le tumulte intérieur. "That's well nice, Tommy has good taste." Tommy ? Poppy put sentir un goût désagréable envahir sa bouche : celui d'une familiarité malvenue de la part de Travis, et d'une injustice cinglante, touchant aux points sensibles d'une Poppy que l'on avait parfois pris l'habitude de qualifier rapport à son propre époux. La vérité était que moins Poppy entendait parler de lui, mieux elle se portait. "That's my doing", corrigea-t-elle en raccrochant son regard, sans expliciter plus avant ce qui était à Thomas et ce qui était à elle – le fait était, aussi écrasant qu'il fût, que l'appartement appartenait à Thomas. "But of course, I knew that already." Fut un temps où Poppy l'aurait réprimandé d'un stop this faussement embarrassé ; la gêne était, entre eux, un accessoire superflu qui n'avait jamais eu sa place – jusqu'à ce qu'ils se séparent et se retrouvent des années plus tard, sans savoir par quel bout commencer. Travis possédait d'évidentes facilités en société, un naturel désarmant qui se transformait en un culot indécrottable ; Poppy savait néanmoins pertinemment que cette aisance était le fruit d'un long travail d'embobineur, et qu'en privé, Travis était sensiblement différent – une différence d'autant plus soulignée par ce contexte étranger où ils se retrouvaient désormais. "You'd be surprised", se contenta-t-elle de répondre, mangeant à moitié ses mots dans sa bouche crispée par l'inconfort, avant de sortir sa baguette, rangée comme toujours à son flanc.

Son regard grimpa vers Travis, tandis qu'il la dévisageait en silence. "You're not wearing your jade." L'inconfort de Poppy grimpa d'un cran, et d'un autre, sous la conscience qu'il pouvait percevoir chaque fluctuation de son humeur rien qu'en se trouvant près de lui. "No I'm not", statua-t-elle simplement en détournant les yeux, agitant sa baguette en direction du meuble sobrement taillé dans le salon, le battement de son cœur enflant pour se calmer aussitôt sous les inflexions rassurantes de son esprit (ils auraient tout le temps pour en parler, elle ne lui mentait pas, il comprendrait certainement son problème), "let's have a drink, first." La bouteille de Firewhisky, de la même facture que celui qu'elle lui avait envoyé, lors de son remariage, vint naturellement leur servir deux verres sur la table, à côté de l'imposant paquet que Poppy renvoya jusqu'à la cuisine. Elle alla s'asseoir sur le canapé en cuir de dragon, un luxe auquel ses fesses ne s'accommodaient toujours pas, des années plus tard, et reposa sa baguette sur la table basse, pour mieux prendre son verre, et le lever vers Travis, les lèvres pincées, d'où s'échappa avec un peu de difficulté un : "Welcome to the UK."

Le fait que Poppy ne choisisse que de s'exprimer avec des phrases contenant au mieux cinq mots et au pire trois, est plutôt criant de cette vérité difficile à avaler: ils ne se connaissent plus, maintenant. Il n'est plus son Travis, et elle n'est certainement plus sa Poppy. Si ils n'avaient pas échangé quelques lettres avant sa venue, Travis pourrait presque croire qu'il s'impose et dérange.
Le fait est qu'il la reconnait bien là, pourtant. C'est juste qu'elle n'a jamais été comme ça avec lui et ce constant, plus que tous les autres, est aussi amer que déroutant.

Le plus grand changement est peut-être l'absence de jade, qui le rendrait presque fou. Après des années d'entraînement, Travis n'a pas besoin de plus qu'une pensée pour chercher mentalement la charge magique et énergétique qu'il connait si bien, dont la trace se révélerait à lui sans aucun souci: mais non, il ne sent que sa propre jade, sertissant le collier autour de son cou. Il se demande si Thomas lui a demandé de l'enlever, parce que certains sorciers en ont peur et que certains maris n'aiment pas trop être rappelés de l'existence des compagnons précédents, ou si elle s'en est débarassée en même temps que lui en partant à l'autre bout du monde pour une raison stupide. Il pensait, pourtant, avoir été très clair sur la préciosité et le sacré de ce cadeau presqu'interdit. Et la réponse de Poppy, en plus de tout, n'apporte aucune explication à la situation: "No I'm not," allant même jusqu'à arracher un léger froncement de sourcils à Travis, qui sourit d'un air dubitatif en espérant l'inciter à développer.
Il détourne le regard avec un temps de retard, suit des yeux la bouteille de Firewhisky qui sort du buffet et dont il reconnait la robe et l'étiquette sans mal - ça lui arrache même un léger pincement au coeur. "Let's have a drink, first. - Sure." Il la suit vers le canapé en cuir, mais finit plutôt par s'installer sur le fauteuil vert bouteille qui y fait face, s'y enfonçant et s'y étalant avec son manque de gêne habituel, étalant ses bras sur l'assise et croisant ses jambes
en les écartant comme si elles faisaient trois mètres de long, ses yeux vissés sur elle.

