“Move, boy.”
L'homme est un géant. La tête levée vers le ciel, Aleksander le scrute la bouche entrouverte. Il n'a pas plus de cinq ans, et ses cheveux blonds ont déjà commencé à virer châtain. Dans quelques années, il ne fera plus illusion dans le foyer Lindgren. Le garçon se colle à la porte et les invités passent devant lui, un ballet de bustes et jambes dont Aleks peine à voir les visages. Les talons claquent, les tissus se froissent et éraflent le visage du petit. Il faut bien cinq minutes pour que la trentaine d'invités termine son entrée.
Aleksander referme la grande porte, puis marche jusqu'au salon. Les conversations s'animent, les verres s'entrechoquent. Personne ne semble faire attention à lui, alors il se faufile entre les sorciers et approche sa petite main d'un plat de semlas ; mais un coup vif sur les doigts l'arrête dans son geste. “What are you doing here, son?” Le visage sévère de son père le fait frissonner. L'homme le terrifie. Ses lèvres pincées, la froideur de son regard, ses paroles toujours lourdes de reproches. Aleks n'était pas sûr du pourquoi, mais il savait que son père ne l'aimait pas. Pas encore. Cet amour, il devait le mériter. “I'm sorry, father.” Le garçon baisse la tête et le regard, par respect pour son aîné. “You can't be here. Go outside, go play.” “Alone?” Mais Johan ne le regarde déjà plus. Il tourne le dos au garçon, trinque avec ses amis. “Father?” Aleks tire sur la manche de son père. Pas un coup d'oeil. Le petit gars lâche l'affaire, vole un semla et traverse le manoir jusqu'aux jardins.

Le soleil est encore vibrant. Sa chaleur vient enlacer Aleks et lui apporter un peu de réconfort. Il n'est pas habitué à recevoir des marques d'affection, et le chaud sur sa peau, c'est ce qui ressemble le plus à un câlin pour lui. Alors il sourit, dès que le soleil le touche, et il court jusqu'au pied d'un hêtre surplombé d'une large cabane en bois. Aleks fourre le semla dans sa bouche, et grimpe sur l'échelle qui pend contre le tronc. La corde est usée, le bois des premières marches est humide et fragile. Quand Aleksander arrive en haut de l'échelle, il caresse du bout des doigts le prénom gravé dans l'écorce : Anders.
(…)
Le soleil se couche. Dans sa cabane perchée, Aleks voit les ombres grandir et dévorer les murs. Bientôt, il fera nuit. Le petit gars a gardé un morceau de la pâtisserie chipée quelques heures plus tôt. Il la dépose sur une feuille morte, au milieu de la cabane. “Anders.” il murmure. C'est presque l'heure de rentrer, parce que c'est presque l'heure pour tous les adultes de sortir. Il ne doit pas être dans leurs pattes. La dernière marche de l'échelle se casse quand Aleks redescend, et il tombe fesses-les-premières sur l'herbe molle. Un petit rire lui échappe. Il lève la tête vers les étoiles, encore à demi invisibles. “Nice one, storebror.”

Un vent froid, nocturne, lui répond.

God jul! God jul!
L'expression voyage de lèvres en lèvres dans les rues enneigées de Laxå. Des flammes brillent à chaque fenêtre, offrant au lieu-dit une atmosphère chaleureuse malgré la chute des températures. Il y a bien longtemps que Laxå n'héberge plus de moldus, et le village est aujourd'hui dirigé par un triumvirat de sorciers : un né-moldu, une sang-mêlé et un sang-pur. Malgré une population exclusivement sorcière, ce haut-conseil encourage généralement à la prudence, quand il s'agit d'utiliser sa magie en public. Après tout, personne n'est à l'abri d'une paire d'yeux indiscrets. En revanche, ce soir, écarts sont permis : C'EST NOËL ! Sous les pas des sorciers, la neige fond, et se reforme après leur passage. Les lumières des rues dansent de lampadaire en lampadaire, changeant de couleur au gré des chemins qu'elles empruntent. Deux bonhommes de neige se lancent dans un combat acharné, représentant deux équipes d'enfants très excités qui encouragent leur création. Dans l'air vibre une certaine tension, l'attente du repas et des cadeaux, de la soirée à venir et des jours qui suivront, du repos mérité à quelques pas de la cheminée.

