Avec les années, la Brigade de Police Magique et la Values Brigade sont devenues plus paresseuses. Du moins c’est l’impression qu’elles donnent. Anthony ne compte plus le nombre de fois où il s’est rendu dans des lieux sorciers et moldus, à découvert, sans même prendre de polynectar, seulement avec une casquette sur la tête, sans être jamais inquiété. On pourrait croire, pourtant, qu’avec les portraits des traîtres qui virevoltent un peu partout dans le pays, même les civils pourraient les reconnaître et lancer des signalements… Il faut croire qu’ils sont trop distraits, ou alors qu’il y a beaucoup de civils rebelles - ce qui est une bonne nouvelle pour Tony et quand même une sacré mauvaise nouvelle pour les personnalités au pouvoir. L’ancien auror tend à penser, aussi, qu’il y a désormais trop de gens recherchés pour que les civils puissent mémoriser tous les visages, et ça aussi, malgré tout, ça joue en sa faveur. Une autre chose qui joue en sa faveur ? L’ouverture des frontières aux sorciers de sang-pur. Il n’y a jamais eu autant de sorciers étrangers venus des quatre coins du monde, et c’est tout bête, mais le fait d’avoir plus de chances d’être noyé au milieu d’autres hommes asiatiques dans les lieux fréquentés uniquement par les sorciers… C’est bien pratique. Quand il était plus jeune, il désespérait de voir plus de visages qui ressemblaient au sien, et il a fallu une dictature pour que les choses changent au moins un peu. Ça le dégoûte rien que d’y penser. D’autant plus qu’il ne peut pas, il ne peut pas comprendre que ces étrangers choisissent de venir Royaume-Uni. Les années lui ont prouvé que les personnes qui partageaient l’idéologie du Lord étaient nombreuses, mais il est toujours choqué de voir à quel point sa philosophie peut être partagée, même à l’étranger.

Aujourd’hui, Tony déambule dans une toute petite boutique sorcière du nord de Londres à la recherche de plusieurs ingrédients dont les Avengers manquent. Pour réaliser leurs diverses missions de sabotage, de sauvetage et de renseignement, ils épuisent rapidement leurs réserves de potions, alors une fois de temps en temps, il faut prendre le risque d’aller en acheter. Les autres s’énervent toujours de voir que Tony évite de voler tant qu’il le peut - mais il n’en démord pas. S’il est reconnu après coup, les commerçants sauront au moins que les rebelles sont des gens bien qui ne volent pas. Ça aussi, ça fait partie de la mission : prouver à ceux qui pourraient se faire endoctriner qu’ils ne sont pas tous des sauvages prêts à tout saccager. Bien sûr, le nombre de fois où ils sont obligés de voler est plus élevé que le nombre fois où ils peuvent payer (surtout que la plupart du temps… ils ont volé l’argent aussi) mais chaque petit pas est important.

Une fois son petit tour fait, Tony passe à la caisse, face à une jeune femme qui n’a visiblement aucune idée de qui il est. C’est vraiment, vraiment souvent comme ça. Anthony ne peut s’empêcher de s’amuser du fait d’être là, sous les yeux du gouvernement, à se balader librement. La jeune fille lui sourit, lui adresse les mêmes mots qu’elle adresserait à n’importe quel client, et comme n’importe quel client, Tony lui souhaite une bonne journée. Elle ajoute quelque chose sur le beau temps, et il répond en faisant un pas en arrière que oui, il fait très beau, et que c’est un temps parfait pour un pique-nique. Lors de son deuxième pas en arrière, cependant, il heurte un autre client de la boutique. Il se retourne pour découvrir un homme un peu plus petit que lui, et par réflexe, il dit Désolé. Puis ses yeux s’écarquillent quand il comprend que la personne face à lui le connait. Merde. Son coeur se met à battre très vite. Il n’a pas vu Philippe Raulne depuis presque dix ans maintenant, il n’a absolument aucune idée de ce qu’il fait au Royaume-Uni alors qu’il devrait être en train de chasser des criminels quelque part dans son pays, mais Philippe est là, et s’il le reconnaît… Anthony est probablement dans la merde (c’est un euphémisme). Doucement, Tony attrape sa baguette, coincée jusqu’alors dans son dos, sous sa chemise sorcière. Juste au cas où.

