tw: utilisation de drogues dures

La première bouffée est toujours la meilleure.
C'est celle qui a le plus de goût. C'est celle dont le parfum éclate dans la bouche, dans la gorge, les poumons; Carrie se retrouve souvent à fermer les yeux pour en profiter. Elle n'aime pas une très grande fan de l'introspection, et pourtant elle se retrouve à imaginer son moi intérieur. Elle voit sa gorge laisser passer la fumée, ses poumons gonfler pour l'accueillir, chaque alvéole au supplice face à cette torture administratrée bien trop souvent par le passé.
Et puis elle relâche la pression: la fumée s'échappe d'entre ses lèvres et s'élève dans la pièce, laissant derrière elle une sensation réconfortante et familière.
Déjà, Carrie sent quelque chose lui chatouiller l'arrière du crâne. Elle sent ses muscles se détendre, sauf sur son visage où s'étale un léger sourire satisfait.
On la voit rarement sourire, Carrie. Seul Jin semble capable de la dérider; et encore, il a plus souvent droit à des rictus agacés qu'à des risettes sincères. Carrie n'aime pas sourire. Elle a lu que ça enlaidissait le visage, et elle sait aussi que ça lui donne une apparence trop soft. Et elle est loin d'être soft.

Elle profite pendant quelques instants de cette première bouffée délicieuse, avant d'apporter la pipe à ses lèvres de nouveau. Les gestes sont experts et bien rodés, formés par l'habitude.
Carrie s'en veut énormément de fumer. Pas assez pour arrêter, bien entendu, mais assez pour ne pas le faire à la maison. Elle sait qu'à la moindre odeur, Jin la truciderait.
Le faire au Dancing Phoenix est peut-être tout aussi stupide, mais au moins ici personne ne la dérange: la porte est toujours verrouillée, et les visiteurs ont très vite appris qu'il valait mieux attendre qu'elle les invite plutôt que de débarquer à l'improviste. A l'époque, elle préférait utiliser le studio loué par ses soins dans le Londres sorcier: de quoi se séparer du monde quand Bao et elle avaient encore quelques affaires ensemble. Maintenant, elle n'a plus que son bureau, son dernier royaume, intouché par quiconque.

Il n'en faut pas plus de quatre bouffées pour arriver, enfin, à la délivrance; le moment où elle se détend complètement et où ses pensées deviennent décousues, la libérant pendant un bref instant du poids des responsabiliités, des souvenirs, de ses peurs aussi. Prétendre que ces dernières n'existent pas lui vient si facilement quand elle est sobre. Pendant un bref instant, toujours, quand elle est dans cette zone floue et grise entre sobriété et pur trip, elles reviennent, mordantes. Les peurs s'élèvent, s'aggripent à son crâne, refusent de la laisser tranquille.
Et puis, une bouffée plus tard, disparaissent.
Comment pourrait-elle seulement y résister?

Elle se fait cette réflexion en fermant les yeux, un sourire vacant sur les lèvres, bougeant à peine quand la porte s'ouvre.
La porte ne peut pas s'ouvrir, elle est verrouillée.
Sauf que la porte vient de s'ouvrir, vu qu'elle vient de laisser entrer le visage de Kamala.
La porte ne peut pas s'ouvrir, elle est verrouillée.
Sauf que Carrie croise le regard de Kamala, dont le nez se froisse en sentant l'odeur doucereuse et âcre de l'opium qui règne en maître dans sa pièce.
La porte ne peut pas s'ouvrir, elle est verrouillée.
Sauf que Kamala est là.
La voit.

