On a fini par le traîner hors de l’hôpital: Caesar ne se souvient pas vraiment des détails, ils sont tous un peu flous et se mélangent dans sa tête. Il est en transe depuis quelques heures, incapable de réfléchir correctement. Il est arrivé au manoir Rosier très tard dans la nuit, ou plutôt très tôt le matin, accueilli par la mère de Benjamin qui lui a demandé si il avait mangé et lui a proposé de lui préparer quelque chose; il a refusé, lui demandant simplement si il pouvait utiliser le bureau de Benjamin pour écrire une missive. Il a vaguement eu conscience de Jeong-Hui, pas loin, et a simplement demandé à sa tante de s’occuper d’elle avant de les laisser toutes les deux, ignorant tout et chacun autour de lui. Dans quelques heures, il retournera à l’hôpital, où Celyn se trouve toujours. L’idée de laisser son frère là-bas le rend malade. Ils ont refusé toutes les demandes qu’il a fait de le faire sortir, de l’emmener avec eux chez les Rosier, chez eux.
Sauf qu’évidemment, ici, ce n’est pas chez eux. La maison ne respire pas avec ses habitants, et les murs ne sont pas recouverts des beaux parchemins de Umma. Umma… Umma doit le détester en cet instant précis. Il a laissé Celyn chez les pauvres et là où tout est sale…!
Il est entré dans la pièce indiquée par sa tante et pourtant il fait déjà demi-tour, pour prévenir Benjamin qu’il va retourner à l’hôpital et en faire sortir Celyn, même au prix de sa vie; mais il est arrêté net par son cousin, justement, qui l’a suivi à l’étage. “Out of my way,” dit-il d’une voix un peu faiblarde. Il ne peut pas le repousser parce qu’il tient toujours la boîte qui contient… qui contient…
“Out of my way, hyung, I need to go get Celyn, he can’t stay there, he can’t, he can’t--” Il se débat avec les mots, puis il se débat avec Benjamin quand celui-ci l’empêche de partir. Il finit par abandonner, un gargouillis étouffé s’échappant à sa grande honte de sa gorge, et accepte sans mot dire la main serrée de Benjamin sur son épaule.

En famille, ils n’ont jamais été particulièrement tactiles, et il ne sait pas comment il réagirait si Benjamin tentait autre chose en cet instant précis. Il n’a pas besoin de la même étreinte qu’à l’hôpital. Il n’a pas besoin que Benjamin l’aide à rester en un seul morceau; il a besoin que Benjamin le tienne, le maintienne plutôt. Caesar a l’impression de tomber, de tomber, de tomber à toute vitesse et d’être incapable de se raccrocher à quoique ce soit.
Un autre bruit étouffé, sanglot presque silencieux, avant qu’il ne se dégage de l’emprise de Benjamin pour éviter son regard; des larmes, rageuses et douloureuses, lui piquent les paupière. Avec des pas tremblants, il se dirige vers le bureau qui se situe près de la fenêtre, à l’autre bout de la pièce. Bon sang, le soleil est en train de se lever et colore déjà le ciel d’orange et de rose. C’est beau. C’est putain de beau. Et Basil adorerait en faire une peinture.
Basil…
Avec un mouvement brusque, et à grands fracas, il pose la boîte sur le bureau.

