Agnes est en retard, après avoir éteint son alarme cinq fois en espérant pouvoir faire confiance à son horloge biologique pour la réveiller à temps - une grossière erreur. Elle devrait le savoir, maintenant, qu’elle a tendance à être en retard et qu’elle devrait faire plus attention - surtout ici où les gens semblent obsédés par la ponctualité et le bon déroulement des choses. De là où elle vient, on se réveille quand on se réveille et on arrive quand on arrive. Malgré tout le temps qu’elle a passé à Londres et à New York, elle a souvent du mal à s’adapter au rythme insoutenable de l’occident, surtout en étant confrontée aux accents incompréhensibles de l’autre côté de l’océan.
Elle assemble rapidement son sac, descend à l’accueil de l’hôtel rendre les clefs avant de sauter dans un taxi moldu, lui baragouinant l’adresse. Malgré son temps à la LAAW et à la Columbia Magic School of Economy, Agnes a toujours du mal avec la prononciation de certains mots et à se faire comprendre, devant s’y reprendre à plusieurs fois en rougissant un peu plus à chaque mot répété et répété jusqu’à trouver la bonne intonation.

Elle regarde anxieusement sa montre, son téléphone, inquiète de ne rien avoir reçu. Quand la voiture s’arrête devant le bâtiment ressemblant à celle de la brochure qu’elle a reçu il y a quelques mois de la part de Stanford U, Agnes en sort aussi vite que possible en attrapant son sac et lançant presque sa monnaie au conducteur. Elle hésite à ouvrir la porte à la volée ou à appeler le numéro qu’on lui a donné, et se décide à s’engager dans le bâtiment quand quelqu’un en sort, le remerciant d’un sourire crispé.
Dans le hall, il y a d’autres étudiants de son âge, des graduates entourés de leurs valises et, pour certains, de leurs familles. Agnes n’a qu’un sac à dos et le souvenir doux-amer du baiser de sa mère sur sa joue, à l’aéroport d’Istanbul, et ses doigts glissant dans ses cheveux dans un geste réconfortant.
Hésitante, elle reste les bras ballants, se mordant les lèvres en cherchant du regard quelqu’un pour l’accueillir ou l’aider, ou au moins lui indiquer sa chambre. Elle n’avait pas prévu de finir son master en Californie, mais c’était la seule université intéressée par sa thèse, et après le débâcle à la LAAW l’ayant gentiment mise à la porte à l’avènement du Lord il y a quelques années, autant dire qu’elle n’avait pas hésité à sauter sur l’opportunité.

Finalement, son regard accroche celui d’une jeune femme d’à peu près son âge qui vient d’entrer d’une autre pièce, et Agnes la reconnait d’une autre brochure d’accueil. “Hey, uh, Kamala?” tente-t-elle maladroitement en s’approchant. “Um, my name is Agnes, I’m a bit late, I was supposed to be here for ten, but, um.” Elle rougit, jette un coup d’oeil à sa montre et grimace en notant ses deux heures et demi de retard. “I’m sorry. I’m a first year grad student?” Elle espère qu’elle ne s’est pas trompée d’adresse en plus de tout et que Kamala ne sera pas trop en colère de son retard.

Fix this. Please. Elias tend un grand verre d’eau à Kamala qu’elle descend d’une traite. Close your eyes and stand still. Elle s’exécute, assise sur le bureau de la chambre dans laquelle sa nouvelle colocataire la rejoindra aujourd’hui. Elias l’a aidée à mettre un peu d’ordre et donner l’impression qu’elle n’est pas rentrée la veille complètement bourrée de l’une de leurs premières soirées de l’année. Elle se tient aussi tranquille que possible tandis qu’il applique l’eye-liner sur ses yeux fatigués. Heureusement, le maquillage masque tout -- Kamala en a fait son meilleur ami depuis sa première année à l’université. Elle est de ces filles qui semblent toujours parfaites - même après une nuit blanche ou une soirée trop arrosée. Ok, done. Elle cligne des yeux et se regarde dans un petit miroir de poche. Perfect. Évidemment, que c’est parfait. Elias est un pro. Thanks babe. Kamala lui dépose un baiser sur la joue et saute du bureau pour atterrir sur ses baskets blanches. Let’s go. Ils étudient tous les deux depuis leur première année à Stanford, et connaissent l’endroit comme leur poche. Aujourd’hui, ils accueillent les petits nouveaux, ceux qui n’ont pas fait leur Bachelor ici. Kamala va découvrir sa nouvelle colocataire. Elle ne sait pas grand chose d’elle. À vrai dire, elle ne sait rien.