Pour l'occasion, Maja Lindgren porte une longue robe de soirée argentée, dont les reflets alternent entre un vert sapin et un rouge sang. Elle porte une dernière touche à sa table, où sont disposés des Sill et de la Sillsallad, du Janssons frestelse et une multitude de pains et fromages suédois. Au milieu du buffet, le Julkinka, jambon de Noël à la recette familiale transmise de génération en génération. Le regard perdu sur les plats, elle n'entend pas Johan arriver. Il l'enlace, dépose un baiser sur son cou. “Thank you for all of this, my dear.” Elle sourit. “You're very welcome.” Elle se retourne, embrasse rapidement son époux sur les lèvres. “Where is Aleksander?” Johan se renfrogne. Il se contente de hausser les épaules. La voix du petit garçon résonne dans la maison. “It's done!!!” Chargé de décorer le salon, Aleks est plutôt fier du travail accompli. Les guirlandes pendent des étagères et s'enroulent autour des vases et armures décoratifs. Au-dessus de la cheminée, trois grosses chaussettes flottent dans les airs, dans l'attente de petites attentions. Une quatrième, marquée Anders, a été accrochée manuellement sur le bandeau au-dessus de l'âtre. “What is that?” demande Johan. Il s'est stoppé net dans l'encadrement de l'arche, séparation symbolique entre le salon et le vestibule. Il ne détourne pas les yeux de la chaussette de Noël d'Anders. “I-I thought...” commence le petit garçon d'une voix tremblante. Il a déjà baissé la tête – et les yeux. Il a entendu ce grain dans la voix de Johan, cette menace sourde. Pourtant il sait que son père attend une réponse. “I thought we could give And-” “DON'T SAY HIS NAME!” Cette fois, Johan a bougé. Il a marché de l'arche jusqu'à Aleksander, et l'a giflé sans retenue. Le coup, comme le ton de Johan, font pleurer le garçon. “Johan!” Maja se tient dans le vestibule, en retrait. Son ton, sans appel, fait clairement état de sa désapprobation. Pourtant, elle ne s'approche pas d'Aleksander. “Don't hit him. He's a child.” Johan claque sa langue contre son palais. “Not ours.” La tête toujours baissée, le petit gars garde le silence malgré les sanglots qui le secouent. “Be gentle. Explain him.” “And why don't you?” “.. I can't. Please. Please explain him.” Et Maja se retire. Elle n'aime pas penser à Anders, elle aime encore moins parler de lui.

Johan soupire, s'accroupit pour se trouver à la hauteur d'Aleksander. Quand il pose une main sur son épaule, le garçon sursaute. Il n'ose toujours pas affronter le regard de son père. “Aleksander. Look at me.” Réticent, le petit gars fait de son mieux pour garder les yeux rivés sur ses chaussons. La paume de Johan vient encadrer sa joue, lever sa tête. Aleks ne voit pas d'amour dans ces iris. “Anders doesn't exist. He did, but now he doesn't. We do not talk about it, we do not think about it.” C'est dur à comprendre, pour un enfant de cinq ans. C'est dur de ne pas poser de questions, de ne pas chercher à comprendre. C'est sûrement pour ça qu'il répond “Why?” mais ce n'est pas la réponse qu'attendait Johan. Un voile assombrit ce regard déjà dur. “No. We do not talk about it, we do not think about it.” Aleksander se gratte la tête. Johan suit le mouvement de sa petite main dans ses cheveux châtain. Ce gamin était blond avant, vraiment blond. Comme Maja, comme Johan. Comme Anders il était d'un blond qui fait plisser les yeux ; mais il vire au brun. “But I don't understand why.” Il y a un court instant, où Johan reste silencieux et où Aleksander a envie de partir. Son corps lui dit de partir. Mais il a cinq ans, et ses instincts ne valent rien face à l'autorité de son père.