Il pense à la baguette de Umma, et à Prince. Il aimerait pouvoir les enterrer, en faire quelque chose, mais il n’a pas la force d’ouvrir la boîte de nouveau. Ils n’ont pas trouvé de corps, pas encore, mais Caesar a bien compris les regards entendus qu’on s’est adressés en sa présence: ils doutent qu’il y ait quoique ce soit à trouver. “I don’t know what to do, Benjamin,” finit-il par dire d’une voix étranglée. Il essaye d’imaginer qui il était il y a vingt-quatre heures et il n’y arrive pas, il n’y arrive plus. Il essaye de penser à Eun-Ji, et à Umma, et à Papa, et à Celyn, et à Basil, mais il n’y arrive pas. Il se demande si ça existe vraiment, ce que les moldus disent, certains sorciers y croient aussi. Si il y a un paradis, et que Umma et Papa et Eun-Ji et Celyn sont enfin réunis avec Ha-Yun, qu’elle n’a pas grandi ni changé, et qu’ils sont heureux, enfin, après des années et des années de désespoir et de colère. Il se demande où est Basil, si il est caché, pourquoi il n’est pas sorti de sa cachette. “There’s nothing… there’s nothing to bury. We can’t even send their spirits off…” Ils ne pourront pas non plus tenir une cérémonie funéraire digne de ce nom chez eux. Parce qu’ils n’ont plus de chez eux. Ils n’ont plus rien. “What am I going to do?” répète-t-il, fléchissant enfin, les larmes lui montant aux yeux et dans la gorge jusqu’à l’étouffer et couler à gros flots.

Benjamin a l’impression de vivre dans une réalité parallèle, depuis qu’on est venu le chercher pour lui dire ce qui s’était passé. Sainte-Mangouste, les cendres du manoir Rosier-Hwang, les larmes de ses cousins, le corps inconscient de Celyn allongé sur un lit aux draps émeraude… Tout semble être un mauvais rêve, quelque chose que son esprit aurait monté de toute pièce juste pour lui faire peur.
Pourtant tout est réel : les tremblements de sa mère, l’odeur de fumée qui semble s’être imprégnée à jamais dans ses narines, les respirations faibles de son meilleur ami. Tout est réel, surtout l’incompréhension et le désespoir dans les yeux de Caesar et Jeong-Hui. Benjamin se sent impuissant. Que dit-on dans ces moments-là ? Que dit-on à quelqu’un qui a tout perdu ? Ils n’ont tous pas les épaules pour faire face à tout ça, et Ben n’est même pas sûr de ce qu’il ressent : de la tristesse, une colère infinie ? Il y a un peu de tout, et rien à la fois. Ça a été si soudain, si inattendu, si violent. Ce monde leur avait prouvé depuis un moment qu’il était dur, mais ça, ça… Ça, Benjamin ne s’y était jamais préparé.
Il s’est contenté d’être là, d’offrir des mains tendues et tous les services possibles et imaginables. Il a discuté avec les sorciers qui ont arrêté le feu, ceux qui ont fouillé les cendres, ceux qui ont fait les rapports sur l’événement. On l’a pris à part pour lui expliquer les pistes, le tenir au courant de l’enquête à mesure qu’elle progressait avec les heures. Il a pris en charge tout ce que Caesar et Jeong-Hui ne devaient pas gérer dans un moment pareil, et parce que rester à Sainte Mangouste n’était pas la meilleure solution, que tout le monde avait besoin d’une bonne douche et de manger un peu, sa mère et lui ont finit par ramener les deux gamins chez eux. Mais le manoir est silencieux, trop silencieux. Il laisse trop de place et de vide pour penser, pour réfléchir, pour ressentir. Benjamin n’est pas encore prêt à faire face à la situation et à tout ce qu’elle sous-entend, quand bien même il se montre fort et se veut une présence rassurante pour son cousin et sa cousine. Pour l’instant, il ne peut pas flancher, il n’a pas le droit de flancher alors qu’ils ont besoin de lui.
Caesar est une boule de nerf, instable. Benjamin le garde à l’oeil, inquiet de le laisser seul face à ses pensées, à ses sentiments. Il n’arrive pas à se mettre dans sa tête, à trouver les bons mots pour l’aider. Il n’est même pas sûr qu’il y ait quelque chose à faire, tout simplement. Alors il le suit, le coeur lourd à chaque fois que les yeux se baissent sur la petite boîte que son cousin ne lâche pas. Il le suit, juste pour s’assurer qu’il sera là pour le relever si ses jambes flanchent, qu’il sera là pour retenir son bras s’il a des pulsions destructrices. Le tout dans un drôle de silence. Benjamin est pourtant doué pour les combler, les silences, d’habitude. Il est doué pour ça. Mais pas là. Pas aujourd’hui. Il ne faut pas que les Hwang-Rosier fassent n’importe quoi. Et comme ils n’ont pas la tête froide, il est le gardien de leur santé mentale jusqu’à ce que celle-ci reprenne ses droits. Il ne laissera certainement pas Caesar sortir son frère de Sainte-Mangouste tant que celui-ci ne sera pas passé par tous les examens possibles et imaginables. Il faut laisser les médicomages faire leur travail, quand bien même ça déplairait à Jae-Hwa de le savoir là-bas. Benjamin veut croire qu’elle préfère le savoir vivant même si c’est à Sainte Mangouste. Bien sûr, que lui aussi a envie de ne pas quitter le chevet de Celyn. Il sont comme les deux doigts de la main depuis qu’ils sont enfants. S’il le perdait… Benjamin ne sait pas ce qu’il ferait. C’est une partie de lui qui mourrait aussi. Il est son meilleur ami, son cousin, son frère. Alors il sait. Il comprend la colère, l’envie de Caesar de le ramener avec eux. Mais il faut être raisonnable. Il faut faire ce qui est le mieux pour lui.

