Beauxbâtons fermait ses portes derrière elle pour la dernière fois. Sa défunte mère l’avait envoyée en France pour la protéger des excès masculins qui courraient après la pureté d’un sang raréfié en Pologne. Leczinska, quel nom impossible pour une reine, avait-on soufflé autrefois à Versailles. Qu’en était-il, alors ? Il n’était pas bon chez les moldus de faire preuve de dons étranges, inexplicables et à l’image des sorciers à ce jour, on se permit d’effacer des registres les taches déplorables de la sorcellerie. Les historiens disent encore qu’Anna Leczinska est décédée à l’âge de dix-huit ans, ne laissant à ses parents qu’une fille, Maria, future épouse de Louis XV. Faux clame l’arbre révélé, la jeune femme fut écartée, trop sensible, d’une voyance qui aurait privé la lignée d’une couronne, qui les aurait conduit à de vastes drames. L’une fut sans doute aussi pure que possible quand l’autre fut cracmol et l’ambitieux Stanislas, s’il aimait Anna, ne put se résoudre à laisser passer l’incroyable opportunité d’un nom ancré dans l’Histoire. Beauxbâtons, école protectrice de ceux qui ont survécu, de la noblesse en exil, de l’aristocratie malmenée par la Révolution, de ces gamins sorciers qui ont frôlé un sort infâme. Matriarcat mal vu, parfois, sur d’autres sols. Ecole équitable, malgré tout, qui ne les traite pas mieux que d’autres enfants au sang moins pur. Beauxbâtons, c’était les plus belles et paisibles années de cette jeune sorcière que ses professeurs qualifiaient de brillamment prometteuse, dont le destin basculait brutalement. Sans sa mère, elle ne pouvait plus échapper à de quelconques arrangements et si dans sa famille les femmes pouvaient tout aussi bien transmettre le nom que les hommes - tout du moins si elles s’avéraient enfant unique - il devenait difficile de lutter contre des normes archaïques, si jeune et sans guère de défense. Le mariage, la bague au doigt. La corde au cou.

Plaquée contre le mur du vaste manoir, elle cherche l’air, l’oxygène qui manque à ses poumons, panique au bord des lèvres. Elle pleure depuis plusieurs heures, plie sous la violence de l’ivrogne qui déshonore à grand renforts de catins le sang qui est le leur. Lubomirski, pactise d’infâmie avec les putains moldues, offre bâtards mêlés dans le dos de la jeune femme. Il a toujours été violent et elle ne l’a jamais aimé, terrifiée par sa capacité à faire preuve d’une cruauté aussi physique que psychologique. A la hanche demeure une cicatrice, souvenir amer de la toute première nuit partagée, pauvre vierge sacrifiée. « Tu as essayé de récupérer ta baguette. Je pensais avoir été clair. » Les ongles s’enfoncent dans la main qui serre son cou un peu plus fort, elle ne peut même pas supplier. « Ma femme n’a pas besoin d’user de magie. Sache rester à ta place. » Sa place, en esclave de ses envies. Sa place, réduite à l’état de vulgaire non-magique, de pauvre chose incapable de se défendre. Le ventre légèrement arrondi n’a pas arrangé la situation contrairement à ce qu’elle espérait, mâle à la virilité se sentant menacée par une épouse qui pourrait asseoir son autorité de quelques sortilèges habiles. S’effondre l’enveloppe charnelle de la gamine.


D’entre les lèvres s’extirpe le liquide noir. D’entre ses cuisses glisse l’hémoglobine. Poupée titube, appuyée au mur, dure à la douleur, a encaissé trop de coups. Le sel des larmes se mêle à l’infâme poison employé. Elle avance, malgré ça, s’accroche aux meubles sur lesquels restent les traces poisseuses de son passage. Elle veut mourir en contemplant l’horizon. Elle ne veut pas mourir entre les vieilles caisses et les amas entassés du grenier, sans voir une dernière fois le crépuscule. « Non.. » Ca s’étouffe dans sa gorge, le corps heurte le torse masculin, s’y accroche par réflexe de survie quand l’esprit refuse cette non-vie imposée. Elle ne veut plus, elle ne peut plus. Arracher de ses entrailles le fruit de l’union lui était indispensable, elle ne voulait pas sceller son destin à celui de son monstre d’époux, accoucher d’une progéniture mâle qui pourrait attraper tous ses vices. « Sau- » Sauve-toi. Geint d’une souffrance brûlante au ventre. Inconscience.

