C'est bientôt Noël, ça se sent dans l'air. Quelqu'un a fait des cookies, à moins que ce ne soit du pain d'épices — Kingsley n'a jamais été bon côté odorat — et ça embaume la cuisine quand il s'y faufile pour se faire son premier café du matin. Le manoir est encore, pour la plupart, endormi. C'est comme ça que Kingsley aime se réveiller: dans le silence et la quiétude.
Il n'a pas neigé, cette année, mais les plaines anglaises sont recouvertes de givre: il les observe depuis la fenêtre en soufflant sur sa tasse, pensif. Kingsley attrape une part du gâteau qui se trouve dans le four et la met sur une assiette, avant d'hésiter et d'en rajouter une deuxième avec une petite moue coupable. Personne ne le verra, tout le monde est endormi.

Il va dans l'imposant salon aux riches décorations: tout le monde aime des trucs sur les murs, des articles drôles du Prophet, des photos des résistants qui résident ici, des posters, des peintures moches que Lee récupère et donne à qui en veut. C'est Lee, justement, qui a déposé une liasse de journaux datant d'aujourd'hui sur la table basse: Kingsley en attrape un et, avec son assiette et sa tasse, va se poser dans un confortable fauteuil pour s'y enfoncer et lire les nouvelles.
Il lit toujours le Prophet du soir, mais il n'y avait rien de particulièrement intéressant la journée d'avant. Juste la même rengaine. Propagande, l'Ordre sont des terroristes, les hybrides méritent de mourir... ce discours le dégoûte.

Il est en train de regarder les résultats de Quidditch quand il entend un bruit sourd pas loin: ça vient de la porte d'entrée et Kingsley se tourne, curieux, pour voir qui arrive à cette heure. Il est à peine sept heures du matin: il fait encore noir dehors.
C'est Remus, voit-il quand le battant s'ouvre, et les sourcils de Kingsley forment un accent circonflexe sur son front. Il lui fait un signe de main pour attirer son attention. “ Du mal à dormir? ” demande-t-il d'un ton affable avant de froncer les sourcils avant de regarder son poignet. Sa montre lui indique l'heure mais aussi les phrases de la lune. Et apparemment, la pleine lune approche... De ce qu'il peut y voir, Remus commencera l'année 2007 avec une transformation. “ Assieds-toi, je vais te faire un thé, ” lui recommande-t-il en voyant sa mine un peu pâle. Il disparaît dans la cuisine pendant quelques minutes et lui ramène une tasse de thé fumante. “ Jolies cernes. ” Il la pose devant lui et lui offre un léger sourire encourageant.
Ils ont tous du mal à dormir ces temps-ci. Depuis le retour de Harry. Depuis le fiasco d'Halloween. Les Détraqueurs... “ Tu veux en parler? ”

Kingsley et Remus ont le même âge: le premier se souvient très bien du second à Hogwarts, studieux et zélé, anxieux aussi quand ils s'étaient rencontrés dans le compartiment des préfets à l'aube de leur cinquième année. Kingsley l'aimait bien — il avait plus de doutes par rapport à Lily Evans, une née-moldue —, surtout parce qu'il ignorait à l'époque que Remus était un loup-garou. Encore aujourd'hui, Kingsley doit avouer qu'il ne leur fait pas entièrement confiance, du moins pas quand la lune menace d'être pleine et ronde dans le ciel. Remus est une exception. Kingsley trouve toujours une exception.
“ Merci pour le thé. ” Un hochement de tête lui répond; ce n'est rien après tout, et Remus a la tête de quelqu'un qui a besoin qu'on fasse quelque chose, même quelque chose d'aussi minuscule et inconséquent, pour lui. “ J’ai un peu de mal à trouver le sommeil… la pleine lune est pour bientôt en plus. ” Un nouveau hochement de tête de la part de Kingsley, qui trempe les lèvres dans son café pour en tester la température, prudent. “ Et puis, il s’est passé beaucoup de chose ces derniers mois et j’arrête pas d’y penser. Kingsley, j’ai l’impression qu’on a manqué beaucoup d’occasions. ” Il aime beaucoup Remus, Kingsley, sauf quand il se laisse aller et voit le verre comme étant à moitié plein.

