Knockturn Alley n'est vraiment pas un endroit qui a bonne réputation: ainsi Blaise remonte-t-il le col de son manteau sur son cou, essayant par la même d'y cacher les traits de son visage. Il est difficile, pourtant, pour un mec de sa stature de ne pas attirer l'attention: culminant à plus de six pieds de hauteur, il a l'habitude de dominer les autres et d'attirer l'attention, deux choses qu'il apprécie grandement. Rien de mieux que d'avoir quelques centimètres sur autrui pour débloquer toute la puissance d'un regard méprisant bien senti. Mais en cet instant précis, quand il se hâte à travers Knockturn Alley en essayant de se glisser contre les murs, il n'a qu'une envie: se fondre dans la masse, que personne ne le voit, le reconnaisse, l'interpelle. Pourtant, c'est un chemin qu'il emprunte de manière récurrente: le matin, généralement, très tôt; ou le soir, très tard, se précipitant à vive allure pour ne pas manquer la fermeture de l'Augury.

La boutique, contrairement à ses voisines, est sobre et simple: on pourrait presque la manquer à passer trop rapidement devant. Mais Blaise, qui y va presque tous les jours, sait ce qu'il fait. Elsebeth pourrait presque lui donner la clef, mais elle sait sûrement qu'il finirait par venir à toutes les heures du jour et de la nuit. La ponctualité quotidienne de Blaise tient presque de l'obsession. Sa mère croit aux prédictions des voyants, et astrologues, et devins; mais ne les consulte que rarement. Blaise? Depuis qu'il a appris des services d'Elsebeth, sa vie s'en est trouvée complètement chamboulée. Il dépense une fortune chaque jour pour une prédiction, un mot gentil ou moins gentil, une histoire, jusque de quoi se distraire pendant que la jeune femme lit les lignes de sa paume, le fond de son thé ou dans sa boule de cristal. Il est encore plus tendu à la grande approche de son mariage, cet évènement absolument fou qui va arriver dans moins de deux mois. Il y a tous les préparatifs, les invitations ont été envoyées, les couleurs sont encore en train d'être décidées, le pâtissier qui devait faire le gâteau a mystérieusement disparu donc il doit en trouver un autre, certains invités ne veulent pas, ou ne peuvent pas, venir et Blaise ne sait pas comment l'annoncer à Pansy, bref, il y a environ une centaine de problèmes qu'il faut qu'il règle au plus vite et pourtant, il trouve le temps et l'énergie de se traîner chez mademoiselle Selwyn chaque matin, ou chaque soir, à l'ouverture ou à la fermeture de la boutique.

Elle n'a pas posé son fief dans le coin le plus réputable du Londres sorcier, mais peu important. Personne ne l'aura vu (il espère) ou alors personne n'en aura quoique ce soit à faire. Il referme la porte derrière lui après avoir fait tinté la cloche, accueilli de manière familière par l'odeur d'encens et la décoration de l'endroit. “ Miss Selwyn? ” appelle-t-il, commençant déjà à nerveusement retirer son manteau en s'engageant dans la boutique sans la voir. Elle est peut-être derrière. “ Miss Selwyyyyn? ” appelle-t-il du nouveau en haussant le ton, ses yeux curieux allant aussitôt chercher un indice sur ce qu'il se passe, ou une trace de la jeune femme. Il n'y a rien sur le comptoir où elle est normalement assise, et aucun bruit pour lui indiquer quoique ce soit. Il est tenté de contourner le comptoir et passer la porte de derrière pour aller la chercher; mais ils ne sont pas amis, pas vraiment, Blaise se contente simplement de dépenser des sommes impossibles dans sa boutique presque tous les jours — il sait donc bien que leur complicité n'est que factice, le résultat d'un échange commercial, qu'elle doit le penser ridicule et obsédé et stupide mais peu importe. Ses mots lui apportent du réconfort, donc il a bien le droit de venir la voir autant qu'il veut, non? Et en plus il paye, elle n'a pas de quoi se plaindre.

Alors il finit par poser le bout des fesses sur la chaise faisant face au comptoir, sa veste sur ses genoux, ses longs doigts osseux jouant nerveusement avec un bouton de ladite veste. La patience n'a jamais été son fort, et avec n'importe quelle autre affaire il n'aurait pas réfléchi deux fois avant de tourner les talons... mais son obsession tient presque de l'addiction, surtout en ces temps troubles quand le futur est si incertain. Blaise aimerait bien avoir le don d'Elsebeth, être certain de son destin. Ce doit être aussi rassurant que pesant, il imagine... “ Ah! ” Il se redresse en la voyant apparaître, son visage tendu par le souci — alors qu'il pense à tout ce qu'il a à faire pour demain — s'éclaircissant aussitôt d'un sourire. “ Vous voilà! Bonjour. Enfin, bonsoir. Auriez-vous un peu de temps pour moi? ” La voix en est presque suppliante, tendue d'une lubie qui s'est transformée en besoin.