Jin et Carrie invitent les good children chez eux presque tous les mois pour diner, à la fois pour garder un oeil sur eux, mais aussi parce qu’ils aiment passer du temps avec la seule famille qu’ils ont. Bien entendu, ils seraient bien incapables de s’avouer ainsi sentimentaux.
Parfois, Selma et Stan s’improvisent grands chefs ou grands pâtissiers, se relaient en cuisine en riant sous le regard confus de tout le monde; parfois, Maxim ramène une horreur du monde moldu pour leur faire goûter (Carrie ne lui a pas pardonné le “McDonald’s”); souvent, ils se contentent de commander une quantité astronomique de nourriture à un restaurant traiteur sorcier, arrosant le tout de vin et de bière à n’en plus pouvoir.
Ces soirées sont aussi importantes que les dîners hebdomadaires des Wolves du gang. Même plus, parfois. Carrie prend toujours le temps de regarder chacun d’un regard presque pesant, décortiquant chaque nouveau détail, chaque mouvement. Le moindre changement est noté, souvent commenté, ou alors rangé dans un coin de sa tête.

La table est un peu trop grande, pouvant accueillir deux personnes de plus. La chaise de Nina reste vide. Carrie la regarde plus qu’elle ne le devrait.

Certaines soirées se passent bien, d’autres un peu moins. Il y a des rires, des disputes, des prises de tête légendaires, des longues conversations sans queue ni tête. Néanmoins, l’invitation vient toujours, chaque mois sans faute, et Carrie est toujours soulagée d’avoir sous les yeux et sous son toit tous ceux qui lui appartiennent et à qui elle tient, en vie et en bonne santé.
Elle le montre très mal: à dire vrai, ce soir-là, elle décroche à peine ses yeux de sa copie du Evening Prophet, jouant avec sa nourriture sans manger grand chose comme toujours, sirotant plus volontiers le verre de vin rouge qui ne quitte pas sa main. Carrie ne boit pas, à moins d’être entourée des gens en qui elle a le plus de confiance au monde, à moins de savoir que Jin est présent. Et pour une fois, le léger buzz à l’arrière de son crâne est plaisant, l’aide à se détendre et à ignorer les regards nerveux de Stan dans sa direction, les regards noirs de Zora, les moues pincées d’Andrea, la distance placide de Yanli à l’autre bout de la table où elle est assise près de Jin. Carrie se fiche bien qu’ils la détestent tous, tant qu’ils viennent.

Zora revient des toilettes et Carrie relève les yeux, narines frémissantes, pour la suivre du regard. Elle voit aussi Stan tourner la tête, et Selma et Andrea arrêter brièvement de parler pour noter l’effluve suivant la plus jeune good child: le parfum douceureux immanquable de l’opium, auquel ils sont tous familiers.
Et Carrie, bêtement, d’une voix sèche et cassante: “please don’t smoke up our bathroom.” Quand les yeux de Zora se posent sur elle, elle réalise qu’elle a fait une terrible erreur. “Why, is it a Fox-only privilege?”

Carrie la fixe sans rien dire pendant un instant. Après la généreuse offrande de Nezha aux Warlocks, et de l’opium à Carrie, de la part de Mengwu, Zora est venue la voir lui dire qu’elle en avait rêvé. Sa consommation à elle est durement régulée aux ordres de Jin, surtout depuis la mort de Nina: l’opium est distribué par petites doses aux Doves ne pouvant pas lever le pied, à des intervalles soigneusement étudiés, pour lentement les aider à décrocher.
Zora n’a pas envie de décrocher. Carrie non plus.
Fucking mati, pense la Fox en se sentant devenir blême, utilisant un mot faisant partie du vocabulaire de ses cinq premières années. L’Oeil de Zora est la pire chose qui lui soit arrivée.

“Don’t talk fucking bullshit. Sit down and eat your food.” Zora rit mais s’exécute tout de même. Malgré les regards tournés vers elle, Carrie se concentre sur Zora. “Where did you even get that? That doesn’t smell like our regular supply at all.” Elle tourne difficilement les yeux vers Selma, qui a le nez froncé et l’air curieux. Si les regards pouvaient tuer, tous les good children seraient morts et enterrés sous les yeux de Carrie. “No, this one’s magical. Mengwu gave some to Carrie— - Enough.” Carrie abat sa main sur la table. L’air crépite, une odeur électrique s’empare de l’air et Carrie sent ses cheveux se dresser sur sa nuque, son regard sombre vissé sur Zora qui sourit. “Why are you so mad, have you already gone through your share? Half a pound, Carrie, what the fuck?! - Shut up. - Or what? It’s not like you’re going to offer me more, uh? We’re in the same fucking boat, and fucking the dog won’t even— - I said shut UP!” Le verre de vin se brise, une lampe sur un buffet aussi; les particules magiques autour de la main de Carrie se mettent à courir à la surface de sa peau, désagréablement douloureuses et électriques. “Carrie—” Sa main vole sans réfléchir, vient frapper la mâchoire de Stan à côté d’elle dans un claquement sévère. “You too. All of you shut the fuck up.”

Son coeur bat à tout rompre dans sa poitrine, et son estomac est tordu dans un noeud difficile à dépêtrer. Elle regarde Stan, surpris et blessé par le coup, qui tient sa joue qui marque déjà; Maxim, sourcils froncés, léger sourire amusé aux lèvres; Selma, fouillant le visage de Zora avec attention, et portant ensuite sur Carrie un regard plein de jugement; Andrea, indéfinissable aux yeux de Carrie comme toujours; Yanli, les yeux baissés sur son assiette, peu concernée par ces affaires de gang; Zora, qui s’esclaffe, les yeux roulant dans les orbites; et Jin.
Carrie plante son regard dans le sien et y projète sa colère, sa déception, son embarras, son mépris, son désespoir, sa peur.

Pour la première fois depuis longtemps, au milieu de sa colère, Carrie sent un vent de panique se lever.

Ils ont beaucoup trop commandé, comme d’habitude. Zanjin sait qu’il va devoir leur demander d’emporter une bonne partie des plats avec eux, ou jeter les trois quarts parce qu’il est impossible qu’ils parviennent à manger tout ça, même si Maxim semble avoir pris ça comme un challenge. Il s’est jeté sur la bière en arrivant et n’a quasiment pas relevé le nez de son assiette depuis qu’il s’est installé à table, à part pour se resservir. Zanjin pince les lèvres en l’observant s’enfiler bouchée après bouchée comme si Blake risquait encore de se pointer pour lui retirer son assiette en se foutant de sa gueule. Le dédain se lit clairement sur son visage, comme s’il ne lui arrivait pas aussi parfois d’oublier que ses démons peuplent seulement ses nuits et ne peuvent plus l’empêcher de manger à sa faim. Mais ce n’est pas quelque chose qu’il montre aux good children, à l’exception de Carrie qui en sait toujours plus sur lui que les autres.
Devant eux, Zanjin prend son temps. Il mange et boit comme s’il n’avait jamais fouillé dans les poubelles de Londres pour trouver quelque chose à manger et il écoute les autres discuter calmement, échanger des banalités qui leur donnent des airs de famille normale. Pas d’affaires de gangs, c’est de toute façon un sujet qu’ils évitent en présence de Yanli, rien que des discussions futiles, le genre qui l’ennuie à mourir habituellement, mais qu’il aime écouter lorsqu’il s’agit des good children.