Il comprend, ceci dit. Lui aussi se lève parfois et n'a qu'une envie: retourner se coucher, retourner dormir. Lui aussi se sent désespéré, immobile, entravé, il a envie de crier et de se débattre tout en ayant l'impression que ça ne sert à rien.
Sauf que ça sert à quelque chose. Malgré la douleur, l'attente, la frustration et le reste, ils arrivent à faire quelque chose. Ils ont sauvé ces gamins de la Damocles, non? Et oui, Potter's End était un énorme fiasco. Kingsley ne veut même pas y penser. Mais en faire une diversion a marché. C'est le plus important. Non? “ Tu as raison, ” concède-t-li lentement. “ Nous ne sommes pas dans une position... idéale. ” Il soupire et repose sa tasse, retourne s'affaler dans son fauteuil comme pour détendre ses muscles en s'y enfonçant. “ Pas du tout même. Ça fait des années qu'on se bat. Je ne pensais pas que ça durerait si longtemps, ” admet le géant aux pieds d'argile qui n'a jamais, jusque là, partagé ses doutes avec quiconque que Sofia. “ Mais notre emblème est le Phénix immortel, non? Qui renaît de ses cendres et continue de vivre même quand toutes les chances sont contre lui. Alors je préfère me focaliser sur nos succès: le fait que l'on soit en vie, que nous sommes beaucoup et qu'un jour, on parviendra à sauver Harry. ” Ça, Kingsley n'y croit pas. Il a toujours dit que Harry n'était pas une priorité, à quoi bon gâcher des ressources et des hommes pour voler à Voldemort son petit spectacle de rédemption? Mais il pense que c'est ce que Remus aimerait entendre, alors il le dit sans laisser une seule trace de mensonge percer dans son ton.

“Vaincre Voldemort ne fait pas partie de tes succès à venir ?” Kingsley regarde posément Remus. Cheap trick, se dit-il à lui-même en accordant à son ami un bref sourire. “Bien entendu,” dit-il d’une voix douce. “Pour moi ça tombe de sens.”
Kingsley ne rêve que d’une chose: tuer Voldemort. Être celui qui tue Voldemort, une fois tous les Horcruxes anéantis. Voir la vie disparaître de ses yeux rouges de monstre, et pouvoir lui rire au visage, ivre de victoire. Il sait bien entendu que la Guerre continuera après ça. Qu’ils auront d’autres Mangemorts et ennemis à anéantir et que malheureusement, toute la structure gouvernementale mise en place sous le règne de Voldemort devra être détruite et que ce sera long, douloureux et difficile. Mais tuer Voldemort? C’est ce qui déclenchera tout. Kingsley en est convaincu.

“Et je sais bien que le Phénix est le symbole parfait pour la résistance, mais… on piétine sur beaucoup de points.” Inutile de le lui rappeler: Kingsley agonise de la stagnation de la chasse aux Horcruxes. Après le fiasco chez Umbridge, ils piétinent, ils ne savent plus quoi faire. Il faut qu’ils trouvent, que ça avance, sinon tout ce qu’ils ont fait aura été pour rien. “Tout ça dure depuis trop longtemps, tu l’as dit toi-même et j’aimerai trouver la solution durable à tout ça. Mais pour ça, il faut passer par la case détruire Voldemort sauf que pour l’instant… on n’avance pas. Et retrouver un semblant de paix dans notre monde me semble trop illusoire.” Kingsley observe Remus soupirer et se passer une main sur le visage.. “Ce ne sont pas des pensées positives, j’en suis navré, Kingsley. Tu n’as pas besoin de ça.” Un bref sourire sympathique éclaire le visage de l’ancien Auror - une vue plutôt rare, soyons honnêtes… “Non, pas du tout,” approuve-t-il. C’est même le contraire de pensées positives. “C’est même carrément déprimant.” Mais pour être honnête, il n’en attendait pas moins de Remus. “Un jour, nous pourrons nous reposer sur nos lauriers et nous allonger dans l’herbe pour regarder les nuages et profiter du soleil. Un jour nous aurons le droit de nous détendre et de nous endormir sans cacher nos baguettes sous l’oreille. Un jour, Remus, je te le promets, nous connaîtrons la paix parce que nous nous serons battus pour elle.” La voix de Kingsley ne manque jamais de conviction, même quand il ment éhontément. C’est le cas en cet instant précis. Ils ne sont pas assez stupides, tous les deux, pour y croire entièrement. “Et même si c’est la dernière chose que je fais, je tuerai Voldemort. Et quand il sera mort, on tuera tout ce en quoi il croyait et on détruira tout ce qu’il a construit. Et le Phénix renaîtra.”