Le jour se lève. C’est presque indécent, de voir ce grand soleil - orange, comme les flammes - imposer que la vie continue alors qu’ils sont tous dans une espèce d’espace-temps étrange depuis des heures. I don’t know what to do, Benjamin, Ben tourne les yeux vers lui, quittant le lever de soleil du regard. Caesar pose la boîte sur le bureau. There’s nothing… there’s nothing to bury. We can’t even send their spirits off… What am I going to do? Maintenant qu’ils ne sont plus que tous les deux, dans la lumière chaude répandue par les grandes vitres du bureau, Caesar semble ne plus pouvoir tenir plus longtemps. Il a un sanglot, puis, deux, puis c’est le déluge. Sit down. lui intime Benjamin, tirant la chaise et prenant son cousin par le bras pour le forcer à s’asseoir. Il aimerait le prendre dans ses bras, le serrer fort et lui assurer qu’ils vont s’en sortir, mais il a peur de forcer un contact dont Kaz ne voudrait pas. Ben se contente de s’accroupir pour se mettre un peu plus à son niveau, et de poser ses mains sur les genoux du plus jeune, pour lui montrer qu’il ne le lâche pas. You don’t have to think about all this right now. fait Benjamin d’une voix douce. Il sait que c’est facile à dire, mais au cas où Caesar aurait besoin de l’entendre, il faut qu’il le dise. We’ll deal with all that. I promise. You’re not doing this alone. Il aimerait demander à Kaz de lui laisser tout gérer pour l’instant, mais son cousin pourrait mal le prendre, alors il ne dit rien. I can’t tell you that things are going to be ok. That-- that would be a lie. On ne se remet jamais de ces choses-là. Benjamin est bien placé pour le savoir. But we’ll figure it out. Together. Caesar n’a jamais été celui de ses cousins dont il était le plus proche, mais il espère qu’il le croit, quand il dit tout ça. Qu’il sait que c’est sincère. You wanted to write something. Do you want me to do it for you? offre-t-il, à défaut de pouvoir offrir un soulagement certain ou de pouvoir alléger la douleur qu’il ressent.

Les larmes sortent et coulent sans que Caesar n'ait la force ou la possibilité de les arrêter. C'est nerveux et, pour être honnête, douloureux. Caesar n'est pas particulièrement une pleureuse, comme le reste de sa famille, alors ça fait longtemps qu'il n'a pas versé des larmes comme ça. Elles l'étouffent et le font se sentir stupide et faible et ridicule et puis il y a la main forte de Benjamin sur son bras qui le force à s'asseoir et il se laisse faire comme une poupée de chiffon, ses mains lâchant le bureau pour venir se poser sur son visage, le cacher du regard de son cousin. Il gémit et il pleure et il sanglote et il souffle et il souffre contre ses paumes, se lamentant à grands fracas, douloureusement au courant que malheureusement, toute la tristesse du monde ne fera pas revenir sa famille.

