C’est une journée calme au Manoir Saint James. Aussi calmes qu’elles peuvent l’être. Neville, Ginny et Ronald sont partis il y a deux jours sur une nouvelle piste, laissant le reste du cercle 6 ici, à attendre et espérer. Au fil des années, ils ont appris à accepter le fait qu’ils ne pouvaient pas toujours être tous ensemble, mais le temps ne semble pas rendre l’attente plus facile ou l’inquiétude moins vive. Ce n’est pas une question de confiance : Hermione sait qu’ils sont totalement capables de s’en sortir. L’inquiétude est purement liée à l’affection qu’ils se portent, tous : après plus de dix ans de combat, ils ont tous déjà trop perdu, et se sont tant attachés les uns au autres que perdre un seul membre du groupe serait une tragédie dont elle n’est pas sûre qu’ils pourraient se relever.

Pour tenter d’oublier que ses amis sont en train de risquer sa vie, Hermione fait comme tous les autres : elle tente de s’occuper. Son nez est fourré la majorité du temps dans ses livres, surtout ceux de runes qu’elle ne lâche pas, même après toutes ces années.  Le reste du temps, elle le passe avec Sirius, quand il est disponible. Cela fait des années maintenant qu’il lui apprend l’alchimie, et c’est une forme de magie si complexe qu’Hermione met du temps à assimiler les bases qu’il lui donne. C’est frustrant pour l’ancienne Gryffondor, qui est habituée à saisir très rapidement ce qu’on lui explique. Il n’est pas rare de la voir sortir de leurs leçons avec un air fatigué et une moue boudeuse qui ne la quitte souvent que de longues heures plus tard, quand quelqu’un réussit à la faire descendre de sa chambre pour un film moldu ou un verre sur la terrasse du Manoir.

Aujourd’hui, elle a passé sa journée avec Luna, en grande majorité. Elles ont passé quelques heures sur les runes, avant de fermer leurs livres pour aller de préparer à déjeuner et finir devant la télévision moldue, qui diffusait de vieux films des années 50. Susan, Alexis et Ian ont finit par prendre les autres places des canapés et fauteuils au fil des heures. C’était sympa. Le genre d’après-midi qui les fait, de temps en temps, se sentir comme des jeunes adultes normaux. Mais il leur est impossible de se détendre totalement en sachant que les autres sont dehors.

Sur les coups de dix-neuf heures, les autres quittent le salon pour retourner à leurs occupations, et Hermione et Luna restent là, affalées sur leurs fauteuils, à regarder d’un oeil les programmes et d’un autre la pluie battante qui s’abat dehors. Elles ne disent rien, mais Hermione n’a pas de doute que son amie espère la même chose qu’elle : que leurs amis sont à l’abri. « Hey, do you still have painting supplies? » demande-t-elle finalement au bout d’un moment, à l’horizontale sur son fauteuil, les yeux rivés sur le plafond. « I’m a terrible drawer so I don’t have a lot of faith in my abilities as a painter but… I’d like to give it a try. » C’est apaisant, de peindre, parait-il.

Hermione n’est pas vraiment sûre que ce soit pour elle, la peinture. Elle sait qu’il y a de grandes chances que devant son manque de talent évident, elle finisse par être frustrée très vite et par tout abandonner. Mais franchement, elle est prête à tout - même à subir une frustration - si ça veut dire qu’elle peut occuper son esprit pendant une heure, deux heures. Si elle reste plus longtemps dans le salon, allongée là sur ce fauteuil, son esprit va continuer à se faire des idées, imaginer des scénarios terribles. « Of course! » répond Luna d’une voix enthousiaste qui fait sourire la Granger. « It's all up in the room. But the light is so much better here - I'll get it all, don't move! » Elle se lève d’un bond et le temps qu’Hermione relève un peu la tête, Luna est déjà dans les escaliers. L’ancienne Gryffondor se redresse et s’étire. Quand son amie réapparaît, elle est chargée comme une mule, et Hermione se lève à son tour précipitamment pour l’aider. « That is such a good idea! I love painting. Although, I think that one was actually Ron's t-shirt, » Hermione fronce les sourcils en observant la toile en question. « Don't tell him it was me. » Hermione retient un sourire. « I won’t. » dit-elle, comme une promesse. Ce sera leur petit secret. C’est nouveau, encore récent d’avoir des secrets avec Luna. Elles n’étaient pas le duo le plus évident, au tout début. « I made all the colors, but this is my favourite. » explique Luna en lui tendant une fiole d’un rose nacré qui ne peut qu’attirer l’oeil. « Pretty » commente sincèrement Hermione.

« It's not about your abilities, you know? You're the most capable person I know. It's about what's in there when you close your eyes. » fait Luna en posant un doigt sur son front. Hermione sourit, mais son sourire ne monte pas jusqu’à ses yeux. La vérité, c’est que ça ne fait que lui confirmer qu’elle va être très nulle à l’exercice. Que se passe-t-il dans sa tête quand elle ferme les yeux ? Elle pense aux runes, elle pense à leurs missions… A-t-elle seulement une identité au-delà du cercle 6 ? A-t-elle une identité au-delà de la résistance et du but qui les anime ? Ils courent, ils courent, sans s’arrêter. Ça fait bien longtemps qu’elle a laissé ses rêves de côté, Hermione. Elle sait qui elle est et en même temps… non. C’est étrange. Elle en a déjà discuté avec Ronald : ils attendent la fin de la guerre, et en même temps elle leur fait peur… Qui seront-ils quand tout ça sera terminé ? Est-ce qu’ils parviendront à… être quelqu’un ? Même Ron, qui n’est pas du genre à se poser ces questions existentielles, y a pensé. « It's about what they do when you let go of control. » Hermione ne répond rien. Let go? Elle ne sait pas faire. Elle est peut-être plus flexible que quand elle était plus jeune mais c’est toujours un problème pour elle. Il faut qu’elle contrôle tout, il faut qu’elle ait toutes les clés en main, sinon elle se sent comme avalée par les abysses. Luna a pris ses mains entre les siennes, et Hermione les serre légèrement, comme pour la remercier silencieusement de ses conseils. Elle aimerait pouvoir lui dire qu’elle peut les suivre.

Elle se tourne vers la toile qui lui fait face, et saisit un pinceau entre ses doigts. Elle soupire. Elle observe la toile, de haut en bas, en diagonale, laisse ses yeux glisser sur le jardin. « Actually, I know you like to paint but I’ve never really looked closely at your paintings. I'm sorry. What do you like to paint? » demande-t-elle. « What’s your inspiration ? » Elle a les yeux toujours rivés sur la toile, blanche. Puis, plus bas… « Do you have any… advice on how to let go of control? » Pendant longtemps, Hermione se refusait à demander des conseils, trop fière pour accepter qu’elle ne pouvait pas tout gérer toute seule. Mais les années lui ont appris à être moins prétentieuse, et surtout, à se reposer davantage sur les autres.