Kingsley sourit un peu plus franchement à Remus, avalant quelques gorgées de thé, presque pensif. “Tu sais, on va aller chercher Harry,” dit-il lentement, pesant chacun de ses mots. “Je ne peux pas prétendre qu’il est aussi important pour moi qu’il l’est pour toi et Sirius mais… personne ne mérite d’être soumis à un tel traitement.” Si c’est bien lui… Sirius semble refuser de l’entendre, mais Kingsley doute toujours que celui qui est revenu d’entre les morts soit leur Harry, et non un pantin ou un sorcier dissimulé sous quelque sort de magie noire. “Et quand le temps de frapper et d’aller le chercher viendra, nous le ferons sans hésiter. J’espère que tu le sais.”

Un léger silence s'installe et s'étire, mais Kingsley ne le trouve pas gênant et préfère plutôt le laisser prospérer, les envelopper tous les deux, alors qu'il observe Remus et finit par détourner les yeux vers son thé. Pudique, presque, lui laissant le temps de digérer ce qu'il vient de lui dire, et de réagir en conséquence. “ Merci, Kingsley. ” Des mots qu'il entend de manière très rare, bizarrement (ou pas). Kingsley, bien plus satisfait par ce mot unique qu'il n'en laisse paraître, hoche sobrement la tête à l'adresse de son partenaire. “ Je me doute que ça n’est pas dans les priorités de l’Ordre d’aller le chercher. Il a… changé après tout et il ne semble pas être… en danger immédiat. ” Kingsley ne répond pas à ses mots. Oui, Harry est même au plus bas de ses priorités personnelles... quoique. Depuis son retour, de nombreux membres de l'Ordre ont abandonné le navire, apparemment démoralisés par le fait que le Survivant, le symbole de la résistance, ait été "converti" au côté obscur. Ah. Javier serait fier de lui pour cette référence.
Javier...

Kingsley repense à la dernière image qu'il a eu de lui, avant de repousser la chose au plus profond de son esprit, l'ensevelissant comme il l'a appris lorsqu'on lui a enseigné l'Occlumancie. Harry et cette île de massacres sont au pied de ses priorités. Pour le moment.

Il repense à Myrthild, et il se mord les lèvres. Il commence à avoir bien trop de secrets qu'il ne peut pas se permettre de révéler... “ Je ne sais pas comment on va le récupérer et j’ignore si Sirius va pouvoir supporter de voir son filleul aussi… enfin tu vois… pas dans son état normal. ” Il se reconcentre sur le moment présent. Remus, Sirius, Harry. Ça le rend triste que leurs perceptions de la chose soient différentes. Remus ne pense pas que c'est urgent parce qu'il pense que Harry n'est pas en danger. Kingsley, quant à lui, estime que Harry n'est pas encore un danger assez gros pour le moment, pour mériter une intervention. Il ne se fait pas d'illusions. Que ce soit le véritablement Harry ou le faux, il est dangereux. Mais pour l'instant, ils peuvent gérer cette crise de loin. Ils ont encore tellement de choses à faire... “ On avisera, ” dit-il lentement, avant de laisser le silence s'installer de nouveau. Kingsley pense à toutes les manières qu'ils pourraient emprunter pour se débarrasser de ce faux Harry. Il ne pense pas que Remus aimerait les entendre.