Qu’ils soient capables de faire ça, c’est la preuve qu’ils ont réussi. Qu’il a réussi. Et Zanjin évite de regarder les chaises vides, de penser aux personnes qui devraient les occuper et être elles aussi en train de parler de la dernière tenue qu’elles ont achetées, ou pire encore, de Quidditch. Il se concentre sur ceux qui sont là. Ceux qui ont survécu.

Le temps d’une soirée, Zanjin oublie tout le reste.

Au moins, jusqu’à ce que Zora revienne des toilettes, suivie de près par l’odeur doucereuse et entêtante de l’opium. Jin serre les dents et lui lance un regard noir, prêt à lui reprocher de ruiner l’illusion dans laquelle il s’est plongé, mais Carrie le devance. Il hoche la tête, ouvre la bouche pour rappeler à Zora qu’il ne tolère toujours pas que l’on touche à cette merde en sa présence, mais la plus jeune des good children a les yeux rivés sur Carrie et un sourire mauvais aux lèvres.

“Why, is it a Fox-only privilege?”

Les mots n’impriment pas tellement, à vrai dire, il est à deux doigts de lever les yeux au ciel lorsque son regard se pose sur Carrie et Jin se fige. Sa soeur est bien pâle tout à coup. Bien silencieuse, aussi. “Don’t talk fucking bullshit. Sit down and eat your food.” Zanjin plisse les yeux, regarde Zora s’asseoir. “Where did you even get that? That doesn’t smell like our regular supply at all.” “Can we not talk about drugs at the fucking table,” Jin siffle entre ses dents, ses doigts se resserrant dangereusement autour de son verre. Mais Zora l’ignore complètement. “No, this one’s magical. Mengwu gave some to Carrie— - Enough.” Zanjin ne sursaute pas. Mais son coeur manque un battement et il tourne lentement la tête vers Carrie, les yeux écarquillés.
Il connaît Carrie par coeur. Ca veut dire qu’il sait que si Zora était quelqu’un d’autre, si elle n’était pas l’une des leurs, sa soeur lui aurait déjà fait fondre la peau et la chair sur les os. Il connaît cette lueur dans son regard, il sait très bien ce qu’elle signifie. Que Carrie est terrifiée et qu’elle est prête à tuer pour sauver sa peau. Zanjin les écoute à peine se battre. Ses oreilles sifflent alors qu’il sent sa propre magie bouilloner dans ses veines. Il ferme les yeux et inspire, expire, les rouvre brusquement lorsqu’il sent la main de Yanli effleurer la sienne, sur la table. Elle a les lèvres pincées, un air infiniment triste dans le regard et Zanjin lutte pour ignorer la douleur logée dans son sternum, comme si quelqu’un y avait planté une lame. “Carrie—” Le bruit de la gifle que Carrie assène à Stan le tire du tourbillon d’émotions qui menaçait de l’emporter. Zanjin cligne des yeux, ravale le hurlement qu’il a envie de pousser  et pose son verre sur la table avant de risquer de le briser en le serrant trop fort.

Son regard croise celui de Carrie avant d’aller se poser devant lui.

"Get out, all of you," ordonne-t-il d'un ton ferme mais calme qui contraste avec la tempête qui fait rage dans son esprit. Yanli est la première à se lever. "Make sure Stan is okay," dit-il sur le même ton. Du coin de l’oeil, il la voit qui hoche la tête et Yanli fait le tour de la table pour poser une main sur l’épaule de Stan et lui faire signe de la suivre. Si certains hésitent, ils sont vite encouragés par les autres à se lever de table pour s'en aller.

"Maxim," appelle-t-il froidement avant qu'il n'atteigne la porte. "We'll have words later. You too, Zora."

Il ne leur accorde pas un regard et attend que la porte se referme derrière eux avant d'enfin porter de nouveau son attention sur Carrie. Le regard qu'il pose sur elle est celui qu'il réserve aux outsiders, à tous ceux qui n'ont pas la moindre importance à ses yeux. Il ne peut pas la laisser voir la colère et la déception, l'angoisse et la trahison. Elle ne mérite pas ces émotions que seule une personne qui compte autant que Carrie à ses yeux peut provoquer en lui.

"How long?" demande-t-il simplement.

Il ne lui demandera pas si c'est vrai. Il ne veut pas la voir se débattre pour inventer un mensonge, une excuse. Il ne pense pas qu'elle le ferait, de toute façon. Il veut juste savoir depuis combien de temps il vit avec un mensonge, un pantin aux fils d'opium. Depuis combien de temps Carrie n’est plus Carrie.

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Jin fait sortir tout le monde, ce qui rassure Carrie autant que ça la terrifie. Elle aimerait adresser un regard - premier de la soirée - à Stan et s’excuser; ou chercher quelconque réconfort chez Yanli; voire promettre à Zora sans un mot qu’elle va lui payer; ou mieux, supplier Maxim de rester. Parce qu’elle a peur. Elle a peur, de Jin, d’elle-même, de ce secret qu’elle pensait avoir si profondément enfoui qu’il ne pourrait jamais ressortir. Elle aurait dû s’y préparer mais ça semblait si impossible, sa maîtrise d’elle-même si sévère, et l’ignorance de Jin si parfaite.
Et Zora - Zora. Carrie repense à Adrian, et même si la situation est différente, elle espère qu’ils sachent tous que Carrie ne supporte ni les traitres ni les menteurs, et que la punition lui va bien plus vite que le pardon.
Trahie par sa seule famille. Elle en serait amère si elle n’avait pas aussi peur.

Une peur vertigineuse qui lui tord l’estomac et lui donne envie de se lever et de tout casser, ou de s’enfuir, ou les deux. Elle n’a pas le temps de cligner des yeux qu’ils sont seuls, face à l’autre, et Jin la regarde enfin.

Carrie sent sa tête se mettre à nager, et ses doigts à trembler.

