La main est tremblante, elle ne parvient pas à finir sa phrase. A quoi bon ? Ce n'est pas comme si on allait lire ses articles, pas comme si elle avait une voix. Elle la lui avait volée, sa voix. Elle lui avait tout pris. Rita pousse un soupire de frustration et roule son parchemin, attrape à la volée sa vieille plume à papote élimée et les fourre à la hâte dans son sac à main. Elle essaye de ne pas trop penser à elle, de la chasser de son esprit. Mais la tâche s'avère compliquée quand son répugnant visage de batracien se retrouve partout où elle marche, à la une du Daily Prophet, dans le chat errant qui croise son chemin, dans le reflet rose de la robe d'une touriste moldue. Quand son air sévère la toise depuis la couverture de l'exemplaire original de Madam Undersecretary, la biographie qui l'a mise dans cette situation, posé dans un coin du salon, comme pour lui rappeler chaque jour les erreurs qu'elle ne peut plus se permettre. I must not tell lies. C'est une leçon qu'elle a à jamais gravée dans sa chair à présent.

Avant de quitter son appartement, elle enfile ses gants en velours vert émeraude, une habitude qu'elle a prise pour éviter le regards des curieux. Puis elle prend le chemin du Ministère. Comme à chaque fois qu'elle s'y rend, elle doit lutter contre tout son corps qui lui crie de faire demi-tour. Elle ignore la douleur qui noue ses entrailles et va de l'avant, un sourire enthousiaste ornant ses lèvres à tout instant. Elle ne peut pas se permettre d'avoir peur du Ministère. Elle n'a pas les moyens financiers pour rester enfermée dans son appartement comme elle l'a fait ces derniers mois. Elle n'a pas non plus de temps à perdre si elle veut retrouver son poste dans les grands journaux sorciers et aider l'Ordre par la même occasion. Elle ne doit plus laisser les mauvaises pensées polluer son esprit.

Mais il faut avouer que ça fait un choc, à chaque fois quelle arrive dans l'atrium austère du Ministère. On ne sourit plus, mais c'est vrai qu'il n'y a pas trop de quoi sourire devant la nouvelle statue qui trône dans le hall. Rita décide d'ignorer une nouvelle fois ce chef d'oeuvre d'horreur et de prendre l'ascenseur vers le bureau de recensement des nés-moldus. Elle doit retrouver Lance. Déjà parce qu'il est l'un des rares à savoir la calmer, avec son attitude nonchalante qui la rassure. Elle sait qu'elle peut compter sur lui. Mais aussi parce qu'il pourrait lui transmettre quelques informations intéressantes sur lesquelles elle pourrait rédiger un article. Quelque chose que le Ministère approuverait, qui les ferait rire, qui serait publié dans le Daily Prophet malgré le sang mêlé qui coule dans ses veines.

Il n'y a personne dans le couloir au moment où elle arrive, alors elle se détend un peu. On ne sait jamais sur qui on peut tomber. Elle frappe quelques coups à la porte du bureau de Farrow. Pas de réponse. Rita soupire. « Lance ? » Toujours rien. Elle essaye d'ouvrir la porte, mais celle-ci est fermée à clé. Il n'était pas là. Une nouvelle vague d'angoisse parcourt la journaliste, mais celle-ci l'ignore. Elle se retourne et dans sa hâte de partir, elle manque de percuter quelqu'un. Elle se redresse, mortifiée. « Oh, je suis confuse, pardonnez-moi... » Elle dévisage la sorcière qui lui fait face. Hestia Jones. Oubliator. Du moins, c'est ce qu'elle pensait, jusqu'à la croiser, les bras chargés de paperasse, dans ce service où elle n'a vraisemblablement rien à faire. « Mrs. Jones, c'est bien ça ? » Skeeter reprend un peu des couleurs, sa curiosité est piquée au vif. « Que faites-vous ici ? » Elle n'a peut-être pas trouvé ce qu'elle était venue chercher, mais la journaliste est toujours ravie quand elle peut obtenir de nouveaux potins.

