Rafaela est un peu anxieuse, et la seule raison pour laquelle elle n’est pas en train de se ronger les ongles jusqu’au sang, c’est parce qu’elle a trop peur qu’on l’observer. La lettre lui est parvenue plus tôt dans la semaine, la conviant à venir boire le thé chez les Fawley qu’elle ne connait ni d’Eve ni d’Adam. Elle a eu peur que ce soit une idée de ses parents de lui annoncer ainsi ses fiançailles avec le fils Fawley, le pur, mais ils l'ont vite rassurée que malgré la pression de la belle société, ce n'était pas dans leur plan.
Ainsi l'invitation d'Aphrodisia Fawley ne fait toujours pas le moindre sens à Rafaela. La seule chose la liant à cette femme est l'arbre généalogique généré par le sortilège von Bäume où Rafaela a appris qu'elle était la soeur de Warren et donc sa tante.

Rafaela déglutit un peu à cette pensée, mal à l'aise, aplatissant sa jupe sur ses cuisses en continuant d'observer son environnement d'un air curieux et nerveux à la fois. Elle n'a pas touché au thé apporté par l'elfe de maison, trop angoissée pour ce faire, préférant plutôt se remémorer la teneur de la lettre envoyée par Aphrodisia, son écriture élégante et impressionnante. Rafaela a mis trois heures à écrire une réponse confirmant sa venue, agonisant à la moindre tâche d'encre (pêché pourtant commun chez elle) ou trait tremblotant. Finalement, les doigts tâchés et poisseux d'encre, elle a fini par envoyer un hibou avec des mains tremblantes. Time to be a big girl, now, s'était-elle dit en regardant l'animal s'envoler.

Quelle malheureuse idée. Sylvia, sa mère, lui a proposé de l'accompagner mais Rafaela a refusé, s'imaginant déjà à avoir être celle à rassurer sa mère. Leurs contacts avec les Avery, depuis 2001, ont été plus que restreints. Rafaela a rapidement rencontré ses deux demi-soeurs peu après la fuite de Warren, mais a gardé ses distances, peu désireuse d'amener une relation n'ayant aucune raison d'être entre elle et la famille de son père biologique.
Elle repense à Elliott, au fait qu'il savait lui aussi, et au fait qu'elle lui a menti, et repousse fermement son visage de ses pensées. Ce n'est ni l'endroit, ni le moment, et elle ignore si la fameuse Aphrodisia est Legilimens en plus de tout. Elle la connait bien entendu - qui ne la connait pas? - et est déjà en train de monter le chou à l'idée de se faire tourner au ridicule par la doyenne de l'Euro-Glyph School.
Quand enfin une porte s'ouvre dans le petit salon de réception, Rafaela saute sur ses pieds comme si elle avait été assise sur un ressort jusque là. Ses joues perdent quelques couleurs alors qu'elle détaille la maîtresse des lieux d'un air vaguement anxieux. Et puis, très misérablement, du bout de lèvres tremblotantes d'angoisse: "hi."

Peut mieux faire; ses profs le lui disaient souvent.

14h47 – Aphrodisia laisse échapper un premier soupir particulièrement sonore ; les trois hommes présents échangent quelques regards interloqués, entreprennent de reprendre le cours de la conversation après quelques secondes de flottement. 14h53 – Aphrodisia, jusque-là anormalement droite et les mains jointes dans une attitude de présidente d’assemblée, se laisse lourdement retomber dans son fauteuil de cuir. 14h55 – Aphrodisia entreprend de finir bruyamment son thé. Do these fuckers not take hint? En plus de ne manifestement rien connaître aux runes médiévales – au point de vouloir les exclure du nouveau Traité supérieur de traduction des runes ! – ils n’avaient donc aucun sens des relations humaines ? A 14h57, Aphrodisia a épuisé toutes ses ressources – ses trésors – de patience ; elle se lève, apostrophe les gentlemen, les informe qu’ils vont malheureusement devoir se passer de sa présence pour le reste de cette réunion au sommet car un autre meeting de la plus haute importance l’attend. Elle n’a techniquement pas l’autorité pour suspendre la séance, quoique son départ mette sans doute un coup de pied dans la fourmilière ; au pire, elle délègue ses savoirs à son assistant, le petit Bertie, vingt-quatre ans et déjà une perruque de mauvaise facture, mais brillant (elle lui rappelle d’une main sur l’épaule qui se veut pleine de compassion mais est en réalité un peu trop ferme qu’il a encore soixante-dix rouleaux de parchemins à corriger pour ce soir). Elle se saisit de son chapeau, tend un sourire affable (carnassier) à l’assistance (qu’est-il arrivé à l’élite intellectuelle de ce pays, Merlin ?), les quitte dans un bruissement de cap et sans un mot de plus (pas comme s’ils en avaient quelque chose à foutre de la pédagogie dans ce pays, hein, de toute façon).

