Je ne comprenais pas ce qui avait poussé Hestia à trahir les siens mais, dans le fond, je me sentais trahie, moi aussi. Je n'osais pas imaginer la tristesse et la rancœur que devait ressentir Flora, sans parler de tous les ragots qui allaient bon train. A croire qu'Hestia avait été incapable de penser à sa jumelle, alors qu'elles formaient un tout depuis que je les connaissais et certainement depuis bien plus longtemps que ça. C'était incompréhensible et, même si j'avais conscience de manquer d'éléments pour tout décoincer et déchiffrer, je me torturais quand je n'étais pas occupée de suivre les ordres minutieux au Ministère de la magie ou ceux de mon cher père. A chaque petite fête organisée, je cherchais une trace de Flora parce que je voulais être présente pour elle et comprendre ce que j'avais loupé. Ce dont j'étais certaine, c'était qu'Hestia faisait preuve d'un égoïsme incroyable, elle devait savoir, en partant, qu'elle laisserait des vautours discréditer Flora, sur le long terme. Elle avait de la famille, que ce soit sa tante ou Aslan. Aslan à qui je n'osais pas trop parler de tout ça parce que je sentais bien que quelque chose naissait en moi et je ne voulais pas risquer de tout faire foirer à cause de ma maladresse légendaire. Ma mère avait tenté plus d'une fois de m'apprendre les bases de la communication quand mon père me jetait à l'ennemi sans s'assurer que je n'allais pas être complètement perdue par les conversations. Pour lui, l'éducation devait se faire à la dure et il avait toujours d'autres affaires en cours.

Le seul endroit qui me semblait le plus sûr quand mon père était absent était le manoir familial. J'étais certaine de ne pas trouver d'oreilles indiscrètes entre ces murs, ma mère passant au-dessus des idées trop fermées de mon père qui voyait en Flora une menace potentielle. Bodby connaissait les règles en ma présence, il n'avait pas intérêt à s'approcher de ma chambre, encore moins d'écouter pour le compte de mon père. Je pouvais être menaçante, moi aussi, s'il le cherchait, je n'étais pas dépourvue d'idées aussi incroyables les unes que les autres. Je tournais en rond dans la salle de vie, ma mère occupée dans sa chambre, attendant presque trop nerveusement que Flora fasse son entrée, ayant trop peur que les plans du patriarche tombent à l'eau et fasse s'écrouler les miens au passage. C'était ma plus grande hantise et il avait le don de vous surprendre au pire moment, ou au plus opportun, selon le point de vue. Je me bouffais les ongles et s'il était dans la pièce, il me répéterait qu'une fille de bonne famille ne se ronge pas les ongles parce que c'est mauvais pour l'image. L'image, il n'avait que ça en tête. Je l'insultais dans ma tête avant de me reprendre, même en son absence et dans ma tête, c'était dangereux. Tout l'était avec Louis Travers. Même, si Marlon ne valait pas mieux. Au moins, il ne le cachait pas.

Les histoires familiales m'assuraient d'être tranquille vis-à-vis de cet oncle et même de ma tante. Ils ne prendraient pas le risque de le croiser. Ma mère m'en avait touché deux mots de leurs différends, quand mon parrain m'avait rejetée une deuxième fois, pour ne pas me laisser trop à l'écart de ce qui me concernait, selon elle. A la rigueur, j'enviais presque mon frère d'être loin de tout ça. Il avait des obligations qui lui pesaient sur les épaules mais n'était pas mêlé à ce point dans ce bordel familial. Bodby était parti en direction du hall du manoir pour aller ouvrir à la personne que j'espérais être Flora. Ce pas ne pouvait que lui appartenir, mon père était plus lourd dans son approche. « Mets-toi à l'aise. Il n'y a que ce bourru de Bodby, ma mère et moi. On sera à l'abri des regards et des oreilles malintentionnées. » J'avais peur de faire preuve de beaucoup d'indélicatesse parce que je ne savais pas trop comment m'y prendre et que c'était la première fois qu'on échangeait depuis le départ d'Hestia. « Tu veux du thé ? Des biscuits ? » Je restais plantée tel un poteau, la regardant cinq secondes avant de baisser la tête, triturant mon coude gauche.