Pendant près de deux heures, Kamala accueille les nouveaux étudiants, leur tend des sacs pleins de goodies, distribue des cartes étudiantes et quelques conseils et invitations pour les soirées à venir. De temps en temps, son regard croise celui d’Elias, quand une nouvelle recrue est à leur goût. L’année va être intéressante. Entre deux discussions, elle descend des verres d’eau afin de se réhydrater après la soirée d’hier - elle ne fait que penser à l’énorme pizza qu’elle va engloutir une fois que le ballet des nouveaux sera terminé. Elle revient des toilettes quand une fille d’à peu près sa taille s’approche d’elle. Hey, uh, Kamala? Elle hausse les sourcils. Elle la connaît ? Um, my name is Agnes, I’m a bit late, I was supposed to be here for ten, but, um. Les questions laissent place à la compréhension. Agnes! C’est elle. C’est elle! I’m sorry. I’m a first year grad student? Yes! I know exactly who you are! fait-elle avec un grand sourire et un clin d’oeil. Welcome to Stanford, girl. fait-elle en l’embarquant dans une étreinte un peu overwhelming - très californienne. I was waiting for you. Elle lui fait signe de l’attendre une seconde et elle se précipite dans la pièce d’à côté pour récupérer un badge et la carte étudiante de la jeune femme. Elle revient vers elle toujours aussi enthousiaste. Do you want to see our room? Do you want help with this? demande-t-elle en pointant sa valise du doigt. I’m so happy that you’re finally here! dit-elle en frappant ses mains l’une contre l’autre avec enthousiasme.

"Yes! I know exactly who you are!" Kamala lui offre un énorme sourire qui manque de l'aveugler, ainsi qu'un clin d'oeil qui manque de la faire rougir, et Agnes se demande bien dans quel monde elle est tombée. Le fait que le joli minois de Kamala ait été choisi pour figurer sur le nombre invraisemblable de flyers qu'elle a reçu de la part de l'université n'est pas une surprise: si elle la trouvait jolie, déjà, à la regarder sourire de toutes ses dents en posant dans les différents bâtiments de Stanford, Agnes la trouve d'autant plus séduisante de visu. "Welcome to Stanford, girl." Agnes sourit, et se crispe un peu quand Kamala l'attrape dans un câlin à la fois malvenu et réconfortant - mélange étrange mais, semblerait-il, symptomatique des américaines (Agnes a reçu une étreinte similaire de sa colocataire à Columbia et autant dire que ça l'a marquée). "Oh, okay, we're hugging, sure, thanks," marmonne-t-elle en lui tapotant le dos avec maladresse et un léger sourire, tant crispé qu'amusé. "I was waiting for you." Kamala se détache après un temps interminablement long et Agnes rit nerveusement. "Okay." Un peu bizarre, mais pourquoi pas.

Agnes reste sur place lorsque Kamala lui fait signe d'attendre et s'en va presque en courant dans une pièce attenante sous son regard confus. Elle laisse son regard se balader, et le détourne rapidement quand elle croise les yeux d'autres étudiants, avant de se poser avec soulagement sur Kamala quand elle revient vers elle. "Do you want to see our room? Do you want help with this? - Wait, our-- - I’m so happy that you’re finally here!" Face à l'enthousiasme énergique de Kamala, Agnes ne sait pas trop comment réagir mais se permet néanmoins un autre petit rire, confus mais ravi. "I'm happy to be here too, uh. Sorry, I forgot that we were- I mean- yeah, roommates." Elle rougit un peu, embarrassée, et repose sa main sur la poignée de sa valise. "I'll be fine with that. Show me the way?" propose-t-elle timidement, avant de lui emboîter le pas quand Kamala se détourne pour les mener à leur chambre pour l'année à venir.