Et quand elle arrive au manoir Fawley, avec 10 minutes de retard, Aphrodisia est en rogne. Et elle est encore plus en rogne d’être en rogne, parce que la gamine Walsh n’a rien demandé à personne (au contraire, c’est clairement elle qui l’a entraînée dans tout cette bourbe), et qu’elle ne mérite pas cet agacement dû à quelques vieux cons parachutés là par un marquage de jeunesse. Elle va avoir besoin d’un petit fond de Blishen. Peut-être même de Kingsfield. Penser à demander à Grimky.
L’elfe se précipite justement sitôt la porte passée pour la débarrasser. Did Miss Aphrodisia enjoy her meeting? – Oh, you know I just can’t get enough of them Grimky (semblant d’un clin d’œil ; Grimky est l’elfe la plus sardonique d’Irlande une fois en bonne compagnie.) Has our lovely guest arrived yet? Did she have her tea? Brilliant. Elles échangent encore quelques bribes – Aphrodisia est toujours absolument satisfaite du travail de son elfe et cela contribue toujours à la dérider un peu –, puis Mrs Fawley prend enfin la direction du petit salon de réception (vert comme tout le reste de cet affreux manoir). La petite Walsh est là et bondit hors de son siège comme un de ces diables en boîte moldus ; Aphrodisia s’efforce de lui tendre un sourire pas trop féroce et une main pas trop ferme en guise de salutations. How do you do dear? Did you have a nice trip? (Elle sait que la question est un peu une aberration dans un monde sorcier habitué à se déplacer en un claquement de fumée, mais trouve toujours l’attention touchante).
Un coup d’œil à l’atroce stade de Quidditch miniature trônant dans un coin de la pièce, pour vérifier que personne d’autre n’est au manoir (la figurine à son effigie – placée sur une moto volante et non pas un balai, merci Merlin – vient se ranger pour flotter au-dessus de la propriété Fawley), et Aphrodisia rassure son auditoire : elles devraient pouvoir rester ici, nul besoin de se replier dans son bureau, asseyez-vous donc dear. Grimky apparaît au même moment pour servir le thé (remplit la tasse d’Aphrodisia, propose un nouvel assortiment de thés à Rafaela) ; la maîtresse des lieux n’intervient que pour dire please get this horrific fennel tea out of my sight – this is Felix’s, obviously, et remercier poliment l’elfe tout en lui demandant de prendre the usual measures.

Grimky s’éclipse à nouveau, dans un semblant de révérence qu’elle balaye d’un revers de la main – tous les signaux sont au vert pour rentrer dans le vif du sujet, et pourtant non. Aphrodisia prend un temps pour humer doucement les émanations caféinées de sa boisson, se réjouit d’y détecter une arôme presque imperceptible du houblon ; et la voilà qui commence à se répandre en explications sur son retard. I am terribly sorry for being so behind time (Rafaela ne peut pas se douter qu’elle ne débarque jamais nulle part avec moins d’un quart d’heure de retard, même si ce n’était nullement son intention avec elle), this whole academic reform process is sooooo time-consuming… Rationalising the educational system is utter bullshit if you ask me, but… (Elle sirote quelques gorgées de son thé, toujours un peu trop bruyamment). But I’m afraid it is of no interest whatsoever for you – as it should be. (Encore une.) Hmm, so I heard you’re into dragons? I mean… You’re working with them, right? I have to admit my spectacular ineptitude in this field, I barely know about sphinxes so… Tell me about it. Are you certified yet or are you still too young? What is it that you do exactly? (Deux gorgées, elle parle trop.)

Le balai miniature d’Angus s’envole du stade des Rowdy Ravens vers une rue de la soif galloise dans son dos ; Aphrodisia se retourne brièvement pour lever un sourcil inquisiteur. Anyway I’m rambling, rambling, rambling like an old lady… Let’s get into it, shall we? Elle agite légèrement sa baguette, fait ouvrir un placard cadenassé et parvenir jusqu’à la table autour de laquelle elles ont pris place un petit tas de lettres, puis entreprend de trier celui-ci en trois plus petits paquets (à la main, cette fois-ci – famille d’archivistes et fétichisme des papiers oblige). For various reasons mostly going by the name of Katherine Hargreaves I could not be more explicit in my letter and I am sorry about that, but… Elle tire une première lettre de la pile de droite, frappée du sceau d’un cabinet privé de notaires du Londres sorcier, l’examine brièvement. As you may know (elle souligne d’un coup de baguette deux informations, entoure un nom), you are technically an Avery heiress… Now I know this took some time, this really was a way more excruciating process than it needed to be, but you, my dear… (Elle lui tend le papier avec son nom entouré) … are finally getting your part of the share!