Dans son empressement, elle a dû oublier de verrouiller; elle en avait besoin de sa dose, ça la démangeait, surtout après avoir été si proche de chez les Wang, et puis-
Et puis-
Qu'est-ce que Kamala fait là, pour l'amour de Dieu?
Elle n'est pas sensée être là, parce que la porte ne peut pas s'ouvrir, elle est verrouillée. "Get the fuck out," fait-elle, sans verve pourtant, pour une fois. Ce n'est qu'une hallucination, un pipe dream comme elle en voit souvent lorsqu'elle fume (combien de fois a-t-elle refermé sa main autour du poignet de Bao pour ne rencontrer que du vide?). Elle a du mal à se concentrer; ses yeux se ferment, sa tête dodeline quand elle se redresse un peu. Elle ne contrôle plus sa nuque, ses muscles, son visage dont les traits tombent. "Leave me alone," croâsse-t-elle faiblement. Si elle doit être visitée par des hallucinations, autant que ce soit quelque chose de plus agréable que la Wolf insupportable et méprisante qu'est Kamala; elle a verrouillé la porte pour une raison.

Kamala n’avait pas prévu de repasser par son bureau aujourd’hui. Elle a d’ailleurs fait savoir à tout le monde, un peu plus tôt, qu’elle n’allait pas reparaître avant de très nombreuses heures et que s’ils avaient des questions, il fallait qu’ils les posent avant qu’elle parte. Elle a réglé deux-trois affaires avant de laisser le cabaret aux mains de ses employés et de filer chez Zhang, où elle avait prévu de s’enfermer pendant des heures avant de revoir la lumière du jour. Quand elle est avec lui, elle ne laisse personne la déranger. Le moindre hibou qui essaie de lui faire signe, le moindre appel, d’où qu’il vienne, n’a pas de réponse. Quand elle est avec Zhang, elle vit pour lui et seulement lui et le monde tout autour disparaît. Elle aime ces moments qu’ils partagent loin du tumulte, dans le grand appartement du Wang -- ce sont ceux qui ont scellé leur couple sur le long terme, et qui expliquent que malgré leurs caractères et envies si volatiles, ils sont toujours dans les bras l’un de l’autre après six ans.
Malheureusement, aujourd’hui, leurs plans ont été interrompus.
Ils étaient en pleine séance de workout - de vrai workout, Kamala allongée sur le dos de Zhang pendant qu’il faisait des pompes - quand il a été appelé à l’Opaleye. Kamala a fait la moue, évidemment - elle se préparait déjà à finir ce workout d’une manière digne de ce nom, au lieu de ça elle a fini sur le sol de la salle de sport, allongée à regarder le plafond en faisant semblant de pleurer. Zhang l’a embarquée sur son épaule et elle lui a quand même offert quelques baisers avant de se changer et de quitter les lieux - il en avait apparemment pour un moment, et quitte à attendre, elle préférait le faire chez elle, où elle avait de toute manière de la paperasse à faire.

Quand elle arrive du côté du bureau qu’elle partage avec Carrie (à contre-coeur, bien évidemment), elle est surprise de voir que la porte est fermée à clé. En général, elle ne ferme pas : elle n’a rien à cacher ici, et surtout, elle a deux personnes postées dans les parages qui surveillent à chaque minute de la journée toutes les allées et venues. Elle trouve ça louche et fronce les sourcils, avant de reculer d’un pas et d’étirer ses doigts pour les préparer à la chorégraphie complexe qu’elle réalise pour conjurer le sort qui l’empêche de rentrer.
Évidemment, la serrure cède immédiatement. Aucune n’a vraiment résisté à Kamala, de toute manière. La métamorphomage pose une main sur la dague coincée dans le creux de son dos, prend le manche entre ses doigts, au cas où.
Mais la porte ne s’ouvre pas sur un inconnu ou un ennemi.
C’est Carrie qui est là, dans sa chaise, en train de… fumer. L’odeur familière vient chatouiller les narines de Kamala.