L'idée de partager sa chambre est un peu dérangeante, même si elle y est habituée maintenant - elle la partageant déjà à la LAAW et à Columbia. Mais, comme dirait sa mère, c'est une aventure, et puis Kamala n'a pas l'air si méchante juste... envahissante.
Leur chambre - leur suite - est plus spacieuse que ce à quoi elle s'attendait, et un homme est à moitié allongé sur le lit de Kamala, en train de fumer une cigarette dans des gestes lents et lascifs, tournant un regard ennuyé vers elle. Agnes se sent rougir alors qu'il la détaille des pieds à la tête, et se sent gênée de sa tenue qui semble venir d'un autre univers par rapport à lui - elle s'habille à la moldue, sans trop s'en soucier, piochant au hasard les vêtements qu'elle aime sans réfléchir à ce qui va bien ensemble. "Um, hey, I'm Agnes, uh, Kamala's new roommate..." Elle s'approche de son lit, laissé vide, où elle pose sa valise avant de s'y asseoir pour leur faire face à tous les deux. "I'm Elias," lui répond le jeune homme d'un ton laconique, souriant quand Kamala le rejoint sur le lit. "Are you like..." Agnes cherche le mot et pince des lèvres. "Dating?" Elias rit un peu en l'entendant et secouant la tête. "She's cute. You'll have fun," dit-il d'un ton entendu à Kamala avant de se lever et de quitter la pièce comme si de rien n'était. Okay, super weird. Décontenancée, Agnes le suit des yeux avant de les tourner vers Kamala. "I thought smoking wasn't allowed indoors," s'entend-t-elle dire malgré elle - elle a lu le règlement intérieur environ sept fois. "I mean- not that I care- it's not- your boyfriend- I mean, your friend, he seems nice, just--" C'est bon, les mots s'emmêlent, et Agnes se force à déglutir avant de continuer: "sorry, wait, can we roll that back? My name is Agnes, I'm your new roommate, I swear I'm not a stuck-up, let's be friends?" offre-t-elle avec un sourire incertain où transparait déjà un peu de panique.

I'm happy to be here too, uh. Sorry, I forgot that we were- I mean- yeah, roommates. Kamala est surprise. Quand elle est arrivée pour sa première année, c'est l'une des premières choses sur lesquelles elle s'est renseignée : les dortoirs et la personne qui partagerait sa chambre. Elle a passé plusieurs années géniales avec Tasya en tant que colocataire, mais celle-ci a décidé d'aller finir ses études dans le pays d'origine de sa mère, le Guatemala, pour se rapprocher de sa famille. Kamala — même si elle ne le montre pas par fierté — a très mal vécu le départ de son amie et pense déjà aux prochaines vacances, pendant lesquelles elle compte bien aller lui rendre visite. I'll be fine with that. Show me the way? Agnes n'a rien à voir avec Tasya, même physiquement. Elles sont même opposées, et ça amuse un peu Kamala. Blonde contre brune, petite contre grande. Elles ne dégagent pas du tout la même chose.

Quand elles arrivent dans la chambre, Agnes se présente à Elias, qui la détaille comme il a l'habitude de le faire avec les nouveaux arrivants. Il essaie de la percer à jour juste en regardant son allure, son style, sa manière de s'exprimer. L'instinct du géant — parce que c'est ce qu'il est, à côté d'elles deux — est souvent bon, alors Kamala lui demandera son ressenti dés qu'Agnes ne sera plus avec eux, et il y a des chances que ça décide de ce qu'elle va penser de sa colocataire pour le reste de l'année. Elias et Kamala sont un package deal, la petite blonde le comprendra bientôt.

Are you like... Dating? demande-t-elle quand Kamala se rapproche de lui et pose une main sur sa cuisse. She's cute. You'll have fun, Kamala étouffe d'un rire et regarde son Elias sortir de la pièce avec un sourire affectueux. Elle n'aura même pas besoin de lui demander son avis, donc. Il lui a déjà donné. I thought smoking wasn't allowed indoors, fait Agnes quand il a disparu dans le couloir. I mean- not that I care- it's not- your boyfriend- I mean, your friend, he seems nice, just-- Kamala hausse les sourcils. Elle l'aime bien, cette fille. Elias avait raison : elles vont bien s'amuser. sorry, wait, can we roll that back? My name is Agnes, I'm your new roommate, I swear I'm not a stuck-up, let's be friends? No need to roll that back, blondie. fait Kamala. We're already friends. déclare-t-elle avec un clin d'oeil. Rules are... just rules here, you'll see soon enough. dit-elle avec un petit rire.