Travis se penche pour attraper son verre de whisky, servi d'un sort, le levant à son visage pour l'humer et grogner d'appréciation. "Welcome to the UK." Et de répondre à son sourire crispé par l'un des siens, solaire et tranquille. "Cheers," la remercie-t-il autant qu'il trinque, levant brièvement son verre dans sa direction avant de l'apporter à ses lèvres.
Il en avale une bien longue gorgée, presque trop conséquente pour un tel alcool qui mériterait d'être dégusté à petits a-coups - et qui monte vite à la tête. La sensation de brûlure enflammée qui lui descend la gorge est familière, ainsi que la chaleur qui se répand aussitôt dans sa poitrine. Travis a été un peu trop ambitieux, ceci dit, et tousse légèrement contre son poing en sentant l'alcool enfler dans sa poitrine; il sourit quand quelques flammèches inoffensive sortent de sa bouche, le Firewhisky écossais étant bien nommé. "I've missed that." Il repose le verre sur la table basse devant lui, puis s'enfonce de nouveau dans son siège, la scrutant de son regard sombre. Il appuie son visage dans le creux de sa paume, le bout de son petit doigt coincé entre ses lèvres. "That bottle that you sent me, I think I've finished it in a couple of days." Dire qu'il était désespérément malheureux après son départ n'est pas une exaggération. "It's pretty good." Elle a toujours eu du goût, que ce soit pour décorer un appartement, boire un bon alcool, ou choisir un mec.

"So, tell me, Poppy." Il retire son doigt d'entre ses lèvres pour fermer le poing, le poser contre son menton, pour la regarder avec le retour de ce petit sourire amusé et tendre. "Why the long face? I'm here to sweep you off and away from this boring life... what is it, you work in an office now, is that right? and you're married to, what, an engineer? What's next, two kids and a vacation home? Shit," il secoue la tête en riant un peu, véritablement amusé. "You're all grown now, and you have no smiles left for good old Travis."

"Cheers." Poppy détourna le regard pour prendre une première lampée, brusque et nerveuse, avalant avec elle les restes de son sourire de politesse. Depuis quand devait-elle faire semblant de sourire à Travis ? La prise de conscience l'étourdit, sous la brûlure rassurante du Firewhisky. "I've missed that." La fissure dans le cœur de Poppy s'étiola encore, une craquelure fine sous les mots doux de Travis, tandis qu'elle tournait les yeux vers son invité. "That bottle that you sent me, I think I've finished it in a couple of days. It's pretty good." Poppy siffla une autre gorgée de son verre, détournant résolument les yeux du regard posé, trop pour être vrai, de Travis sur elle ; c'était un exercice pénible que de l'entendre remuer le couteau dans la plaie béante de leur séparation, une lame grinçant de dix ans de rouille irrattrapable. Why are you saying this, now? Elle aussi avait bu, morose, à l'annonce de ses propres fiançailles ; elle aussi avait pensé à Travis, de l'autre côté du globe, et songé plusieurs fois à aller le retrouver pour de bon. Elle aussi en avait souffert, et restait mutique face au regard à la fois tendre et mélancolique de Travis – force était de constater qu'elle le connaissait encore assez pour déceler ses blessures.

"So, tell me, Poppy. Why the long face?" Elle tourna la tête vers lui, considéra son sourire engageant – trop lentement, papillonnant pour s'en détacher et revenir aux deux pupilles brillantes rivées sur elle, une intensité adorée, alors, qui l'irritait désormais désagréablement. "I'm here to sweep you off and away from this boring life... what is it, you work in an office now, is that right? and you're married to, what, an engineer? What's next, two kids and a vacation home? Shit, you're all grown now, and you have no smiles left for good old Travis." "Oh come on, you've grown too", répliqua-t-elle derechef en fronçant légèrement les sourcils, un vieux réflexe de l'ancienne Poppy face à good old Travis. Elle enroula sa langue dans sa bouche, ravalant les malheureux mécanismes dont les ressorts n'avaient pas encore cédé, avec le passage du temps, et fit tourner un instant le liquide ambré dans son verre, y baissant les yeux, l'air contrarié.

