APRIL 2007. Harry se réveille dans un brusque sursaut qui manque de lui arracher un petit cri tant de stupeur que de douleur. Il a l'impression qu'on vient de lui mettre un coup de hache en travers du crâne et que son front est en feu: il sent plus que jamais la forme et la profondeur de sa cicatrice en forme d'éclair, tant et si bien qu'il se surprend à lever la main pour l'effleurer, surpris de ne pas y trouver de sang. Il cligne des yeux, confus, en se redressant un peu dans le lit. Son corps est luisant de transpiration et il repousse les draps qui lui collent à la peau d'un coup de pied rageur, jetant un regard plein de reproches à la masse endormie de Draco à côté de lui qui n'a pas moufté dans son sommeil.
Harry lui en veut un peu de ne pas bouger, et surtout de ne pas se réveiller en même temps que lui: il jalouse son sommeil, profond quand il arrive, même si Malfoy a tendance à seulement sombrer quand il frôle l'épuisement. Il l'observe en silence pendant quelques instants, jaloux de son sommeil, ayant presque envie de le réveiller juste pour ne pas être seul dans sa panique nocturne. Un nouvel élan de douleur le fait grogner et il finit par quitter le lit, enjambant le corps affalé de Draco en faisant en sorte de ne pas le déranger, lui adressant un dernier regard plein de rancoeur avant de fermer la porte de la chambre derrière lui.
Il va directement dans la salle de bains pour se passer de l'eau dans le visage, et pour observer son reflet. Ses yeux verts lui rendent un regard paniqué aux pupilles éclatées. Sa cicatrice est rouge, plus rouge que d'habitude, et la peau qui l'entoure est enflée et douloureuse au toucher. Harry palpe sa tête du bout des doigts en grimaçant, avant qu'un nouveau flash de douleur le fasse grogner et secouer la tête.

Il regarde la petite masse rouge se rassembler au-dessus de sa main à la paume tendue vers le ciel, les particules de magie se mêler aux particules de sang. Ils avaient tous tort, les livres n'ont fait que mentir. Nicolas Flamel n'a rien compris, mais lui, lui sait désormais comment atteindre son but. Peu importent les conséquences...
Il referme le poing et les particules magiques finissent de se lier ensemble, formant quelque chose ressemblant à une petite pierre. Elle reste, en suspension dans l'air, et il peut déjà sentir sa magie, sa puissance, sans même la toucher...
Mais ce n'est pas assez.

Quand Harry rouvre les yeux, il se rend compte qu'il est parterre. Le bas de son dos lui fait un mal de chien, ainsi que sa jambe: il est tombé sans s'en rendre compte. Il reste silencieux et immobile pendant un instant, tendant l'oreille, rassuré et agacé à la fois que Draco ne l'ait pas entendu et soit vraisemblablement toujours en train de dormir dans sa chambre.
Il lève une main tremblante vers le rebord de l'évier et l'utilise pour se relever lentement, manquant de chavirer à plusieurs reprises ce faisant. Cette fois il ne regarde pas son visage dans le miroir, devinant déjà la peau boursouflée et douloureuse autour de sa cicatrice qui lui donne l'impression d'être en feu, et se contente de se rincer le visage et de boire un fond d'eau avant de retourner en tremblant dans le salon, s'écroulant sur le canapé qui s'y trouve. Il n'a aucune envie de retourner dans sa chambre à lui, froide et déserte, ou celle de Draco, frissonnant rien qu'à l'idée de l'effleurer par inadvertance dans son sommeil. Quand il est comme ça, les nerfs à fleur de peau, la simple perspective d'un contact physique dans son sommeil le révulse. Déjà que de manière quotidienne il a tendance à se réveiller brusquement et à lui foutre des coups quand Draco s'approche trop...
Harry ferme les yeux, inspire et expire profondément comme le lui a appris Narcissa dans l'espoir de calmer les battements de son coeur: malheureusement, ce n'est pas ça qui va faire disparaître la douleur, qui revient de temps à autres en élans handicapants qui lui donnent envie de se frapper la tête contre un mur jusqu'à s'assommer, tout pour que sa souffrance cesse.

