Et cette fois-ci parmi les trois ou quatre membres de la délégation d’Agatha il y a Valeria. Elle avait bien fait part, quelques fois par le passé, de son désir de voir quelle ambiance anime les réunions bimensuelles. Mais ce sont les seconds et puis quelques autres triés sur le volet qui s’y rendent et son heure n’était pas venue. Well, tic toc motherfucker, parce qu’elle est là maintenant. Il semblait logique que, les années passant, elle gagne enfin le privilège de se pointer ne serait-ce qu’une fois. C’est en formation qu’ils arrivent, les hommes en costard, les femmes en robes sorcières élégantes, aucun n’arrivant totalement à cacher ses tatouages et d’ailleurs nul d’entre eux n’essaie réellement, fiers d’afficher leur appartenance. Si la jeune russe est déjà impliquée jusqu’au cou dans les affaires du clan, elle n’a encore que très peu croisé de membres des autres gangs et ne connait pas les membres qui constituent leur hiérarchie. Sauf qu’elle aime bien le relationnel alors elle a bien l’intention d’apprendre à les connaître. Elle sait bien qu’ils ne pourront pas rentrer dans la salle de réunion du syndicat mais elle ne sait pas encore comment l’attente se déroule, les autres ayant été évasifs – un haussement d’épaule de la part de son cousin, un ‘on s’occupe’ de la part de Lev, un ‘tu verras bien’ lancé par sa tante.

Avant de pénétrer dans ce salon où traîneront des membres des huit gangs pendant les heures à venir, elle a peur que l’air soit électrique de tension dans la pièce, comme la raideur de ses compagnons semblerait le suggérer. Le silence règne presque entièrement, chacun se tient droit et méfiant, jetant des coups d’œil aux autres groupes sans leur décrocher un mot. Les chefs, eux, se saluent froidement. Enfin le leader des Alberich et sa suite viennent compléter le tableau et les grands pontes s’éclipsent derrière leur lourde porte ornée. A peine le battant se ferme-t-il qu’un vent semble souffler dans la pièce et tous les visages se détendent. Les russes avec lesquelles elle est venue s’éparpillent pour aller saluer des membres d’autres clans. On n’irait pas jusqu’à parler d’un air de camaraderie mais des groupes se forment naturellement, certains de discussions, d’autres de jeux de cartes, tous comprenant des gens d’allégeance différentes. Un doux sourire étire les lèvres de la jeune femme au vu de cette atmosphère. Finalement, rivalités ou non, on arrête peu la communication humaine. Des yeux elle scanne les groupuscules pour choisir auquel se mêler mais sa réflexion est interrompue par un membre du clan Wang – elle l’a vu à côté de Wei il y a quelques minutes – qu’elle voit s’approcher à la périphérie de son champ de vision. Elle lui adresse un sourire. « Hi. »

Ils étaient trois. Trois bouffons à attendre que les grands pontes discutent.

Zhang, à cette heure, aurait pu zoner avec Boqing dans le Londres moldu ; son acolyte avait repéré un antiquaire où se mêlaient objets sans valeur à reliques magiques. Et, selon ses dires, le propriétaire gardait des trésors récoltés aux quatre coins du globe dans l’arrière-boutique -des trésors de grandes dynasties chinoises dont Zhang aurait été incapable de se rappeler le nom. Qu’importait les Li ou les Ming, quand les Wang régnaient sur la Londres actuelle.

C’était ce que Wei lui avait rappelé, devant le ricanement incrédule de Martin. Lui, à leur réunion de Grands Bouffons ? C’était forcément une plaisanterie ; demander à Martin d’attendre plusieurs heures devant la salle comme un clébard, qui plus était entouré d’autres clébards appartenant aux clans rivaux, c’était risquer une guerre des gangs sur une broutille. Car Zhang, depuis qu’il était Red Pole, ne prenait clairement pas son rôle à la légère. Alors Wei lui avait rappelé, qu’ils étaient Wang, et que Zhang était un officier -et que peut-être, un jour il serait plus.

