Eun-Ji est partie. Elle n'est jamais revenue.
Caesar, qui pourtant est le premier à maugréer qu'elle prend trop de place, aimerait bien qu'elle revienne à la maison. Et que Papa arrête de passer en coup de vent, aussi. Que les portes et les fenêtres cessent de claquer à chaque fois qu'il ose dormir sous le toit des Rosier-Hwang. Et que Umma, enfin, réapprenne à sourire un peu plus.
C'est d'autant plus pesant que lui et Basil n'ont pas le temps d'arrondir les angles, d'aller embêter leur mère et leurs soeurs et leur frère pour les inciter à se détendre. Les répétitions sont fréquentes, les changements de dernière minute constants, et Caesar passe beaucoup d'heures au studio, à peindre, à sculpter, à travailler, pendant que Basil s'occupe des danseurs. Généralement, Caesar aime bien faire ça de son côté. Mais parce que Logan... parce que Jack s'y trouve, il ne veut pas. Il ne veut plus. Il s'en fout des danseurs, tout comme il s'en fout de Jack, tout comme il s'en fout de cette pièce.
Certains jours, il a envie de rester dans le lit, s'enfoncer sous les couvertures, et demander à Umma de veiller sur lui, de faire courir ses doigts dans ses cheveux, de le faire se sentir mieux comme quand il était petit.
Et d'autres jours, il est incapable de rester à la maison, incapable de rester en place. Il embrasse la joue d'Umma et puis il est dehors, et il va à un rendez-vous, il attrape un café, il a un autre rendez-vous, il passe des heures à dessiner et peindre, il oublie de manger, Basil finit par le sortir de sa transe, il grignote un truc, retourner au studio, reste jusque tard. Lui et Basil rentrent parfois au coeur de la nuit, après avoir prévenu Umma avec un hibou express bien entendu.

Et certains soirs, Caesar demande à Basil de mentir pour lui.

C'est toujours difficile. Avant c'était plus simple: Basil le laissait faire un peu tout ce qu'il voulait, du moment que Caesar lui laissait un peu d'espace aussi. En ce moment, c'est plus dur — surtout depuis le jour où il est revenu en panique de l'appartement de Wang (Wang. Enculé. Littéralement). Basil pose des questions, Basil marchande, Basil n'hésite jamais à lui rappeler cette promesse qu'il ne tiendra jamais, Basil finit aussi par s'impatienter, par le menacer de tout dire à Umma.
Ah! Comme si il oserait.

Toutefois, Caesar sait qu'un jour il est à deux doigts d'y passer. Il a demandé à Basil de le couvrir, d'envoyer un hibou express à Umma pour l'excuser, il doit rester au studio jusqu'à très tard, il a des décors à finir! En réalité, Caesar est dans un bar, et puis il est chez quelqu'un qu'il vient de rencontrer, et il fait des choses qui feraient pleurer ses parents de honte. Sauf que quand il revient au studio avant de retourner à la maison, il trouve une note de Basil: J'ai oublié de prévenir Umma. J'espère que t'as passé une bonne soirée.
Il est rentré en catastrophe, au beau milieu de la nuit, et la maison était vide, et silencieuse. Pas de Umma en train de l'attendre en tapant du pied sur le parquet, pas de Basil non plus en train de gloat avec un air satisfait sur le visage. Sans aucun doute que son jumeau a effectivement prévenu leur mère, et voulait simplement lui mettre un coup de pression; Caesar décide donc de bouder et se réfugie, à l'aveugle et à tâtons, dans la cuisine de la maison bien trop sinistre et silencieuse. Sans Papa, sans Eun-Ji, sans Ha-Yun...

Il n'aime même pas cuisiner, mais il a faim, et puis il a bu, et puis son père lui manque, alors il met de l'eau à bouillir et il grogne en cherchant des pâtes dans les placards. Quand il était petit et qu'il était malade, Papa lui faisait toujours des coquillettes (Basil préférait les cordons bleus depuis un voyage très ennuyeux en France) et il a envie de coquillettes et il a envie d'être un enfant de nouveau et il a envie que Papa rentre à la maison et il veut--
“ Watizit? ” grommelle-t-il quand Jelabi, depuis le comptoir où l'a posé Caesar, s'agite. Sa langue est épaisse et pâteuse dans sa bouche, la sensation désagréable et pourtant familière et donc, presque réconfortante. Il a vite réponse à sa question quand il se retourne pour voir que sa soeur, celle à laquelle il ne pense jamais, se tient dans un coin de la pièce, son Cat entre les jambes. Il ne l'a même pas entendue entrer. Caesar cligne des yeux, d'un geste nerveux repousse ses cheveux de son front, s'éclaircit la gorge, se redresse. “ Good evening, ” parvient-il à formuler sans trop s'emmêler les pinceaux. Il regarde sa montre. “ Late shift? ” Jeong-Hui n'a jamais été du genre à trop participer à la conversation, encore moins face à lui qui est passé maître dans l'art de parler pour ne rien dire, mais Caesar est habitué à son silence. “ Hungry? I'm making pasta. Macaroni. With the cheese, and the spam, you know, just like when we were kids. ”

