Début février 2007 Des fous.
Tous des putains de fous.

Quelque chose de vraiment excitant, que l’autre a soufflé au-dessus de quelques verres de retrouvailles à la veillée organisée par des actuels et anciens de Gringotts en l’honneur de Jae-Hwa Rosier, quelque chose de bien mieux que tes vieilles ruines, sans se soucier de son regard vexé (ni du geste automatique de ses doigts pour cacher le croissant de Nanna), quelque chose de vrai, Aries. La moquerie coupante, tranchante, sous le défi évident. Quelque chose de vrai.

Il a accepté, bien sûr.
L’ego écorché. Le besoin immature, imbécile, de prouver sa valeur.
La curiosité piquée, aussi, par le mystère dans la voix de son collègue, par l’excitation féroce et fanatique dans ses yeux, par sa persuasion qu’il allait aimer ça autant que lui. Ce mutisme étrange autour de la vérité, alors qu’il lui conseillait de se préparer comme pour une mission - vêtements baguette runes incantations protections. De se préparer à du jamais vu, la vraie façon de fêter la nouvelle année, tu verras.

Comme quoi, tout le monde le connaît vraiment très mal.

Ambros a réussi à semer son collègue, à force de louvoyer entre les arbres, et à défaut de chasser, ou d’être chassé, il est sur ses gardes, comme s’il était dans les ruines d’un temple. Le pas lent, prudent ; les pas étouffés par un sortilège, les traces laissées dans la neige balayées magiquement ; les sens aux aguets, alors que son coeur semble battre jusque dans sa gorge. Machinalement, il gratte la marque de Nanna au dos de sa main gauche, transformant la malédiction en talisman. En quelque chose qui le relie au monde hors de Gracefield et des Battues. Hors de ce qu’il peine à comprendre vraiment, alors qu’il a été catapulté au milieu de cet événement barbare et grotesque et que choqué, il a seulement pu jouer le jeu, conserver son assurance factice pour ne pas craquer et s’effondrer. Prise éphémère sur le moment, sur ce qu’il est supposé faire, sur le secret qui pèsera désormais sur ses épaules à chaque putain de jour, à cause de tous ces putains de fous de sang purs (oublier qu'il en est un et que c'est bien pour cela qu'il est ici, parce que son collègue l'a pensé comme eux).

Quelque chose de mouillé, sous ses doigts. Il étouffe un juron dans sa barbe lorsqu’il découvre qu’il s’est charcuté le dos de la main, au va-et-vient brutal de ses ongles contre la peau déjà malmenée, et que ses doigts sont maculés de sang.
Il doit se calmer.
Dans la neige blanche et grise, la forêt sombre, un éclat de couleur, inattendu, sur lequel ses yeux se fixent, en même temps que son esprit. Un point où se raccrocher pour ne pas se noyer, alors qu’il fouille dans ses poches pour un mouchoir et bander sa main blessée. Pour reprendre son souffle, calmer la chamade de son coeur, pour reprendre pied.

Ambros se rend compte que l’éclat coloré sur lequel il se concentre depuis trois bonnes minutes est en réalité un string. Rose bonbon. Confortablement calé entre deux fesses hâlées, aucunement cachées sous ce qu’il identifie être une minijupe en latex transparent.

Le plus étrange est certainement qu’Ambros est persuadé de reconnaître ce fessier bombé.

Ledit fessier appartient à une femme à moitié dissimulée dans un bosquet, bien que les couleurs vives du reste de ses vêtements - et il faut prendre très librement le terme « vêtement » dans la situation - n’aient rien d’un camouflage efficace. Surtout en plein hiver, en plein janvier humide, neigeux et mouillé de Merlin sait quel endroit dans ce monde maudit. Avec la même prudence qu’un chat, le briseur de sorts s’approche, suffisamment pour vaguement distinguer le profil de la femme, qui définitivement… oui, maintenant, il est persuadé que… Encore quelques pas silencieux, jusqu’à ce qu’il soit à deux, trois distances de bras. « Hé, qu’il appelle à voix basse, en se sentant aussitôt admirablement con (toutes les chances que ce soit un piège). La brune se retourne vivement. Leurs yeux se croisent. ... Lupa ? »

Il ne savait pas qu’il pouvait se sentir encore plus con.

Bonne année !
Et la santé surtout !

Bande de chiens. Ils ont passé un mois de janvier d’enfer à Gracefield, parce que Zabini a organisé tout plein de battues spéciales nouvelle année. C’était joli, il y avait plein de feux d’artifices. C’était moins joli quand les feux d’artifices ont commencé à les suivre pour donner leur position aux invités. Pas de répit, une météo plus atroce que jamais, elle a amèrement regretté la canicule dont elle se plaignait il y a quelques mois. Les sangs-purs étaient pire que d’habitude, et ils étaient tous bourrés au champagne. Certes, ça rend la fuite plus aisée mais ils ont le Doloris qui les démange plus avec quelques flûtes dans le gosier. Autant dire que même une fêtarde comme elle n’a pas réellement accueilli 2007 à bras grands ouverts. Perspectives pour l’année : la même merde. Bonnes résolutions ? Elle fait déjà suffisamment de sport, ça sert à rien. Février s’annonce comme un mois tout aussi déprimant, avec la météo encore moins clémente. Forcément, rien ne change, et ses sponsors ne lui envoient toujours pas de tenues appropriées aux hivers des îles écossaises. Les soigneurs employés par mister Blaise font toujours particulièrement attention à elle parce qu’elle frôle l’hypothermie quasiment à chaque battue. Evidemment tout irait bien mieux si elle pouvait simplement prendre sa forme animale – encore que le capybara ne soit pas particulièrement habitué aux hivers rigoureux mais il a le cuir solide – mais elle a pour consigne de limiter son temps de métamorphose parce que ses cuisses de rongeur sont moins vendeuses que ses fesses.