Il ignore combien de temps il reste là, dans le noir, dans un état presque comateux, tenu éveillé par la douleur et à la fois bercé par le noir et le silence, jetant de temps à autres des regards plein d'envie et de reproche à la fois en direction de la porte de la chambre de Draco. La douleur commence lentement à disparaître, même si un fourmillement fantôme demeure sous son crâne. Un craquement le fait sursauter, et ouvrir de grands yeux surpris quand une silhouette enveloppée d'ombres apparaît dans le salon. Il n'a pas le temps de paniquer que la baguette du nouveau venu, que vient de cracher la cheminée dans un éclat de flammes vertes éteintes en un instant, s'allume d'un Lumos murmuré.
Un visage que Harry a vu quelques fois apparaît dans l'obscurité. Shafiq — il n'a pas retenu son prénom — est un employé du Ministère que le Lord visite souvent. Il a des cernes sous les yeux, les cheveux qui partent dans tous les sens, et l'air de quelqu'un qui a été tiré du lit il y a environ cinq minutes. Si il est surpris de trouver Harry assis dans le noir sur un canapé, en sous-vêtements de surcroît, il n'en montre rien. “ Mr Potter, apologies for disturbing you, but the Lord requires your presence, ” dit-il d'une voix enrouée de sommeil. “ How much time do you need? ”

Quelques secondes plus tard, Harry est dans la chambre de Draco en train de récupérer ses affaires et de s'habiller rapidement, ayant allumé la lumière de son bureau en espérant le réveiller; ça ne manque pas. “ Where are you going? ” finit par lui demander le jeune homme, les yeux à peine ouverts, et Harry lui adresse à peine un regard. “ The Lord asked for me. Go back to sleep. — When will you be back? ” Harry l'ignore. Il ignore même si il sera de retour. Ah! Non, en réalité, il sait que lui et le Lord ont un lien trop fort pour que celui-ci se débarrasse de lui comme ça.
Il jette un regard ennuyé à Draco, notant sa mèche de cheveux blonds décoiffée qui lui tombe sur les yeux, ceux-ci qui ont du mal à s'ouvrir, les grains de beauté éparpillés sur son torse qui disparaissent quand il tire un peu mieux les draps sur lui. “ Go back to sleep, ” répète Harry d'un ton dur. En passant près du lit après avoir éteint la lumière, il pose sa main sur le crâne de Draco et le pousse durement en direction de son oreiller. “ Be back soon. ”

Une fois ses vêtements sur le dos, il retrouve Shafiq dans le salon. Ils disparaissent ensemble dans un flash de flammes vertes, Harry parvenant à grand mal à repousser la vague de dégoût qui l'agite quand l'autre homme lui attrape le bras une fois dans l'âtre de la cheminée. Ils apparaissent dans un bureau où ne règne aucune lumière, bas de plafond et bien organisé du peu que Harry en voit, et Shafiq lui fait signe de le suivre d'un mouvement de la tête.
Harry reconnait avec un frisson de malaise les couloirs du Département des Mystères. La dernière fois qu'il était là... il se mord la lèvre en accélérant derrière Shafiq pour rester à son niveau. Il se souvient à ce moment là qu'il est directeur de ce département, ce qui expliquerait peut-être la raison de sa venue.
Si Harry reconnait vaguement les couloirs, pour les avoir arpentés toutes ces années auparavant à la recherche de Sirius, il ne reconnait pas la porte à travers laquelle Shafiq le fait passer, ni les escaliers qui s'enfoncent dans les ténèbres. Il comprend avec un petit frisson de peur qu'ils s'enfoncent plus profondément encore sous terre, et il se demande si il imagine la pression qui s'amoncelle lentement sur ses épaules et son crâne à cette perspective, comme si il pouvait déjà sentir les tonnes et tonnes de terre, de pierre et de béton l'ensevelir à jamais dans les boyaux du Ministère de la Magie.