Tu as toujours aimé Londres, Hestia. Toi qui est née loin dans le pays Gallois, à des lieux de l'agitation de la capitale, avait eu un véritable coup de coeur pour cette ville aux mille facettes. Une ville colorée et chamarrée, mêlant histoire et passion. Tu te souviens encore comme si c'était hier de ta première venue ici, alors que tu n'avais que onze ans. Tu étais une toute jeune sorcière, pénétrant pour la première fois sur le chemin de traverse pour acquérir sa précieuse baguette magique. Tu te souviens encore, Hestia. L'écrasante majesté de la façade de Gringotts, les rues bondées et cet entremêlement de couleurs et d'odeurs qui t'avais prise à la gorge. Celle de la fumée, des gens, des sucreries. Tout n'était que couleurs. Et même lorsque ta mère lui avait fait découvrir les jolies rues du Londres Moldu, tel que la quartier de Notting Hill ou celui de Camden, tu avais adoré ces rues pleines de couleur, et les gens autour de toi qui semblaient simplement être eux, faisant fi des convenances.

Enfin ça, c'était avant.

Avant que la noirceur ne s'empare de tout, et que Londres qui était ton sanctuaire, ne deviennent ta prison.
Avant que Gwenog ne meurt.
Avant.

Et désormais, tout en Londres te rappelles cette vie que tu n'as plus. En ces lieux que tu vois chaque jour, tu y vois Gwenog. Là, dans ce bar moldu au fond de Camden tu te rappelles vos moments de fous-rires. Dans la boutique de vêtements du chemin de traverses, tu te rappelles vos engueulades lorsque tu l'as forçait à essayer toutes les robes de la boutique. Comme si elle était là, tel un fantôme hantant chaque lieu. Un fantôme qui ne cesse de te hanter, toi. On dit que le temps guérit toutes les blessures, qu'à force on finit par s'habituer, par guérir. Et sont passés, les jours. Ces putains de jours. Indolents. Telle une ritournelle, qui résonne encore et encore du même air entêtant. Pour toi, les jours passent et se ressemblent. C'est la réflexion qui tourne dans son esprit alors que tu ranges le dossier que tu viens de clôturer, celui d'un jeune né-moldu qui vient d'être retrouvé après avoir tenté de fuir. Tu pousses un soupir. Encore un jour à travailler dans ce bureau infâme, à traiter de pauvres gens comme des moins que rien. Un jour passé à sourire, à porter un masque. Encore un journée à te montrer de marbre face au désespoir et à l'injustice, et cela sans jamais témoigner la moindre compassion.

Après tout, ils n'ont que ce qu'ils méritent, comme ils disent.
Et pour toi, ça pourrait être pire.

Tu traverses le couloir d'un pas pressé, les bras chargés de dossiers. Depuis ce matin, rien ne va. Tu t'es levée en retard, tu as cassé ton talon dans la rue et voilà qu'en arrivant il a fallu que tu archives tout un tas de dossiers datant de plusieurs années. C'est ainsi en bougonnant que tu t'approches de ton bureau, manquant de trébucher sous le poids des papiers lorsque tu manques de percuter une sorcière qui se trouvait à l'entrée du bureau. « Merde !  » Tu pousses un juron avant de regarder avec surprise ton interlocutrice.

Rita Skeeter.

