« Va t'faire foutre ! » La réaction est immédiate. Aussi endormi Lance était-il, il y a quelques secondes, aussi réveillé est-il maintenant, après avoir littéralement bondi de son canapé. Baguette vissée dans la paume, prêt à abattre qui est venu l’attaquer chez lui. Et là où il pense trouver des brigadiers, des ennemis, des créatures, il n’y a que Lillian, dans un de ses caleçons (hein ?). Une Lillian en furie, qui transforme chaque élément de son lieu de vie en arme de fortune. Il évite de justesse le cendrier qui vole vers son visage, entend le verre se fracasser dans le mur derrière lui. « Lil ! » L’autoritaire injonction ne sert à rien - il n’est même pas entendu, dans le dégueulis d’insultes et les projectiles qui le frôlent désormais à peine. Il réessaie, il crie, même, tonnerre colérique qui résonne dans les murs étroits de l’appartement, jusqu’à ce qu’un Petrificus Totalus fuse et touche sa cible qui ne voit pas le sort briller dans la pénombre, celle-ci trop occupée à hurler, à tout balancer. Silence soudain, le corps pétrifié de Lillian tombe au sol dans un dernier fracas, et Lance peut enfin souffler. Son salon est encore perdu dans le nuage de cendres, qui doucement se dépose sur tout et rien. Son ménage précédent complètement du passé. Ça aura bien servi.

« Putain… de merde. »

Il s’assit sur son canapé, attrape ses clopes pour s’en allumer une aussitôt. Un coup d’oeil de biais vers Lillian, qui ne risque pas de bouger du coin de plancher où elle est tombée, raide comme une barre et parfaitement consciente de tout ce qui se passe. De la cendre qui se dépose sur son visage, de la respiration profonde de Lance, de son pas lourd alors qu’il se relève et s’accroupit à ses côtés. Son visage tordu en une émotion dure et sévère, alors qu’il examine l’expression furieuse de la jeune femme. Puis, son poing crispé, au sang qui file entre les doigts serrés sur quelque chose dont il aperçoit à peine une arête de métal. Tenter de lui ouvrir la main, dans son état, c’est lui casser les doigts, et il n’est pas encore rendu à cette extrémité.
Pas pour l’instant.
« Je ne sais pas quelle mouche t’a piquée, Macca, commence-t-il posément, la voix glaciale. Il n’a jamais été celui à se fâcher en cris et en hurlements - ni même à vraiment se fâcher, fort d’une patience proverbiale désormais au bout du rouleau. Je vais lever le sort. Tu vas m’expliquer ce qui se passe, sans crier. Et ensuite, tu reprends tes claques et tu fous le camp de chez moi. » Elle ne peut pas transplaner à l’intérieur de chez lui, encore heureux. Il se relève, se tire une chaise et, baguette pointée sur la Gryffondor, lève le sort qui la pétrifie depuis quelques minutes. Son immobilité rendant claire le fait qu’il la tiendra en joue pendant toute cette charmante conversation.

La pétrification est une expérience détestable. Tout voir, tout entendre, tout sentir, n’être plus qu’un corps entièrement livré et ne rien pouvoir faire que subir, attendre et subir. Ça a quelques mécanismes de la peur et certains de commun à des traumatismes plus précis – qui se rappellent à son bon souvenir. Lillian l’a bien cherché, mais c’est tout de même cruel, cuisant et pour la chair qui tombe lourdement sur le sol et pour l’orgueil (même la dignité) qui choit avec elle. Et ça ne débite guère sa colère en tronçons plus modestes. Au contraire, sa rage, alimentée par le petit bois de l’impuissance, l’humiliation et d’une angoisse quelconque, redouble dans sa poitrine. Elle voudrait lui faire mal, blesser Lance jusqu’au sang et se repaître de son souffle réduit à des hoquets de bile dans la trachée. Et plus elle en fait le dessein en-dedans, plus la lave se répand. Comme elle n’avait pas les mots de sa détestation il y a encore quelques minutes, elle n’a même plus les gestes de défouler ses sentiments inexpugnables, quasi étrangers en son sein. Elle ne reconnaît rien, Lillian, dans ce maudit bordel qui la secoue jusque dans ses fondations. Si elle était du genre à pleurer, c’est ce qu’elle ferait ; tout purger. Mais, même ça, elle ne saurait pas faire. Elle na plus aucune larme pour rien.

Les secondes s’égrènent dans des relents de tabac froid, et d’autres, fleurant bon le nouvel incendie. Qu’il aille crever… Il va crever. C’est absurde, comme les menaces qu’on profère en hâte contre le type devant soi dans la file qui n’avance pas assez vite ou l’immonde connard qui vous reluque avec toujours plus d’insistance à chaque godet rincé à flanc de bar. Lillian ne le pense pas. (Serait-elle seulement capable de meurtre?) Elle ne le pense pas le moins du monde, comme la promesse qu’ont ses pupilles de se tenir tranquille dès le sortilège levé. Au début, elle gronde un peu, ses poignets effectuant quelques tours et ses poumons bouffant tout l’air qui a paru manquer et ne le faisait pas. Son regard évite méthodiquement celui de Lance, parce qu’on dirait que la folle machine pourrait se relancer à tout moment et la balancer hors du sentier commun - du sens commun. Et c’est à peu près ce qu’il se produit : Lillian se souvient des sensations encore engourdies à ses extrémités, d’une violence insoutenable qui se lève, de son cri de haine et de se jeter sur Lance sans le toucher ; elle se souvient d’un éclair à la pointe de la baguette mais pas de sa couleur ; puis, plus rien.