Soudain, Johan l'empoigne par le col et se relève, soulevant le petit gars dans les airs. “Fine. Timeout for you until you stop talking about it and stop thinking about it.” Aleks s'agite, essaie de se dégager mais sans succès. Son père est bien plus fort que lui. “B-but... Father! It's Christmas!” Les sanglots ont repris. Johan quitte le salon et porte le garçon jusqu'à la cuisine, où il soulève la porte du monte-charge et le glisse à l'intérieur. “Well it's your present for me boy. You're going to spend the night down there in the basement.” Il referme la porte sur Aleksander. Pas beaucoup d'espace, dans le monte-charge. “Father?! I'm sorry!” Un grincement rouillé précède le début de la descente. “Father!! Please!!!” Le petit gars n'entend que les rouages du monte-charge, puis tout s'arrête. Le bruit, la descente... Aleks ouvre la petite porte en tirant fort vers le haut. Le rouleau mécanique fait un boucan monstre dans le silence du sous-sol. Le garçon se glisse hors de l'ascenseur de fortune. Le sol, dallé de pierres, est glacé. Il fait noir et il fait froid. Assis par terre, Aleksander remonte ses genoux sous son menton et les enserre dans ses petits bras. Il pleure sans s'arrêter. Devant ses yeux humides éclate alors une petite étincelle, qui prend de l'ampleur, jusqu'à atteindre le diamètre d'une boule de billard. La lumière danse. Elle sèche les larmes du petit sorcier, lui offre un câlin de chaleur – et même quand il s'endort sur les pavés, elle ne le quitte qu'aux premières lueurs du matin.

Aleks a les yeux rivés au plafond. Blotti sous sa couette, il observe les silhouettes que forment les tâches dans les lattes de bois. L'une d'entre elles ressemble presque à un visage. Le petit garçon imagine parfois que c'est Anders qui veille sur lui. Sa vie aurait été différente, si Anders existait vraiment. S'il existait encore. Mais il n'en parle plus devant son père ou sa mère, plus depuis le sous-sol. Aleks ne veut pas y retourner. Il attend la nuit, d'être seul, pour parler avec son frère. Il a même parfois l'impression qu'Anders lui répond.
Le petit gars repousse sa couverture, et glisse ses pieds dans ses chaussons. Son ventre lui fait savoir qu'il est l'heure de grignoter un morceau. Prudemment, il tire la porte de sa chambre. Le couloir est plongé dans l'obscurité. Aleks le traverse lentement, les mains tendues en avant pour ne pas se manger un meuble. En arrivant en bas de l'escalier tapissé, il entend des voix. Elles viennent du salon. “...because he is not ours. We should ask now, you know how long these things can take.” “I know, Johan. I just hoped... I don't know.” Caché dans le couloir, et dissimulé par les ombres nocturnes, Aleks peut voir son père, debout près de la cheminée éteinte. De petites sphères lumineuses tournent près du plafond, projettent des éclats tamisés sur les murs. Johan porte un verre à ses lèvres, avant de reprendre “Grief, Maja. We kept him because of grief. In a few years, he'll be 11. Then he won't be our problem anymore.” Aleks n'arrive pas à apercevoir sa mère. Il l'entend pourtant parfaitement. “Please don't say that.” Il se décale sur sa droite, pour mieux observer la scène. Son épaule se heurte à un petit buffet, où est exposé un vase ancien, récupéré pendant les dernières fouilles menées par Johan. Aleksander tend ses petits bras trop tard, et le vase rencontre le sol. Le bruit rebondit contre les murs du couloir, pendant ce qui semble être une éternité. Aleks est figé, incapable de remuer le moindre muscle. L'image du sous-sol s'impose à lui ; le froid, le noir, la solitude. La peur grimpe dans sa gorge. Il entend son père, sa voix dure, sévère. Ce son est un électrochoc : le petit garçon reprend ses esprits et part en courant, aussi vite qu'il le peut, jusque dans sa chambre. “ALEKSANDER!” Johan crie son nom, menace à peine voilée, et ça le fait juste courir plus vite. Il entre dans sa chambre la respiration haletante, et se réfugie sous son lit. Le regard collé à la porte, il entend les bruits de pas qui s'approchent. Plus calmes qu'il ne les aurait imaginés, ça n'empêche pas Aleksander de trembler de terreur, à l'idée de recevoir une autre leçon de son père. Une autre nuit dans le sous-sol, ou peut-être pire cette fois-ci.