A cette heure-ci les couloirs du ministère sont presque vides, le silence interrompu par l’occasionnelle note de service qui volette, le froissement du papier semblant fracas assourdissant. L’absence de personnel te permet de te déplacer en rasant moins les murs, sans avoir à baisser la tête pour éviter de croiser le regard de gens qui voudraient t’adresser la parole et plutôt de la lever pour observer le défilement rapide des carreaux du plafond sous lequel tu marches. Ce soir la fatigue te rompt le corps, vous êtes rentrés tard et amochés de votre mission, laissant les hybrides attrapés vivants aux hounds pour qu’ils aillent les faire enregistrer, mettant en ordre un ou deux trucs dans vos bureaux avant de repartir. Il te semble qu’un des collègues s’est d’ailleurs endormi au dit bureau. Un certain goût de défaite dans la bouche ces soirs-là. Tu ressens encore le contre-coup de la soirée d’Halloween qui t’a exténuée. Encore une fois, Umma avait raison, tu n’aurais pas dû aller à la fête de Clemency, définitivement elle a toujours raison.

A cette heure-ci les couloirs de la maison sont totalement vides, le silence jamais interrompu. Il y a quelques années, tu aurais prié pour pouvoir profiter d’une telle quiétude dans la demeure, mais s’il est vrai que tu apprécies le calme, il est bien plus amer quand on en connaît les causes. Papa plus souvent ailleurs que chez lui, Eun-Ji qui a claqué la porte pour ne pas revenir, les jumeaux qui se noient dans le travail autant que toi et Celyn qui s’enferme dans sa chambre. Etonnant de se dire que le départ de ta sœur te gêne, alors qu’elle n’a toujours été qu’une épine dans ton flanc. La maison a rarement été un royaume de cacophonie une fois les enfances criardes passées mais elle prend à présent des véritables allures de tombeau. Finalement, en partir ne sera peut-être pas la pire chose qui pourrait t’arriver. Dans les pièces vides tu as l’impression de faire autant de bruit qu’un éléphant, même les pas de Cat sont audibles. Une fois n’est pas coutume des sons te parviennent à cette heure tardive de la cuisine. Alors tu vas investiguer.

Caesar.
Caesar visiblement un peu bourré.
Caesar qui a dû échapper à la colère d’Umma.

Il justifie ses absences par des montagnes de travail, mais même avec le mal que tu as à détecter les mensonges tu as bien fini par comprendre qu’il devait faire d’autres choses de ses soirées. Sinon il rentrerait exténué comme toi, pas pompette comme il faut. En le voyant se débattre avec une casserole tu te rends compte que ton estomac gronde. Il peut bien augmenter la dose non ? Tu n’es pas très douée en cuisine, reposant sur les talents des autres pour survivre. Sur le comptoir, le paon de ton frère s’agite en vous voyant, peut-être prévenant simplement son compagnon ou bien se plaignant de l’arrivée de ton félin. Bien moins fatigué que toi – ayant profité d’un somme reposant dans le bureau de Yaxley – Cat bondit pour s’installer à côté de l’oiseau et l’embêter en faisant balayer sa queue à l’orée de son plumage. Tu ignores son cirque, pas d’humeur à le réprimander. « Good evening, » Un peu plus ivre que tu ne l’avais originellement pensé, au vu de sa voix pâteuse. « Late shift? » Tu acquiesces d’un petit mouvement de tête. Contrairement à la moitié de la maisonnée tu ne cours pas à droite et à gauche dans la ville à t’adonner à des activités secrètes. Tu fais ton boulot et tu rentres à la maison pour dormir. Repeat. L’enfant sage, c’est à se demander pourquoi tu n’es pas la préférée. Peut-être parce que tu vas jour après jour combattre des hybrides face à face et que même dans ton temps libre tu te retrouves à batifoler avec des détraqueurs.