Elle avait été idiote d'accepter de le voir ; elle avait su que leurs retrouvailles seraient douloureuses, ravivant des émotions dont elle ne savait plus que faire, désormais qu'elles étaient obsolètes, incompatibles avec ce présent qu'ils habitaient tous deux.

"Don't insult me, you know better." Ses yeux sombres filèrent de nouveau jusqu'à lui, ses doigts fermement enroulé autour du verre de whisky dont l'arôme lui brûlait encore l'oesophage. "Don't mix everything up, my marriage, my job, the now and the then – you." Et l'époque révolue qu'il ramenait dans son sillage, avec ses effluves de jade et l'assurance solaire dont il l'avait irradiée durant leur idylle ; idylle – il avait été une parenthèse, s'était-elle répété avant de le voir, aussi longue et conséquente avait-elle pu être dans son existence. "I'm not the same person I was back then, but neither are you, despite the smiley face you're giving me right now." Elle adressa un coup d'oeil éloquent à ce visage ouvert, derrière le verre qu'elle portait de nouveau à ses lèvres ; avant de l'arrêter, pour l'éloigner un instant de sa bouche, et d'ajouter à l'intention de Travis : "And I don't play anymore." Avant de reprendre une nouvelle rasade de whisky, généreuse, qui lui incendia la bouche jusqu'à l'estomac, fermant les yeux en se sentant emprunter une pente glissante, se raccrochant à l'accoudoir du canapé avec une force illusoire, une stabilité factice – c'était néanmoins tout ce dont elle disposait, pour l'instant, face à la présence bien réelle de Travis Fawley dans son salon.

"Oh come on, you've grown too." Les yeux de Travis se plissent en l'entendant, et il la dévisage en s'attendant à ce que la Poppy qu'il connaissait et qu'il aimait surgisse sous les traits de cette inconnue qui lui fait face. Et oui, lui aussi a grandi, mais il a l'impression aussi d'être coincé: là où Poppy s'est réécrite une vie au Royaume-Uni, lui a été jeté dans l'inconnu et l'incertitude les plus profondes, ayant du mal à retrouver sa place parmi le monde.
Mais il peut la regarder de tout son soûl, Poppy ne réapparaît pas, et reste fidèle à elle-même: changée, grandie, et toujours incroyablement belle. Mais le précipice qui s'est creusé entre eux n'est pas pratiquable, et toutes les tentatives de Travis ne lui permettront pas de ravaler la distance; ils devront s'acclimater de leurs différences pendant un temps, peut-être infini, réapprendre à se connaître, et jeter aux flammes les restes d'une relation qu'il pensait durerait pour toujours.

"Don't insult me, you know better." Il renifle en l'entendant, à deux doigts de lui dire que oui, effectivement, il la connaissait avant et qu'il pensait qu'elle valait mieux que ça, mais qu'il en doute aujourd'hui. Les mots ne dépassent pas la pensée amère et confuse. "Don't mix everything up, my marriage, my job, the now and the then – you." Travis déglutit malgré lui, il se demande si elle l'accuse de quoique ce soit - si elle regrette qu'il soit venu la voir, qu'il ait traversé la moitié du monde avec la maigre réassurance, qu'au moins, ils pourraient se retrouver, quitte à perdre leur complicité d'antan. Travis se sent stupide, ce qui n'est pas commun pour lui, toujours protégé de ce genre de sentiments par l'épaisse armure de confiance qu'il s'est bâti avec les années. "I'm not the same person I was back then, but neither are you, despite the smiley face you're giving me right now." Il secoue la tête légèrement, même si il sait qu'elle a raison. "So you think." Il ne se convainc pas lui-même, et cache une légère grimace en une moue désabusée. "And I don't play anymore."

La surprise s'inscrit sur le visage de Travis profondément, parce que Poppy qui ne joue pas... parle-t-elle de leur joute verbale? Non. "So you're playing house, you're not wearing your jade, and you don't play anymore. I'm starting to wonder if you're the same Poppy at all," ironise-t-il avec un sourire plein de dents, avant de se pencher pour récupérer son verre. La deuxième rasade est tout aussi brûlante que la première, et bien trop généreuse, mais a le mérite de complètement vider la lichée de whisky qu'elle lui a servi. Il repose le verre vide sur la table basse dans un bruit sourd. "I haven't changed, I'm still the man that I once was." Le mensonge est facile, et lui permet aussi de la blâmer elle, d'avoir changé, d'être différente, de ne pas lui offrir un reliquat d'un passé qu'il aimerait désespèrement voir redevenir réalité. "The one you left, and the one who came back despite it all. But maybe we should put these things to rest now. Water under the bridge and all that."