Quelque chose d’autre se réveille, au fond, un réflexe musculaire, une seconde nature chez elle: sa colère.
Jin ne comprend pas, n’a jamais compris, et ne comprendra jamais.
Et pourquoi est-ce que tous ces putains d’enfoirés sont obsédés par sa vie privée?
Et puis c’est lui le menteur. C’est lui qui ment, qui a toujours menti, qui mentira toujours, même à elle, et puis pourquoi ne dit-il rien, et pourquoi la regarde-t-il comme si elle n’était rien?

“How long?” Inutile de mentir ou d’esquiver ou de s’expliquer. Il la connait trop pour ça, et Carrie, elle, ne ment pas - si ce n’est à elle-même, si ce n’est par omission.

Carrie renifle et détourne les yeux et la tête, incapable de se confronter au regard de Jin et à toutes les émotions que ça éveille en elle. Elle attrape une cigarette dans le paquet posé près de sa main et la glisse entre ses lèvres avec des doigts tremblants, jetant un regard à son verre de vin. Elle convoque en elle toute la force de la Fox que Jin lui a donnée et qu’elle a si peur qu’il lui reprenne. “It doesn’t matter.” Sa voix est sèche, implacable, et elle en est fière: elle ne montre rien de la terreur rageuse qu’elle ressent, qu’elle sent crépiter autour d’elle comme un feu ardent.

Elle revient poser son regard dans celui de Jin, ravalant ses émotions, les cachant derrière le regard qu’elle adresse aux autres membres du gang. Avec Jin elle est toujours honnête et entière, vulnérable même. Il sait tout d’elle, et elle sait tout de lui. Donc elle sait qu’il est en colère, déçu, trahi, inquiet et qu’il va la mépriser, la détester. “It doesn’t change anything at all, it doesn’t fucking matter. I know what I’m doing, and I am doing it out of my own volition and I won’t let you, of all people, rob me of that.” C’est un peu bas, mais Carrie s’en fiche, expirant un nuage de fumée souffreteux, réprimant une toux âcre et douloureuse. Elle finit par pincer des lèvres et concéder, fronçant les sourcils: “I shouldn’t have lied. But there’s nothing to worry about.” Ils ne sont pas du genre à s’excuser, et elle refuse de le faire pour ça.

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“It doesn’t matter,” réplique Carrie sèchement et pour la première fois depuis qu’ils se connaissent, Zanjin a envie de la gifler. La pensée sombre, tordue, s’empare de lui et il peut se voir se lever, marcher jusqu’à elle et lui asséner une gifle si forte qu’elle porterait la marque rouge de ses doigts sur sa joue. Elle repart aussi vite qu’elle est venue, le laissant tremblant de rage et de dégoût. Avant ce jour, cet instant précis où il se rend compte que Carrie lui ment probablement depuis des mois, peut-être même des années, Jin ne s’était jamais imaginé lever la main sur sa soeur. La pensée ne lui a jamais traversé l’esprit auparavant. Malgré toutes les choses odieuses que Carrie a déjà pu lui dire, toutes ces fois où elle a manqué de le rendre fou, frapper sa soeur n’a jamais été une chose qu’il a souhaité.
Il tué ceux qui s’en sont pris à elle, ou les a retrouvés pour qu’elle puisse le faire elle-même. Il n’a jamais eu l’intention de s’ajouter à cette liste mais qu’il soit capable d’avoir cette envie, aussi fugace soit-elle, lui donne envie de vomir. C’est à son tour d’être pâle, incapable de complètement masquer la soudaine nausée qui manque de lui faire rendre son repas sur la table encore recouverte des assiettes et verres abandonnés par les autres.

“It doesn’t change anything at all, it doesn’t fucking matter. I know what I’m doing, and I am doing it out of my own volition and I won’t let you, of all people, rob me of that.” Il aurait dû s’y attendre. Il aurait dû mieux se préparer, mieux s’armer. Mais Carrie a toujours su frapper où ça fait mal, surtout lorsqu’elle se sent acculée. Jin serre les dents, incapable d’ignorer la petite voix qui lui dit qu’elle a raison, qu’il n’a aucun droit de la priver de son libre arbitre, de l’empêcher de faire quoi que ce soit. Zanjin serait d’accord avec elle, s’il n’était pas question d’opium. Il serait prêt à pardonner le mensonge, à tout oublier, si la moindre mention de la drogue ne lui donnait pas envie de vomir.
Quand il entend opium, Jin voit Carrie qui pleure alors qu’elle vomit jusqu’à l’eau qu’elle est incapable de garder dans son estomac à cause du manque. Il l’entend qui hurle, l’insulte et le supplie de lui ramener une dose, rien qu’une toute petite dose. Il voit le regard vide d’une Dove qui ne se rappelle probablement même plus de son nom, alors qu’un type s’affaire entre ses cuisses à la vue de tous. Il voit le cadavre pâle de Nina qui les abandonnés, qui l’a abandonné lui.

“I shouldn’t have lied. But there’s nothing to worry about.”

Crac, le verre qu’il a reposé sur la table se fissure en deux. Le vin qu’il n’a pas terminé de boire s’en échappe, tache la nappe de rouge. “Nothing to worry about?” répète-t-il d’une voix blanche.

“You stupid cunt,” siffle-t-il avec un rictus méprisant. “You think you’re in control? You stupid fucking cunt.” Il se lève, incapable de rester assis plus longtemps alors que sa magie crépite au bout de ses doigts. Il agrippe le bord de la table, se retient de toutes ses forces de l’envoyer voler alors que des étincelles de magie commencent à ronger la nappe, faisant monter dans l’air une odeur de brûlé.

“You’re letting them control you again,” crache-t-il, tremblant de rage. Il n’a pas besoin de préciser qui ils sont, Carrie sait très bien de qui il parle. Blake, Marth, tous ceux qui les ont marqués, utilisés, tous ceux qu’ils ont tués et qui continuent quand même à hanter chacun de leurs pas.

La première fois que Jin s’est rendu au Tuskers pour retrouver Carrie, elle était tellement défoncée à l’opium qu’elle ne l’a pas reconnu. A son retour, Masahiro a dû l’assommer pour l’empêcher de mettre le feu à son laboratoire tant il a perdu le contrôle et à son réveil, Zanjin s’est juré qu’il ne reculerait devant rien pour libérer Carrie et faire en sorte qu’elle soit à nouveau elle-même.

C’est ce qui l’a maintenu en vie.