La Rita Skeeter, cette célèbre journaliste connue pour sa plume acérée et sa capacité à déterrer les scandales les plus scabreux. Et pourtant, elle semble bien différente de la sorcière que tu avais vu bien des fois dans le Daily Prophet, avec ses cheveux blonds et son maquillage appuyé. La femme qui se tient devant toi est bien plus ... simple, avec moins d'artifices. Tu restes là, un instant à la fixer, interloquée. « Je suis Hestia Jones oui, et je travaille ici  » Tu réponds d'un ton un peu sec, trop peut-être. Après tout, qu'est ce que cette fouine peut bien venir faire ici, au bureau d'enregistrement des nés-moldus ? « Et vous ? Je peux savoir pourquoi vous fouinez par ici ?  » Tu ressers ta prise sur tes dossiers, avant de la contourner pour ouvrir la porte d'un coup de baguette. « Vous ne préparez pas un article sur notre service, si ? » Tu pénètres dans le bureau pour déposer ton tas de paperasse sur une table, avant de te tourner vers Rita les bras croisés.

Serait-ce une pointe de satisfaction qu'elle ressent là ? Il faut dire, c'est revigorant d'obtenir ce genre de réaction. Ça lui rappelle des bons souvenirs. Fut un temps, c'était tout ce qu'elle obtenait. De la méfiance, de l'animosité. Maintenant, elle décèle une certaine pitié dans le regard des sorciers qui remarquent sa dégringolade aux enfers. Elle n'en veut pas de cette pitié. Être redoutée, c'est beaucoup plus rafraîchissant. Alors ses yeux s'animent d'une lueur de contentement face à l'air renfrognée de son interlocutrice. « Et vous ? Je peux savoir pourquoi vous fouinez par ici ?  » Rita se glisse derrière Hestia pour la suivre dans le bureau. Vide. Où est Lance ? Ça n'a plus d'importance, elle a peut-être trouvé mieux pour se changer les idées... « Vous ne préparez pas un article sur notre service, si ? » Rita a un large sourire. Elle lâche d'une voix fluette : « Oh, je pense avoir dis tout ce qu'il y avait à dire sur les magouilles qui se trafiquent dans ces bureaux. Mais n'hésitez pas à me contredire si j'ai tord ! » Elle garde le même air satisfait bien que des pensées bien moins plaisantes traversent son esprit. « De toute façon, au Ministère, vous préférez qu'on garde certaines choses secrètes, n'est-ce pas ? » Elle n'attend pas spécialement de réponse, la remarque est purement rhétorique. Elle poursuit. « Et vous savez que nous autres journalistes ne faisons que satisfaire nos avides lecteurs ! »

Nous autres journalistes ?
A-t-elle seulement le droit de s'identifier ainsi ?

Rita est actuellement sans emploi, ce qu'une majorité de gens ignorent. Elle préfère garder les choses ainsi. Déjà parce qu'elle compte bien retrouver son poste au Daily Prophet en moins de temps qu'il ne faut pour dire scrout, mais aussi parce qu'ainsi, on continue de la considérer comme ce qu'elle est, et pas comme un échec. Elle refoule cette idée, garde le sourire, et s'avance vers Mrs. Jones. « Vous êtes ici depuis longtemps ? J'étais persuadée que vous occupiez le poste d'oubliator... » Rita flaire l'information juteuse. Il est étonnant de voir une sorcière qui exerçait jadis un métier si palpitant - quoi que l'écrivaine ait toujours trouvé ce job quelque peu maussade - se retrouver dans ce bureau mal aéré à trier des papiers... Il y a beaucoup de choses que Skeeter a manqué ces derniers mois en se cloîtrant chez elle. « Il me semble que nous nous étions croisées au Département des accidents et catastrophes magiques. J'ai rédigé un article très plaisant ce jour-là. » Elle laisse échapper un petit rire aigu en souvenir de cette belle époque. L'article n'était pas réellement extraordinaire, mais Skeeter adorait dévoiler les scandales du Ministère. Et les oubliators avaient fait de nombreuses erreurs impardonnables cette année-là. Aujourd'hui, Rita ne peut plus se permettre ce genre de choses. « Quoi qu'il en soit, qu'est-ce que vous faites ici exactement ? Vous triez les papiers de Farrow ? C'est un peu en deça de vos compétences non ? »