Martin Wang, roi du pétrole ; couvert d’or, de gloire, trônant sur l’empire que Wei avait amené avec lui en Angleterre. Le ricanement s’évanouit, vaincu par l’imagination fertile du rejeton Wang. Oh il savait bien que Chen était le premier en lice, pour l’héritage Wang ; non non, les numéros un tenaient trop de responsabilités à son goût -trop de travail, de réunions, de circonvolutions complexes qu’une bête descente et de bonnes battes de Quidditch auraient efficacement remplacées dans l’esprit simple de Zhang. Ce qu’il ambitionnait plutôt était la périphérie directe du boss, avec tout juste ce qu’il fallait de pouvoir et de temps libre pour en jouir -l’équilibre parfait, en somme.

En attendant d’être convié avec les Grands et de se baigner dans une rivière de diamants, Martin devait supporter l’attente, avec les deux autres bouffons de la lignée -Chen et Sen. Comme souvent, il faisait la discussion seul, tête rejetée en arrière, affalé dans le vieux fauteuil du salon comme à la maison. « Mais genre, y’a quoi qui leur prend autant de temps ? » « Ils sont entrés il y a cinq minutes. » Zhang poussa un grognement, roula de la tête d’un côté, rencontra le regard hostile du bras droit des Allemands, claqua de la langue en revenant à sa position initiale. « Et dire qu’on est coincés avec ces fils de rats… » « Surveille ton langage, on n'est pas seuls. » « Allez, rien à foutre ! Tu crois franchement que ces bâtards captent le cantonais ? » Il jeta un regard circulaire, espérant un instant qu’on le comprenne -au moins les insultes, dans son cantonais de la rue. Mais la tranquillité du salon perdura ; pas de baston entre sorciers criminels pour l’instant. Zhang manqua d’être déçu -mais son regard était tombé sur la rouquine, de l’autre côté de la salle.

Damn.
Il donna un coup de coude à Sen. « C’est qui ? » Elle releva la tête, brièvement, et la rebaissa immédiatement sur son livre en lâchant : « Une très mauvaise idée. » Des mauvaises idées pareilles, il voulait bien en voir défiler dans son pieu plus souvent ; russe, future héritière, lui apprit Chen comme pour le dissuader de faire des histoires -la bonne blague. Il abattit sa paume et un « t’inquiète bro » dans la nuque de son frère ; sourire aux lèvres, les yeux rivés sur la Russe, il se leva, se passa une main dans les cheveux pour les rabattre en arrière, et s’approcha.

Damn. Elle était encore plus bonne, de près. Totalement son genre, et ce petit sourire ! Ah, Zhang était conquis. Il lui offrit son sourire le plus enjôleur -décapant, mais avec un tel engin, il ne fallait pas lésiner sur les moyens. « Hi, I'm Martin. » Il lui offrit sa paume ouverte -ses yeux devaient ressembler aux nuits sans lune, loin des villes, où l’on voyait scintiller les étoiles. Ses taches de rousseur, aussi. N’ayant jamais réellement quitté les lumières citadines, Martin aurait été incapable d’en être certain -et puis il préférait se demander si tout son corps en était couvert, et si elle baisait aussi bien que ce que son pressentiment de chasseur lui soufflait.
Ce genre de pensées-là, c’était autrement plus dans ses cordes que la carte du ciel de la campagne anglaise.
« Do you hot chicks smoke in Russia? It’d be some kind of a, er, white flag sort of thing. » Il sortit un paquet de cigarettes de son autre poche, sans la quitter vraiment du regard ; il s’en était tapé, des Russes. Pas trop mal, dans l’ensemble -plus difficiles à impressionner que les Anglaises cependant. Et celle-là, si elle était héritière de leur mafia… « I mean no harm. Unless you’re into it. » Son sourire s’étira d’un côté, alors qu’il ouvrait le paquet devant elle.