Plus que son désir de vengeance, c’est son besoin de rendre sa liberté à Carrie qui lui a permis de tenir. Il ne lui a jamais dit, bien sûr. Peut-être qu’elle le sait, Carrie sait beaucoup de choses sans même avoir besoin qu’on lui dise. Alors peut-être qu’elle sait pour les soirs où il se réveillait en hurlant et avec l’impression que seule la mort saura le libérer de la sensation infâme de mains moites et trop grandes parcourant son corps. Ces soirs où il sortait du lit et se réfugiait sur le toit de la planque de Masahiro pour se planter tout au bord et regarder en bas, le coeur battant la chamade. Peut-être qu’elle sait qu’il a failli sauter, le soir où Nina est morte.

Peut-être qu’elle sait, pour toutes ces fois où aujourd’hui encore, il monte sur le toit de leur appartement et pense à Carrie qui a survécu au Tuskers. Carrie qui a tant vu, tant subi, mais qui s’accroche toujours furieusement. Carrie qui a vaincu l’opium. Peut-être qu’elle sait, que lorsqu’il a l’impression de suffoquer sous les souvenirs marqués au fer rouge dans son esprit, il pense à elle qui combat ses démons chaque jour et en ressort victorieuse, puissante, resplandissante.

L’image se brise en mille morceaux. Carrie ne s’est pas reconstruite, elle a rempli les trous laissés par Blake, Marth et tous les autres d’opium et ce n’est plus sa soeur que Jin a en face de lui. C’est la coquille vide, c’est le cadavre froid de Nina, c’est le sourire absent de toutes ces putes sans nom qui peuplent les bordels des Warlocks.

“I offered you a throne, but you’d rather crawl back to your old master like a fucking slave?” Le bois de la table craque dangereusement sous ses doigts. “Mengwu fucking Wang knows my Fox is nothing more than a fucking whore who’d happily suck his dick for some rocks and you think it doesn’t fucking matter?” Il hurle et cette fois, c’est la table qui se fend en deux et s’écroule dans un fracas terrible.

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Carrie n’est pas stupide au moins de penser qu’elle s’en tirera rien qu’avec ça: ce serait trop beau, et presque décevant de la part de Jin de le voir ainsi lâcher le morceau. Elle peut espérer, pourtant. Espérer qu’il lise dans ses yeux sa colère et sache la calmer comme seul lui sait le faire; espérer qu’il y voit sa peur, et trouve les mots pour la faire s’en aller. Il est la seule personne au monde qui la connait comme ça, qui l’a vue terrifiée, désespérée, enragée, perdue, confuse, estomaquée, abattue, attristée, sans artifice, sans honte, sans retenue.

Mais ils sont impitoyables, cruels et injustes envers leurs ennemis et leurs subordonnés, et avec l’un et l’autre. Ça, rien n’y changera jamais.

Carrie serre les dents quand le verre de vin face à Jin se fissure et se casse; elle ne peut s’empêcher de fermer les poings en voyant l’affreuse tâche rouge sur la nappe, le liquide qui s’écoule, plus choquée semblerait-il par ça que par l’explosion magique et violente de Jin. “Nothing to worry about?” Carrie se force à inspirer, expirer, aussi calmement que sa cage thoracique serrée et compressée le lui permet. blanche. “You stupid cunt. You think you’re in control? You stupid fucking cunt.” Carrie a déjà entendu - et utilisé - bien pire en parlant d’elle et d’autres; l’insulte trouve pourtant sa cible dans la bouche de Jin, dans son accent minutieusement travaillé et poli par des années de travail. Elle le regarde se lever, ses joues à elle se colorant d’un rouge tant embarrassé que furieux. “You’re letting them control you again.”

Parfois Carrie se laisse glisser dans le bain, laisse l’eau l’envelopper complètement, l’entourer comme une amante réconfortante jusqu’à ce que ses poumons lui fassent mal à en brûler. À choisir sa mort, elle préférait se noyer, elle pense. Se débattre, souffrir, s’éteindre.
Elle a l’impression que Jin vient de lui pousser la tête sous l’eau.

Il ne comprendra jamais, réalise-t-elle. Jamais. Qui pourrait, après tout? La seule qui aurait pu est morte il y a des années, et ils gardent sa chaise vide à la table du diner comme si elle allait revenir un jour.

En pensant au corps pâle de Nina, le sourire dément sur ses lèvres couvertes de vomi et ses yeux révulsés, Carrie a envie de hurler.

“Fuck you. - I offered you a throne, but you’d rather crawl back to your old master like a fucking slave?” Carrie inspire, expire, mais un sourire sans chaleur vient étirer ses lèvres malgré elle. “Mengwu fucking Wang knows my Fox is nothing more than a fucking whore who’d happily suck his dick for some rocks and you think it doesn’t fucking matter?” Elle a à peine le temps de se jeter en arrière, faisant tomber sa chaise, pour éviter les deux pans de table qui s’écroulent lourdement presque sur ses genoux.
Une voix lui dit qu’il vient d’essayer de la blesser mais non, c’est Jin. Son frère. Son Lion. Son tout. Sans lui, elle n’est rien du tout.
Elle repousse cette voix. Elle essaye.

Carrie regarde le restes de nourriture et de porcelaine et de bois, leur farce réduite à néant par la magie de Jin. Pourquoi essayent-ils de prétendre qu’ils sont normaux, une sorte de famille trouvée et composée à l’arrache? Carrie sait qu’elle doit diffuser la situation. Ravaler sa colère et sa peur, lui expliquer. Faire la paix. “What throne, Jin? The one on which I sit where every single person you named alongside us, like that damned Jap or that fucking slut, just undermines me every chance they get while you idly stand by?” Elle secoue la tête, même si sa voix reste calme, préférant rester sur un sujet éternel entre eux: les querelles de pouvoir et de hiérarchie au sein du gang.

Et puis en y pensant, elle se souvient de Masao et de ses Bao’s little slut et de la manière qu’il avait eu de seulement douter de son utilité aux Warlocks, et Carrie sent quelque chose se défaire en elle. “You don’t FUCKING know, Jin, you don’t fucking know shit. When you fucking LEFT ME,” et cette fois elle oublie qu’elle voulait faire la paix, et continue malgré d’une voix glaciale: “do you remember this, you fucking faggot? That you fucking left me to suck dick for rocks because that was literally the only thing that made me happy. Poor little you remembers getting fucked in the ass every night for a few years but do you remember waking up in a haze having to play pretend and seduce sixty year olds all day? Have you ever woken up to three men on top of you laughing their asses off and taking turns, you fucking hypocrite? What with that pretty little head of yours, I’m sure you could understand WHY I’d want to FUCKING FORGET FROM TIME TO TIME.” Au tour de sa magie à elle de crépiter et vrombir, courant le long de ses bras, explosant discrètement au bout de ses doigts. Elle en mord sa cigarette, avant de l’attraper et de la jeter, et de s’avancer vers Jin.