Tu la regardes, la Skeeter. Elle dont la réputation n'est plus à faire. Elle le vautour, toujours là pour fureter et exhumer les secrets les plus profonds pour mieux les utiliser, les cracher à la gueule de tous. Elle qui a brisé des réputations au fil de sa célèbre plume.  « Oh, je pense avoir dis tout ce qu'il y avait à dire sur les magouilles qui se trafiquent dans ces bureaux. Mais n'hésitez pas à me contredire si j'ai tord ! De toute façon, au Ministère, vous préférez qu'on garde certaines choses secrètes, n'est-ce pas ? » Tu l'écoutes en silence, les bras toujours croisés. « Et vous savez que nous autres journalistes ne faisons que satisfaire nos avides lecteurs ! » « Bien-sur ... » que tu marmonnes. « Vous êtes ici depuis longtemps ? J'étais persuadée que vous occupiez le poste d'oubliator... »

Oubliator.
Un mot qui fait partie de toi.
Un mot qui fait mal.
Un mot, juste un mot désormais.

Sans que tu ne t'y attendes, la voilà qui te renvoie en pleine face cette facette de ta vie, s'infiltrant dans cette faille. Tu fronces les sourcils alors que la journaliste s'avance vers toi d'un air intéressé, semblable à un animal ayant flairé un fumet appétissant. Et bien-sûr qu'elle en a flairé un. Après tout, elle a raison. Tu étais oubliator, l'une des meilleures, il va sans dire. L'un des métiers les plus appréciés du ministère, des sorciers aux capacités magiques subtiles, capables de modifier et de façonner des souvenirs du bout de leurs baguettes. Et maintenant, toi voilà là. Coltinée à ce bureau sinistre, à briser la vie de pauvres gens, agissant comme un automate au coeur de glace. « Il me semble que nous nous étions croisées au Département des accidents et catastrophes magiques. J'ai rédigé un article très plaisant ce jour-là. » Le rire de Rita te tire de tes pensées, et bien-sûr que tu te rappelles de ce jour. Et pourtant, tu te dis que tu préfèrerais presque refaire face à ce type de scandale, plutôt que de pourrir dans ce service. « Quoi qu'il en soit, qu'est-ce que vous faites ici exactement ? Vous triez les papiers de Farrow ? C'est un peu en deça de vos compétences non ? »

Tu tiques. C'est qu'elle ne lâche pas l'affaire, la Skeeter. Mais tu ne t'attendais pas à ce qu'elle le fasse, de toutes façons. Elle est là, si sûre d'elle, s'exprimant de son habituelle voix fluette. Et pourtant, tu sens que quelque chose cloche. Elle semble presque trop sûre d'elle, comme si la moindre intonation, le moindre geste étaient calculés, appris par coeur. Elle te fait presque penser à une actrice répétant inlassablement un rôle qu'elle connait par coeur. Ce qui tranche nettement avec son apparence, beaucoup moins pompeuse que dans tes souvenirs. Ou sont donc partie ses célèbres boucles platines ? Son maquillage appuyé, et ses longs ongles manucurés ?  « Comment oublier. » Tu t'assois à ton bureau, attirant vers toi une tasse que tu remplis d'eau d'un geste de la baguette, sans pour autant en proposer à ton interlocutrice. « Je ne suis plus oubliator, en effet. Vous êtes perspicace, Rita. » Tu marques une pause, faisant chauffer ton eau avant d'y mettre un sachet de thé.  « Les choses changent, il faut croire. Disons qu'à force de travailler avec des moldus pour modifier leurs souvenirs, j'ai préféré m'investir d'une autre façon et de travailler à la surveillance de leurs descendants. » Te voilà actrice, répétant ton texte. A force, peut-être que tu parviendras à y croire. « Et vous, Rita ? Voilà quelques temps que je n'ai pas eu le plaisir de lire un de vos articles, vous prenez un peu de temps pour vous ? »