Le battant pivote. “Aleksander.” La voix de Maja, comme sa démarche, est douce. Elle ne s'exprime jamais violemment, elle n'a pas d'accès de colère comme Johan. Pour autant, ce n'est pas une femme aimante, pas envers Aleks. Elle ne le cajole pas du regard, elle ne l'embrasse pas, elle évite même de le toucher. Alors, lorsqu'elle glisse sur le sol et tend une main sous le sommier, Aleks la saisit. Il se laisse tirer jusque dans les bras de sa mère. Elle le serre contre elle, sans le regarder. Ses yeux se perdent par la fenêtre, jusqu'à la lune et aux étoiles. Anders est quelque part là-haut. “Aleksander, listen to me.” Le petit garçon tremble encore. De chaudes larmes coulent sur ses joues, et le contact physique, sa chaleur, sa tendresse, semblent des sensations inespérées. C'est sûrement son tout premier câlin. Le premier dont il se souvient, en tout cas. “I'm sorry Mother! I didn't mean to break anything! sanglote-t-il. I'm so sorry please don't hate me please I'm sorry I-I love you please Mother” Elle le serre un peu plus fort contre elle. Ce n'est plus aussi agréable, ça fait même un peu mal. “Hush now.” Maja se relève, le garçon dans les bras. Elle le dépose sur son lit et recule. Elle ne veut pas vraiment être proche de lui ; elle préfère s'approcher de la fenêtre. Là, Anders peut la voir. “Your behavior is not appropriate. Sensitivity, active imagination, compassion... useless things, really. These do not define the Lindgren family. If you wish to be a member of this family, you'll have to go against your primary instincts. Be someone else, be someone worthy of the Lindgren name. Because our name, our respect, our... Elle hésite sur le mot, elle le siffle néanmoins avec froideur. ... Our love, you'll have to earn them. Do you understand? Aleksander regarde sa mère avec les yeux ronds. Il a compris, oui. Il n'a plus beaucoup de larmes à pleurer, mais ça ne l'empêche pas d'avoir mal. A chaque mot qu'elle dit, chaque regard qu'elle évite. Il acquiesce doucement. “Good. Go to sleep now.” Sans un coup d'oeil, sans un baiser de bonne nuit, elle sort de la chambre. Le garçon tire sa couette et s'y enroule. La solitude l'étreint.

Le temps a passé. Aleksander n'est plus un enfant : il a quitté le domicile familial suédois – poussé avec force par ses parents – pour entamer ses études au sein de l'école de sorcellerie britannique Hogwarts. Loin des fjords et aurores boréales. Il n'y est jamais retourné. Pourtant, il continue d'utiliser ce sort qui colore ses cheveux en un blond presque blanc. Il continue de porter le nom Lindgren, et il continue de parler de Johan et Maja comme si ils étaient ses parents. Il aime l'idée d'appartenir à une famille, même si ce n'est pas la sienne.

Et puis, une famille de sang-pur est un avantage. Un privilège. C'est ce qu'il a appris, à Hogwarts. Ce que ses amis lui ont appris. Aleksander s'est fait des amis ! La vraie nouveauté est là. Après une enfance solitaire, passée à jouer avec le fantôme imaginaire de son grand frère décédé, il n'était pas le plus sain des enfants, socialement parlant (gasps). Se faire des amis, c'était dur. Pour couronner le tout, le Choixpeau a envoyé Aleks dans la maison des Hufflepuff ; pour sa sensibilité, sa loyauté, sa justesse morale ; pour sa modestie, sa patience. Quelles qualités ! C'étaient les causes du rejet de Maja et Johan. Il manquait de férocité, il manquait de pouvoir, il manquait d'ambition. De fait, il n'avait pas leur respect, il n'avait pas leur amour. Ce n'était pas en devenant Hufflepuff qu'il allait changer les choses. “I don't care what House you belong to.” lui a dit un jour Acadia, juste avant de lui donner son premier baiser. Là, il a compris que Hufflepuff, Slytherin, ce n'étaient que des noms. Tant qu'il était un Lindgren, tant qu'il était un sang-pur, il n'y avait aucune limite à ses ambitions. Ça aussi, c'était Kady qui le lui avait appris. Kady et le reste de la bande. Leur petit groupe s'était formé au cours de la première année, en majorité grâce à Acadia, qui allait vers les autres avec une facilité qu'Aleksander ne comprenait pas. Elle avait l'air à l'aise partout, tellement sûre d'elle... il était fasciné. Petit à petit, il est tombé amoureux.  
Tout était bien, à cette époque. L'enfer est arrivé après.