Elle se relève de son lit et tourne sur elle-même, les mains levées de chaque côté de son corps. What do you think? Elles sont dans l'une des chambres les plus géniales du campus. We were supposed to have another room, smaller. explique-t-elle. but I thought we needed something better, so I got it. dit-elle, avec une confiance déconcertante. Where do you come from? Sorry if I already asked, I've seen a lot of students today. What's your major? dit-elle, honnêtement intéressée et prête à mieux découvrir qui est la fille qui va partager sa vie pendant un moment, si tout va bien.

“No need to roll that back, blondie,” la rassure Kamala avec un grand sourire qui fait légèrement ciller Agnes dont les joues, déjà chaudes, virent au rouge vif. “We're already friends.” Le clin d’oeil a le mérite de faire s’étouffer Agnes qui hoche la tête. “Alright.” Son sourire s’étire sur ses lèvres, troublé et amusé à la fois par les manières de l’américaine - au moins, la familiarité de Kamala lui donne l’impression de ne pas être en trop et de ne pas avoir à être complètement sur ses gardes en sa présence. Elle se souvient avec un peu de douleur des débuts de sa colocation à Londres avec Tess, et préférerait encore ne pas répéter l’expérience… “Rules are... just rules here, you'll see soon enough.” Le petit rire léger de Kamala est un peu angoissant… il faut dire qu’Agnes aime bien les règles, quoiqu’elle soit indifférente au fait que les autres les suivent ou non. Elle, en revanche, a du mal à s‘en départir. Il y a quelque chose de rassurant à rester dans les écrous. Et puis, elle aurait trop peur de se faire virer de Stanford U comme elle a été virée de la LAAW, quoique les Etats-Unis soient un peu plus cléments avec les hybrides - la raison initiale de sa venue.

Avec un certain amusement, elle observe Kamala se relever et désigner d’un grand geste et avec quelques pas de danseuse l’énorme chambre. “What do you think?” Agnes laisse ses yeux se balader sur son environnement, un sourire aux lèvres. “It’s huge,” admet-t-elle à mi-voix. Les américains font tout en grand. Elle finit par l’imiter et par se relever de sa valise où elle s’est assise pour s’approcher d’une des grandes fenêtres, afin d’observer la rue au-dehors. “We were supposed to have another room, smaller, but I thought we needed something better, so I got it.” Un sourire aux lèvres, Agnes regarde Kamala avant de comprendre qu’elle est bien sérieuse et de perdre son petit rictus. “Wait, really? Wow.” Ce n’est pas pour rien qu’elle est sur la brochure de la vie étudiante, elle imagine. Elle a maintenant peur que Kamala s’ennuie un peu avec elle comme colocataire. Même si Agnes n’est pas la dernière des coincées, loin de là, elle n’a pas non plus le naturel de Kamala ou son énergie.

”Where do you come from? Sorry if I already asked, I've seen a lot of students today. What's your major?” L’avalanche de questions la fait hésiter et elle se tourne vers Kamala avec un petit sourire timide. “I majored in Economics and Arithmancy, and minored in Linguistics. I’m joining the Data, Economics and Numerology master’s program here.” Elle est nerveuse, comme à chaque fois qu’elle parle de son domaine de prédilection, Agnes replace une mèche de cheveux derrière son oreille. “I’m from Greece but my mom and I moved to Istanbul when I was five. That’s in Turkey.” Agnes déglutit en repensant à cette nuit qui a changé sa vie - d’après sa mère, si les chasseurs de vélanes qui s’étaient introduits sur leur île avaient réussi leurs sombres desseins, quelque chose de terrible aurait pu arriver à elles et leur famille. Heureusement, sa mère et les autres vélanes avaient été en mesure de repousser l’attaque. Agnes se souvient encore précisément des années tendues qui avaient suivi, et la difficulté de s’adapter à la société sorcière, dans un nouveau pays en plus. “I went to study in London but was kicked out because I’m, uh, I’m part veela.” Elle détourne les yeux, gênée, n’ayant pas envie de révéler qu’elle l’est même à moitié. “I went to Columbia for my undergrad and worked a few years for some Turkish company and, well, now I’m here.”

