La plupart du temps, Marcus est debout avant même que son réveil ne sonne. Alors c’est lui qui va tirer Oliver de son lit et attend impatiemment qu’il soit enfin suffisamment réveillé et prêt à partir. S’il a été mortifié la première fois qu’Olie lui a fait remarquer qu’il avait l’air d’un chien impatient de partir en balade, il s’en fiche complètement désormais. Ensemble, ils courent jusqu’à ce que Marcus puisse enfin se concentrer, jusqu’à ce que le surplus d’énergie qui l’habite en permanence soit à nouveau sous contrôle. Puis ils rentrent, mangent un petit-déjeuner copieux préparé par Oliver et se préparent pour aller au boulot.

Leur routine est un engrenage parfait et Marcus a besoin de ça, besoin de savoir que chacun de ses matins se déroulera de la même manière.

Mais il y a des jours où l’engrenage s’enraye.

Des jours comme aujourd’hui, où son réveil sonne mais il ne l’entend même pas - ou l’a éteint mais ne s’en souvient pas. Où c’est Oliver qui se glisse dans sa chambre, les sourcils froncés par l’inquiétude et qui comprend rapidement parce qu’il a l’habitude à présent, que Marcus ne sortira pas du lit de lui-même.
Pour ces matins-là aussi, ils ont leur routine. Wood y va en douceur, trouve de quoi le motiver, lui redonner l’intérêt de mettre un pied hors du lit. Ces matins-là, il a un planning précis qu’il fait suivre à Marc, pour lui éviter la paralysie qui s’empare de ses membres lorsqu’il se retrouve incapable de prendre une décision.

Mais ce matin, Oliver doit partir tôt parce qu’il a un match alors que Marcus ne travaille pas, alors il n’a pas le temps. Il voit bien dans le pli soucieux qui barre son front qu’il hésite, qu’une partie de lui est presque prête à se mettre en retard pour s’assurer que Marcus va bien. Alors il s’empresse de le chasser avec des mots trop durs peut-être.

Aujourd’hui est un mauvais jour. Parce que ça fait des semaines qu’il ne dort pas, ou trop peu. Des semaines qu’il s’empêche de penser à ce qui est en train de le bouffer de l’intérieur. Des semaines qu’il évite le sujet avec Oliver, comme si ne pas en parler allait le faire disparaître.
Il sait qu’il doit se lever, prendre une douche, manger, faire deux trois achats à Diagon Alley et retrouver Alastar parce qu’ils ont prévu d’aller voir le match d’Olie ensemble cet après-midi. Mais il ne parvient pas à se décider entre prendre son petit-déjeuner ou se doucher en premier.

Il a faim, son estomac grogne, et Oliver a préparé le petit-déjeuner pour lui aussi, alors il a sûrement tout intérêt à manger en premier. Mais avec la nuit terrible qu’il a passée, Marcus se sent poisseux et il appréciera probablement plus le repas préparé par Oliver s’il se douche en premier.

Mais pour ça, il faut sortir du lit.

Les heures passent, la matiné s’étire et Marc finit par sombrer un peu. Quelques heures qui lui paraissent n’être que cinq petites minutes lorsqu’il se réveille en sursaut parce que quelqu’un tambourine à la porte d’entrée. Pendant un moment, c’est à peine si Marc sait encore comment il s’appelle et il doit faire un effort pour se souvenir qu’il est toujours dans sa chambre, qu’il n’a toujours absolument rien fait de sa journée et qu’il est… Ah. Une heure et demie de l’après-midi.

Il est tenté de faire le mort, mais la personne qui s’énerve après la porte de son appartement ne semble pas décidée à partir, alors Marcus repousse les couvertures avec un grognement et sans se préoccuper de son état - tignasse emmêlée, traces d’oreiller sur la joue, pas douché, toujours en caleçon - il se traîne jusqu’à la porte d’entrée qu’il ouvre brusquement, prenant son air le plus menaçant en ouvrant la bouche pour aboyer un QUOI? lorsqu’il reconnaît celui qui se tient derrière la porte, un air agacé plaqué sur ses traits.

Alors il se souvient. Les courses qu’Oliver lui a demandé de faire. Alastar qu’il était censé retrouver à une heure. Le match d’Olie qu’ils devaient aller voir ensemble et qui a probablement commencé, déjà.

“Merde.” C’est tout ce qu’il trouve à dire.