“ You don’t have to think about all this right now. ” Les mots de Benjamin semblent lui parvenir comme à travers un voile, ses mots font à peine sens à vrai dire. Pourtant quelque chose semble l'atteindre parce qu'il se met à agiter la tête, à lui dire non silencieusement, incapable de prononcer le moindre mot et le moindre son à cause des sanglots qui l'étouffent toujours. “ We’ll deal with all that. I promise. You’re not doing this alone. ” Et pourtant il se sent si seul. Il a toujours été deux, il n'a jamais été un. Et Basil se cache, Basil n'est pas revenu, et Basil... Basil...
Basil est mort. “ I can’t tell you that things are going to be ok. That-- that would be a lie. ” Basil est mort. Caesar le sait au plus profond de lui. Son frère, son frère jumeau, la meilleure partie de lui, son inspiration, sa muse, sa motivation, son égal, son frère adoré, est mort. Basil est mort, sans doute en essayant de protéger Boreal, son corbeau animixé.
Basil est mort et Caesar ne le reverra jamais, ne le retrouvera jamais, ne pourra jamais le sculpter, lui parler, rigoler avec lui en essayant d'étouffer le bruit dans son oreiller.
Basil est mort et il ne reviendra pas.

“ But we’ll figure it out. Together. ” Mais il s'en fout d'être avec lui si Basil n'est pas là. Les larmes sont torrentielles, les sanglots l'étranglent, il est en train de se perdre, même la main de Benjamin sur son genou ne suffit plus à le maintenir sur Terre. “ You wanted to write something. Do you want me to do it for you? ” Les mots sont simples et pratiques et pourtant Caesar a du mal à les décortiquer. “ I need- I need- I need-- ” Mais il peut bien la commencer autant de fois qu'il veut, cette phrase ne veut pas sortir, chaque nouvelle tentative étouffée par un sanglot. Il continue de pleurer pendant ce qui lui semble être une éternité. Il a l'impression que ses larmes n'auront jamais de fin, que cette pression sur sa poitrine et derrière ses yeux ne cessera jamais et pourtant, progressivement, il se calme... lentement, mais sûrement, il se calme, et les larmes finissent par ralentir, presque cesser. “ I need to write Shafiq, and I need to warn nona's boss, and I have to talk with Barnes, and-- ” Tous ces gens directement impactés par cette tragédie, en plus de lui. La vie ne s'arrête pas, malheureusement. “ I don't know what I'm going to do with the play, I don't know if we will still get funding, I don't even know if I can cancel, I need to talk to our accountant, and I need to figure out... I need to figure out everything! ” Il pleure encore un peu, mais cette fois la présence de Benjamin l'aide.

“ It should have been me, ” finit-il par se lamenter, se baissant lentement sur sa chaise jusqu'à que le dos de ses mains, toujours posées sur son visage, se reposent contre la table en bois en face de lui. La position est loin d'être confortable et pourtant, étrangement rassurante. “ It should have been me, I'm-- ” Il ne finit pat sa phrase, continuant de pleurer. C'est lui qui est tordu, mauvais et sale, c'est lui qui aurait dû mourir. Pas Ha-Yun, pas nona, pas Umma, pas Papa, lui. Si il était rentré plus tôt... Il finit par sortir son visage de ses mains et par regarder Benjamin d'un air désespéré. “ Hyung needs to be okay, Ben. He can't- he can't die too! ” Le mot, prononcé à haute voix, le fait frissonner. “ He can't just... just be gone. He can't! HE CAN'T! ” Il ne sait plus de quel hyung il parle.

Parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, et qu’il n’a pas envie de combler le silence en disant n’importe quoi, Benjamin attend patiemment que les larmes de Caesar se calment. I need to write Shafiq, and I need to warn nona's boss, and I have to talk with Barnes, and-- Benjamin secoue la tête. Si c’est pour leur annoncer ce qu’il s’est passé, cela ne sert à rien : tout le monde est au courant, et Benjamin a eu plusieurs personnes par cheminées interposées pendant que Caesar et Jeong-Hui étaient avec sa mère, à Sainte Mangouste. I don't know what I'm going to do with the play, I don't know if we will still get funding, I don't even know if I can cancel, I need to talk to our accountant, and I need to figure out... I need to figure out everything! C’est normal, qu’il pense à tout ça. Tout son business, il l’a construit avec Basil. Tout ce qui était en cours vient soudain d’être mis entre parenthèses. Quelque part, penser au travail et à ce qu’il doit gérer est un moyen comme un autre de se maintenir occupé, mais Ben ne veut pas que son cousin se préoccupe de tout ça pour l’instant. Il ne pourra pas l’en empêcher, mais ça ne lui semble pas sain, qu’il gère ça maintenant. En plus de ça, il serait capable de prendre les mauvaises décisions, influencé par le deuil. « We’ll take the time to figure all that out later. Not today, Caesar. » impose-t-il. « If that can help, I can call your accountant later. But no one expects you to make decisions about all this right now. » Son cousin continue de pleurer, encore et encore, et Benjamin se sent bien idiot, en face de lui, incapable de trouver les mots qui le calmeront. Il ne peut décidément pas se mettre à sa place, ce serait absurde de prétendre qu’il peut comprendre. Il n’a pas perdu ce que Caesar a perdu. Mais l’idée même qu’on lui arrache Kate est terrible, il ne sait même pas s’il serait capable de penser.

It should have been me, Benjamin grimace. It should have been me, I'm-- Caesar a le visage dans les mains, et ne peut donc pas voir que son cousin secoue la tête, refuse cette phrase qu’il vient de prononcer. Hyung needs to be okay, Ben. He can't- he can't die too! Cette fois, Caesar peut le voir acquiescer sans la moindre hésitation. He can't just... just be gone. He can't! HE CAN'T! Ils ont déjà trop perdu, Benjamin ne les laissera certainement pas perdre le seul pilier qu’il leur reste. Il a beau essayer d’être leur repère pour l’instant, il sait qu’il ne l’est que parce qu’il n’y a personne d’autre. Ils ont besoin de Celyn, et lui aussi, il a besoin de Celyn. Il est hors de question qu’ils le perdent aussi. ”We won’t lose him.” dit-il sans ciller, persuadé que c’est la vérité. Il ne peut pas imaginer un monde sans son meilleur ami. ”We’ll do everything in our power to get him back. I promise.” assure-t-il à son cousin. ”I’ll pray all the gods of the world if I have to.” dit-il, tout aussi désespéré que Caesar.

”Once they’re done at the hospital, we’ll take Celyn home.” dit-il. Il en a parlé avec les guérisseurs, et s’ils ne trouvent rien de plus que ce qu’ils savent déjà, cela ne devrait pas être un problème de le garder à la maison, avec un médicomage disponible à chaque heure de la journée, juste au cas où. Benjamin pose une main sur le poignet de Caesar. ”For now, let’s stay strong for your sister. She needs you. Alright?” dit-il, espérant donner avec ces quelques mots une bonne raison à Caesar de sécher ses larmes. Il doit être très difficile pour son cousin de se sentir suffisamment fort pour Jeong-Hui, mais s’il y a une chose sur laquelle il doit se concentrer, alors Benjamin préfère que ce soit ça plutôt que sur son entreprise. « And please, don’t say it should have been you. None of you deserve this. None of you. I feel lucky to have you here with me. » dit-il.