Rien de très impressionnant, a-t-elle envie de dire, mais la voix de sa mère quelque part dans son crâne l’en empêche. Elle jette un regard en biais à Kamala, se demandant si elle va demander à changer de chambre maintenant qu’elle sait. Agnes n’a jamais eu honte de sa nature jusqu’à arriver à la LAAW. Heureusement, Tess était elle aussi une hybride et il n’y a pas eu ce problème avec elle. Elle espère que ce sera la même chose avec Kamala. “What about you? You don’t sound like a valley girl.” Au contraire, même: pour y avoir vécu quelques années, Agnes peut reconnaître l’accent new-yorkais de Kamala dans ce qu’elle dit.

I majored in Economics and Arithmancy, and minored in Linguistics. I’m joining the Data, Economics and Numerology master’s program here. Kamala hausse les sourcils et un air impressionné s'étale sur son visage. Ce n'est pas vraiment son domaine à elle, mais elle trouve ça plutôt cool. Agnes doit être sacrément intelligentes, pour arriver dans un tel cursus, dans cette université. Kamala est contente — elle déteste les nunuches, et pour tout dire, elle a du mal à avoir de l'affection pour les gens qu'elle n'admire pas (raison pour laquelle au fond, il y a peu de gens qu'elle aime vraiment). Agnes a toutes ses chances pour devenir son amie, avec un parcours comme celui-ci. Au-delà de son parcours, elle dégage quelque chose que Kamala aime bien. La brune ne saurait mettre de mots sur ce que c'est, mais elle la sent bien, la Agnes.

I’m from Greece but my mom and I moved to Istanbul when I was five. That’s in Turkey. En entendant Agnes préciser, Kamala se demande si elle le fait parce que les gens osent lui demander, d'habitude, où se trouve Istanbul. Elle espère que non, parce que ce n'est pas très encourageant pour la survie d'une humanité avec un minimum de culture, si les gens ne savent même pas où est Istanbul. I went to study in London but was kicked out because I’m, uh, I’m part veela. Les yeux de Kamala s'assombrissent et se teintent de colère. Kicked out. Ce pays, c'est vraiment de la merde. I went to Columbia for my undergrad and worked a few years for some Turkish company and, well, now I’m here. Kamala est bien contente qu'elle se soit sortie du Royaume-Uni et ait atterri aux États-Unis. Il y a plein de problèmes dans son pays, aussi, mais au moins, les droits des mixed ne sont pas bafoués, ici. What about you? You don’t sound like a valley girl. That, sweetie, is because I'm not a valley girl, thanks for noticing. Elle lui envoie un clin d'oeil et en continuant de répondre, se dirige vers la fenêtre pour s'asseoir sur le rebord. I'm from New York. I grew up there, it was just me and my father. dit-elle. Didn't like school, hated the people there. Kamala se contrôle très bien, mais la mention, même rapide, de ses années à l'école font changer la couleur des racines de ses cheveux du châtain foncé au blanc. Elle regarde par la fenêtre et ses cheveux reprennent leur teinte normale. I spent a few years around the world after graduating, I went to India for a while, and came back here to study law, business management and performing arts. C'est un sacré mélange, mais Kamala ne s'arrête devant rien. On lui a demandé de ne pas s'éparpiller, elle a refusé d'écouter, et ça lui réussit plutôt bien. This year I'm starting a Master in International Management and Entrepreneurship. Un jour peut-être, elle sera à la tête de son propre business.

Elle regarde de nouveau Agnes. I'm sorry about London. dit-elle finalement. You'll be fine here, I promise. dit-elle. Hey, do you want to grab something to eat? demande-t-elle alors. You'll have time to organize your stuff later. Come on, I'm buying. Elle saute du rebord de la fenêtre et commence à attraper son sac.