Il cligne des yeux, la regarde posément, et puis simplement: "I've missed you." Tout lui a manqué, sa conversation, son intelligence, sa beauté, et les sentiments qu'elle réveillait lui. Le Travis de Poppy aussi lui a manqué, quelque part, et c'est peut-être la réalisation qu'il n'existe plus qui l'embête le plus. "That's all. I'm not sure how to act around you. I've just missed you, and I wish we could... be friends again, at least," admet-il avec sa sincérité rentre-dedans habituelle, ses yeux plantés dans les siens. "We used to have a lot of fun together, right?"

"So you're playing house, you're not wearing your jade, and you don't play anymore. I'm starting to wonder if you're the same Poppy at all." Poppy tourna vers lui un regard brûlant d'indignation ; ce crétin s'obstinait à la couvrir d'insultes, en dépit de son avertissement marqué – et si Travis ne respectait que rarement les avertissements d'autrui, il lui avait donné l'habitude de respecter les siens, par égard ; par amour. Elle sentit une boule de frustration lui monter dans la gorge, à l'idée qu'il ne lui devait plus rien. "I haven't changed, I'm still the man that I once was." Elle eut une expiration moqueuse, piquée au vif par l'assurance mal placée de Travis – son jugement hâtif de cette nouvelle vie qu'il découvrait cristallisait en grande partie ce qu'elle avait redouté en acceptant de le voir. "I bet you are", ironisa-t-elle avant de boire l'ultime gorgée de son verre, une rasade sèche qu'elle envoya valser au fond de son gosier d'un bref mouvement de tête.
"The one you left, and the one who came back despite it all. But maybe we should put these things to rest now. Water under the bridge and all that." "What? You blow that « the one you left » shit in my face and then it's water under the bridge?" Asshole – les insultes, qu'elle retenait difficilement dans le cadre de ses fonctions de responsable, aux heures les plus frustrantes, fusaient dans sa bouche avec un naturel désarmant, brûlant son ego qui se refusait de retourner à cette Poppy obsolète et ancienne que Travis, pourtant, faisait ressurgir avec une facilité décontenante."I've missed you."

Poppy serra les mâchoires en gardant son regard sur son verre, qu'elle était en train de remplir de nouveau.
Elle n'avait pas bu si vite et si fort depuis leur rupture – leur rupture. Pas celle qu'elle avait imposé à Travis, comme il se plaisait à le croire ; ils s'étaient séparés avant même qu'on ne doive la forcer à se remarier avec un autre imbécile. La forcer. Il n'avait eu qu'à venir la rejoindre, si elle lui manquait tant – plus tôt, avant qu'il ne soit trop tard. Avant qu'ils ne se retrouvent comme deux inconnus peinant à recoller les morceaux d'un lien qui pourtant, était encore présent, tenace, un fil épais les reliant encore l'un à l'autre, en dépit de la perte de leurs magies mêlées, en dépit de la jade qu'elle avait dû prêter. "That's all. I'm not sure how to act around you. I've just missed you, and I wish we could... be friends again, at least. We used to have a lot of fun together, right?" "I'll think about it once you're done acting like an asshole", ronchonna-t-elle, l'insulte coulant naturellement en cantonais d'entre ses lèvres, en reposant la bouteille de Firewhisky avec force sur la table, un bruit sonore sur la table en bois taillée dans un style scandinave et moderne – le mobilier de Thomas, maintenant qu'il habitait de nouveau avec elle, "cause yes, that's exactly how you're acting right now." Et elle coula un regard vers lui, avant de prendre son verre d'un geste fébrile, d'en boire une gorgée qui rajouta une couche de brûlure sur sa gorge en feu ; elle poussa un soupir devant la morsure, et ce rythme effréné avec lequel elle sifflait son whisky, les flammes léchant sa bouche tandis qu'elle se laissait aller au fond du canapé. "Listen", elle releva vers Travis un regard plus tranquille, piochant dans cette poche de sang-froid qu'elle gardait toujours contre son cœur, au milieu de la tempête, "I don't want to fight with you. I'm sorry I've been acting so stiff but it's been years, and you're acting like a mad puppy, peeing all over the place without even looking around you... Do you really think I left you?" Elle fronça les sourcils, comme frappée par l'incongruité de cette hypothèse. "I would have never left, not like this. Not then", ajouta-t-elle en le détaillant du regard, comme si elle pouvait trouver sur ces traits la résolution finale de ces what if qu'elle avait pu imaginer des années durant - ils n'auraient peut-être pas duré toute la vie, pas dans ces conditions ; Poppy n'avait pas été complètement elle-même, ni parfaitement honnête, avec lui, quand bien même elle avait été, dans ses sentiments pour lui, entièrement sincère.

