12/05/1984
Laissant aller ses pensées entre deux plats et son dos dans le fond de sa chaise, Eugenia couve des yeux son petit poussin tardif qui joue un peu plus loin, à la table d’enfants, son minuscule index flirtant avec le papier glacé des photos de poissons qui viennent à sa rencontre. Elle contemple avec une satisfaction simple cette feuille de parchemin encore vierge, qui ne demande qu’à boire l’encre de ses enseignements, comme son père à elle l’avait fait dans son livre, vendu des milliers d’exemplaires. Eugenia n’a jamais pu rédiger ses mémoires ; au contraire, son job à elle est de faire oublier des choses aux gens.
Mais à lui, à son bébé Bagshot, elle inculquera tout ce qu’une f- un garçon de bonne famille se doit de savoir. Il sera charmant, docile et obéissant. Jamais, ô grand jamais, on ne l’y reprendrait, à commettre la même erreur qu’avec sa fille aînée.
Boris est peut-être un accident, débarqué quatorze ans après sa grande soeur. Mais Boris est également une chance de tout reprendre à zéro.
Elle nourrit de grandes ambitions pour lui ; même s’il se montre déjà être un enfant discret, il sera aimé, aimé des foules ; il n’y coupera pas, on le lit sur son visage d’ange aux joues et aux lèvres pleines ; il sera le flambeau de sa très chère mère.
06/11/1992
« Je peux savoir ce que tu fous ici, Bagshot ? » Les souliers de Bonnie entre dans ton champ de vision, te prenant ainsi la main dans le sac à mater les culs juchés sur des balais dernier cri. Dans la surprise, tu as refermé ton énorme exemplaire de
Histoire de la magie et Vie et habitats des animaux magiques sur ta main, ravalant un cri suraigu.
« Je. Révise. » que tu articules avec soin, mais soignant un peu moins tes yeux clairs qui bifurquent sans relâche sur les mollets des deux batteurs en train de se crêper le chignon. Bonnie hoche la tête, suspicieuse.
« Y’a quand même mieux niveau calme et température que les gradins en plein de mois de novembre pour réviser, tu crois pas ? » C’est que tu n’étais pas le plus brillant du troupeau, alors que mère misait beaucoup sur toi ; tu le sentais. Si bien qu’elle n’aurait pas été des plus enjaillés de savoir que son marmot préférait se rincer l’oeil comme tout bon adolescent qui ne se respecte pas, plutôt que de s’enterrer dans les confins de la bibliothèque, comme tout bon adolescent qui se respecte déjà un peu plus. Elle soupire, sidérée ; ah, ça y est, elle avait recollé les morceaux.
« Par les poils d’aisselles de Merlin, ne me dis pas que c’est pour Flint que t’es là ??! » Tu geins pour qu’elle baisse d’un ton et la sommes de s’asseoir à côté de toi.
« De tous, il faut que tu choisisses le troll quoi ? » « Tu trouves pas que ça ferait une histoire d’amour parfaite ? Je suis aussi beau et intelligent qu’il est idiot et laid… » Elle te dévisage avec autant de dégoût que si tu avais été toi-même Marcus Flint.
« Non ? » Elle n’en démord pas. T’es le pire quand tu joues les jouvencelles, elle le sait.
« Oh tu peux parler, toi, avec tes lettres anonymes aux professeurs » Tu n’as même pas besoin de la regarder pour savoir qu’elle hausse un sourcil.
« Nos lettres anonymes, Bagshot~ » Tu vires aussi rouge que la Grande Salle quand Gryffindor gagne encore la coupe des maisons.
« C’est bon, t’as pourri le groove, on décampe… »22/08/1998
Les deux rebelles qui t’ont ramassé te jugent des pieds à la tête.
« J’étais à Hogwarts avec tous les autres, ceux qui ont fondé la Brig- l’Armée de Dumbledore ! » « Ah ouais ? Pourtant, je te reconnais pas... » « Mais si, Boris Bagshot ! » L’un d’eux tend la main vers toi, comme pour t’appréhender.
« Oh hé, on se calme avec les noms là, c’est censé être secret, ici ! » Sauf que le premier n’en démord pas et te lâche pas des yeux. Il manquait tant d’effectifs ; ils n’allaient pas te faire mariner indéfiniment ??
« … Tu nous auras pas, Bagshot était plus… moins... » Des sourcils qui battent exagérément, des gestes vagues, supposés être maniérés, si ce n’est efféminés.
« Plus quoi ?? » que tu répètes, sidéré, oubliant que c’est toi qui passais l’entretien, éventuellement.
« Bah… ça aurait pu être ta petite soeur, quoi ! » Oh misère... Tu roules éternellement les yeux au ciel. Il s’agirait pas non plus de faire trop de vagues alors que t’étais même pas encore sûr de pouvoir rejoindre la bataille. Heureusement que tu jouissais au préalable d’une réputation de Hufflepuff discret. Tu ne donnais pas cher des Slytherin qui voulaient faire une bonne action.
« La puberté, je présume ? » Ils échangent un regard et haussent une épaule.