Elle ajoute deux lettres supplémentaires, dont une signée du Service de Généalogie du Ministère de la Magie ; entreprend de chercher un document en particulier, mais hésite un peu avant de s’en déposséder, momentanément occupée par la gamine qui assimile l’information. S’y attendait-elle ? Est-ce qu’elle aurait dû y mettre davantage les formes ? Elle a les sourcils fournis et les yeux bruns de l’adolescente butée qu’elle-même a été. La mâchoire de Warren ? Elles ne se sont jamais vues d’aussi près. Et elle ne peut pas s’empêcher d’apposer une légère pression sur un des poignets de la jeune femme (deux doigts seulement), et d’ajouter des précisions empressées. This… is just money. Everything is settled with the Ministry already, all you have to do is to is (elle soupèse le tas restant) sign a bunch of papers and the money is yours (elle indique d’un coup de baguette la copie du testament de Warren Avery qu’elle a précédemment tendu à Rafaela – cinquième ligne) – as it should be. (Elle retire sa main, détourne légèrement le regard.) And this doesn’t engage you with the Avery family whatsoever. You are legally entitled to this, so if you want it, need it, or whatever this is, just take it. I have no clue how the CSOUS is treating young witches nowadays… But if money ever comes knocking to your door, I believe you might just as well take it. Aphrodisia a une petite moue de circonstance, hausse les épaules, presque un petit sourire. Elle voudrait lui dire des milliers d’autres choses (qu’elle peut poser des questions, ne pas en poser, que les deux font sens), en taire à peu près autant (que c’est ce que Warren aurait voulu, mais pas Katherine, et que peut-être elle fait aussi un peu ça pour emmerder cette américaine qui veut marier ses filles à des vieillards), commencer à paver le chemin pour autant de discussions minées (il y avait une part réservée à son frère aussi, oui, mais comment dire…)
Mais elle parle trop ; elle veut rassurer la pauvre enfant mais ne fait que la noyer. Alors Aphrodisia finit son thé d’une lampée, repose la tasse un peu trop fort sur la table (demander à Grimky d’augmenter les doses à son prochain aller), et se contente d’un more tea? au petit sourire entendu (et un peu crispé).

Raf n'aime pas le silence, et s'efforce constamment de le noyer avec sa voix et ses mots, s'enlisant parfois dans des explications rocambolesques et incompréhensibles, des prises de paroles aussi inutiles que confuses et confusantes pour tout le monde autour d'elle. Qu'elle se retrouve sans le souffle et sans la moindre chose à dire est extrêmement rare, et fait grimper en elle une nervosité affolante et inhabituelle. Aphrodisia lui tend la main et Raf essuie rapidement sa paume contre sa cuisse avant de la serrer, hagarde, sans mot dire. "How do you do dear? Did you have a nice trip? - Good, yes, good," balbutie-t-elle, l'air à côté de la plaque, et s'assied quand on le lui indique, ses yeux toujours rivés sur la maîtresse des lieux.

Elle fouille son visage, essaye d'y trouver une trace d'elle ou d'Elliott, ou de Warren Avery, et doit provoquer l'effort de ciller des yeux pour jeter un regard à l'elfe qui lui propose un nouveau thé, alors qu'elle n'a pas touché au précédent, et sous le choc elle n'a même pas le temps d'être amusée lorsque son hôte prend les devants et finit par commander pour elle. Rafaela se fait déjà la réflexion qu'elle l'aime bien, mais qu'elle l'impressionne aussi.

Elle reste encore une fois terriblement silencieuse lorsque l'elfe tire (littéralement) sa révérence. Mains posés sur ses genoux pressés l'un contre l'autre pour ne pas les mordiller, assise au bord de son siège comme si y poser une deuxième fesse allait la lui brûler, Rafaela attend avec une impatience teintée d'appréhension une explication quant à cette invitation sortie, semblerait-il, de nulle part. "I am terribly sorry for being so behind time, this whole academic reform process is sooooo time-consuming… Rationalising the educational system is utter bullshit if you ask me, but… - I can... imagine... - But I’m afraid it is of no interest whatsoever for you – as it should be." Rafaela lui adresse un sourire coupable, enfonce ses ongles dans son genou. "I can imagine," se répète-t-elle en bredouillant. "And I didn't wait long." Juste le temps de se faire un milliard de films - rien de grave.

"Hmm, so I heard you’re into dragons?" Les yeux de Rafaela papillonnent, elle est surprise à l'idée qu'elle s'y soit intéressée, et retenu cette information. "I mean… You’re working with them, right? I have to admit my spectacular ineptitude in this field, I barely know about sphinxes so… Tell me about it. Are you certified yet or are you still too young? What is it that you do exactly?" Rafaela ouvre la bouche, la referme, a du mal à démarrer. "I'm a keeper in a wyvern refuge in Wales. I mean, a dragonologist," précise-t-elle, pour faire un peu plus sérieux, tout de même. "It's a diploma, not a certificate." Non pas que cela fasse la moindre différence à ses yeux à elle, mais elle imagine qu'une académique comme Aphrodisia saura y trouver une quelconque valeur.