tw: ableist slur, suicide ideation

” We won’t lose him. ” Mais qu'en sait-il? Aux dernières nouvelles, Basil était nulle part, perdu, rien trouvé! Pas même Soie, pas même sa baguette, pas même rien: disparu. Alors comment vont-ils le retrouver? ” We’ll do everything in our power to get him back. I promise. ” Mais quel pouvoir leur reste-t-il? Que vont-ils pouvoir faire? Il faudrait envoyer des équipes dédiées à ça sur la propriété des Rosier, il faudrait-- ” I’ll pray all the gods of the world if I have to. Once they’re done at the hospital, we’ll take Celyn home. ”
Ah. Celyn.

Caesar se remet à pleurer de plus belle.

Il veut pas Celyn, il veut Basil.

Il veut pas Jeong-Hui, il veut Eun-Ji.

Il veut Umma. Il veut Papa. Il veut pas...

Il veut rien. Il veut juste sa famille.

Benjamin pose une main sur son poignet et un long frisson agite Caesar, dont les pleurs ne se calment toujours pas. ” For now, let’s stay strong for your sister. She needs you. Alright? ” Parmi les larmes, Caesar semble un rire étouffé et humide naître dans sa poitrine. « And please, don’t say it should have been you. None of you deserve this. None of you. I feel lucky to have you here with me. » Le rire prend plus de force, alors qu'il sort son visage d'entre ses mains pour regarder Benjamin. Benjamin ne sait rien, il est bête, il est inutile, il est con, il ne sait pas ce qu'il dit. "Jeong-Hui doesn't need shit," dit-il d'un ton amer. "Jeong-Hui is fucking- she doesn't even know what's fucking going on, fucking retard that she is, and you don't know shit either!" Il se relève, repassant de la colère au désespoir à la colère de nouveau, enragé par la main que Benjamin a posé sur lui, enragé par ses mots, enragé par cette perte vertigineuse qui ne fait pas de sens.
"I wish I was dead too," dit-il, entre les larmes et la colère et ce rire qui, toujours, se cache dans un coin de sa poitrine. "I wish I didn't have to fucking deal with the fact Umma's dead, Father's dead, nona's dead, hyung's going to die and Basil is... Basil..." Il n'arrive pas à finir sa phrase et reste donc, bouche ouverte, à regarder Benjamin avec colère.
Il finit par fermer la mâchoire dans un bruit sourd. "Please go. I need some time," fait-il d'une voix blanche.

Benjamin est tellement surpris du rire de Caesar qu’il a presque un petit mouvement de recul quand il l’entend et que son cousin laisse de nouveau apparaître son visage. Jeong-Hui doesn't need shit, crache-t-il alors. Jeong-Hui is fucking- she doesn't even know what's fucking going on, fucking retard that she is, and you don't know shit either! Caesar! Benjamin est évidemment choqué. Il sait qu’on dit beaucoup de choses quand on est pas vraiment soi-même, qu’on est traumatisé par quelque chose, mais les mots qui viennent de sortir de la bouche de Caesar au sujet de sa sœur, Ben refuse de les mettre sur le compte de l’instabilité. Il y a des limites, même quand on est au fond du trou et que beaucoup seraient prompts à tout nous pardonner. Benjamin se fout bien du fait que Caesar s’énerve contre lui ou trouve sa gestion de la situation discutable, mais il ne peut pas s’en prendre à Jeong-Hui comme ça. Ben a du mal à réaliser qu’il vient vraiment d’entendre des mots aussi durs envers elle.