"That, sweetie, is because I'm not a valley girl, thanks for noticing." Agnes renifle, amusée de l'entendre l'appeler sweetie comme si c'était parfaitement naturel, ses lèvres encadrées de deux légères fossettes. Elle s'approche timidement alors que Kamala va s'asseoir sur le rebord de la fenêtre, et laisse ses yeux explorer la ville derrière, du moins ce qu'elle peut en voir - une fois Kamala tout à fait détournée, les yeux d'Agnes tombent sur elle et l'étudient silencieusement. Elle est belle, véritablement belle, d'une manière complètement naturelle à mille lieues du charme vélane auquel Agnes est habituée - un charme factice et artificiel, poisseux parfois. "I'm from New York. I grew up there, it was just me and my father. Didn't like school, hated the people there." Si Agnes n'avait pas remarqué l'amertume dans sa voix, elle voit bien que Kamala est perturbée en voyant la racine de ses cheveux changer de couleur - ce n'est pas un jeu de lumières, réalise-t-elle. Polúmorphos, le mot s'impose à elle avec une légère crainte. Polymorphe.

Agnes reste immobilisées ou sle regard de Kamala avant qu'elle ne se dédie de nouveau à la fenêtre, ses cheveux redevenant sombres. "I spent a few years around the world after graduating, I went to India for a while, and came back here to study law, business management and performing arts." Agnes se force à expirer lentement en s'approchant un peu plus, timide, ses yeux rivés sur le profil de la jeune femme. "That's... interesting," admet-elle sans y croire, interloquée et impressionnée par les choix de Kamala. "This year I'm starting a Master in International Management and Entrepreneurship." Elle est ambitieuse, et Agnes n'est pas surprise: ça se voit, et ça se sent, quelque part. Quant à elle... pas vraiment. Elle ne sait pas trop où elle va ou ce qu'elle fait, se laisse un peu porter par les évènements autour d'elle, et trouve son bonheur en chemin. Sa mère est fière d'elle, et c'est tout ce qui compte au final.

Les yeux de Kamala se posent de nouveau sur elle et Agnes lui adresse un léger sourire. "That's super impressive. I'm glad we're roommates." Elle avait soit peur de se retrouver avec un rat de bibliothèque, soit avec une valley girl insupportable, donc c'est rassurant. Elle et Kamala n'ont pas beaucoup en commun mais qu'importe (et tant mieux peut-être a final), Agnes sait déjà qu'elles auront beaucoup à se dire. "I'm sorry about London." Agnes grimace et hausse les épaules. "You'll be fine here, I promise. - I'm sure I will be. Thank you." Elle n'aime pas trop y repenser, l'angoisse liée à cette période encore présente et enfouie, tout comme le mépris ressenti par les autres envers les gens comme elle, Tess et Stan. À la pensée de ses deux amies, un pli barre la bouche d'Agnes. "Hey, do you want to grab something to eat? You'll have time to organize your stuff later. Come on, I'm buying." La décision semble toute prise et Agnes s'esclaffe un peu. "Yeah, sure, why not." Elle n'a pas trop le choix mais qu'importe, elle meurt de faim et n'a de toutes façons pas beaucoup d'affaires à déballer.

Elle est agréablement surprise quand Kamala l'amène à un restaurant chinois non loin de leur nouvelle maison, une échoppe sorcière coincée entre deux boutiques sans intérêt. Elles sont toutes les deux accueillies par un employé à l'air sleazy et l'air ravi de les voir, les cheveux gominés et sa chemise dégriffée non repassée. "Are you new here? My friends call me Martin, but you can call me anytime," lui dit-il en les asseyant à une table près de la fenêtre, faisant légèrement lire Agnes tant de surprise que d'amusement. Vu le regard qu'il échange avec Kamala, elle le connait bien. Malgré elle, Agnes suit le dénommé Martin du regard alors qu'il s'éloigne après leur avoir donné leurs menus, et se sent rougir quand il lui adresse un clin d'oeil. "He's not serious, is he?" demande-t-elle d'un air conspirateur à Kamala, un peu naïve et prête à sortir son téléphone pour lui demander d'y entrer son numéro. "Sorry, sometimes, I'm a bit... I don't know." Elle cache un rire gêné derrière sa main. À côté de la plaque, lui a-t-on déjà dit, décalée, disait Tess, complètement conne, a-t-on parfois sifflé. "I'm not really good at this," conclut-elle. "You know, boys." Agnes baisse les yeux sur son menu en haussant une épaule, fronçant les sourcils en convoquant un semestre de cantonais pour déchiffrer le nom des plats. "And girls."