La température chute aussi à mesure qu'ils s'enfoncent dans les ténèbres: ça, en revanche, Harry sait ne pas l'imaginer puisqu'il sent les poils de ses avants-bras se dresser sur sa peau sous ses vêtements. Guidé par Shafiq qui maintient un sortilège lumineux pour les guider, il essaye de se focaliser sur la silhouette du sorcier face à lui et de ne pas trop penser à ce qui l'attend au bout de ce long et sinueux tunnel. Il fait de son mieux pour ignorer les portes à côté desquelles ils marchent. Certaines ont des fenêtres entravées de barreaux, et Harry reconnait là des cellules. Ça lui fait penser à...
Les souvenirs douloureux et traumatiques n'ont pas le temps de remonter à la surface que Shafiq, devant lui, s'arrête brusquement; Harry manque de lui rentrer dedans tant c'est soudain. Ils font face à une porte, et Harry observe la nuque de Shafiq alors que celui-ci inspire profondément avant de s'emparer de la poignée et d'ouvrir le battant.

L'odeur est la première chose qu'il remarque: une odeur métallique et rance de sang, beaucoup de sang. Harry fronce du nez alors que Shafiq le fait lâchement entrer en premier. “ I am not to go any further... ” lui dit le directeur de département, avant de refermer la porte derrière lui sans un mot de plus. Après ce long et sombre couloir étroit aux murs étouffants, les voilà dans une sorte de cave dont le plafond culmine si haut que Harry ne peut pas en voir les détails à cause de l'obscurité ambiante, seulement vaincue par trois globes magiques de lumière qui flottent paresseusement à quelques mètres du sol. Les murs de roche naturelle autour d'eux sont suintants d'une eau sale et dont la source est difficile à imaginer. Harry ignore même si il se trouve encore à Londres...
Il trouve vite du regard la silhouette du Lord, assis au centre de cette salle impressionnante et terrifiante. Au sol, Harry peut voir plusieurs cercles concentriques, des runes et des symboles qu'il reconnait difficilement. Il se souvient très vaguement de Sirius lui parlant d'alchimie... il sent un mal de crâne se refermer en étau autour de sa tête en touchant le sujet du bout du doigt.
Le Lord a les yeux fermés, et c'est seulement quand Harry pose un pied sur le cercle concentrique le plus extérieur qu'il les ouvre, ses deux prunelles rouges le clouant sur place. Maintenant qu'il est plus proche, Harry peut voir que le cercle alchimique n'a pas été tracé avec de la terre comme il le pensait, mais du sang.

“ You saw it. ” La voix du Lord est rocailleuse, et faible. Il se lève lentement, et Harry le voit avoir du mal à trouver son équilibre. Il ne lui fait pas l'offence de s'approcher pour l'aider, et reste plutôt immobile, l'observant se rapprocher en silence.
Le Lord ne lui a jamais semblé si fin, si faible aussi. Ses joues creuses, ses cernes violents et ses pommettes tranchantes lui donnent un aspect encore plus reptilien et terrifiant. Quand le Lord lève le bras et que sa tunique révèle une partie de son bras, Harry est surpris de voir le poignet tout fin aux longs doigts osseux, la chair pâle collant presque aux os au niveau de ses biceps. Le Lord approche sa main du visage de Harry, qui a un mouvement de recul qu'il parvient à réprimer au dernier moment. Il ferme les yeux comme pour se préparer à l'impact quand les longs doigts du mage noir se mêlent à ses cheveux, son pouce venant s'appuyer sur sa cicatrice. “ This scar... ” Le Lord laisse le mot en suspens et ne finit par sa phrase, sa main retombant plutôt avec lenteur le long de son corps. Quand Harry rouvre les yeux, il se rend compte qu'il y a un nouveau changement à l'apparence du Lord: sur son torse, laissé nu par la tunique souple et trop grande pour lui qu'il porte, il y a une tâche rouge enfoncée à la surface de sa peau.