Flora n'a jamais été plus sur ses gardes que depuis le départ de Hestia. Elle a eu l'opportunité de se préparer, répétant avec sa sœur, anticipant les interrogatoires et la méfiance des autres. Elle a dû se délester de ses souvenirs de tous ces plans faits avec sa jumelle, sachant qu'elle risquait fort de se retrouver face à un ou deux légilimens du gouvernement, sans compter toute sa famille à qui elle devrait rendre des comptes pour deux. Elle a été suffisamment convaincante pour ne pas être emprisonnée ou punie pour le crime de sa sœur, mais certains — dont les Carrow en première ligne — lui en veulent encore énormément. Alecto se méfie, grand-mère également, blâmant pour la seconde le sang étranger qui coule dans les veines de ses jumelles de petites-filles. Papa Abram quant à lui semble plutôt perdu qu'autre chose, lui-même forcé de renier Hestia très publiquement. Flora ne sait pas s'il fait semblant ou non. Elle le connaît si peu, dans le fond, son père. Cela ne dérange pas Flora, sur un plan personnel, d'être un peu mise à l'écart de la bonne société pendant un temps. Ça ne la dérange pas tellement de ne pas trouver grâce aux yeux d'Alecto et Leto. C'est sur un plan stratégique que c'est plus embêtant et quelque chose qu'elle va devoir palier au plus vite car ça ne sert à rien de rester en retrait quand Hestia a fuit si ce n'est pas pour pouvoir continuer à espionner la société civile et si possible les plans des Death Eaters. Il va falloir qu'elle fasse ses preuves. Du reste, elle a l'habitude de la solitude. Ou plus exactement : elle a l'habitude de n'avoir besoin que d'Hestia. C'est là que l'ajustement est plus difficile. Les jumelles quoique de mèche sont in fine véritablement séparées et elle n'a pas besoin de feindre son cœur brisé Flora.

Elle n'a besoin de personne d'autre que Hestia, mais Dieu sait qu'elle a besoin de cette dernière. Et si elles ont prévu de se revoir prochainement elles ont aussi convenu qu'il faudra éviter tout contact pendant de longues semaines pour n'éveiller aucun soupçon. Flora trouve donc le temps très long, se surprend à regretter un peu les soirées mondaines qu'elle n'a pourtant jamais appréciée — les trouvant tout au mieux amusantes et au pire exténuantes —, juste parce qu'elles lui auraient offert un semblant de distraction. Et elle se console un peu, mais jamais assez, auprès de ceux qui la respectent et l'apprécient encore, son oncle Kareem et Aslan notamment. Lexie Avery aussi et puis Aquila Travers, peut-être. Son invitation à prendre le thé au cœur même du manoir Travers l'a surprise mais de la meilleure façon qui soit et touchée, surtout. À l'heure proposée elle arrive donc devant le charmant manoir de ces anciens esclavagiste qu'elle n'a jamais beaucoup apprécié, hormis justement l'unique Aquila. Flora n'a pas d'amis qu'elle ne partage pas avec sa sœur et celle-ci ne fait pas exception, aussi elle songe qu'à elle aussi, Hestia manque sûrement, même si elle doit également lui en vouloir. L'elfe lui ouvre et Flora est distante, mais polie avec lui, jamais partisane d'une cruauté gratuite, pas très Carrow en ce sens. Elle esquisse un sourire en voyant son amie, produisant un joli petit bouquet de fleur de sous sa cape en guise d'offrande. « Mets-toi à l'aise. Il n'y a que ce bourru de Bodby, ma mère et moi. On sera à l'abri des regards et des oreilles malintentionnées. » Flora ne doute pas de la sincérité d'Aquila, mais elle ne baisse jamais sa garde, même quand elle prétend le faire comme-là, quand son visage se détend et qu'elle hoche doucement la tête en s'asseyant sur l'un des canapé. « Tu veux du thé ? Des biscuits ? » Elle lui tend le bouquet de fleurs avec un petit sourire et hoche doucement la tête. « Très volontiers Aquila, merci. » En réalité, elle n'a ni très faim, ni très soif, mais elle demeure respectueuse de ce genre de code, bien éduquée par sa mère si courtes les années avec cette dernière fussent-elles. « Je suis contente que tu m'aies invitée. » Ce n'est pas quelle doutait de l'amitié d'Aquila, ni qu'elle pensait que son amie doutait de sa propre loyauté à cause de Hestia, mais elle aurait pu comprendre que ses parents par exemple ne souhaitent pas qu'elle s'acoquine plus avec elle, en tous cas pas si rapidement après la fuite de sa jumelle. Elle croit voir toutefois, non sans un certain regret, qu'Aquila semble un peu mal à l'aise, peut-être s'est-elle sentie forcée de la recevoir ? « Comment vas-tu ? » Offre-t-elle gentiment, même si elle doute bien qu'elle n'a pas été invitée-là pour échanger des banalités.