That's super impressive. I'm glad we're roommates. Kamala affiche un petit air satisfait. Évidemment, qu'elle est satisfaite : il y a peu de choses qu'elle apprécie autant que voir de l'admiration dans les yeux de ses interlocuteurs, et autant qu'avoir l'impression d'être réellement prise au sérieux. Agnes a l'air franchement sincère en lui disant ça — et ça lui plaît. Kamala déteste les hypocrites, mais elle sent que la petite blonde n'est pas ce genre-là. Peut-être qu'elle se trompe, bien sûr, mais elle se trompe rarement, il faut le dire. Agnes a juste l'air d'être une fille normale qui a envie de construire quelque chose et de bien s'en sortir, selon ce que Kamala a entendu d'elle. Typiquement le genre de personne dont elle apprécie la compagnie. On pourrait croire que la Chase préfère les fêtards, les gens flamboyants, les gens très extravertis — mais c'est faux. Après une soirée passée avec ceux-là, Kamala préfère toujours revenir aux autres : les gens réels, ceux qui ont les pieds droits dans leurs bottes. Agnes semblent être de ceux-là.

C'est parce qu'elle est vraiment optimiste à son sujet que Kamala lui propose d'aller manger quelque chose. Elle ne l'aurait clairement pas fait avec tout le monde, mais elle a envie que Agnes soit bien accueillie ici, qu'elle soit accueillie comme elle doit l'être, pour bien commencer son expérience américaine. Yeah, sure, why not.

Évidemment, c'est chez Zhang que Kamala l'emmène, parce que c'est un peu son QG, et qu'on y mange bien. Ce n'est pas très loin de l'université, ce qui ne gâche rien. Elles sont passées devant plusieurs buildings sur le chemin, et la brune a indiqué plusieurs endroits à sa nouvelle colocataire, histoire qu'elle commence à se familiariser avec le campus. Elle n'est pas sûre que Agnes retienne tout ce qu'elle lui dit aujourd'hui, mais c'est déjà un début. Are you new here? My friends call me Martin, but you can call me anytime, Kamala pince les lèvres, amusée mais certainement pas surprise que le Wang s'élancent tout de suite sur cette pente. Elle aurait presque été déçue qu'il ne le fasse pas. Agnes semble gênée par ce comportement, et Kamala trouve un peu adorable le rouge qui s'esquisse sur ses joues. He's not serious, is he? finit par demander la petite blonde. Trop mignonne. pense Kamala. Sorry, sometimes, I'm a bit... I don't know. dit-elle immédiatement, avant même que Kamala réponde. I'm not really good at this, déclare-t-elle. La Chase continue de la regarder, puisqu'elle n'a de toute manière pas besoin de regarder la carte : elle la connaît par coeur à force de venir ici. You know, boys... and girls. Nouveau sourire en coin de Kamala. Voyant que Agnes ne relève pas les yeux, elle avance une main et abaisse le menu pour attirer son attention. "You don't have to be shy about it, you know." Elle regarde rapidement un peu plus loin dans la salle, où Zhang est affairé. "He's only serious if you want him to be." répond-t-elle à la première question de Agnes. Si Agnes flirte en retour, Kamala sait qu'il se fera un plaisir de se lancer dans le petit jeu. Mais si elle n'est pas intéressée, il ne s'en formalisera pas trop : il a déjà trop de monde à ses pieds. Kamala la première. "You've never had a boyfriend or girlfriend?" demande Kamala en s'adossant à son siège et en croisant les jambes. Il n'est pas question de jugement ici, juste de curiosité.

