Peut-être que s’il traîne trop, Seamus va finir par faire demi-tour et retourner au campement du troisième cercle, comme si de rien n’était, dire à Dean en riant que c’était une blague, que jamais il n’avait eu en tête de partir. Jamais. Et pourtant, c’est sur Diagon Alley que se trouve l’ancien Gryffondor, un baluchon sur l’épaule, avec le strict minimum pour partir et quitter le pays. Il doit se montrer prudent, bien sûr, tenter de passer inaperçue, son visage camouflé par un capuchon, c’est plus risqué que jamais, à quelques heures de la libération, du départ de l’Angleterre. C’est presque du suicide d’être ici, ça ne fait aucun doute, et pourtant Seamus déambule dans les allées comme s’il connaissait les lieux par coeur. Disons qu’il connaît un chemin par coeur et c’est bien assez, ça lui permet aussi de ne pas trop traîner et de ne pas faire de mauvaises rencontres. Ca serait complètement idiot de mourir juste avant de partir, vraiment idiot. C’est déjà idiot en soit d’être ici, mais compter les moments où Seamus n’agit pas en parfait crétin, c’est assez rare, disons que c’est l’impulsion des Gryffondors qui le pousse à ça. Qui le pousse à se trouver ici alors qu’il aurait pût rester quelques heures en plus avec Dean, mais à quoi bon faire traîner en longueur des adieux difficiles ? Seamus n’est pas masochiste non plus.
A peine.
Son regard se pose sur la devanture de la boutique, la renommée du nom qui accompagne l’endroit, il relit plusieurs fois, comme pour l’imprégner et se faire à l’idée de ne jamais le revoir. De toute manière c’était déjà pas très intelligent de sa part de venir traîner par ici sous la protection de l’Ordre. Seamus secoue légèrement sa tête pour se sortir de ses pensées et s’arracher à la contemplation de la boutique, au moins à force il sait quand les heures se font creuses et qu’il est sûr de ne pas croiser un chat, il sait aussi qu’il peut trop bien compter sur Herbert pour le cacher le temps de sa visite, faire en sorte que personne ne le trouve là. Après tout, faire comme s’il n’existait pas aux yeux des autres était un exercice que l’ancien Serpentard réussissait à la perfection. Et sans plus attendre l’irlandais se retrouve à l’intérieur de la boutique, le simple son de cloche annonçant la venue d’un nouveau client et résonne un peu trop fort dans l’espace vide, ne laissant pas vraiment le choix à Herbert de lui donner un peu d’attention, malgré son visage encore dissimulé.
“Hello stranger,” glisse Seamus, l’ombre d’un sourire dans sa voix alors qu’il s’approche, assez pour se rendre compte que l’endroit est effectivement vide et lui permettre de retirer le capuchon en toute sécurité. Une fois son visage à découvert, son regard vient se planter dans celui de Herbert, le forçant un peu à lever la tête, notant au passage la différence ridicule entre leurs tailles, et se retient de rouler des yeux. “Je sais que je t’ai manqué.” Depuis la dernière fois, s’entend, et le regard de l’ancien Gryffondor balaye une nouvelle fois la boutique, malgré l’air détendu et le sourire d’emmerdeur qu’affiche Seamus, ses doigts sont quand même refermés autour de sa baguette, sous sa cape. “Alors profites bien, c’est certainement la dernière fois que tu as le loisir de me voir.” Seamus reprend, l’écho d’un rire dans sa voix, et pourtant son ventre se tord un peu, il en a juste marre de tout ça, marre de l’Ordre qui les tient en dehors de tout et qui s’amuse à les envoyer comme de la chair à pâtée dans des missions, comme des pions dont ils n’ont pas besoin. Jusqu’à ce qu’ils meurent. Jusqu’à ce que Lavender meurt.
Et son regard remonte rapidement sur celui du Slughorn, comme s’il allait y trouver une quelconque réponse, comme si c’était là que son choix allait réellement se faire.

La journée est calme. Ou plutôt chiante à mourir. Il n’y a pas eu foule dans la boutique des Slughorn et le temps passe si lentement quand on tourne en rond entre quatre murs sans avoir à sa disposition d’autres activités que l’attente. Il a bien tenté de s’enfermer dans l’arrière-boutique pour travailler un peu sur sa potion, en vain. Ses pensées refusent de s’accrocher sur les mots qu’il a écrit sur son petit carnet, il n’a pas fait une seule avancée depuis des semaines et la frustration se fait sentir. It’s not my day, Herbert se répète pour la énième fois alors qu’il est penché sur le comptoir, perdu dans la contemplation vaine des ridules sur le bois. Trois lignes se rencontrent en un chien qui court après une balle, une autre forme les tourbillons d’une galaxie. C’est acté, il ne s’est jamais autant ennuyé de sa vie. Il donnerait n’importe quoi pour que quelqu’un entre dans la boutique, Herbert serait même reconnaissant à l’idée d’entendre le son distinctif des pas de sa mère, de sentir le parfum envahissant qui caractérise Dana Greengrass, se courber sous le regard réprobateur qu’elle adore lui lancer - bien qu’un peu moins depuis qu’il a eu son visage dans le Daily Prophet. En y réfléchissant à deux fois, il préfère la solitude à la venue de sa mère. Ce n’est pas comme si elle prendrait le temps de se déplacer ici de toute façon, le potionniste peut compter sur les doigts de sa main le nombre de fois où sa mère est venue lui rendre une visite depuis qu’il a repris la boutique de son père. Il devrait peut-être nettoyer les placards, c’était quand la dernière fois qu’il a dépoussiéré la boutique déjà ? hier. He’s sooooo bored.

Soudain, le bruit du carillon le fait sursauter. Son corps se relève d’un coup sec, à tel point qu’une légère douleur se fait sentir dans le bas de son dos. Il affiche un sourire professionnel - du moins il l’espère - face au visage encapuchonné qui fait son entrée. La voix qui lui parvient ne lui est pas étrangère, mais c’est quand l’inconnu retire sa capuche que le visage du vendeur s’illumine réellement. “heeeeeeey” Herbert se rapproche de son ami, d’un coup de sa baguette il verrouille la porte d’entrée ; habitude prise depuis le temps que le fugitif lui rend visite. “Je sais que je t’ai manqué.” “Tu n’as pas idée. Et je te remercie de me sauver de tous ces clients, comme tu le vois je suis un homme très occupé.” Un geste en direction de la pièce vide. Et puis, son sourire s’effrite, la joie est passagère face à la remarque peu anodine de Seamus. “Comment ça la dernière fois ?” Ses yeux se plantent dans les iris de l’irlandais. “Tu pars quelque part ? Tout va bien ? Tu ne peux plus venir ?” Il ne comprend pas Herbert, ne sait pas ce qu’il se passe dans la tête de Seamus, n’est au courant de rien. Mais par une simple phrase, une myriade de questions s’enchaîne dans la tête du Slughorn ; il passe de la joie de le voir à l’inquiétude que ce soit réellement la dernière fois qu’ils se croisent. Il n’a pas beaucoup d’amis Herbert, il aimera bien ne pas en compter un de moins aujourd’hui.