tw: crude language

"I'll think about it once you're done acting like an asshole." Même si l'insulte est amplement méritée et qu'il le sait, Travis ne peut pas s'empêcher de produire une petite esclaffade indignée en l'entendant. "An asshole? Really?!" Et de rire d'un rire amer et sans joie, secouant la tête en gigotant sur son siège, mal à l'aise. "cause yes, that's exactly how you're acting right now." Travis lui adresse un regard mauvais en l'observant boire, un peu vexé malgré lui. "Yeah, 'cause you're being so fucking lovely," maugrée-t-il avec humeur.
Il serait simple de se lever, et de se tirer, et de ne plus la revoir; et pourtant, il reste là, face à elle, cul vissé dans le fauteuil, incapable de tout à fait tourner la page et d'avancer. Parce que même si c'est pour se prendre le chou, ils se parlent, pour de vrai, pour la première fois depuis des années. Et elle lui a manquée, affreusement, et il aimerait qu'elle lui dise la même chose, il aimerait pouvoir se féliciter d'avoir autant compter pour elle qu'elle pour lui. Poppy faisait partie intégrante de sa vie, à l'époque, et il a l'impression de n'être qu'une virgule oubliée au milieu d'une phrase, à laquelle elle n'a plus pensé depuis leur dernière rencontre. Il est de trop, dans ce vaste appartement trop propret, de trop, dans la vie de Poppy, et il déteste ça.

"Listen." Comme un enfant boudeur, Travis fait la moue et croise ses bras sur sa poitrine, le regard sombre mais tourné vers elle, l'écoutant sérieusement.  "I don't want to fight with you. I'm sorry I've been acting so stiff but it's been years, and you're acting like a mad puppy, peeing all over the place without even looking around you... Do you really think I left you?" Il grogne un peu et détourne les yeux, incapable de lui dire que oui, ou de révéler l'étendue du profond désespoir dans lequel le départ précipité de Poppy l'a plongé. "I would have never left, not like this. Not then. - But you did." Mais sa voix manque du fiel qu'il aimerait y jeter, bloquée dans une amertume blessée provoquée par la plaie béante de son absence depuis des années. "One day you were there, the next you were gone. With him! Top of the class, smart and sensible and nice, just like you, the perfect lil' husband." La jalousie est lancinante, même si il devine sans mal aucun que la relation entre Thomas et Poppy n'a rien de la romance parfaite qu'ils se doivent d'afficher en société. Travis ne comprend pas vraiment les relations factices du genre. "You and I, I always thought we would..." Find our way back to each other.

Travis pince des lèvres à s'en faire mal, mais ne relâche pas son regard.
Et puis une vague l'agite tout entier, détendant les muscles de ses bras, de son dos, de ses épaules, alors qu'il cesse de renforgner et s'enfonce de plus belle dans le fauteuil, reposant ses mains sur ses cuisses. "Listen, I'm not some mind reader like you, I don't... I don't fucking know, Poppy, I don't know why you left exactly, and why we couldn't run away together, or figure it out together, or why we couldn't just be together for longer than six months. I don't fucking know. All I fucking know is that I've missed you, and I miss you, and I thought seeing you would be fine, but it's not. And I don't know how to deal with that." Sincère parfois à défaut, mais confus et éparpillé comme à chaque fois qu'il parle de ses sentiments, Travis la regarde en espérant qu'elle puisse l'aider un peu à démêler les émotions contraires et maladroites qui l'agitent. "Can you serve me another drink? Shit, lil' lady, you don't play anymore, but you are drinking, let me catch up," marmonne-t-il en désignant son verre vide d'un coup de menton.