« Hungry? I'm making pasta. Macaroni. With the cheese, and the spam, you know, just like when we were kids. » Un gratin de macaroni, rien de trop compliqué, la comfort food par excellence, qui rabiboche tous les désespoirs et les noie dans une quantité de fromage insurmontable. Une recette parfaite pour ces heures éreintées qui s’étirent dans la nuit. « Starving. » Tu montes t’asseoir sur un des hauts tabourets du comptoir, attendant tranquillement que ton aîné fasse la cuisine, peu inclinée à mettre la main à la pâte. Ce qu’il faut arriver arrive, des piaillements et grognements s’élèvent du côté du comptoir où l’oiseau et le chat se sont légèrement pris le bec. De mains fermes tu attrapes le félin pour le tirer à toi et le poser sur tes genoux. « Can you put some paprika in the macaroni ? » Elle hésite à lui demander où il était ce soir mais ne s’y résout pas, pas totalement certaine d’être intéressée par la réponse. Rien ne dit qu’il serait honnête de toute façon, personne ne lui dit jamais rien à elle, ils la pensent stupide, crédule. Tout ce qui importe c’est qu’il n’était pas là, abandonnant lui aussi le navire. Lui demander ce serait ouvrir à ce que Caesar pose à son tour des questions, parce qu’on ne lui donne jamais de réponses à elle mais merlin sait qu’on a toujours tout plein de questions à lui poser. Elle n’aura pas envie de répondre.

Quand ils étaient petits, Caesar se souvient qu'il pouvait passer des heures dans la cuisine, à regarder Papa agiter sa baguette et faire bouillir l'eau et faire cuire les pâtes. Il commentait toujours ce qu'il faisait avec un langage léger et fleuri, perdant parfois les jumeaux dans ses explications difficiles à suivre pour leurs petits cerveaux de gamins. Les mots trop longs, les tournures de phrase alambiquées, les expressions made in Aloysius improbables... ils avalaient tout ça avidement, comme des éponges, essayant de les ressortir au fil des journées suivantes.
Des coquillettes avec du spam et du fromage, gratinées tout comme il faut. Comfort food qui a toujours eu tendance à faire froisser le nez délicat de leur mère. « Starving. » Éloquente comme toujours. Caesar hoche la tête comme si elle venait de dire quelque chose de très intéressant et encourageant quant à l'avenir de cette conversation. “ Of course, you work so much, ” ponctue-t-il, telle une mère poule, attrapant sa baguette pour que le paquet de pâtes (qu'il n'a respectueusement pas fini) se verse tout seul dans l'eau qui, déjà, est en train de bouillir. Putain que c'est bien la magie quand on a faim.

Jeong-Hui s'installe sans un mot et Caesar continue de rassembler les ingrédients, apportant deux-trois fromages à son nez pour les choisir avant de lancer un sort pour qu'ils se râpent tout seul - il va pas non plus menacer de niquer ses petits doigts délicats d'artiste. Hop le fromage, on commence la tambouille, de la farine et du lait au fond de la casserole... “ Hey! ” grogne-t-il quand Cat commence à emmerder Jelabi et que celui-ci piaille à n'en plus finir, autant à haute voix que dans leurs émotions liées. Caesar jette un regard noir à Jeong-Hui qui, impavide, se contente de mettre son gros tas sur ses genoux. « Can you put some paprika in the macaroni ? » Il fronce immédiatement du nez. “ Paprika? ” Il ne peut pas empêcher un peu de dégoût de s'installer dans sa voix. “ Let me see. ” Il attire un tabouret qui glisse silencieusement sur le carrelage et monte dessus pour se pencher vers l'étagère à épices. “ Paprika, paprika... ah! ”
Il soupire en voyant qu'ils ont environ dix petits récipients à paprika, tous achetés en Amérique du Sud lors de différents voyages, et tous quasiment intouchés. Caesar peut très bien voir son père insister, faire tout un drama en expliquant à sa femme qu'il est impératif qu'ils doivent acheter ce paprika... et au diable les autres!
En attendant, son fils se retrouve à essayer de distinguer, à la lueur de sa baguette, la différence entre les petites fioles.