La lame glisse à la gorge, par derrière, taille la peau claire de cet oncle qui a osé profiter du décès de sa mère pour la vendre, par deux fois. Le second prétendant n’a pas obtenu gain de cause, Jacenty en rempart mais la colère qu’elle en a ressenti a été terrible, bafouée par les siens, considérée comme une vulgaire marchandise. Où étaient ses jeunes années si heureuses auprès d’une mère qui tentait de lui enseigner l’indépendance et le libre choix ? Trop loin. Cadavre chaud à ses pieds, mains ensanglantées, elle observe l’homme qui sort de l’ombre, lui fait face. « Epouse-moi. » Les mots sont distincts. Elle tremble un peu, Sissi, c’est la première fois qu’elle fait ça, qu’elle ôte la vie sans user de magie, qu’elle fait preuve de ce qu’elle considérait autrefois comme une bassesse de l’esprit. « Je ne veux plus d’un chien de garde. Epouse-moi. » Répétition plus assurée, certitude du ton de la voix, dans la vaste pièce des vestiges dissimulés du palais Lubomirski. « Suis-moi en France. »


Epousailles pourpres. Baiser unique lie les avenirs, tremblement au coeur d’un contact timide. Mariage blanc orné de rouge, du sang versé pour s’évader, venger l’enfant sacrifiée à l’ogre avide désormais décédé. Imperium pour convaincre l’Ukrainien de céder à la demande, de plier, de sceller l’alliance sur l’instant. Voyage macabre qu’ils pensent achever, se libérer du poids d’injustes accusations, s’offrir les lettres de noblesse leur permettant de poursuivre à deux les desseins de la gamine désireuse de restaurer l’héritage des siens. Matriarcat renaissant, donne le titre de Comte à l’homme protecteur à qui elle doit la vie.


L’odorat est perturbé. Fragrance de mort à ses narines, seule à la percevoir. Elle s’appuie contre le mur à proximité, perçoit la variation du décor. Les images finissent par s’imposer, s’extirpent de l’ombre pour heurter la gamine, manquent lui faire perdre l’équilibre. Chaos, sang, flammes. Elle se souvient avoir entendu sa mère dire qu’il s’agit d’un don, d’un honneur offert par les ancêtres, qu’il ne faut pas rejeter ce qui fait partie d’elle mais ça la fait s’effondrer. Erzsébet glisse, dos contre les pierres rugueuses, prise de tremblements. Il faut partir. L’existence est une course permanente auprès du loup. Sang-mêlés s’échinent à faire payer quelque chose, trépas laissés sur leur chemin macabre. Elle ne sait plus si ce sont ses ténébreuses prédictions ou la nature de Jacenty. Elle ne sait plus, dans cet état, poupée tremblante noyée de larmes. Partir, il faut partir répète-t-elle, la tête entre les mains. Esprit malmené, accablé. Lourde solitude de l’âme.