Bon. Les recherches pour une safe place à vocation diplomatique n’étaient pas forcément super bien embouchées. On avait déjà eu pas mal de pistes, avec Selena. Mais on avait dû aussi refuser poliment quelques offres avancées par le gouvernement britannique, sous des prétextes divers, mais qui ne nous inspiraient pas forcément confiance. On ne savait pas encore vraiment ce qu’il se tramait dans le pays, en tout cas pas véritablement, mais tous nos instincts nous tenaient en éveil, sur nos gardes comme au premier jour. Je ne pouvais pas dire que tout ça ne me plaisait pas. J’aimais chercher, j’aimais fureter. Prendre la température de tout un peuple, de son point de vue magique ou non d’ailleurs, était une gabegie. Mais je ne me voyais pas pour autant renoncer, pas un seul instant. Je trouvais cela passionnant. Même quand il y avait cette atmosphère lourde, humide, orageuse… Tout manquait de dérailler. Je le sentais, à chaque instant. Ca me plaisait.


Après les terribles blessures de ma dernière affaire, je devais me lancer au devant du danger. Peut être pour regagner un peu de la considération personnelle que j’avais perdue en n’ayant aucune autre solution que de tomber volontairement dans un piège, ou voir mes camarades mourir du même mal. C’était terrible, comme circonstances, et je craignais qu’une mission trop tranquille, des mois et des mois plus tard, ne serve de catalyseur à une sorte de décompression qui finirait par me faire changer de travail, de vie, de tout.


Ce qui était impossible, c’était de renoncer maintenant. Pour faire quoi de toute manière ?


Je dois collecter quelques ingrédients pour des potions, ou plutôt, je repère des lieux pour l’approvisionnement de notre ambassade sorcière. Selena et moi avons pris le parti de visiter tout ce qui pourrait être utile à la logistique du modeste personnel de la mission diplomatique, qu’il s’agisse de fournitures ou de potions. Les rumeurs de ce qu’il se passait au Royaume Uni ont fini par parvenir chez nous mais à démêler le vrai du faux on s’aventure dans un exercice des plus périlleux. Quoiqu’il en soit, tous ces repérages minutieux permettent, juste au cas où, de dresser un inventaire de fournisseurs potentiels en les classant par type d’offres et par sécurité des lieux, tout en prenant un peu des nouvelles du pays et de la paix tant vantée par les services gouvernementaux.


Jusque là, il fallait bien dire qu’on n’avait pas eu grand-chose à se mettre sous la dent avec le peu d’action que l’on avait vue, et les gens n’étaient pas très diserts sur les « troubles » qui avaient eu lieu dans le pays ces dernières années. C’était cela qui m’interpellait le plus. Sorciers comme moldus avaient toujours eu la passion des ragots et de la mémoire, tout simplement, mais il y avait quelque chose entre nous et le passé, parfois simple voile, tantôt véritable chape de plomb. Je m’avance avec une ou deux bricoles et un type qui recule avant d’avoir payé me bouscule un rien, et s’excuse.


Je reste figé en reconnaissant sa tronche.


Putain de merde, mais c’était pas un jeune stagiaire anglais, que j’avais déjà rencontré lors d’un échange entre brigades sorcières européennes ? Il se fige. Lui aussi il me reconnaît. Je ne doute presque pas, si je ne suis pas toujours attentif aux détails je suis très physionomiste, donc je sais que c’est lui. Et son absence de réaction m’alerte. Je campe bien sur mes positions, ne me laisse démonter ni par la surprise ni par son attitude fermée et sur la défensive.


S’il est resté flic côté sorcier, alors il doit avoir des infos qui m’intéressent.


| On se connaît, non ? Votre visage me dit bien quelque chose… |


L’accent était à couper au couteau mais je m’en fichais bien.