Alors quand l’alarme a sonné aujourd’hui pour lancer la chasse, elle a comme d’habitude dû laisser au camp son manteau chaud que Javier lui a trouvé pour aller fuir à pied à travers les bois. En talons. Autre raison pour laquelle les soigneurs gardent un œil sur elle. Même avec l’expérience et la maestria de la demoiselle, les chevilles foulées sont fréquentes au milieu des racines la nuit. Heureusement l’organisation a tout de même assimilé la leçon et a échangé les talons aiguilles qu’elle avait originellement pour des plateformes un peu plus navigables.
Ce soir elle n’a encore croisé personne. Ce n’est pas passé loin, elle a vu à l’orée des arbres une silhouette masculine qu’elle a soigneusement évitée. Elle finit rarement la battue tranquille, après tout ce n’est pas le but de la manœuvre, il faut bien qu’elle craigne pour sa vie un peu. Mais avec un peu de chance elle a encore une ou deux heures de répit avant qu’elle se fasse repérer ou qu’on fasse en sorte qu’elle soit repérée. Elle a trouvé refuge dans un buisson non épineux et non urticant où elle retient son souffle. Finalement elle n’est pas aussi discrète qu’elle l’espérait. Il faut dire que la tenue en latex transparent aux accents de néon qu’elle se coltine depuis le nouvel an ne lui offre pas un niveau de camouflage optimal.

Elle sursaute comme une biche prise entre deux feux lorsqu’elle entend une voix derrière elle. Quelle abrutie, comment elle a pu ne rien remarquer plus tôt ? Elle s’est fait prendre comme une bleue. Mais le nouveau venu n’a pas l’air hostile, même si, au vu de la baguette qui se dessine comme une extension de sa main au clair de lune, il n’est pas un autre prisonnier mais bel et bien un sang-pur en goguette. « Lupa ? » Les yeux de l’anglaise discernent plus nettement son visage à présent et s’écarquillent. Ambros fucking O’Neill. Depuis quand il est du genre à venir chasser du sang-de-bourbe lui ? « Ambros ? » Ils n’ont jamais été proche, c’est avec Martin qu’il était ami mais ils ne se sont jamais mal entendus et en des terres comme celle-ci, l’ami d’un ami c’est quasiment un frère. Cependant elle ne se jette pas dans ses bras, arrêtée par l’instinct qu’inculque sa condition de proie. Lui et elle ne sont plus du même côté et le fait qu’il n’ait encore lancé aucun sort ne signifie pas nécessairement qu’il ne s’amusera pas à la faire courir. « Depuis quand tu t’amuses à torturer des prisonniers cabrón ? Tu pouvais pas en rester aux soirées classiques comme tout le monde ? » Son indignation lui fait monter le ton. C’est qu’elle s’apprête à lui passer un savon à l’irlandais, même seule dans la forêt, sans baguette. Il la déçoit, et elle le fait savoir.

« Ambros ? » C’est bien elle. C’est son nom, dans sa bouche, avec sa voix, et sa présence ici répond à tant de questions qu’ils ont eu, avec Martin, d’inquiétudes balayées du revers de la main d’un simple c’est Lupa, elle a trouvé un type plus friqué que toi faussement rassurant. Tout pour qu’ils ne s’attardent pas sur cette disparition soudaine, sans même le plus petit avertissement.

Lupa n’a jamais été son amie, elle a toujours été la copine (ou ex copine) de Martin. Là, il aurait bien envie de la serrer dans ses bras, tant la vue de son visage le rassure. Enfin, jusqu’à ce qu’elle élève la voix, prémisse d’une des bruyantes colères de Lupa Gonzalez, de celles qui résonnaient partout dans l’Opaleye, jadis. « Depuis quand tu t’amuses à torturer des prisonniers cabrón ? Tu pouvais pas en rester aux soirées classiques comme tout le monde ? Je te jure que c’est pas ça qu’on m’a vendu », se défend-il aussitôt. Il range sa baguette dans son étui et lève les mains devant lui, pour montrer qu’elles sont vides et qu’il n’a pas l’intention de l’attaquer. Son collègue (con de MacCarthy) lui a dit que des boules de cristal étaient constamment braquées sur les prisonniers : il lui reste seulement à espérer que les sang purs et autres amis du gouvernement et de Zabini ont mieux à faire que de mater le cul de Lupa, aujourd’hui.
Même si, franchement, quel cul !
« Je pensais qu’on m’amenait chasser la wyverne », glousse le briseur de sorts dans un rire brisé par le découragement face à l’irréel de la situation. Alors, vu ce que Mac lui a dit, la wyverne, c’était le mois précédent. Ou en tous cas, pas aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, Ambros sait très bien que l’excitation de son collègue n’a jamais été imputable à la présence de créatures magiques et rares.

Uniquement à la chair fraîche des prisonniers qui ont fuit à travers la forêt.

Machinalement, Ambros recommence à gratter le dos de sa main gauche, à travers le bandage de fortune. Le sang a traversé le mouchoir, de toute manière, à défaut d’avoir jeté un sort de soin efficace. Oh, si Lili le voyait… si Lili savait... « C’est ici que t’es, depuis trois ans ? Il ne semble pas vraiment y croire. Tout ça, au nez et à la barbe du monde entier. Et c’est tout ce qu’ils ont trouvé à te donner ? », s’insurge-t-il en faisant un geste vers la tenue pratiquement transparente qui ne cache que très très peu des atouts de Lupa. En plein février, vraiment !