Une tignasse blanche élégamment domptée, une barbe sabrée au millimètre près, un costume ajusté à la pointe de la tendance actuelle (pour ne pas dire que c’est lui qui imposait la tendance actuelle), un visage taillé à la serpe et un regard lourd et un peu dans le vague, Wolfram von Bäume écoute un autre sorcier lui parler de tu ne sais pas quoi. La photo s’agite doucement, et tu pourrais entendre de là le brouhaha de la soirée pendant laquelle elle avait été prise. L’allemand n’est pas censé avoir du whisky dans son verre, bien que ce soi-disant ersatz y ressemble fortement. Il le tient toujours de la même manière, pas avec le petit doigt levé, comme se sentaient obligés de faire tous les aristocrates, mais plutôt avec l’auriculaire replié, comme s’il souffrait de la chevalière qui l’étranglait.
Il ne croise jamais le regard du photographe, comme s’il redoutait que tu ne finisses de l’autre côté de la feuille de journal.
A l’époque, tu maîtrisais parfaitement l’art de ne croiser l’objectif qu’au dernier moment, troublant ainsi le regard du spectateur, comme si tu les prenais en flagrant délit de reluquage. Mais cette belle époque était finie, et désormais, le seul regard que tu croisais, c’était celui des loups-garous qui prenaient un malin plaisir à établir un contact visuel avec toi, quand ils pissaient dans la nature ; ça avait le don de ruiner ta journée.

« Bagshot, tu regardes quoi, comme ça ? » Tu ne prends même pas la peine de lever les yeux sur le Hound qui venait de piétiner ton mélancolique instant de réminiscence. Tu tournes fébrilement la page du magazine people sorcier que tu feuilletais, feignant porter une attention particulière à la sorcière du mois qui portait le mieux la nouvelle collection Parkinson.
« La décadence... » Sans qu’il ne se doute de quoi que ce soit, tu fais allusion aux années précédant ta transformation, quand tu pouvais encore figurer aux côtés de tous ces vieux riches. A l’époque où tu faisais moins tache dans le décor, et où tu étais plutôt un accessoire avec lequel on aimait bien se montrer. c’est que tu avais l’art de donner l’impression aux autres qu’ils étaient géniaux ; et peut-être qu’au bout d’un certain temps, tu avais été pris à ton propre jeu, et tu avais peut-être véritablement trouvé Wolfram von Bäume génial.
Tu replies la feuille de chou, soupirant un peu trop longtemps. Tout ça, et bien plus encore, c’était fini.
« A tes souhaits. J’te signale qu’on t’attend en salle de briefing ! On est censé être parti depuis un quart d’heure ! »
Tu époussettes le bout de tes bottines vernies, ôtes tes pieds de la table, te hissant en prenant tout le temps qu’il faut pour dérouler tes longues jambes d’échassier. Tu mets à mal la patience du lascar qui devait sûrement être en train de se demander s’il allait pas te conduire au reste de l’équipe en te bottant le train.
« Laisse-moi deviner, » Tu enfonces ton chapeau à large bord sur ton front, et chausses tes lunettes fumées, histoire de piquer un somme si jamais la réunion s’étire. Vous vous mettez en route. « si c’est toi qui viens me chercher, ça veut dire que t’as demandé à ce qu’il y ait qui encore en plus ? Bronson ? Aver- »
Tu ouvrais la porte, le regard fainéant sur ton collègue, quand une silhouette familière a squatté un coin de ton champ de vision.

Une tignasse brune indomptable, une barbe hirsute, des épaules étroites coincées dans l’uniforme des Hounds, un visage trop jeune pour son âge et un regard trop doux pour cet endroit, Perseus Greyback écoute les directives de la mission du jour. « Nan aujourd’hui, ils nous refilent un p’tit nouv- » « Percy ? » Tu as lâché la porte sur le type qui te suivait, n’y prêtant plus la moindre attention. D’un geste un peu inconscient, tu as porté ta main sur le triangle rouge bafouant ta joue, présentant à ce « fantôme du passé », comme le disait si bien Rita Skeeter, ton meilleur angle.
Pourtant, c’est la confusion qui agite tes yeux dérangeants, peinant à se poser sur la dernière personne au monde que tu aurais pu imaginer ici. « Qu’est-ce que tu fais là ? »