Lorsqu’elle émerge, l’occiput lance. Lillian suppose qu’elle s’est cognée en se renversant, et assez méchamment. Elle est toujours dans le salon de Lance Farrow – elle n’a pas dû perdre connaissance plus de quelques secondes – mais le médaillon a disparu. « Rends-le moi, elle articule difficilement en tâchant de se rassembler en une position assise. Tout ce qui était à lui est à moi, et tu le savais très bien quand tu as prétendu que tu n’avais rien pour moi, alors rends-le moi ! espèce de salopard d’enfoiré de menteur à la con… ! » Le timbre escalade mais Lillian fait le choix soucieux et non moins intelligent de ne plus bouger. D’ailleurs, elle commence à avoir froid dans son manque de tenue, ce sont ne témoignent pas du tout ses deux mirettes noires de haine. « C’est un idéogramme sumérien dessus, jette-t-elle un peu son menton en même temps qu’un coup d’oeil en direction d’elle ne sait où se trouve le bijou, alors essaie pas de mentir, sale connard. C’était à lui, elle répète comme d’aucuns le fond avec les incantations, alors c’est à moi. Je suis son plus proche parent qui en ait quelque chose à foutre, alors rends-le moi, Farrow ! »

Pire qu’un chat sauvage.

La brune tente une nouvelle fois de l’attaquer, de littéralement lui sauter dessus, toutes griffes dehors, mais le criminel est prêt. Un geste négligent de la baguette et Lillian dévie de sa trajectoire, peut-être un peu trop. Sa tête cogne contre le mur et le corps, cette fois mou, s’effondre au sol, les doigts laissant aller l’étrange objet coupant qu’ils retenaient fermement. Lance attire la chose à lui, d’un autre mouvement du poignet, et redécouvre avec curiosité un vieux cadeau.
Et surtout, que la garce a fouillé dans ses affaires.
Le Farrow fait voler le pendant de métal jusqu’à son fidèle coucou-cachette, juste à temps pour que la belle au bois dormant se réveille de son inconscience. Plus longtemps que cela, il se serait inquiété. Ça l’aurait fait chier, qu’elle se blesse sérieusement aussi connement. « Rends-le moi, qu’elle articule, crache. Tout ce qui était à lui est à moi, et tu le savais très bien quand tu as prétendu que tu n’avais rien pour moi, alors rends-le moi ! espèce de salopard d’enfoiré de menteur à la con… ! »

Et on est reparti.
Il remonte sa baguette sur elle, menace implicite que s’il lui prend l’idée de se jeter à nouveau sur lui, il est toujours aussi prêt à riposter. Heureusement pour tout le monde, Lillian a plutôt le riche instinct de ne pas bouger davantage. « C’est un idéogramme sumérien dessus, alors essaie pas de mentir, sale connard. Fais pas comme si on était tous des spécialistes de Sumer, répond-il, bourru, roulant des yeux (elle fait vraiment comme Colm). C’était à lui, alors c’est à moi. Je suis son plus proche parent qui en ait quelque chose à foutre, alors rends-le moi, Farrow !

Lance la laisse volontairement mariner quelque secondes. « Ça va ? T’as fini de gueuler ? » Probablement que non. Mais il est au moins aussi entêté et ce n’est pas en l’insultant qu’elle aura quoi que ce soit de lui. Il essuie sa main ensanglantée sur son pantalon de pyjama. Le sang de Lillian, étalé sur le pendentif. Il se retient de regarder son coucou, d’attirer à lui le bijou, pour encore mieux l’observer, lui qui ne l’a pas vraiment regardé depuis des années. « Ton frère m’a donné ça en cadeau un an avant d’disparaître. Il doit encore avoir la lettre associée au pendentif. Une missive qui, comme toujours, oscillait probablement entre récit de voyage, nouvelles parcellaires et ferventes hypothèses à propos de ses recherches du moment. Comme si Lance, naguère ou maintenant, pouvait vraiment apporter quoi que ce soit à la réflexion. Il n’a pas dit un putain d’mot à propos d’Ur, ça n’a rien à voir, alors j’y ai pas pensé. » C’est sans doute vain : Lillian et son épuisante obsession n’y croira jamais, à son innocence, à son réel oubli. Pour lui, c’était une babiole, un gris-gris de bazar envoyé à un pote en souvenir d’un voyage, comme on envoie une carte postale typique, ou rapporte une statuette kitsch. « Tu crois pas que si c’était vraiment important, il l’aurait gardé avec lui ? Il l’aurait pas donné à un pote qui n’y pige rien, Lil. C’est qu’une babiole. »

Une babiole qu'il ne consentira toutefois pas à lui donner, qu'importe ses arguments et sa colère, qu'importe ce qui bouille sous sa peau. C'est une babiole, mais c'est la sienne. Son seul souvenir de son ami perdu depuis si longtemps (disparu). La brune disparaîtra de chez lui peu de temps après et c'est seulement au moment de réintégrer son lit en bougonnant, dans un appartement en bordel, que Lance réalisera qu'elle est parti avec son caleçon.

Garce.