Elle réalise par la même, à sa grande surprise, qu'elle essaye ainsi de l'impressionner, comme si son opinion avait la moindre importance. Cette pensée la dérange, d'une certaine manière, et Rafaela, sans s'en rendre compte, se met à se mordiller les lèvres.

Quand elles entrent enfin dans le vif du sujet, Raf aligne deux grands yeux noisette et reste silencieuse, observant Aphrodisia trier son courier d'un air incompréhensif et dubitatif à la fois. "As you may know, you are technically an Avery heiress…" Les yeux de Rafaela remontent d'un coup vif vers Aphrodisia, occupée à autre chose, et son coeur fait une embardée dans sa poitrine - wait, what? wait, no. "Now I know this took some time, this really was a way more excruciating process than it needed to be, but you, my dear… are finally getting your part of the share!" Trop abasourdie pour traiter toutes ces informations, Rafaela attrape ce qu'on lui tend et pose dessus un regard exorbité et perdu.

Elle lit rapidement ce qu'elle a dans les mains, ses yeux sautent d'une information à l'autre sans pour autant qu'elles demeurent dans son crâne. Rafaela ne se rend même pas compte qu'elle n'a rien dit, rien répondu, rien réagi. Elle voit son nom, celui de Warren Avery, celui de ses filles, celui d'Elliott. Elle voit des certificats, des signatures qu'elle ne reconnait pas, un sceau magique qui ondule sous ses yeux hagards. Elle voit tout ça, et elle ne comprend rien.

Raf sursaute en sentant les doigts d'Aphrodisia se presser sur son poignet, lui faisant relever le regard. "This… is just money. Everything is settled with the Ministry already, all you have to do is to is sign a bunch of papers and the money is yours," lui explique sa tante biologique en lui montrant le testament de Warren Avery, qui l'a effectivement mentionnée dedans, ainsi qu'Ellie, "as it should be." Sauf qu'elle n'est pas une Avery et, surtout, elle n'est pas sa fille - pourquoi voudrait-il qu'elle soit présente dans son testament, qu'elle hérite de lui? Rafaela relève les yeux vers sa tante. Elle l'a déjà croisée plusieurs fois, mais jamais d'aussi près, et elle la dévisage de nouveau, avide de détails. Elle se souvient des mots qu'elle a partagé avec Elliott, son désir de ne pas faire partie de la vie de Warren Avery, sous aucune forme. Elle est tentée de repousser ces documents, de les déchirer sous ses yeux, de lui dire de ne plus jamais la contacter - cette envie disparaît aussi vite qu'une dragon effrayé dans sa tanière, et meurt de manière inattendue.

"And this doesn’t engage you with the Avery family whatsoever. You are legally entitled to this, so if you want it, need it, or whatever this is, just take it. I have no clue how the CSOUS is treating young witches nowadays… But if money ever comes knocking to your door, I believe you might just as well take it." Rafaela cligne des yeux, toujours trop abasourdie pour articuler quoique ce soit. "More tea?" Regard pour la tasse ramenée par l'elfe, toujours intouchée. "I'm fine, thank you," parvient-elle enfin à vocaliser. Elle se fait la réflexion qu'elle ne serait pas contre quelque chose d'un poil plus fort, mais c'est autant illégal qu'inapproprié, alors elle n'en dit rien.

"This is... this is..." Elle baisse de nouveau les yeux sur la documentation, la parcoure nerveusement. "I don't know what to say." Et c'est bien la première fois depuis bien longtemps qu'elle est dans cette situation. Ce n'est pas seulement de l'argent, réalise-t-elle, c'est beaucoup d'argent. Beaucoup trop - elle n'en a pas besoin. Son père est riche - plus qu'elle ne le pense elle-même -, et elle gagne bien sa vie, en faisant la comparaison avec son style de vie plutôt modeste. Raf n'a pas besoin de tout ça, mais elle pense... elle a l'impression d'en avoir envie, et cette pensée lui amène un pincement au coeur désagréable. "But..." Elle relève les yeux vers Aphrodisia, fronce les sourcils. Elle essaye de comprendre ce qu'elle veut, pourquoi elle est là aujourd'hui. Apparemment, organiser cette rencontre n'a pas été sans embûches. Pourquoi prendre la peine. "Is he... I mean... has he died?" balbutie-t-elle d'une petite voix, son estomac se serrant douloureusement dans son ventre à cette idée, sans comprendre.