« Identité. » « Erzsébet Izolda Athenais Leczinska. Nous avons envoyé une missive il y’a plusieurs semaines. Une demande d’asile. » « Statut de sang. » « Pur. Lubomirski était un nom d’emprunt, celui de .. je suis veuve. Je l’étais, du moins. » L’entretien s’est éternisé. Elle n’imaginait pas l’Angleterre si complexe, si pointilleuse. Les mensonges disséminés au cours du voyage n’avaient pas lieu d’être sur ces terres, on ne lui reprocherait pas d’avoir un nom ancestral, historique, lourd de nuances, au blason vieillissant. On ne lui reprocherait ni son ascendance ni ses étrangetés, du moins pas comme on l’avait fait en Pologne, pas comme dans les petits villages qu’ils avaient traversé où voyance rimait avec danger ou folie. Cela lui semblait sans fin, insoluble, à l’époque. Le serait-ce autant, chez les anglais ? Probablement pas. Elle savait ses cousins réfugiés sur ces terres depuis des décennies, ne l’avait découvert qu’en tachant ses mains du sang de son oncle, espérait simplement que la plupart ne soient pas désaxés. Massacre, guerre fratricide, incestes forcés. Les hommes avaient-ils tous les vices, dès qu’ils naissaient dans cette lignée ? On racontait que beaucoup étaient frappés de folie, une sorte de malédiction. « Votre histoire n’a aucun sens. Pourquoi votre mari porte votre nom ? » « Il pourrait être mon oncle, qui sait ? » Le ton ne fait pas rire l’employé, l’oeil soupçonneux, sévère. « Mon nom a plus de valeur que le sien, c’est tout. Nos emmerdes se valent mais il n’était pas malin, politiquement, d’opter pour sa famille. Quand il n’y’a pas de fils, chez moi, c’est à la fille de préserver l’héritage. Les coffres sont loin d’être vides, vous savez. Et mon arbre généalogique ne ment pas. » « Y’a quand même beaucoup de décès. » « Je vous l’ai dit : une vraie tragédie. J’espérais que l’Angleterre nous offrirait un nouveau départ, nous avons entendu dire que le bien-être des sorciers était une priorité ici. »


« Jace.. tu pourrais.. je ne t’en voudrais pas si tu te trouvais une nouvelle meute.. » S’il l’abandonnait pour aller mieux. Elle sait bien qu’il ne peut pas s’éloigner trop d’elle, que le lien maudit qui les unie va au-delà du mariage et qu’il serait bien vite rappelé à sa protection par la magie corrompue, la malédiction vengeresse de sa lignée. Elle se sent coupable et impuissante, incapable de soulager le lyncathrope solitaire. Sa main esquisse un geste, Sissi envisage une second de caresser la joue de l’époux mais se ravise, n’ose pas. « C’est grand ici.. on pourrait héberger au moins deux personnes.. » Au risque qu’elle soit malmenée, certes, épouse d’Alpha qui n’a pas même consommé l’union, qui n’a pas dans les veines une quelconque trace de loup. Elle ne pense pas à ce que les autres en diraient, elle pense au bien-être de l’homme parfois trop fier.


Noirceur aux phalanges, ensorceleuse de bijoux délicats, pactise avec les pauvres âmes en détresse, les épouses malmenées, les femmes dont la vengeance se noue au coeur. Noirceur dissimulée aux airs d’oie blanche de la jeune poupée, Erzsébet est brillante, inventrice qui ne s’en vante pas, cherche sans cesse à apprendre, à repousser les limites. La joaillerie sur Diagon Alley offre une devanture de perfection, des promesses de sur-mesure, des prix plus ou moins accessibles mais une clientèle privilégiant la richesse de cette pureté qui continuera de se marier envers et contre toutes les circonstances pour préserver le sang. Ca brille, pierres précieuses, accessoires incontournables, chaque objet pouvant être ensorcelé. Une cravate qui change de teinte ? Rien ne se refuse. La propriétaire se passionne pour l’impossible, s’enthousiasme des demandes farfelues de celles et ceux qui veulent le meilleur. On dit que chez Eudora l’excellence est une valeur primordiale. Dans l’arrière boutique, pourtant, le décor s’obscurcit, on achète sans or, on promet des services, vile sorcière qui fait signer des contrats, peut réclamer le dû quand ça lui chante. La mort ne se monnaye pas sans secret, n’est-ce pas ? Et si une dame trompée réclame une alliance empoisonnée, qui est Erzsébet pour le lui refuser ? La langue sera liée, l’objet du crime enflammé l’office terminé. Petit monstre de tortuosité sous un minois de jeunesse délicate. Point de génie sans grain de folie.