Caesar se lève et Benjamin se redresse de concert. I wish I was dead too, reprend-t-il alors, continuant à enchaîner des idées et des mots qui choquent son cousin resté debout, hébété. I wish I didn't have to fucking deal with the fact Umma's dead, Father's dead, nona's dead, hyung's going to die and Basil is... Basil... Benjamin commence à s’avancer pour contrer ses pensées noires autant que possible, mais Caesar le stoppe de nouveau net dans ses intentions : Please go. I need some time, Ben serre les dents. Dans ces moments-là, que fait-on ? Vaut-il mieux s’imposer ou laisser de l’espace ? Il ne sait pas, Benjamin. Avec beaucoup de gens, ça lui semblerait évident, mais avec Caesar, beaucoup moins. Il pensait avoir cerné son cousin mais dans le deuil, il ne sait plus très bien comment l’approcher. Come on Caesar, how am I supposed to leave you alone? Do you hear yourself? dit-il les mains relevées de chaque côté de son corps, complètement impuissant. I wish you didn’t have to deal with this too. I wish I could make it go away but it’s not that simple. Il hausse les épaules. Il sait de quoi il parle - même si Caesar ne se doute pas à quel point, et même si leurs situations sont différentes. I’m not letting you insult your sister, I’m not letting you say you’d be better off dead. dit-il fermement. Your family wouldn’t let you either. dit-il - s’éloignant volontairement du concept de famille puisqu’il sait qu’il est un peu en dehors. Il est un Rosier certes, mais pas un Rosier-Hwang, et ça fait probablement une énorme différence pour Caesar. Il espère que cette mention aux autres (et en plus, ce qu’il vient de dire est vrai) fera son chemin dans l’esprit de son cousin.

Dans un espoir d’apaisement et avec l’envie de permettre à l’esprit de Caesar de cesser de se concentrer uniquement sur la sombre idée qu’il ne devrait plus être là, Benjamin retourne vers le bureau. Come on. Let’s write those letters you came upstairs to write, ok? Il sort de parchemins d’un tiroir.

tw: ableism

"Come on Caesar, how am I supposed to leave you alone? Do you hear yourself?" Caesar serre les dents en l'entendant, embarrassé par le ton condescendant de Benjamin - do you hear yourself? Oui il s'entend, il sait ce qu'il le dit et il le pense. Il aimerait pouvoir s'enterrer six pieds sous terre, et ne plus avoir à côtoyer des gens qui ne comprennent pas, comme Benjamin, et ne pourront jamais comprendre. "I wish you didn’t have to deal with this too. I wish I could make it go away but it’s not that simple." Et pourquoi doit-on toujours le prendre de haut? Oui, ce n'est pas si simple que ça, mais Caesar veut juste faire sortir sa colère, lâcher tout son fiel, l'étaler autour de lui et ne plus y penser.
Sauf que Benjamin n'est pas Basil, il ne comprend pas. Alors Caesar ravale la colère et le sentiment d'injustice et le reste. Jusqu'à trouver son frère, il sera définitivement seul avec cette tornade de sentiments, il s'en rend compte maintenant.

Il n'a jamais été seul pourtant. Quand il est venu au monde, il avait déjà un frère né quelques minutes plus tôt, quelqu'un sur qui se reposer. Maintenant... maintenant... "I’m not letting you insult your sister, I’m not letting you say you’d be better off dead." Insulter sa soeur? Caesar cligne des yeux, une grimace venant infester son visage - si Benjamin pense que c'était une insulte et non un état de fait, alors il se trompe lourdement. "Your family wouldn’t let you either." C'est bien ça le problème. Benjamin n'est pas sa famille et ne le sera jamais, peu importe le fait qu'ils soient cousins ou que Celyn le considère comme un frère.
Il regarde avec des yeux éberlués Benjamin s'avancer vers le bureau, ouvrir un tiroir, comme si de rien n'était. "Come on. Let’s write those letters you came upstairs to write, ok?" Caesar reste immobile et le darde pendant un long moment. "I'd rather be alone for now, hyung." Sa voix est tendue, mais il est sûr de lui, serrant les poings le long de son corps, crispé au plus profond de lui. "We can write the letters tomorrow. I haven't slept and I'm tired and I need rest." Il se demande si Benjamin entendra dans sa voix cette haine injuste qui en suinte malgré lui, ce rejet entier et total pour cette main que son cousin tend dans sa direction. "Please," ajoute-t-il en baissant les yeux et inclinant légèrement la tête.