Aleksander se réveille sur un lit de l'infirmerie de l'école. Il bat brusquement des paupières, convaincu d'être devenu aveugle : il n'y voit que du feu et ne distingue aucune forme, juste une lumière blanche, partout. Il regarde à droite, à gauche, effrayé par la perspective de ne plus rien y voir du tout. Puis les formes reviennent. Une main, un peu froide, se pose sur son avant-bras. “You're okay!” Aleks tourne la tête vers la voix. Il y a un visage dans le flou de ses yeux, mais il n'arrive pas encore à bien discerner les traits. Sa voix est rauque, probablement sèche, mais le garçon tousse et articule “What happened to me?”, il finit sa phrase et il cille quatre, cinq fois. Le flou disparaît. Il regarde une jeune fille, aux traits familiers ; mais il ne connaît pas son prénom. Il n'est pas sûr de lui avoir déjà parlé. Elle lui offre un sourire rassurant. “Your cauldron exploded.” Il se redresse un peu sur le lit, de façon à être, plus ou moins, à la même hauteur que la jeune fille. “Oh. Oops. Il n'y a personne d'autre dans l'infirmerie. So, I get why I'm here. Why are you?” Elle s'éloigne du lit, remplit un verre d'eau et vient le déposer sur la table de chevet d'Aleks. “Professor Snape asked me to watch over you.” “That doesn't sound like Snape. At all.” “Maybe not watch over per se, you know.. I'm just making sure you're still alive that's all.” Elle sourit encore. “And you are. So, I'm gonna go now.” Aleksander lui rend son sourire. Elle est sympa, cette fille.

Elle tourne les talons, va pour la porte. “Wait! What's your name?” Elle se retourne vers Aleks, le toise un instant du regard. Est-ce qu'elle est énervée qu'il ne sache pas son prénom, ou bien elle s'amuse juste à le faire poireauter ? “Alexis.” répond-elle finalement. Puis elle repart. “Well, cheers Alexis!” fait-il, alors qu'elle ouvre le battant de la grande porte. Elle lui fait un petit signe de la main, et s'en va.

Ils sont coincés. Kady lâche le bras d'Aleksander, avance de quelques pas. “Mudbloods. Practically muggles.” Elle regarde les trois étudiants adossés au mur. L'un des garçons a les épaules qui tremblent. Aleks sourit. Il donne un coup de coude à Neal, qui laisse échapper un rire moqueur : “Eh dimwit, you're shaking in your boots!” Aleks ricane. “What is wrong with you?” réplique le deuxième sang-de-bourbe – Arthur, peut-être ? Aleksander n'est pas certain de son prénom. Peu importe, de toute manière. Ils seront bientôt mis à la porte : après tout, quand on n'est pas sorcier, on n'a rien à faire dans une école de sorcellerie. La troisième étudiante cependant, il la reconnaît. Alexis. Depuis leur première rencontre, ils se sont parlés quelque fois. De moins en moins les années passant. Ils ne parleront probablement plus après aujourd'hui, vu le regard qu'elle lui lance. Entre dégoût, mépris et indifférence. “You don't get to speak, mudblood. Il s'avance, à la même hauteur que Kady, et il ne lâche pas 'Arthur' des yeux. You're not supposed to be here. This is not your world.” “Not our world huh? crache Alexis avec froideur. I'm a witch by blood, same as you.” “You're no witch, répond Acadia. Elle fait face à Alexis, leurs visages sont proches. You're filth.” Aleks peut voir la tension, la rage vibrer entre les deux jeunes femmes. Il aurait aimé les voir se battre. Kady aurait gagné, à tous les coups. C'est une force de la nature.

Elles n'ont pas le temps de passer à l'acte cependant. 'Arthur' ne doit pas aimer la remarque d'Acadia : il lui crache au visage. Le sang d'Aleks ne fait qu'un tour : il pousse 'Arthur' contre le mur, d'un coup vif sur la poitrine, et lui colle son poing droit en plein visage. Quelque chose craque, et un peu de sang gicle sur la joue d'Alexis, ce qui fait vraiment sourire le Hufflepuff. “Oops. Let me get that for you.” Il passe son pouce sur sa langue, et essuie la légère traînée rougeâtre. Alexis ne le quitte pas des yeux. “What do you want?” demande-t-elle, en détachant ses mots comme si le mauvais pouvait lui valoir le même traitement qu''Arthur'. “Pack your bags. Leave. You're not welcome here.” répond Acadia. Le troisième étudiant, le trembleur, acquiesce vigoureusement. 'Arthur', la pommette ouverte, grogne quelque chose d'obscur. “What was that?” fait Aleks. “I said 'Fine'.” Aleks lui tapote la joue avec condescendance. “How about you?” “I'm not going anywhere.” Acadia lève les yeux au ciel. “Mudbloods!” s'exclame-t-elle, blasée. “I'm not the one fighting like a muggle.” Elle fixe Aleks, sans grande subtilité. “Oh so you wanna see my wand? It's a really nice one.” “Wow really mature, dickwad!” “Shut up!” Il a presque crié, et Alexis ne répond rien. On entend plus que des respirations un peu lourdes. Puis Neal chuchote “I think I hear something.”