Carrie a les yeux rivés sur lui et écrase le reste de leur diner dans un bruit d’outre-tombe, laissant le verre et la porcelaine crisser sous ses chaussures. “I am in fucking control, bitch, and it’s not because your little freak gay ass can’t handle coping with any other means than being a stuck up that all of us need to do the same.” Elle arque un sourcil, un nouveau sourire sans joie étirant ses lèvres tandis qu’elle penche la tête sur le côté. “And what now, Zanjin, you want me to stop, is that it? You want to fucking control me, you fucking son of a bitch? Maybe I should have you raped by some fellow: might make you remember how much it hurts and remind you that pushing your will onto other people is fucking wrong.”

tw: crude language, mention of rape, suicidal thoughts, overdose, prostitution, bref la totale oskour. Carrie l’a déjà vu en colère, elle sait à quoi ça ressemble quand Jin perd complètement le contrôle et laisse la rage prendre le dessus. Mais ça n’a jamais été dirigé contre elle. Oh bien sûr, il leur arrive souvent de se disputer, de hausser le ton, mais Zanjin n’a jamais été à ce point en colère avec Carrie. Peut-être parce que ce n’est pas vraiment de la colère qu’il éprouve en cet instant. Enfin, pas que. La colère est une réaction instinctive de Zanjin quand il est blessé. Parce qu’il se sent vulnérable, parce qu’il ne supporte pas l’idée qu’on puisse encore lui faire du mal - pire encore, que Carrie puisse lui faire du mal - Jin laisse la colère prendre le dessus.
Il a massacré les membres les plus influents des Warlocks et pris le contrôle du gang pour ce qu’ils lui ont fait. Il a fait assassiner Wei Wang pour avoir été le premier mâillon de la chaîne d’évènements qui l’a mené à se faire exploiter par les Warlocks pendant des années. Pour tout ce qu’il essaye de paraître calme et bien élevé, Zanjin reste un animal qui se déchaîne dès l’instant qu’il se sent en danger.

“What throne, Jin? The one on which I sit where every single person you named alongside us, like that damned Jap or that fucking slut,” “Don’t call them that,” siffle-t-il même s’il sait que ça ne sert à rien. “--just undermines me every chance they get while you idly stand by?” Et vraiment, elle n’en a pas marre de répéter encore et toujours la même chose ? Il ouvre la bouche pour lui dire qu’il est hors de question qu’ils débattent encore de ça, mais Carrie enchaîne : “You don’t FUCKING know, Jin, you don’t fucking know shit. When you fucking LEFT ME.” La colère disparaît, le feu dans ses veines éteint par la glace qui saisit son corps.
Ses oreilles se mettent à bourdonner alors qu’il a l’impression que Carrie vient de lui plonger la tête sous l’eau. Une eau glaciale qui s’infiltre par ses narines, sa bouche, et qui va remplir ses poumons, l’empêchant de respirer.
“Do you remember this, you fucking faggot?” Don’t call me that. “That you fucking left me to suck dick for rocks because that was literally the only thing that made me happy. Poor little you remembers getting fucked in the ass every night for a few years--” Don’t, don’t, please don’t. “--but do you remember waking up in a haze having to play pretend and seduce sixty year olds all day? Have you ever woken up to three men on top of you laughing their asses off and taking turns, you fucking hypocrite?” Stop, I’m sorry, please stop. “What with that pretty little head of yours, I’m sure you could understand WHY I’d want to FUCKING FORGET FROM TIME TO TIME.”

Zanjin tressaille lorsque Carrie apparaît brusquement dans son champ de vision et pendant un instant, il voit trouble alors qu’une sueur froide commence à lui couler le long du dos, sous son costume qui lui paraît brusquement bien trop serré. “I am in fucking control, bitch, and it’s not because your little freak gay ass can’t handle coping with any other means than being a stuck up that all of us need to do the same.” Si c’était n’importe qui d’autre, Zanjin aurait déjà mis Carrie à terre pour la frapper de toutes ses forces. Si c’était n’importe qui d’autre, il aurait déjà tiré le balisong qu’il cache toujours sur lui pour lui trancher la gorge et regarder son sang tâcher la nappe déjà fichue. Pour oser lui parler ainsi, pour oser, en quelques mots, le ramener là-bas, le replonger dans l’obscurité, lui donner l’impression qu’il est à nouveau étalé sur le dos, incapable de bouger alors qu’il étouffe sous le poids d’un autre homme.

Il peut sentir l’odeur de la sueur, de l’eau de cologne cheap, il peut presque la percevoir sur le bout de sa langue et Zanjin a envie de vomir.

Mais c’est Carrie. C’est Carrie et il ne peut pas la faire taire, tout comme il est incapable de faire taire les souvenirs.

“And what now, Zanjin, you want me to stop, is that it? You want to fucking control me, you fucking son of a bitch? Maybe I should have you raped by some fellow: might make you remember how much it hurts and remind you that pushing your will onto other people is fucking wrong.”

Zanjin ravale la bile qui lui est remonté dans le fond de la gorge. Il ferme les yeux, repousse les images encore bien trop nettes qui se sont imposées à lui et tente d’ignorer les frissons qui lui parcourent l’échine. Il a l’impression que des milliers d’insectes grouillent sous sa peau et il doit se faire violence pour ne pas bouger. “Is that what you want?” demande-t-il enfin en posant son regard sur Carrie. Regard vide, comme s’il ne la voyait pas vraiment, tout aussi dénué d’émotion que sa voix. “For me to get raped? Would that make you feel better?” Il demande, comme s’il considérait sérieusement la question. “Because I’ve done it before, you know. I was raped for you, because I decided to go after you, because I wouldn’t abandon you. And I would have done it again, if you hadn’t told me to go,” siffle-t-il entre ses dents. “But it’s not enough, is it? Nothing’s ever enough for your little suffering contest, I should have been right by your side, begging for cocks so I could get my fix, for you to be satisifed.” Il s’avance d’un pas.

“And where would that leave us, Carrie?” demande-t-il et la colère est de retour, mais il ne la laisse pas prendre le dessus, son ton reste presque calme alors qu’il la cloue sur place d’un regard noir. “D’you think we’d be standing here, if I hadn’t left you? You’d still be playing pretend for a bunch of creeps if it wasn’t for me. You think it was easy? You think that because I wasn’t drugged and raped for years like you were, I had it easy? I risked my fucking life every day for you, while all you had to do was spread your legs and look pretty,” crache-t-il avec une grimace de dégoût. “You think I don’t want to forget? I can still feel what it was like and you think I’ve never thought about taking a dose myself, so I wouldn’t have to remember?” Pour ne plus jamais avoir à se souvenir.