Désargenté, l’esprit s’engouffre dans son labyrinthe antique. Il se laisse guider par Dédale dont il ignore tout. Le minotaure est entouré de visages qui jugent le retour de l’exilé. Leurs odeurs indiquent, comme lui, que ce sont des hybrides, pourtant un univers les sépare. A commencer par l’ombre de son créateur, Fenrir. Épée de Damoclès qui plane au-dessus de sa tête depuis le jour funeste de sa morsure. Il a échappé à un dessein scellé pour lui durant plus de vingt ans, et le voilà qui trinque à nouveau. Silencieusement, Perseus se remémore les faits. Il n’y a pas de fil d’Ariane. Pas d'échappatoire. Lui qui pensait être surpris par le nouveau régime ne s’attendait pas à pareil accueil. Il devient donc ce monstre qui l’a lui-même redouté. Une bête qu’il se doit d’honorer pour un gouvernement étranger, lui qui hier encore vivait en Afrique du sud, le nez plongé dans des recherches qui semblent à présent bien loin. C’est le prix à payer pour le meurtre de 3 moldus. Vie chimérique qui prend fin avec une soif de vengeance ignorée trop longtemps. S’il n’oublie pas ce qui l’a amené à Londres, la sécurité de sa progéniture prend la relève, et il ploie le genoux face à ses bourreaux. Perseus passe une main sur sa nuque, tandis que le tissus de son nouvel accoutrement retient sa masse musculaire.

“Ton cou te démange, Greyback ?” crache-t-on en sa direction. “Chaque hybride de la brigade a glyphe tatoué dans la nuque. Il me permet à moi, ton handler, d'exécuter deux actions sur toi, en passant leur baguette sur le glyphe que lui-même porte à l'intérieur de mon poignet. La première, la paralysie, et la seconde, la mort instantanée. Je suis le seul à pouvoir activer la rune qui lui permet ainsi d'avoir un contrôle absolu sur toi, aussi ne joue pas avec moi. Capish ?” Le mépris claque la langue. Lui pénètre dans la Brigade avec lui et n'émet pas le moindre son, se contentant d’observer le signe sur son poignet. “Percy ?” la créature sursaute, elle reprend l’identité qu’elle pensait évanouie. Les orbes opalins du loup cherchent son vis-à-vis pour mieux s'y égarer, surpris face au portrait qui se dresse face à lui. Il s’agit de son propre filleul, ou du moins ce qu’il en reste. L’odeur qui vient lui chatouiller les narines n’indique pourtant pas de vie sous son derme. “F.. fils?” souffle-t-il de son accent écossais. Fils. C’est ainsi qu’il l’a toujours appelé, lui ce père de fortune, de substitution pour Bagshot, mais ce nouveau contexte rend les effusions d’affection difficiles. Le lycan prend une profonde inspiration avant d’observer son handler, qui lui fait signe de poursuivre. “On m’a demandé de rejoindre les hounds en tant que lycanthrope.” marmonne-t-il, troublé. C’est la première fois qu’il énonce le mot publiquement. “Je suis le nouveau médicomage des rangs, là pour aider au front.” Décrète-t-il comme une promesse. “Et toi Boris ?” se force-t-il à dire. Perseus n’a pas l’habitude d'être distant avec son filleul, et il s’en veut de ne pas avoir gardé contact tandis qu’il avait promis de le protéger depuis sa naissance. “Tu es m…” “Mort ! Clairement ! Un rayon de soleil et il crame !” Les bougres ricanent autour d’eux, forçant le parrain à écourter les retrouvailles. On les interrompt pour distribuer un parchemin. “Vous avez les détails en main. Ce vieux Blackburn oublié de signaler les êtres de l’eau de sa lignée, et elle remonte à seulement quatre générations. Mort ou vivant, faut qu’on le ramène au Ministère.”

Ça ne va pas. Ça ne va pas. Ça ne va pas.
Il n’avait rien à faire ici. Il habitait à l’autre bout du monde, que pouvait-il bien faire ici ? Ça faisait des années que tu ne l’avais pas vu, qu’est-ce qu’il fichait ici ? L’incompréhension est flagrante sur ton visage transparent, et s’ils n’étaient pas déjà si fragiles, tu te frotterais les yeux jusqu’à ce que l’hallucination s’évapore.
« Bah, alors, Bagshot ? T’as avalé tes grands morts ? » Le type que tu avais laissé en plan derrière te boule en entrant dans la salle. A vrai dire, tout ce que tu avais avalé c’était un pan de ton passé que tu semblais avoir sagement rangé dans un coffre.