Quand il ne travaille pas il n’y a quasiment aucun jour où il ne fait rien Alastar. Traîner à rien faire ça lui fout toujours le bourdon et puis il réfléchit à tout ce qui s’est mal passé de la semaine ou du mois ou de l’année et il se met en rogne et après il est imbouffable et Moira le vire de l’appartement. Alors il veille à toujours rester occupé, parce que ça lui plaît, qu’il n’aime pas rester stagnant. Ce n’est pas qu’il n’apprécie pas un bon moment de calme posé mais il limite ces temps de solitude à une heure maximum. Juste de quoi se resourcer, pas de quoi s’ennuyer. Le programme aujourd’hui est foolproof, tout devrait se dérouler comme sur des roulettes, une bonne journée en perspective. Faire quelques courses puis brunch à onze heures avec sa cousine dans un coin branché moldu et enfin retrouver Marcus à 13h pour aller voir un match de Puddlemere et hurler comme des collégiens dans les gradins à chaque fois qu’Oliver fait un bon geste – ami ou pas il ne sera pas à l’abri des quolibets en cas de faute. Et, comme il s’y attend les choses se déroulent sans accroc. La queue est un peu longue dans certains magasins, mais rien de gênant. Moira passe une partie du repas à se plaindre de diverses choses mais elle le fait avec tant de hargne que c’est un spectacle. Finalement le plan déraille à treize heures pile, quand ce grand dadais de Flint ne se pointe pas. Il attend devant le stade encore une demi-heure mais aucun signe de lui, et il ne répond pas au cristal.
Alors l’attrapeur se glisses jusqu’aux coulisses et aux vestiaires où il trouve Wood en pleine préparation. « Hey dude, tu sais où est Marcus ? Il devait me rejoindre pour qu’on mate le match mais il est pas là et il répond pas. » Le gardien a l’air contrarié mais pas surpris. C’est que ça lui arrive à leur ami commun de faire défaut de temps en temps, de s’écrouler. « Merde. Je pense qu’il ne s’est pas levé. » Forcément oui, le Fawley commençait à s’en douter. « Bon, je vais le voir, merde à toi pour le match, on se matera ça en rediff. » Une accolade rapide, quelques excuses et puis il est reparti, sortant du stade pour transplaner jusqu’à Londres.

C’est remonté comme une horloge qu’il gravit les marches de l’immeuble. Souvent ce n’est pas vraiment sa faute à Marcus quand les choses vont mal mais ça ne rend pas plus agréable de s’être fait poser un lapin. Puis qui sait, il a peut-être juste oublié comme un con qu’il avait un rendez-vous, et si c’est le cas il va se prendre un savon dans les règles. Sans retenue Alastar frappe à la porte. Le manque de réponse ne le ralentit pas, il ne fait que tambouriner plus fort, ignorant la voisine qui a passé la tête par la porte. « Ouvre je sais que t’es là. » Alors qu’il est peut-être parti de chez lui, si ça se trouve il était en retard et il est au stade, les deux idiots tournent sans se trouver.

Mais finalement non, il a bien raison, Flint est chez lui, parce que le battant s’ouvre sur une gueule mal réveillée et clairement pas contente. Cet air colérique fond comme neige au soleil face à la tête exaspérée du Fawley. « Merde. » Effectivement, c’est le mot approprié. En caleçon comme un mauvais lendemain de cuite, il a très clairement été tiré du lit par l’arrivée de son ami. Une belle loque, on dirait Angus, c’est peut-être un truc typique des Ravens.
« Tu fais bien de dire ça mon pote. » Alastar s’invite à l’intérieur sans demander la permission, manquerait plus qu’il la lui refuse après tout ça. Il referme la porte derrière lui pour soutirer à l’œil de la voisine curieuse la vision du joueur de quidditch à moitié à poil. « J’ai dû dire à Oliver qu’on serait pas là pour le voir, ça fait plaisir tiens. » Bien sûr c’est un grand garçon, il peut jouer sans ses amis dans le public, c’est un professionnel. Il n’en reste pas moins que c’est démoralisant ce genre de trucs et puis ça pique un peu là, entre l’égo et le cœur. « J’ai poireauté trois quart d’heures devant le stade, je suis sûre qu’un journaliste a pris une photo en mode ‘Fawley se fait abandonner par sa nouvelle dulcinée ?’. » Heureusement que Rita Skeeter n’est plus autant dans le business qu’avant.