I'd rather be alone for now, hyung. répète Caesar alors que Benjamin pose les parchemins sur le bureau. L'aîné regarde son cousin, resté droit et immobile comme s'il n'existait plus vraiment dans ce corps. We can write the letters tomorrow. I haven't slept and I'm tired and I need rest. Benjamin serre les dents. Il ne bouge pas. Il vient de dire à Caesar qu'il ne pouvait pas le laisser seul, il lui a sous-entendu qu'il ne voulait pas le laisser seul, mais Caesar ne veut pas de lui, c'est clair, net et précis. C'est égoïste, mais il aimerait vraiment que quelqu'un d'autre soit à sa place, là tout de suite. Il n'arrive pas à savoir s'il doit imposer sa présence à Caesar sans négociation, ou s'il faut en effet le laisser seul. Il n'arrive pas à savoir ce qui ferait le plus empirer la situation, et il se sent coupable, il se sent nul, et il a l'impression qu'il abandonne Caesar, en ne sachant pas exactement ce dont il a besoin. Les histoires nous laissent toujours imaginer que, dans des situations comme celle-ci, on est capable de lire en les autres. On est capable de savoir exactement la bonne manière de leur venir en aide. Bullshit. Quoiqu'il fasse, Benjamin aura tort. S'il laisse Caesar seul alors qu'il avait besoin de compagnie, qui sait ce qu'il pourrait se passer ? S'il l'empêche d'être seul alors que c'est exactement ça qui lui ferait du bien, Caesar ne l'en détestera que plus, et ce n'est pas le moment de perdre sa confiance alors qu'il n'a plus personne à qui parler. C'est un dilemme sans solution, une équation pour laquelle Benjamin n'a ni les épaules ni l'instinct suffisants.

Please, insiste Caesar, alors qu'ils ne bougent tous les deux pas, campés sur leurs positions dans le grand bureau. Benjamin regarde son cousin, pince les lèvres, réfléchit, hésite encore, encore, encore, avant de baisser les yeux sur les parchemins vides. Il faut qu'il prenne une décision, mais il est terrorisé à l'idée de prendre la mauvaise. Il a beau réfléchir à ce que feraient les autres membres de sa famille en un moment pareil... Il n'arrive pas à savoir. Benjamin ne connaissait pas assez bien Jae-Hwa et Aloysius - ou du moins la manière dont ils agissaient avec leurs enfants. Il n'était pas assez proche d'Eun-ji pour savoir par quel bout elle prendrait la chose. Il s'entendait très bien avec Basil, mais il ne peut pas se mettre une seconde à sa place. Quant à Jeong-Hui, il n'est pas sûr qu'elle soit la mieux placée pour réagir à cette situation. Celyn, peut-être, est son seul repère, mais là encore, il ne sait pas. Le vrai problème, c'est qu'il ne connait pas assez bien Caesar. Et il le regrette, honnêtement.

Alright. cède-t-il finalement, poussé par la peur d'être de trop et l'impression d'être illégitime - en tant que cousin et par rapport à ce deuil. Alright. répète-t-il. Il laisse les parchemins sur la table et prend une inspiration avant de traverser le bureau en direction de la porte. I'll be downstairs if you need me. propose-t-il tout de même, au cas où Caesar changerait d'avis. Avant de passer la porte, il se retourne une dernière fois. I'm sorry, Caesar. Ce n'est pas pour tout ce qui lui arrive, qu'il dit désolé cette fois, mais parce qu'il est incapable de l'aider comme il le voudrait. Il referme la porte derrière lui et traverse le couloir pour descendre les escaliers, mal à l'aise — et s'il avait pris la mauvaise décision ?