Quand tu étais à Poudlard, tu avais pris l’habitude d’écrire régulièrement des lettres à ton parrain et cousin, Perseus Greyback. Tu avais même eu l’audace de te rendre en vacances chez lui, en Afrique du Sud (où tu avais été tant insupportable que le pauvre homme n’avait pas dû avoir envie de réitérer l’expérience). A la fin de ta scolarité, et avec la tournure qu’ont pris les événements, les lettres se sont faites plus rares jusqu’à ne plus être du tout. Et bien entendu, ça n’est pas en devenant un vampire que l’idée t’est revenue de correspondre avec ton lycan de parrain.
Ainsi, c’est en cette matinée morbide que Perseus eut tout le loisir d’apprendre de la pire manière qui soit que son fiston était désormais maudit ; c’est-à-dire entre deux directives, dans le passage de la salle de briefing, et par une tierce personne. Jusqu’à présent, tu n’avais pas fait plus pauvre comme entrée en scène.

Le sourire brinquebalant, tachant de garder la face, histoire qu’au moins l’un de vous deux ne perde pas les pédales, tu arraches le parchemin qu’on te tend et laisses la troupe prendre la route des Cheminées. Tu fermes la marche avec Perseus.
Si ça ne tenait qu’à toi, tu lui aurais déjà sauté dans les bras. C’est pas que tu faisais dans l’effusion de sentiment, mais il était jusqu’à présent la personne la plus juste et gentille que tu connaisses, n’en déplaise à son affreux nom de famille et ses petites crises lunaires. Sauf que tu n’as plus dix ans, que tu le dépasses en taille, et que t’as pas embrassé quelqu’un depuis des mois. « Les écoute pas, va » que tu plaisantes, en guise d’ersatz à une potentielle crise de larmes vautré contre lui. « Si je cramais réellement au soleil, je ne serais pas là pour t’accueillir. » Même si tu aurais donné n’importe quoi pour ne pas avoir à l’accueillir. « Je ne suis pas plus maudit qu’un autre, ici bas. » Une première ; voilà que tu tendais à vouloir le rassurer, quand tu étais habituellement le premier à faire tout un drame de ta condition.

Il n’avait rien à faire ici. Parce qu’il te ramenait à des émois que tu n’étais plus censé avoir. Tu n’étais plus censé chérir qui que ce soit ; pas même tes propres parents. Il appartenait à une époque qu’un vampire avait dévoré le soir même où il t’avait transformé.
Vous rejoignez les autres qui ont commencé à grimper dans les cheminées pour se rendre sur le terrain. A ton tour, tu poses un pied dans l’âtre. « Je suis content que tu sois là. » Tu jettes la poudre, ton visage rassurant se casse la gueule le temps que les flammes vertes montent. Non, tu étais furieux qu’il soit là.
Ça ne va pas. Ça ne va pas.

« Hé, Bagshot, t’as l’air de bien t’entendre avec le nouveau, je vous laisse faire le tour ? Blackburn habite au troisième étage ! » Tu n’as même pas la foi de donner la réplique à Ulrike von Bäume, ton Handler, tandis qu’elle se réjouit d’avance de ne pas t’avoir dans les pattes pendant la mission. Tu manques de refuser, mais Perseus n’est pas loin, et bien que sa présence te plonge dans un profond désarroi, tu ne peux définitivement pas le livrer en pâture aux autres. « Greyback, viens. » Tu ne l'avais jamais appelé comme ça, jusqu'à oublier qu'il était de la même branche que l'autre affreux jojo. Ça faisait longtemps, tiens, que tu n’avais pas été en duo avec un membre maudit de cette famille… En bien des aspects, tu t’en serais passé.

Vous contournez l’immeuble et grimpez l’escalier de service extérieur, vous déplaçant à pas de loup pour ne pas alerter les voisins. C’est qu’on faisait plus discret qu’une bande de lugubres individus tout en noir.
« T’as pas vraiment choisi la bonne époque pour revenir ici, tu sais… » que tu chuchotes, pour briser la glace et le silence. Tu ignores si c’est à cause de l’arrestation imminente que tu es sous tension, mais un pressentiment t’intimait que ton parrain adoré ne ferait pas bon ménage avec les manières, disons rudes, de la Brigade.