Agnes s'efforce de se concentrer sur les mots écrits face à elle, avec une intensité factice et légèrement angoissée. On est en 2007, on est aux États-Unis, en Californie qui plus est, certainement l'État et l'un des pays les plus ouverts d'esprit du monde (du moins, c'est ce qu'on lui a répété) - elle n'a pas de véritable souci à se faire, n'est-ce pas? Kamala est gentille, et de toutes façons Agnes n'aime pas mentir. Et si vraiment ça la dérange, elle pourra changer de chambre ou bien-- Les doigts de Kamala s'accrochent au coin du menu et le baissent et Agnes lève vers elle son regard noisette incertain. "You don't have to be shy about it, you know." Elle déglutit et rougit, hoche nerveusement la tête.

Et c'est... tout. Pas de questions gênantes, pas de jugement, non, rien - juste ça, elle n'a pas besoin d'être embarassée, point. C'est rassurant quelque part, et Agnes sent une douce chaleur se répandre dans sa poitrine alors qu'elle suit le regard de Kamala jusqu'à Martin. "He's only serious if you want him to be." Agnes rougit de plus belle et s'étrangle un peu. "O-oh, alright." Veut-il qu'il soit sérieux? Son attention est agréable après tout, et il n'est pas moche, loin de là, mais il a complètement une vibe de player qu'elle n'est pas sûre d'apprécier. "You've never had a boyfriend or girlfriend?" Agnes s'étrangle de plus belle en reposant son regard sur Kamala d'un air très vaguement paniqué. "Um, I mean, you know, like... not... not really..." dit-elle posément, s'attendant à voir les lèvres de Kamala se retrousser un rictus moqueur - mais pas du tout.

Agnes s'humidifie les lèvres, gênée et rassurée à la fois. Elle a une pensée pour le regard sombre de Stan avec un léger pincement au coeur; et une pensée pour le sourire solaire de Tess et ses doigts sur sa peau, avec un nouveau pincement au coeur, et elle soupire. "I mean, there was this guy, uh... we were never really together or anything, but we kind of grew up together and I don't know, it was always a- a thing? Somehow? I don't know. When I left Istanbul for London he stayed behind, got a job, I don't know." Elle pince des lèvres en se souvenant de leur dernière discussion, maladroite et gênante, un peu blessante aussi. Stan pensait qu'elle le fuyait, et elle pensait qu'il méritait mieux que de rester auprès de leurs mères. Il l'avait accompagnée à l'office des portoloins avec un visage fermé et un regard plus sombre que jamais. "And in London, I met this girl... well, much like yourself actually, I was living in dorms and she was my roommate and we, uh..." Agnes ne finit pas sa phrase, mais ses joues rouge vif parlent pour elle.

"But then." Son visage se fronce légèrement, dans une expression de vague colère qui ne lui va pas très bien. "Stan, I mean, this guy, came over to London, you know, to visit? And they- they- they got together! I mean kind of. But they were dating! At least for a time. Kind of." Agnes repose son menu sur la table dans un geste brusque et légèrement effarouché, son agaçement lui revenant en pleine face presque cinq ans plus tard. "Which is, you know, fine, but, I don't know, like, it's whatever, I don't, I mean, yeah. I mean he's my best friend? And she knew we had a... thing? And he knew that I had a thing with her and- whatever. So no, to answer your question, not really, I thought with them that-- whatever, I was wrong, and everyone else just didn't matter that much and--" Elle rougit, plus d'embarras que de véritable honte cette fois, en se rendant compte qu'elle s'est mise à parler beaucoup trop et à laisser ses pensées s'entrechoquer, in typical Carrie Agnes fashion. À quelqu'un qu'elle vient juste rencontrer de surcroît.

Mais Kamala est gentille, et elle ne semble même pas choquée tant que ça - Agnes a l'impression de la connaître et de la comprendre, et d'être connue et comprise en retour. Fate, dirait sa mère, ce qui lui ferait lever les yeux au ciel d'habitude, mais ce qui fait légèrement du sens en cet instant précis. "Sorry, uh, I tend to..." Elle agite sa main dans les airs. "Ramble. What about you?" préfère-t-elle enchaîner pour noyer sa soudaine gêne. "Elias, are you guys like... a thing...?"