La brune hausse les sourcils et ses yeux pétillent soudain devant la découverte. Get the fuck out, lance Carrie immédiatement. Elle n’attendait visiblement personne ici… Kamala sait très bien pourquoi. Elle observe la façon dont Carrie laisse tomber un peu sa tête, a du mal à tenir son regard… Elle a pris plus qu’une seule bouffée. Leave me alone, répète-t-elle, voyant probablement que Kamala ne bouge pas d’un poil. You wish. fait la Chase en refermant la porte derrière elle et en la verrouillant. Carrie est coincée avec elle, maintenant. Sur ses hauts talons, Kamala avance jusqu’à elle et pousse mes des choses sur son bureau pour s’asseoir dessus, victorieuse. Hiding from your brother, I guess, young lady? He would be sooooo disappointed. Kamala la regarde, entre amusement, satisfaction et un peu de jugement, aussi, certainement. Should I tell him? dit-elle en faisant mine de réfléchir. Ha, Carrie, you surprise me everyday. Really, the more I know you, the more I like you. dit-elle avec un rire dans la voix, sachant pertinemment que Carrie, elle, ne rigole pas du tout et ne partage pas du tout le sentiment.

tw: consommation de drogues

Kamala a dit à qui voulait l'entendre qu'elle serait injoinable pour les heures à venir, un code pour expliquer qu'elle serait certainement chez Martin ou avec Martin ou en train de coucher avec Martin quelque part - bref, de quoi l'occuper assez longtemps pour laisser Carrie tranquille, la laisser fumer, planer un peu, puis faire s'éclipser d'un sort la fumée de l'opium dans leur bureau partagé. Quelle splendide idée de Jin, vraiment, de les forcer à emménager dans la même pièce, pour les inciter à discuter et bien s'entendre; la plupart du temps, la pièce est plongée dans un silence plombant, rarement rompu par les vinyles que Carrie fait tourner dans elle travaille en temps normal: Kamala trouve toujours quelque chose à redire sur ses goûts musicaux précis, et ça finit en prise de bec impossible et interminable, où Carrie se retrouve à envoyer un hibou à Jin pour lui demander l'autorisation de se débarasser de la Wolf (la réponse (négative, malheureusement) est presqu'automatique, maintenant, et Carrie le soupçonne d'avoir enchanté une machine pour répondre à sa place).

Kamala n'a rien à faire là, la porte est verrouillée de toutes façons, et si elle se concentre assez elle pourra la renvoyer dans le coin obscur et éloigné de son crâne qui l'a créée. "You wish." Comme sa contrepartie bien réelle, son hallucination est agaçante, s'approchant avec ses longues jambes de son bureau. "Don't touch that..." marmonne-t-elle en voyant Kamala tendre les mains vers les quelques objets et babioles de son bureau, faisant de gros yeux quand les objets bougent à son contact. Fuck. "How..." Carrie regarde l'espace où Kamala avec de grands yeux estomaqués avant de les relever vers le visage de la Wolf, confus. "How the fuck... - Hiding from your brother, I guess, young lady? He would be sooooo disappointed. - What the... Jin...?" Elle ignore si elle parle réellement ou si c'est juste dans sa tête. Avec un temps de retard, les traits de Carrie se froncent à l'évocation de Jin. "Should I tell him?" Mais lui dire quoi? Carrie a la bouche grande ouverte en regardant Kamala, sans comprendre. "Ha, Carrie, you surprise me everyday. Really, the more I know you, the more I like you." Carrie met un temps interminable long à cligner des yeux. Kamala est toujours là.

Kamala est là. "I'm going to fucking murder you," dit-elle sans chaleur. "I'm going to fucking murder you." Le mantra n'a pas l'air de la faire partir; au contraire, ça semble l'amuser. Les yeux Carrie se baissent lentement sur les objets que Kamala a déplacé - une statuette en métal d'un renard que Stan lui a offert, trois règles en métal toute d'une longueur différente, un porte-enscens en ivoire. "You touched my stuff. I'm going to fucking murder you. Just... just go, leave me alone... leave Jin out of this... just... just go." Elle fait un rapide signe de la main avant de se laisser tomber contre le dossier de son précieux siège en cuir qui lui a coûté la peau du cul et qu'elle compte bien garder longtemps. "Go blow what's-his-face... fucking Martin... what a fucking tool... just go before I..." Elle va être malade; elle ferme les yeux pour chasser le malaise nauséeux grandissant qu'elle sent monter en elle.