Ils ne parlent pas pendant un petit moment, jusqu'à ce que le loup rompe le silence. “ Il me tarde d’avoir cette paix tant méritée. ” Kingsley s'esclaffe faiblement. “ Moi aussi. Pouvoir finir une nuit, sortir, aller au restaurant... je me rends compte maintenant que ce sont des choses très superficielles mais parfois, quelques jours, elles me manquent comme un besoin physique et naturel. ” Et pourtant ils peuvent se laisser aller aux quelques plaisirs de la vie, comme cette odeur sucrée qui règne sur le manoir de manière constante ces derniers jours, avec Noël qui approche. Les décorations aux murs, les faux flocons de neige au sol. Même si ils deviennent fous, confinés dans ce manoir, ils font encore le choix d'être heureux et de vivre, parfois, comme la vie mérite de l'être.
Kingsley tourne la tête brusquement quand le plancher craque derrière son fauteuil, et se détend en reconnaissant Alexis. Celle-ci a la tête de quelqu'un qui se rend compte qu'elle a interrompu une conversation et leur adresse une grimace, après les avoir salués, en se faufilant vers la cuisine. Kingsley la suit du regard avant de regarder Remus. “ Ils grandissent vite, ” dit-il comme un parent le ferait par rapport à son enfant. Il ne peut que imaginer ce que Remus ressent en voyant Teddy grandir... Quand elle a rejoint l'Ordre, Alexis était à peine sortie de l'adolescence et de l'école. Maintenant c'est une femme, qui a vécu tant de choses que même Kingsley ne comprendrait pas. “ Même nous n'étions pas si jeunes, au début, lors de la Première Guerre, ” soupire-t-il, en ayant l'impression d'avoir cent mille ans. “ Je me souviens de certaines choses avec une clarté presque surnaturelle. Ah, quand la paix viendra, j'espère que l'on pourra enfin oublier... ”

“Non, nous n’étions pas si jeunes en effet…” A les entendre, on dirait qu'ils ont trois mille ans... Kingsley sourit intérieurement à ce constat, qu'il trouve toute de même plutôt drôle. Il a toujours su qu'il finirait par être un vieux con, il ignorait que ce serait si jeune... “C’est ce qui la rend encore plus pénible que la précédente. Dix ans, c’est long.” Dix ans... Oui, c'est long. Il s'imaginait déjà en tant qu'Auror-star de sa division, voire même chef du bureau. A son âge, il s'imaginait au moins fiancé, au mieux marié, avec un enfant, ou deux...  Il n'a jamais cherché une ville particulière ou originale. Il a toujours été destiné à être quelqu'un de simple et de cartésien, de terre-à-terre. De normal.
Et le voilà à se battre pour la liberté, pour la justice, pour la démocratie, pour tout. Le voilà à être aimé, craint, respecté, haï par certains. C'est un sentiment étrange. Mais pas forcément désagréable. Être connu, s'être fait un nom... Kingsley se perd un peu dans ses pensées, suivant du regard Alexis qui apparaît avant de déguerpir. Il repense à la gamine qui a rejoint l'Ordre, la femme qui y est restée. Envers et contre tout.

“L’oubli serait bénéfique pour beaucoup, n’est-ce pas ?” Kingsley aimerait oublier certaines choses terribles qu'il a pu voir, et faire. Il aimerait pouvoir compléter les effacer de sa mémoire. Mais sans ces choses terribles... qui serait-il réellement? Serait-il aussi fort, aussi capable, aussi courageux? Il l'ignore. “J’ignore si on pourra oublier, Kingsley, mais on pourra au moins avancer.” Kingsley hoche la tête. Remus a raison bien entendu. Ils n'oublieront pas, mais ils apprendront de leurs erreurs, et de leurs succès, et ils construiront un monde meilleur, aussi utopiste et ridicule cela puisse paraître.
“Encore faut-il faire tomber la tête du serpent avant.” Le visage de Kingsley s'assombrit. Si il y a bien une chose pour laquelle il aimerait qu'on se souvienne de lui, c'est d'avoir tué Voldemort. Ils auront un pays à reconstruire, et des Mangemorts à chasser et à tuer, mais se débarasser du Lord serait un très, très bon début.
Et ce serait incroyablement satisfaisant pour Kingsley. "Oui," répond-t-il simplement. "Mais ça arrivera, Remus. Ca arrivera quand il s'y attendra le moins. Nous serons ceux qui libéreront le Royaume-Uni du plus grand Mage Noir depuis Grindelwald." La voix de Kingsley vibre un peu, de sa conviction, de son impatience aussi. "Je n'ai aucun doute là-dessus." Il sourit un peu à cette idée, qui lui semble... déjà réelle. Déjà possible. Comme si elle n'attendait plus qu'une seule chose: qu'ils agissent et s'en emparent.