Un bruit de pas, les talons claquant contre le sol dallé, se rapproche du groupe. Acadia et Aleksander reculent vers Neal et Phyllis, mettant une distance respectable entre les trois sang-de-bourbes et eux. “Well then, see you never!” chantonne Kady en reprenant le bras d'Aleks. Le couple tourne les talons, suivi par leurs deux autres compères. Hogwarts a changé. L'école ne tolère pas encore l'exécution publique des impurs, mais personne ne les protège non plus. Tant mieux. Si pour arriver au sommet, si pour obtenir amour et respect Aleks doit gravir une montagne de cadavres, autant que ce soit eux.

Au moment où Aleksander entre dans la petite boutique, une clochette tinte. Une allée bordée de hautes étagères, où de gros ouvrages sont écrasés les uns contre les autres, le conduit devant un comptoir mal entretenu. Il souffle la poussière sans se départir d'un grand sourire, avant de toquer sur le bois. “Anybody home?” Des bruits de pas précipités se font entendre, dans l'arrière-boutique. Une sorcière, proche des quatre-vingt ans, tire un petit rideau et s'approche du comptoir. Ses cheveux désordonnés encadrent un visage frêle et marqué par le temps ; un regard vif cependant. Elle détaille Aleks des hanches à la tête. “What can I do for you, young man?” Il se penche vers elle, mimant la confidence. “Ma'am, that's nice of you to ask. It's about a girl, see, she asked me to do something.” Aleks s'éloigne du comptoir, commence à observer les étagères et les livres qu'elles contiennent. “She's a bit cheeky you know. She needs me to find out where I come from.” Il sort sa baguette, la fait jouer un moment entre ses doigts. “I think you can help me with that, Marge.” La femme sursaute. “How do you know my name?” Il la regarde, avec la même mine amusée. “Well, we've met before, Marge! Don't you recognise me?” Elle fait non de la tête. Ses mains glissent vers ses poches. Aleks lève sa baguette. “Now Marge, don't do anything stupid yeah?” Elle lève les mains, elle a l'air un peu bête derrière son comptoir, l’œil inquiet. “I was a baby when we first met. I'm all grown-up now.”
Comme si la réalité la frappait soudain, Marge porte une main à sa bouche, étouffe une exclamation. “Oh, you remember? Elle acquiesce. Good. I want every document, every piece of information you have about my birth parents. I have to know whose blood runs through my veins.” Il est un peu dramatique, mais il apprécie le moment : après tant d'années à traquer ses origines, il touche au but. La sorcière reste immobile, les bras en l'air et les épaules secouées par un tremblement ridicule. “Chop chop!” s'exclame Aleks. Elle sursaute, sous le choc, et lance des regards paniqués derrière son comptoir. Elle soupire de soulagement lorsqu'elle semble repérer ce qu'elle cherchait, et attrape un petit journal relié entre deux couvertures de cuir, maintenues closes par une ficelle de paille. La vieille femme tend le journal à Aleksander. “H-Here, take it. Please, just take this and leave me alone...” Il s'approche du comptoir et saisit le carnet. Les pages, irrégulières, dépassent de la couverture. La ficelle s'élime un peu sur la tranche, mais semble solide. “Let me guess... The straw is enchanted. La sorcière recule. “You didn't get to live this old by being stupid, Marge. So what's the catch? Le ton d'Aleks monte, et il s'entend gronder. What could I possibly need to break this enchantment? Il fait mine de réfléchir, ses yeux toujours dardés dans ceux de Marge. Your blood, Marge. The blood is always the key. Il lève sa baguette. Diffindo!” La peau ridée du cou de Marge se fend d'une large coupure, d'où le sang gicle de façon incontrôlable. Aleks garde les yeux ouverts pour voir la vie s'éteindre dans ceux de la sorcière. Elle bascule en arrière, et il a du sang plein le visage. Le journal, trempé du sang de Marge, se met soudain à vibrer. La petite ficelle se délie, et les couvertures de cuir se séparent lentement, pour laisser le carnet s'ouvrir à la première page. Un rire nerveux prend Aleksander à la gorge : il ne s'est jamais senti aussi Lindgren qu'en cet instant, et l'ironie ne lui échappe pas.