L'alcool le rend bavard, et heureux. Normalement, il se contenterait de dire à Jeong-Hui que non, il veut pas mettre de paprika dans son mac and cheese, c'est sa bouffe putain, et elle fait chier de toutes façons (il ne le dirait pas comme ça, mais presque). Là, il a envie de le faire, il a envie d'avoir une bonne raison de rester dans la cuisine, juste avec elle, comme si ils étaient seuls au monde. Comme si le reste de leur famille n'était pas là.
“ Do you want smoked paprika, dulce (il prononce ça doolse) or agridulce or... ” Il grogne un peu. Putain ils en ont trop. Et ils en mangent jamais. “ Or like, errr, sweet paprika? You want sweet paprika Jeong-Hui? ” demande-t-il en se tournant vers elle avec une fiole dans la main. Elle ne répond pas et Caesar hausse les épaules. “ I agree, I think sweet paprika's the best. Why do we have so much paprika? ” Il redescend du tabouret, ajoute l'épice à sa béchamel. “ Do you want a little bit? Nah, let's go for hotter. Hot! We papri-can. ” Il en ajoute beaucoup trop et rigole en laissant la cuillère en bois finir de faire ses acrobaties magiques dans la casserole.
Il finit par l'attraper et l'apporter à ses lèvres. “ Ooh, spicy. Try some, ” fait-il en allant en récupérer encore au fond, tendant la sauce vers Jeong-Hui avec un petit sourire encourageant et des yeux qui partent légèrement dans tous les sens.

« Of course, you work so much, » Il parle comme Umma le fait lorsqu’elle essaie, parfois encore, de t’amadouer. Ses efforts seront accueillis de la même façon que ceux de la matrone, avec indifférence. Un mur de silence. Oui, tu travailles beaucoup. Non, il ne faudrait pas que tu songes à changer de métier. Même s’il est peu probable que ton frère, lui, essaie de te pousser à la reconversion. Il essaie sans doute juste de meubler le vide que laisse ton manque de mots. Il fait partie de ces gens qui parlent encore plus quand ils ont bu. Alors qu’il parle déjà trop lorsqu’il est sobre. « Paprika? » Tu n’y vois que du feu toi, totalement sourde à la désapprobation que tu ne perçois pas dans ta voix. Il devrait savoir depuis le temps que s’il a un problème, les sous-entendus ne marchent jamais sur sa petite sœur. Le sculpteur se lance dans un numéro d’équilibriste sur ce haut tabouret qui tangue, plein d’aventure. Discrètement et pour éviter que son enthousiasme ivre ne l’emmène à une rencontre vigoureuse avec le carrelage, tu sors ta baguette et lances un léger sortilèges pour stabiliser sa monture.

« Do you want smoked paprika, dulce or like, errr, sweet paprika? You want sweet paprika Jeong-Hui? » Tu serais bien infoutue de faire la différence, il s’attend à quoi ? L’expert culinaire de la maison ça n’a jamais été toi. Il faudrait déjà que tu saches faire des pâtes. Il doit bien savoir lui, à râper son fromage comme un pro, en l’ayant senti en connaisseur au préalable. Il te traverse l’esprit que smoked paprika ça a l’air sympa, mais c’est sans doute parce que les cigares te manquent depuis qu’ils ont été interdits et que ton cerveau fait des associations. Tu réfléchis, ça mouline un peu dans le vide, tu ne réponds pas. « I agree, I think sweet paprika's the best. Why do we have so much paprika? » Tu avais bien raison, il sait, tout ce tintouin alors qu’il aurait pu s’en sortir tout seul. Ceci dit, en levant les yeux vers la rangée de petites bouteilles remplies d’épices qui ont toutes exactement la même gueule et leurs étiquettes rédigées en pattes de mouches tu en as presque la migraine. Un paprika ça suffirait pas ? Faut vraiment en avoir autant ? Elle y connaît rien mais même Caesar qui se débrouille il dit que c’est trop. Ce doit être papa qui les a achetés alors, quand il y en a trop c’est toujours de sa faute. Il se laisse emporter.