“You can hate me all you want for leaving you, but don’t you dare pretend like you’re in fucking control. I’m in control, you’re just falling apart.” Il se recule d’un pas, comme si être aussi proche d’elle le rendait malade. “It’s fucking disgusting.”

tw: crude language, rape mention, prostitution, homophobia, suicide mention, suicide ideation

Jin ferme les yeux et Carrie le dévisage avidement, sentant malgré elle son masque se fissurer, le sourire devenir rictus et tous les muscles de son visage se crisper désagréablement. Le silence et la pause au milieu de leur échange lui donne envie de lever ses petites mains et de lui griffer le visage, le forcer à réagir, lui faire dire quelque chose même si elle sait qu'il n'y a rien que Jin pourrait dire qui pourrait calmer cette rage destructrice qu'il a réveillée en elle.
Quand il rouvre les yeux, Carrie a envie de les lui arracher. La distance avec laquelle il la darde est insupportable. “Is that what you want?” Carrie sent son ventre se serrer, imaginant déjà la suite. “For me to get raped? Would that make you feel better?” I don't want anything, pourrait-elle lui cracher au visage, tout autant qu'un sincère nothing would make me feel better; à la place, elle lui rend son regard lointain, comme si la colère s'était calmée. “Because I’ve done it before, you know. I was raped for you, because I decided to go after you, because I wouldn’t abandon you. And I would have done it again, if you hadn’t told me to go.” Les traits blêmes de Carrie se froissent d'outrage, et elle a un mouvement de recul malgré elle. "How dare you-- - But it’s not enough, is it? Nothing’s ever enough for your little suffering contest, I should have been right by your side, begging for cocks so I could get my fix, for you to be satisifed.”

Jin s'avance d'un pas et Carrie recule, malgré tout son corps qui lui crie de garder ses appuis; elle ignore si c'est sa soudaine présence ou ses mots qui l'y incitent, et déteste ce sentiment d'impuissance. Elle serre les poings, sentant sa magie - toujours aussi instable et destructrice que d'habitude - vibrer d'autant plus au bout de ses doigts. “And where would that leave us, Carrie?” La voix calme de Jin est pire que tout, son regard noir vrillé dans le sien aussi. Carrie se sent toute petite, toute fragile, écrasée et faible, minuscule comme Jin ne l'a jamais faite se sentir avant. “D’you think we’d be standing here, if I hadn’t left you? You’d still be playing pretend for a bunch of creeps if it wasn’t for me. You think it was easy? You think that because I wasn’t drugged and raped for years like you were, I had it easy? - I never said-- - I risked my fucking life every day for you, while all you had to do was spread your legs and look pretty.”
Le dégoût qui s'imprime sur son visage et qui transparaît dans ses mots enfonce des griffes à l'arrière du crâne de Carrie, des griffes qui sont toujours là et qu'il est normalement facilement d'ignorer. Des griffes qui se mettent à s'agiter en faisant un festin des souvenirs et des pensées qui se réveillent en entendant ces mots; des griffes qui la paralysent, et des griffes qu'elle n'a jamais associées à Jin. “You think I don’t want to forget? I can still feel what it was like and you think I’ve never thought about taking a dose myself, so I wouldn’t have to remember?” Elle a envie de lui hurler que peut-être il devrait le faire, comprendre enfin la libération authentique et entière de l'opium, que peut-être ça le décoincerait et le rendrait véritablement heureux; mais Carrie s'invente mutique, ses grands yeux sombres posés sur lui agités de sentiments intenses et contraires.

Elle le déteste. Véritablement, elle le déteste. Ils ont méthodiquement effacé toute trace de leur existence précédente, ont tué tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin, et aussi tous ceux qui leur rappelaient cette misérable vie qui était la leur. Il reste les good children, encore, mais ce n'est pas la même chose: il est plus simple de faire abstraction d'eux. Jin, quant à lui, représente tout: le sous-sol des Rats, la maison de Blake, les mois, les années d'attente au Tuskers. La douleur, l'incompréhension, la rage, la violence, le sentiment d'avoir été abandonnée, abusée, utilisée, oubliée.
Et maintenant le sentiment d'être minuscule, la parodie d'un être humain, incapable de lâcher le filon de son suffering game ou de contrôler la moindre pulsion - qu'elle prenne la forme de quelques caillous d'opium, ou d'un chien de garde désespéré qu'on baise comme si ça voulait dire quelque chose. “You can hate me all you want for leaving you, but don’t you dare pretend like you’re in fucking control. I’m in control, you’re just falling apart.” Ce dégoût encoe, si puissant qu'il le force à se reculer et s'éloigner d'elle.

“It’s fucking disgusting. - Fuck you." S'il pense lui échapper, il se trompe; Carrie se jette en avant sans réfléchir, abat ses deux poings sur son torse pour le frapper, le faire grimacer, lui faire payer; Jin bouge à peine. Elle retourne à l'assaut, le pousse de nouveau. "Fuck you!" Peu importe combien sa magie crépite, elle peut à faire le faire bouger - et elle s'entête, le frappe du poing plutôt que de le pousser, en grognerait presque. Les griffes sont profondément enfoncées maintenant, et Carrie se drape comme d'habitude dans la seule chose qui lui permet de garder pied: un énervement vulgaire et strident, rassurant et terrifiant à la fois dans son intensité. "I'm not falling apart, you fucking prick. You have no fucking idea what you're talking about." Elle le pousse encore une fois, de toutes ses forces avant d'abandonner, reculant d'un pas et manquant de trébucher, les joues rouges et le souffle court. "I will never let you, or fucking Mao, or any fucking ghost from the past that you like to throw at me, or anyone, dictate what I do with my fucking life ever again." Elle pointe un doigt accusateur et tremblant vers lui, l'enfonce dans son torse. "I don't abide by your rules, Jin, I do whatever the fuck I want. Fuck you."

