Les deux premiers soirs, ça t’en a touché une sans faire bouger l’autre. A peine le temps de constater sa place vide au dîner, et la perspective de ne partager le repas qu’avec Andrew. Après tout, tu étais le premier à déserter la forteresse familiale à l’improviste, pour aller te la couler douce chez Lance ou au Filet du Diable.
Le troisième jour, tu es quand même allé te renseigner au Ministère, voir ce qu’il en était. Tu n’aimes pas le département de la coop internationale, ça parle dans toutes les langues, tu sais jamais sur quel pied danser (et à voir comment tu avais pu confondre Kalen Yaxley avec une secrétaire, à tes débuts, autant dire que ça avait été un exploit que tu ne prennes pas Wolfram von Bäume pour l’agent d’entretien). Quand tu as finalement déniché quelqu’un qui pouvait te renseigner, un certain Cristobal (tu vas pas l’aimer, celui-là, il a l’air de trop savoir qui tu es), c’est pour apprendre qu’effectivement, Mona était partie pour la semaine. « Elle ne vous a rien dit ? » Bah non, sinon tu ne serais pas là à faire le pied de grue ; elle est bien bonne celle-là !

Tu te sens un peu con ; rien de nouveau, vous me direz, mais en fait si, parce que généralement, tu te rends pas compte que tu as l’air d’un con, à pas savoir où ton épouse s’était carapatée pour échapper à la béance de tes idées et de tes poches. Un observateur plus avisé aurait pu lire sans problème la moue circonspecte sur le visage de Cristobal, quand tu lui as assuré que si bien sûr, Mona t’avait tout bien prévenu comme il fallait, tu avais juste momentanément oublié, toi, le mâle alpha à l’emploi du temps de ministre…

Bon bah, elle reviendra lundi prochain, normalement.
Tu n’as pas vu passer les deux jours suivants. Tu avais été dépêché avec Sid dans la campagne profonde, à traquer tu ne sais plus quel indésirable. Déjà que tu n’étais pas vif, tu avais mis encore moins de coeur à l’ouvrage que d’habitude, si bien que Sid aurait pu aussi bien postuler pour le poste de handler que ça n’aurait rien changé à la masse de travail qu’il abattait par rapport à toi. Bah, c’était un peu le principe, non ? Le hound s’occupe de tout le sale boulot ; et il s’avère que la traque, à ton goût, c’est bien crado.
Tu avais l’esprit ailleurs. A te demander où Mona était partie en voyage d’affaires sans te prévenir, tu ne te posais pas encore la question de pourquoi était-elle partie sans te prévenir. Un oubli, sans doute. Peut-être que Blue avait oublié de transmettre le message, ou que la note sur la porte du réfrigérateur était tombée (il faut dire que tu ne mettais jamais un pied en cuisine, si ce n’est très tard dans la nuit, avec plus de firewhisky dans les veines que de sang).

Et en ce qui concernait le week-end, tu ne l’as vraisemblablement pas vu passer, ou en tout cas, pas dans le bon ordre, ignorant s’il avait duré trois mois ou trois minutes. Et l’absence de Mona n’avait pas arrangé les choses, puisque ça signifiait quartier libre. Ce n’est pas tant que tu te retenais de faire quoique ce soit quand elle était dans les parages, mais disons que tu n’encourais pas le risque de te faire juger avec lassitude, si jamais tu étais un peu trop bruyant en rentrant (et pour être honnête, tu l’étais).

Une semaine était donc passée. Tu avais bien écouté Cristobal ; Mona serait donc de retour ce soir, raconterait son séjour du bout des lèvres, jusqu’à ce qu’elle fasse preuve de suffisamment de mauvaise foi pour que tu lâches l’affaire à ton tour. Sauf que le lundi soir, tu as encore eu le droit à un dîner en tête à tête avec Andrew… Hm, elle était peut-être partie fêter son retour avec ses… collègues, ou Merlin seul sait qui était von Bäume par rapport à elle ; tu n’avais jamais compris qui des deux portait la culotte du département…
Lui accordant le bénéfice du doute, mardi matin, tu es revenu tailler la bavette à Cristobal. Bah oui, peut-être qu’elle avait fait la fiesta, ou même qu’elle avait prolongé son splendide séjour dans tu ne sais quelle capitale de ces sauvages de latins… « Ah non, non, Madame Ocasio est bien rentrée dimanche soir. Elle ne vous a rien dit ? » Tu clignes des yeux, deux fois. « Par contre, elle est actuellement en réunion… » « Oui bon ça va, je la verrai ce soir, de toute façon- »

« Monsieur Prewett, il va falloir arrêter de venir ici tout le temps ; on ne vous donne donc rien à faire à la brigade ? »
Mercredi matin. Mona avait également découché mardi soir. Et tu comptais bien savoir pourquoi, en la coinçant dans son bureau, avant qu’elle ne s’échappe en séminaire ou en workshop de team building. Cristobal n’oppose pas plus de résistance que ça ; il doit bien se douter que Mona te passera un savon bien plus sévère, avant son café, que lui.
Tu n’es pas en colère, du moins, tu ne le penses pas. Tu es souvent trop con pour être énervé. Et puis, les folies du week-end t’avaient permis de piétiner toutes les appréhensions qui avaient pu avoir envie de germer dans ton esprit. Après tout, vous étiez, à quelques écarts près, un couple sang-pur exemplaire…
Ceci dit, tes mouvements sont bien trop brusques et tu bouffes un peu trop tes mots pour être totalement de bonne humeur. C’est dire que tu n’as même pas encore vu Sid de la journée, alors on ne pouvait pas compter sur toi pour craquer la petite blague déplacée qui va bien.

Tu frappes à la porte, ouvres avant d’obtenir une réponse. « Bonjour, très chère » Ouh, ça dégaine les formalités de pète-cul. Mais t’es pas en colère. Ça sent mauvais dans l’air, et tu sais pas quelle merde va te tomber sur le coin du nez. « C’était bien ton voyage ? Parce qu’à ce rythme, je pensais que tu étais partie pour un mois… »