« On va dire ça, ouais, j’vois pas pourquoi tu mentirais ; c’est pas le bobard le plus vendeur… »20/12/2000
« Nan mais c’est pas possible ! Me faites pas croire que les petites lignes en bas du contrat incluaient qu’être dans la résistance voulait dire mal se fringuer ! » Ça fait près de deux ans et demi que tu traînes ta peine dans la résistance. Si tu avais pu être discret et docile les premiers mois, on ne change pas une équipe qui aime perdre. De fait, ton naturel pinçant et pinailleur avait tôt fait de refaire surface.
« Bon, vous deux, prenez-le avec vous, vous allez chercher de la bouffe et ramenez quelques fringues en passant... » « Ah bah voilà, merci ! »Tu venais de mettre la main sur un pull en cachemire pas piqué des hannetons lorsqu’une main se pose sur toi et une baguette dans ton dos. Heureusement pour ta masculinité virile, tu n’as pas le temps de pousser un cri de fausset que tu es immobilisé.
Il faut vraiment avoir une mémoire capricieuse pour te rappeler le vêtement que t’avais trouvé mais pas la descente de Mangemorts qui avait suivi. Heureusement pour toi, ta mère se ferait une joie de te rappeler tout ce que tu devais savoir : comme quoi, depuis le début, tu étais membre de la résistance en tant que taupe ; que ça faisait partie de son plan et que, grâce à la malléabilité de ta petite cervelle et quelques précieuses infos en prime, tu avais aidé à faire arrêter plusieurs résistants.
Chouette, un traître ; il ne manquait plus que ça à ton mémo.
15/02/2001
Tu aurais dû te douter que quelque chose clochait. Ces derniers mois, ta mère n’arrêtait pas de te promettre que tu avais toutes tes chances de devenir Mangemort, après ta mission rondement menée. Il ne se passait pas un jour sans qu’elle y fasse allusion. Alors pendant votre brunch hebdomadaire, elle t’a paru bien silencieuse, son nez rivé dans le journal. Elle répétait tout bas que ce n’était pas possible, qu’il devait y avoir une erreur. Elle tournait frénétiquement la page suivante pour voir si la
liste ne s’étendait pas plus loin. Elle a même acheté plusieurs exemplaires, au cas où l’actuel ne contienne une erreur d’impression, ou une page en moins.
Mais après plusieurs semaines à batailler dans les services administratifs du Ministère, il fallait s’y résoudre : de scintillante famille irlandaise sang-pur, vous aviez été relégués à famille nouvellement sang-mêlé, option « si Mrs Bagshot demande à voir le directeur, il est en rendez-vous pour le mois à venir ».
Certes, vous étiez moins conviés aux soirées de gala ; ceci dit, entre déchus, d’autres se sont mises en place, encore plus salées qu’auparavant. Et, comme on t’a toujours regardé mal, à cause de ton passif troué ou tes lèvres trop rouges, tu n’as pas vraiment fait ombrage de cette nouvelle tare. C’est qu’à Hogwarts, tu faisais déjà partie des mis au ban ; alors pour une raison de plus ou de moins, tu étais du genre excédé, bien avant ça…
Et puis, après tout, votre sang n’était pas
si mêlé que ça. De fait, en baissant un peu plus le nez que d’habitude, tu es sagement entré à la Brigade des moeurs, en tant que Handler trop propre sur lui pour être honnête.
11/03/2006
Ça fait cinq ans que vous n’êtes plus considérés comme des sang-purs mais maman continue à gémir comme au premier jour. Cinq ans qu’elle se plaint qu’elle ne pourra jamais faire de toi un parfait petit Mangemort. Dans sa quête de savoir comment te rendre toujours plus utile au Lord, tu ne l’aides pas, à stagner toujours au même rang à la brigade, au même bureau et au même Hound.
Tu ignores au lendemain de quelle fièvre délirante elle avait pris la décision de te changer en vampire. L’équation avait dû se résoudre beaucoup trop vite : un vampire, un médicomage clandestin et un elfe de maison. Le début d’une triste farce.
« Tiens, il ressemble à Flint. » C’est la dernière pensée absurde qui t’a traversé l’esprit avant que le choc causé par la douleur et les fièvres ne te fassent délirer. Tu ne te souviens plus de grand chose, ni de combien de temps ça a duré. Tu te souviens juste des draps trempés, des elfes de maison trottant autour de ton lit, du froid, du froid, du froid. Et ton corps qui semble vouloir sortir de ton corps, et tes dents de ta bouche, et toi de ton lit si bien que ça t’aurait pas étonné qu’on t’y ait attaché.
A ton réveil, tu es resté encore un certain temps en convalescence. Ta mère t’apporte régulièrement un bol de sang tiède.
« Pourquoi tu me sers? C’est pas aux elfes de maison de le faire ? » Sauf que tu n’entends plus les elfes de maison trotter. Ta mère ne répond pas mais tu connais sa réponse en zyeutant avec méfiance et appétit le contenu du bol.
T’as l’impression que tout ton squelette s’est encore rallongé et que de douleur, même tes yeux ont essayé de pousser dans leurs orbites ; du supplice de ta transformation, tu auras aussi gardé ce regard brisé vers le dehors.
Son regard à elle n’est plus vraiment posé sur toi ; plutôt au-delà de toi. Elle parle jamais de malédiction. Elle assure simplement que tu as été « augmenté ». Ça se voit que c’est pas elle qui va finir Hound pour le restant de ses jours ; et Merlin seul sait qu’ils seront plus nombreux que ceux de ton ancienne vie.