Le jeune homme attrape le journal et commence sa lecture. Les premières pages ne présentent aucun intérêt, elles font le compte-rendu des débuts de Marge, à son poste de libraire et archiviste. Elle avait le béguin pour un de ses collègues, mais ne lui a jamais avoué (pathétique). Elle essayait de lancer un charme sur sa patronne pour obtenir une augmentation, sans succès (étonnant). Elle avait oublié d'arroser ses plantes et n'avait pas réussi son sort de revitalisation, elle devait donc acheter de nouvelles plantes (sérieusement, Marge?). Elle avait caché l'existence de deux bébés- OUI ! Aleksander pousse un cri de soulagement. Enfin ! C'est dur de croire que la réponse se trouve là, entre les lignes de ce journal. Il s'essuie le visage du mieux qu'il peut avec sa manche, en frottant bien autour des yeux. Il enlève tellement de sang, il ne voit même pas qu'il y a des larmes avec, qui coulent sur ses joues sans s'arrêter. Il inspire, il expire, il essaie de se calmer un peu et il commence à lire :

Hier était une journée bien remplie. Trop remplie. Je n'ai jamais été aussi effrayée de toute ma vie par un secret, mais voilà que j'en suis la gardienne, et ça ne me plaît pas du tout. Puisque je ne peux en parler à aucune autre âme, je vais l'écrire. Ceci est une preuve. Une preuve que l'Histoire, comme je me suis engagée à la rapporter, est un mensonge. J'ai changé l'Histoire, et je suis convaincue désormais que je ne suis pas la seule. Archivistes, historiens, libraires, nous sommes tous complices. Du gouvernement, des Jónsson riches, de l'élite ; car ce sont eux qui ont le pouvoir, après tout. Si ils demandent d'effacer un événement, une guerre, un nom … nous pouvons dire non, la première fois. Peut-être même la seconde, et la troisième. Mais d'une manière ou d'une autre, ceux qui refusent de plier face aux puissants en paient le prix. Alors j'ai accepté ; et j'ai changé l'Histoire. J'ai changé leur histoire.
Voilà c'est ce que je dois noter, c'est ce que je dois écrire quelque part pour que ça arrête de tourner dans ma tête. Un Jónsson riche est venu hier, avec deux bébés. Des jumeaux, sans aucun doute : le même gazouillement, le même petit nez fripé, et leurs mini-mains qui ne se lâchaient pas. Même si petits, ils avaient l'air inséparable. Je les ai séparés.
C'est ce que tu as fait, Marge. Tu as séparé un frère et une sœur, tu les as expédiés loin l'un de l'autre, et tu as fait en sorte qu'ils n'apparaissent sur aucun registre, aucun document. Tu les as effacés, Marge. Je les ai effacés. Je n'avais pas le choix, je crois. C'est ce que le Jónsson riche m'a demandé, avant de filer sans demander son reste. Je me suis occupée des petits quelques heures, avant que les choses soient arrangées : et j'ai vraiment bien arrangé ça. J'ai essayé de faire en sorte qu'ils ne manquent de rien. Je leur ai même donné un prénom, avant qu'ils partent. Le même prénom, parce qu'ils sont les deux faces de la même personne. Alex. Je n'aurais pas pu faire plus. J'en ai déjà trop fait, je pense.
Ils me manquent un peu.  

Aleks lâche le journal. Son cerveau tourne à mille à l'heure, essaie de donner sens à ce qu'il vient de lire. La vérité le frappe comme un coup en plein cœur, et il s'effondre sur ses genoux dans un sanglot violent. Alexis Hoover.

Aleks pousse un cri de douleur, alors que le feu lèche son épaule. Il esquive la salve suivante avec une grâce relative, et roule sur la terre battue avant de se redresser. Il projette sa main droite vers sa cible, souffle un Stupefix! et sent l'énergie magique le parcourir. Il peut presque voir le sort se matérialiser au bout de ses doigts. Son adversaire prend le sort de plein fouet.