Mais ce n'est pas suffisant - ce n'est jamais suffisant, surtout quand elle a l'impression de sombrer dans une hystérie sans sens et dangereuse, l'impression que la moindre de ses émotions est bien trop intense et ingérable. Ses colères sont normalement froides et cruelles, il n'y a que devant Jin qu'elle peut montrer un tout autre visage, déformé par la colère, plus proche de la Vélane que de la sorcière qu'elle est supposée elle. "Maybe you're just a fucking faggot coward who can't even deal with his own shit and feels like he has to ruin other people alongside him," siffle-t-elle d'un ton acerbe. "Me? I feel fucking great, Jin. I know what I want, and I get what I want. Can you even say the same? Fucking freak." Elle tape son torse de son index. "Fuck you. And fuck this. You know, I never really got why Nina did what she did but now I think I do. I look at you, so self-righteous and wrong, and I get it." Le blâmer pour le suicide de Nina est bien plus simple qu'elle ne le pensait. "Who would ever want to follow a freak like you? Fuck you, Jin, maybe I'll join her and have my shot at happiness too, if not for one fleeting moment. It's clearly not with you that I ever could."

tw: crude language, mention of rape, suicidal thoughts, overdose, prostitution, bref la totale oskour. “Fuck you." Il encaisse le coup sans broncher, les deux pieds bien plantés dans le sol alors qu’elle lui frappe le torse et tente de le pousser. "Fuck you!" Il se retient à peine de lever les yeux au ciel alors qu’elle s’entête à vouloir lui faire mal mais Zanjin a déjà encaissé bien pire que Carrie et ses tout petits poings qui s’acharnent sans vraiment causer de dommages. Il ne la touche même pas, se contente de la regarder, comme pour lui prouver qu’il vaut mieux qu’elle parce qu’il sait respecter cette barrière qu’ils n’autorisent personne à franchir depuis des années.  "I'm not falling apart, you fucking prick. You have no fucking idea what you're talking about." Il ne peut s’empêcher d’arquer un sourcil à cela. Parce que son comportement actuel est la preuve qu’elle se maîtrise parfaitement, que tout va bien, peut-être ? Elle se déchaîne comme une véritable furie, toute dignité envolée, et elle s’imagine que Zanjin va la croire ? Heureusement, elle finit par se rendre compte que le frapper ne sert à rien et fait un pas en arrière.
C’est la première fois de sa vie qu’il pense que Carrie a l’air pathétique. Il ne l’a pas pensé ces fois où il l’a visitée au Tuskers, ça ne lui a jamais effleuré l’esprit, pas même lorsqu’elle pleurait et suppliait pour une dose d’opium quand il l’a récupérée. Il a vu Carrie vomir tripes et boyaux et lui a tenu les cheveux, l’a aidée à se nettoyer après, lui a donné des bains lorsqu’elle était incapable de se laver seule, l’a emmenée aux toilettes quand elle était trop faible pour bouger, et à aucun moment il l’a trouvée pathétique.

Mais Carrie se battait pour échapper à l’emprise de la drogue, à l’emprise de leurs Maîtres. Comment aurait-il pu la trouver pathétique, alors qu’elle prouvait chaque jour à quel point elle était forte ?

Ce soir, c’est différent. Ce soir, elle se débat misérablement pour tenter de prouver qu’elle est libre, après avoir rattaché elle-même la laisse à son cou.

Ce soir, Carrie est pathétique, et c’est probablement ce constat qui lui fait le plus mal.

"I will never let you, or fucking Mao, or any fucking ghost from the past that you like to throw at me, or anyone, dictate what I do with my fucking life ever again." Elle confond tout. Comme l’idiote au cerveau embrumé par l’opium qu’elle a décidé de devenir, Carrie confond tout. Il ne cherche pas à lui dicter sa façon de vivre, il ne veut pas la contrôler. Depuis toujours, Zanjin ne veut qu’une chose : que Carrie soit libre. Pourquoi est-ce qu’elle ne comprend pas ça ? Pourquoi est-ce qu’elle ne voit pas qu’elle réduit tous leurs efforts à néant en sombrant à nouveau dans l’opium ?  "I don't abide by your rules, Jin, I do whatever the fuck I want. Fuck you." Mais il est là, le problème. Elle ne fait pas vraiment ce qu’elle veut. Elle fait ce que le poison laissé par Blake et tous les autres dans son esprit lui dit de faire. La colère et le dégoût ont disparu et il n’y a plus qu’une infinie tristesse dans le regard qu’il pose sur Carrie.
Il pourrait en pleurer. Il le fera probablement, plus tard, lorsqu’il sera seul et que personne, pas même Carrie, pourra le voir s’effondrer à la réalisation qu’il n’a jamais vraiment sauvé Carrie. Elle est toujours au Tuskers, dans la maison des good children, dans cette cave où vivaient les Rats. Carrie est éparpillée un peu partout et peu importe l’argent et le pouvoir qu’ils amassent, ça ne parvient pas à combler le vide laissé par tous ces morceaux de Carrie qu’ils ont volés et détruits.

Il a échoué et il n’arrivera probablement jamais à tenir sa promesse.

"Maybe you're just a fucking faggot coward who can't even deal with his own shit and feels like he has to ruin other people alongside him." Le peu qu’il a avalé ce soir avant que le dîner ne tourne au désastre lui pèse lourdement sur l’estomac. Chaque mention de son incapacité à laisser qui que ce soit l’approcher sans avoir l’impression d’être de retour dans ce maudit sous-sol lui donne un peu plus envie de vomir et Jin doit fermer les yeux et serrer les dents pour s’en empêcher. "Me? I feel fucking great, Jin. I know what I want, and I get what I want. Can you even say the same? Fucking freak." Il tressaille cette fois alors qu’un nouveau frisson d’angoisse lui parcourt l’échine. Il a essayé, encore et encore, à s’en rendre malade, incapable de comprendre pourquoi Carrie, Stan et les autres parvenaient à enterrer leurs traumas entre les cuisses de leurs multiples partenaires alors que la simple idée de retirer ses vêtements devant quelqu’un lui donne envie de fondre en larmes. Elle sait que ça le tue d’en être incapable, parce que c’est la preuve que tuer tous ceux qui leur ont fait du mal, gagner plus d’argent qu’ils ne peuvent en dépenser et prendre le contrôle du gang ne parviendra jamais à complètement effacer ce qui leur est arrivé. Parce que peu importe à quel point il tente d’effacer, de cacher les traces de ce qu’ils leur ont fait, ils ont toujours une emprise sur lui. Elle le sait et c’est pour ça qu’il l’aime autant qu’il la hait.

"Fuck you. And fuck this. You know, I never really got why Nina did what she did but now I think I do. I look at you, so self-righteous and wrong, and I get it." La mention de Nina le fait pâlir. Don’t, veut-il dire, supplier, mais le mot reste coincé dans sa gorge. "Who would ever want to follow a freak like you? Fuck you, Jin, maybe I'll join her and have my shot at happiness too, if not for one fleeting moment. It's clearly not with you that I ever could." Les coups qu’elle lui a donnés un peu plus tôt ne sont rien comparés à celui-là. Ils ne parlent pas de Nina. C’est un nom qu’ils ont banni parce que parler d’elle, c’est se rappeler qu’elle les a abandonnés. Mentionner Nina, s’est se souvenir que celle qui a su en premier, celle qui a gardé le secret pendant des années et s’est sacrifiée pour tous les sauver, a fini par arrêter de se battre.
La Nina qui a laissé Andrew la violer chaque nuit pendant des mois pour se servir de lui et espérer tous les sortir de là un jour devrait se tenir là, aujourd’hui. Elle aurait dû être assise à cette table avec eux ce soir et si elle avait été là, les choses ne seraient jamais allées aussi loin. Mais cette Nina a été détruite par les Warlocks et la coquille vide qu’ils ont laissée a fini par s’ôter la vie.