« Do you want a little bit? Nah, let's go for hotter. Hot! We papri-can. » Les jeux de mots te passent souvent au-dessus de la tête mais quand ils sont aussi simples tu les apprécies d’autant plus que tu les as compris. Paprican… Il est con. Tu ris tout doucement, silencieusement, un petit hoquet. Il ne te verra peut-être même pas, quand il se retourne tu seras sans doute déjà retournée à ton expression impassible. Mais le rire aura été là. Ceci dit il se transforme vite en effarement à la vue de la quantité de poudre rouge qui tombe dans la casserole. « Ooh, spicy. Try some, » Il a dit que c’était du paprika doux, ça devrait aller non ? Tu oses goûter un peu de la sauce sur la cuillère. Ça ne va pas du tout. La grimace que tu fais traduit immédiatement ton dégoût, alors qu’un feu commence doucement à brûler dans ta bouche. Heureusement que c’était du doux, ou tu aurais un incendie à éteindre. Cat rebrousse narines et fuit, un bruit lourd accompagnant son atterrissage sur le sol. « Maybe more cheese. Or milk. That’s not good. » Encore et toujours la délicatesse, le tact, la gratitude aussi pour ce frère qui accepte non seulement de te cuisiner un repas mais d’accommoder tes requêtes d’épices. On récolte ce que l’on sème. Comme une cliente à un restaurant tu croises simplement les bras sur la table et attends qu’il se remette au fourneau. Vos estomacs ne vont pas se remplir tous seuls. Encore que le sien doit être déjà à moitié plein de vinasse ou quelque autre spiritueux.  « But keep it spicy. » Daddy didn’t raise no bitch.

Tout le visage de Jeong-Hui se froisse d’une énorme grimace quand elle goûte la sauce que lui a préparé son frère et aussitôt, un large sourire vient éclairer le visage de ce dernier. Ca lui donne bien évidemment un air dégoûté et malheureux, mais lui ça le fait rire parce qu’au fond, il l’aime sa soeur, même si il est désolée d’avoir causé tant de peine et de douleur à ses petites papilles. L’épicé semble même atteindre Cat qui se laisse tomber dans un bruit sourd et décampe, essayant de mettre le plus de distance possible entre le paprika et lui. « Maybe more cheese. Or milk. That’s not good. » Délicate et tendre, comme toujours; mais Caesar, avec Jeong-Hui, a vite appris à ne pas se laisser démoraliser. Il pense que si c’était vraiment dégueulasse, elle n’aurait même pas pris la peine de lui expliquer: elle se serait levée et serait partie.

Elle s’installe et Caesar retourne à sa concoction, replongeant la cuillère dans la sauce et agitant sa baguette pour que le fromage se râpe de plus belle. « But keep it spicy. — Okay, okay! ” Il secoue la tête. “You know, maybe I should teach you how to cook. It’s not as easy as I make it seem!” C’est vrai qu’il donne l’air de tout à fait être dans son élément, faisant virevolter les ingrédients et les instruments autour de lui à coups de baguettes, ses gestes étonnamment précis et confiants malgré le léger déséquilibre que l’on peut sentir quand il se penche un peu trop vite. Il a mal à la tête, mais il sait d’avance que la nourriture le fera se sentir mieux. “ And soon enough you’ll be married off to that Flint fellow and you’ll have to cook for him. Do you know what he eats? He probably eats a whole nogtail at every meal, it’s full of protein I hear. A whole nogtail with a bunch of little potatoes. That’s what he must eat. ” Il hoche la tête d’un air sérieux, les yeux vrillés sur sa béchamel épicée qui perd peu à peu de sa teinte un peu trop orange, alors qu’il y ajoute lait et fromage comme demandé par sa soeur.

Il finit par goûter de nouveau, ajoute un peu de sel et de poivre et puis lui fait goûter à elle aussi: quand elle semble satisfaite, il finit de faire les pâtes et assemble le plat avant de le mettre au four. “ Don’t be so impatient: it’ll make it nice and with a little crust! ” lui dit-il quand il voit qu’elle s’impatiente. Avec Jeong-Hui, il faut toujours tout tout de suite. Avec lui aussi, ceci dit.
Il ne faut pas longtemps pour que le four, et la magie, fassent leur travail: quelques cinq minutes plus tard, il sort le plat et le pose entre eux. Il ne prend même pas la peine d’attraper un bol ou une assiette, donnant simplement à Jeong-Hui une fourchette et en attrapant une pour lui-même avant de la plonger dans l’énorme plat (disons qu’il n’a pas un compas dans l’oeil et que si toute la famille Rosier décidait de les rejoindre ce soir-là, eux aussi auraient de quoi manger confortablement). “ Carefuly, it'sh hot! ” s’écrie-t-il après avoir déposé une morceau dans sa bouche. “ But it’s pretty good, no? ” s’enquiert-il. Lui il trouve ça délicieux, mais c’est possible que ce ne soit que l’avis de l’alcool… “ Spicy enough? Cheesy enough? Delicious enough? All for you, little sister. All for you. ” Il lui tapote l’épaule avec tendresse, souriant toujours.