Clap ! Clap ! Hap, son mentor, s'est levé pour le féliciter. “Very good! It only took you about 500 days to finally hit someone!” il s'esclaffe. “Your lessons paid off, Fon.” réplique Aleks, en mimant une courbette. Il se prend une tape sur le haut du crâne par son professeur. “Don't get cocky.” “I'm not being cocky, I promise. It just feels great to actually hurt someone you know?” Le Fon lève les sourcils, amusé. En près d'un an et demi, Aleksander n'a jamais touché un seul adversaire ; et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Il a quitté le Royaume-Uni avec la permission du gouvernement, dans une tentative un peu moldue de se chercher, de se trouver et de se découvrir un peu. Après avoir découvert un autre pan de son identité, en 2003, Aleks s'est pas mal paumé. Il a failli reconnecter avec Alexis – mais les serpents nous protègent, ça ne s'est heureusement pas produit. Il a traîné, pris un petit travail ici ou là... sans vraiment avoir de direction, de plan. Et comme le plus bête des hasards, un soir il a rêvé de Johan et Maja. C'était plutôt un cauchemar, d'ailleurs, un songe assez terrible où Aleksander se retrouvait au tribunal, jugé devant ses parents pour 'Atteinte à l'honneur des Lindgren', et finissait coupable, guillotiné, sa tête servant de cognard géant pour une partie de Quidditch dans les fjords. Aleks s'était donc réveillé en sueur, et avait décidé de reprendre sa vie en main. Il allait voyager, il allait apprendre de nouvelles magies, devenir un sorcier caméléon et l'un des plus grands adjuvants du Lord, et ses parents n'auront d'autre choix que de le respecter, enfin.

Aleksander a, depuis, revu ses attentes à la baisse. Il avait toujours été intéressé par les différentes manifestations de la magie et son exploitation, mais maîtriser de telles techniques s'avérait beaucoup plus compliqué que prévu. Apprendre la magie sans baguette auprès de Hap avait demandé à Aleks de prendre sur lui, d'avaler sa fierté et d'encaisser les coups. Beaucoup de coups. Des flammes aussi, des lames, certaines bêtes sauvages... Pas la formation la plus fun.
Pourtant à cet instant, tout ça valait le coup : les épreuves, le sang, la sueur, ça valait le coup !  Il ne peut pas refréner son sourire, même quand son mentor l'arrête. “Boy. You received a lettre. Il marque une pause. I didn't want to interrupt the fight. Now the fight is over. You won. Go read the lettre.” Aleks hoche vivement la tête, les veines encore vibrantes d'énervement et de passion. Il part au pas de course jusqu'à sa tente, installée à l'ombre à quelques minutes de l'arène. Bien que modeste, de l'extérieur, une fois la porte passée la tente est semblable à un petit appartement : un lit, un bureau, et même un poêle. Le logement transportable idéal. Sur ses draps, il voit la lettre. Il reconnaît le sceau des Lindgren, et ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel. Un sceau, sérieusement ? Il s'empresse néanmoins de le briser et d'ouvrir l'enveloppe.
Sur le papier nacré, à peine cinq phrases d'une écriture courbe, élégante. Johan nous a quitté. Tu n'es pas convié aux funérailles. J'ai pensé bien de te prévenir malgré tout. Cordialement. Maja. Aleks reste interdit plusieurs minutes, devant la lettre. Il relit encore et encore les mêmes mots, à la recherche d'un sens différent. Comme rien ne vient, il écrase le papier entre son poing, le jette en l'air et y met le feu. La petite boule grésille, s'enflamme et laisse une nuée de braises étincelantes avant de s'évaporer. Aleksander s'assied au bout de son lit. Il n'est pas certain de ce qu'il ressent. Johan, à bien des égards, était son croque-mitaine personnel. Le monstre dans le placard. Pourtant, il avait besoin que Johan l'aime, et il courait après son affection depuis... eh bien, depuis toujours. C'est fini, maintenant. Il ne sait pas quoi faire. Il se retrouve à nouveau sans but, sans objectif. “Fuck”

Aleksander est de retour au Royaume-Uni. Pour de bon, il espère. C'était triste de quitter le Cameroun, de quitter Hap et son enseignement alors qu'il avait encore tant à apprendre ; mais la mort de Johan avait provisoirement déréglé sa course, avant que le jeune sorcier ne réalise que ses objectifs n'avaient pas à changer.

Il veut toujours être un incroyable sorcier, un homme puissant et respecté du gouvernement. Il veut laisser sa marque parmi les plus grands. Pour ça, premièrement il a fallu regagner le sol anglais, et dans un deuxième temps, il devra lancer sa carrière, postuler pour un poste et grimper l'échelle, comme tous les autres. Brigadier, ça sonne bien ! C'est une première marche audacieuse. Il postulera dans quelques jours, le temps de trouver un petit studio, de récupérer ses affaires et se mettre à la page des affaires britanniques. Il y a tellement de choses qui semblent avoir changé – et ses retours éclairs à Londres pour valider ses renouvellements de Visa n'ont pas permis à Aleks de vraiment apprécier la refonte de la société sorcière.

Et une fois qu'il sera dans l'arène, all bets are off.