Elle lui manque, chaque jour. Pendant des années, elle a été la seule à savoir avec Zanjin, et même lorsqu’ils ont fini par le dire à Carrie, Nina était la seule, avec lui, à se souvenir. Peu importe à quel point il souhaiterait oublier, les souvenirs sont là et la seule personne qui pouvait véritablement comprendre ça est partie.

“Maybe you should,” dit-il froidement. Il paraît presque détaché, mais la colère et la douleur dans son regard sont bien réelles. “I don’t control you, you’re free to do whatever the hell you want,” poursuit-il en haussant les épaules. “Including killing yourself, if that’s what you want.” Please, don’t, I’m begging you. “You’re right, you know? Nina’s death is my fault,” admet-il aisément. “I should have focused on her, instead of wasting my time with you.” Il n’aurait rien pu changer, il le sait. Mais il ne peut rien faire pour Carrie non plus, pas vrai ?

Toute une vie passée à se débattre, et il est toujours aussi impuissant.  

tw: suicide mention, suicide encouragement, suicide ideation

Il est bien facile de blâmer la faiblesse et la couardise de Nina devant les autres; entre eux, pourtant, leur feu soeur est immuable, intouchable, et mentionnée avec parcimonie et un rien de gêne. Si elle les a lâchement abandonnés en s'oubliant une dernière fois dans les volutes de l'opium, elle reste aussi celle pour qui ils se sont en partie battus pendant des années, leur aînée qui aurait dû siéger sur ce trône avec eux, mais qui a disparu trop tôt. C'est grâce à Nina que Carrie a survécu au Tuskers, grâce à Nina qu'elle a appris à lire et à écrire l'anglais, grâce à Nina qu'elle n'est pas devenue complètement folle à faire les cent pas dans sa chambre jusqu'à en abîmer le plancher. C'est Nina, aussi, qui lui a appris à pousser les autres dans leurs retranchements, à appuyer sur tous les boutons à sa portée, et à apprendre à se défendre et à ignorer les coups jetés dans sa direction: leurs joutes verbales étaient incessantes, vénéneuses et intenses, les laissant parfois plus blessées qu'elles n'auraient jamais pu le montrer.
Ainsi, c'est tout naturel de la mentionner devant Zanjin, et de le blâmer pour sa mort. Ça, plus que tout, lui tirera une réaction et avec un peu de chance, lui fera perdre contrôle.

Is that what you want? I don't want anything. Would that make you feel better? Nothing would make me feel better.

Pendant un très bref moment de clarté, Carrie réalise que Nina serait véritablement excédée de les voir comme ça, à s'insulter sans bonne raison, à chercher à choquer l'autre et le repousser dans ses derniers retranchements. Maintenant plus que jamais, ils devraient s'allier, se pardonner et se tomber dans les bras en riant de leurs idioties puériles. Ils devraient s'asseoir, parler, faire des plans, s'expliquer, s'excuser d'un regard.

“Maybe you should.” Le coeur de Carrie bat si fort dans sa poitrine et dans sa gorge, ça lui ferait presque mal. Elle a du mal à respirer, réalise-t-elle, a trop chaud dans ses vêtements, a mal aussi le long de ses bras où sa magie est toujours en train de crépiter, un fond sonore discordant et désagréable. “I don’t control you, you’re free to do whatever the hell you want. Including killing yourself, if that’s what you want.” Carrie renifle, méprisante - si elle y a souvent pensé, elle sait que jamais elle n'en serait véritablement capable. Elle a bien des défauts, mais elle n'a jamais été une lâcheuse, pas envers sa famille en tous cas. "Maybe I will," répond-t-elle d'un ton furieux en montrant les dents, fouillant le visage de Jin à la recherche de la moindre faille. “You’re right, you know? Nina’s death is my fault.” Le coeur de Carrie s'arrête dans sa poitrine, comme si il savait avant elle le coup de glas qui vient en suivant: “I should have focused on her, instead of wasting my time with you.”

La claque sèche et violente part toute seule, avant même qu'elle ait pu y réfléchir. Jin ne l'arrête pas, et une empreinte rouge des doigts de Carrie apparaît sans tarder sur sa joue et en travers sa mâchoire, jusqu'à sa pommette. Il ne la frappe pas en retour, et elle ne le frappe pas de nouveau.
Quand elle baisse sa main, qui lui fait d'ailleurs un mal de chien et lui donne la désagréable impression d'être en feu et sur le point de marquer elle-même, son visage a perdu les expressions monstrueuses de sa nature de vélane, et toute colère a autrement quitté ses traits. À la place s'est hissé ce masque impavide au regard vide, une surface sans aspérité soigneusement travaillée et dangereuse: c'est quand elle enterre tout au plus profond d'elle que Carrie est la plus furieuse, la plus violente, la plus déraisonnée, la plus dangereuse.

Elle fait un pas en arrière, se tenant la main en laissant son pouce venir masser sa peau encore piquante. "Well you're stuck with me, asshole," siffle-t-elle d'un ton sec mais lisse, qui ne témoigne pas de la véritable déchirure qu'elle ressent alors que les mots qu'il vient de prononcer s'enfoncent en elle, s'attachent à la moindre pensée, à la moindre idée, au moindre regret qui a pu l'animer depuis la mort de sa grande soeur.
Carrie n'aurait qu'à retourner à son bureau, finir ses éclats d'opium, tout mettre dans sa pipe, s'allonger sur le canapé, et fermer les yeux - rejoindrait-elle Nina? Qu'aurait-elle à lui dire? La gorge de Carrie se noue d'un sentiment intrusif qui la met mal à l'aise - son deuil a été furieux, expédié, douloureux mais bien vite esquivé, et ce relent des années plus tard est pire que tout. "Fuck you." Sa voix est plus faible qu'elle ne l'aimerait, mais lui permet de s'ancrer dans le moment présent: les restes de leur dîner foiré, le regard de Zanjin posé sur elle, plein de jugement et de mépris, la marque rouge sur sa joue. "Fuck you," répète-t-elle avant de brusquement s'arracher à son regard.

Carrie ne sait pas trop où elle va quand elle attrape sa veste dans l'entrée, glisse ses pieds dans ses chaussures, et enfourne deux paquets de cigarettes dans ses poches avant de faire claquer la porte d'entrée. Elle sait juste qu'elle ne reviendra pas.