“ This is... ” Harry fronce les sourcils, essayant de faire la part des choses entre ses souvenirs à lui, et les souvenirs du Lord offerts par la cicatrice. Le Lord le laisse réfléchir, et il lui faut quelques instants pour enfin trouver les bons mots: “ this is what you have been seeking. ” Le visage du Lord se tord d'une émotion que Harry a du mal à reconnaître, pour l'avoir vue si rarement; c'est de l'amusement. Ou de la satisfaction. C'est toujours difficile de faire la différence... “ Yes... ” Les doigts du Lord retombent et Harry relâche un léger soupir. "It has taken me many months and many resources but yes, finally... I have it. — What is it? — You have tried to keep me from it once before... the very first time we met. Ah, well, the second time. ” Harry fronce les sourcils. Cette tâche, à la lueur interne impossible, posée à la surface du Lord, ne ressemble en rien à la pierre philosophale créée par Nicolas Flamel et cachée par Dumbledore à Hogwarts.
Les souvenirs de l'école, comme toujours, arrachent une grimace à Harry quand un nouvel élan de douleur vient lui broyer le front. Comme si il avait lu dans ses pensées, le Lord reprend; et ce faisant, pose une main protectrice et bienveillante sur l'épaule de Harry, le faisant se tourner et avancer sur le même pas que lui. “ It is a different make, of course. Flamel is long gone, and so are his secrets. ” Harry garde les yeux sur le sol, trop impressionné par l'aura de puissance et de pouvoir du Lord pour soutenir son regard curieux; à la place, il explore des yeux les signes étranges tracés à même le sol de pierres et de terre. Il ne reconnait pas les symboles utilisés, mais leur forme lui est familière, lui remémorant quelques rares après-midi passées avec Sirius à Grimmaurd Place. “ So I had to improvise... Have you ever heard of Langleeford? ” La question est rhétorique, et Harry ne prétend même pas répondre, laissant le Lord enchaîner après une courte pause: “ It's a little village, not too far from here... It's where I found my last missing ingredient. ” Il s'arrêtent finalement de marcher au centre du dernier cercle; l'épicentre de tous les cercles alchimiques, l'épicentre de la grotte aussi.

Plus que jamais, Harry a l'impression d'étouffer, comme si la magie était plus puissante en se tenant ici. A moins que ce soit la présence du Lord. “ This came to me from Greece. A long gone set of instructions from Atlantis... ” Du bout d'un doigt osseux, le Lord désigne les nombreux caractères qui les entoure, tous tracés précisément. “ The blood... well. Langleeford contributed. With glee. ” Harry sent une sueur froide lui dévaler la nuque et la colonne en levant les yeux vers le Mage Noir. Les yeux rouges de Lord Voldemort brillent d'une lueur amusée. “ And so many other things, so many little pieces, that had to be assembled... just the right way. And here I am. ” Le Lord ouvre les bras et un sourire (un sourire!) vient éclairer son visage, ne le rendant que plus émacié et terrifiant. Inhumain.
Harry reste silencieux, ne comprenant pas vraiment comment il est sensé réagir face à l'euphorie du Lord dont les lèvres laissent échapper un mince filet de rire. Harry a peur. Pour la première fois depuis des lustres, il a peur en la présence de Voldemort; non pas, comme d'habitude, de la promesse de douleur que le moindre faux pas lui vaudrait; non. Il a peur... de ce qu'il représente. Il a peur de cette magie qui l'entoure, cette aura de puissance qui émane de lui et exulte du moindre de ses pores. Malgré sa forme chétive, ses yeux fiévreux, ses membres osseux et ses veines trop sombres sous sa peau blanc laiteuse, Harry a l'impression de faire face à un Dieu.

“ Did it work? ” L'admiration irrépressible dans sa voix le dégoûte lui-même. Le rire du Lord n'en devient que plus fort, ses yeux aux pupilles fendues se posant sur Harry avec amusement. “ Oh yes, it worked Harry, ” répond-t-il d'une voix douce. “ Now nothing stands between me and immortality. ”