"But you did." Poppy se tut, scellant ses lèvres sous le coup que Travis venait de lui porter en plein cœur – le fait indéniable qu'elle était bel et bien partie pesait lourdement entre eux, sur les traits blessés de Travis, et dans son propre torse. Ils n'avaient jamais eu l'occasion de parler honnêtement de leur rupture, entravés par la distance et leur séparation presque incongrue, tant elle avait été abrupte au milieu de cet on et off qui durait depuis des années. Quelle angoisse ; faire le ménage six ans trop tard était une tâche pénible et fastidieuse, dont ils auraient dû se charger dès lors – souvent, Poppy repensait à la façon dont elle l'avait laissé, ravalant ces mots qui n'auraient fait que les écorcher davantage, avait-elle jugé, en les étouffant dans cette longue étreinte qu'ils avaient échangée, sur le pas de la suite de Travis. Elle n'avait pas eu le courage de leur faire du mal – de se faire du mal, en se montrant vulnérable une dernière fois, et de tirer un trait définitif sur leur histoire.

Il avait tant compté, pour elle. "One day you were there, the next you were gone. With him! Top of the class, smart and sensible and nice, just like you, the perfect lil' husband." "Oh come on, this is just stupid now", soupira-t-elle en secouant légèrement la tête. Il y avait tant d'autres personnes à jalouser que Thomas Keegan, ce mari encombrant avec lequel elle n'échangeait jamais que quelques bribes de paroles embarrassantes et embarrassées. C'était une chose que de lui en vouloir d'être partie ; une autre, flirtant dangereusement avec l'insulte personnelle, que de lui coller une amourette avec Thomas dans les pattes. "You and I, I always thought we would..." Verre en main, elle soutint son regard sans un mot, son cœur s'emballant douloureusement à la teneur de ce you and I.

Il s'interrompit, pinçant les lèvres, et se laissa fondre dans le fauteuil, un soupir du corps tout entier qu'elle vit sans entendre. "Listen, I'm not some mind reader like you, I don't... I don't fucking know, Poppy, I don't know why you left exactly, and why we couldn't run away together, or figure it out together, or why we couldn't just be together for longer than six months. I don't fucking know. All I fucking know is that I've missed you, and I miss you, and I thought seeing you would be fine, but it's not. And I don't know how to deal with that." Travis avait, avec elle, toujours été honnête ; assez pour lui offrir son cœur sur un plateau d'argent, derrière ses airs de playboy et son amour démesuré pour l'excès – qu'elle avait partagé, à l'époque. Et partageait encore peut-être, sous certains aspects. Poppy se massa légèrement l'arête du nez, ruminant ces paroles et ces miss you qu'il lui répétait à outrance. "Can you serve me another drink?" Elle releva la tête, une marque de contrariété barrant nettement son front. "Shit, lil' lady, you don't play anymore, but you are drinking, let me catch up." "I still hate that stupid nickname", indiqua-t-elle d'un index pointé en direction de Travis, entravé par son verre entre ses doigts, avant de baisser les yeux sur la bouteille de Firewhisky, pousser un soupir, et de sortir sa baguette en détournant la tête pour l'agiter en direction de son verre. And you're making me drink, ravala-t-elle en lui servant d'un simple sort un autre verre de ce whisky de choix – ce qui ne ferait pas de grande différence à la fin de la soirée, lorsqu'elle serait parfaitement ivre. Poppy commençait déjà à sentir ses sens s'émousser ; la douleur, elle, battait encore faiblement dans ses veines.

"Okay so, let's say I left you," fit-elle en faisant nerveusement tourner sa baguette entre ses doigts, un bras croisé sur la poitrine ; ses yeux remontèrent jusqu'à ceux de Travis, et elle referma la bouche, puis la rouvrit pour virer sur tout autre chose, "I'm sorry." Elle esquissa un mélange entre sourire navré et grimace, cherchant nerveusement la réaction de Travis dans ses yeux sombres, avant de reprendre, le souffle plus rapide : "I did leave you, I'm sorry." Sa voix traînait, sincère et gênée par ces aveux tardifs. "It's not that I didn't love you anymore, I just... They called me, we were broken up, I don't know." Elle haussa légèrement les épaules, fuyant un instant son regard avant de revenir à lui. "It felt like the only thing to do." Quand bien même il y avait pu y avoir d'autres solutions ; Poppy avait toujours su, au fond, qu'elle repartirait. "And then they married me to the most boring wizard ever – I didn't know someone could actually be that boring", ajouta-t-elle tandis que sa voix grimpa légèrement dans les aigus, devant cet excès d'ennui inédit jusqu'alors. Puis il y eut un léger flottement, où elle le regarda quelques secondes. "Can I have a hug?"