C’était une belle soirée.
En même temps, évidemment que c’était une belle soirée : c’était leur anniversaire. Ce sont toujours de belles soirées. Hestia n’a pas de souvenirs tristes ou malheureux de leurs anniversaires, même l’année de la mort de leur mère. Depuis qu’elles sont toutes petites, leur famille fait toujours tout pour rendre cet événement inoubliable, et même si tout le monde n’est pas présent, Hestia et Flora savent rendre ces soirées spéciales, juste en étant ensemble. Tant qu’elles sont toutes les deux, c’est parfait. Si les autres sont là, c’est un bonus non négligeable… Mais Hestia se contenterait tout à fait de passer son anniversaire uniquement avec sa soeur. C’est leur jour à elles.

« Laisse-moi ranger. » Hestia relève les yeux vers son oncle, qui lève déjà sa baguette pour débarrasser les tables de ce qui a été laissé par les convives. Il y a pas mal de bazar, entre les confettis, les décorations toutes plus jolies les unes que les autres, et tous les restes de nourriture (comme d’habitude, ils ont prévu bien trop) (et la famille a apporté des mets en guise de présent, alors ils ont eu encore plus que trop). « Sûr ? » Kareem penche la tête sur le côté. « C’est ton anniversaire, tu n’es pas censée travailler. » Il s’attaque déjà au sol : ça ne devrait de toute manière pas lui prendre trop de temps. « File voir Flora. » dit-il, en désignant le grand jardin d’un coup d’oeil. Hestia sourit et repose l’assiette qu’elle avait dans la main. Elle prend quand même avec elle deux tasses de porcelaine avant de passer la porte qui donne sur l’extérieur. Avant de s’engager pour de bon dans le jardin, elle se retourne cependant vers son oncle. « Merci. » Kareem hausse les sourcils. « Pour ton discours. Pour avoir réuni tous ces souvenirs. » Hestia a une petite boule dans la gorge, quand bien même elle essaie de paraître parfaitement normale. « C’était très beau. » Kareem sourit. Elle sent bien qu’il voit que quelque chose est étrange dans sa manière de dire ça, mais par chance, il ne relève pas. Avec un peu de chance, il aura interprété ça comme juste de l’émotion. Hestia laisse Kareem à sa tâche et traverse une partie du jardin, jusqu’à l’un des grands arbres qui surplombent la pelouse parfaitement entretenue.

Elle n’a même pas cherché ailleurs : elle savait que sa soeur serait là, sous cet arbre qui a grandi avec elles. Hestia ne compte pas le nombre de fois où elles se sont allongées, ici, et ont discuté pendant des heures de tout, de rien. Aujourd’hui, le grand arbre est habillé de jolies lumières, tout comme tout le jardin. L’ambiance est magique, avec tous ces lampions. C’est chaleureux, cette couleur orangée, et c’est rassurant, aussi. Hestia aimerait que ce soit toujours comme ça.
« Hey. » Hestia sourit à sa soeur, qui s’est allongée par terre et regarde les étoiles à travers les branches clairsemées de l’arbre. Elle pose les tasses par terre, au cas où elles voudraient une petite infusion, et s’allonge à son tour, dans une position jumelle à celle de sa soeur. Elles portent toutes les deux la même robe, mais dans des couleurs différentes. Comme quand elles étaient petites. Pendant de longues secondes, Hestia ne parle pas : elle observe à son tour les étoiles sous leurs yeux, les lampions au-dessus d’elles, et elle repense à la soirée qu’elles viennent de passer. Toute la famille a fait le déplacement… et tant mieux. Hestia avait besoin de tous les voir, ce soir. S’assurer qu’elle avait réussi à parler avec chacun d’entre eux, qu’elle avait réussi à tous les remercier d’être là. C’était important, plus que jamais.
Finalement, elle tourne les yeux vers Flora, et attrape sa main pour entrelacer ses doigts avec les siens. « À quoi tu penses ? » La question est posée avec douceur, et avec un sourire. Hestia sait très bien à quoi Flora pense, à vrai dire : elle n’avait pas vraiment besoin de lui demander. Mais c’est important, qu’elles mettent des mots sur ce qui les attend, sur leurs peurs, aussi. Elle sait combien Flora est anxieuse, et elle refuse qu’elle garde ça pour elle.

Flora aime bien son anniversaire, leur anniversaire. Elle aime célébrer ce jour où sa sœur et elle sont venues au monde, pratiquement enlacées après neuf mois accolées l'une à l'autre dans le secret du ventre de leur mère. C'est le début de leur vie ensemble. Elle est née en premier, mais elles n'en parlent jamais, il en fallait bien une pour sortir la première, hurler de la douleur de la séparation d'avec son corps jumeau, apaisée uniquement lorsque posée dans le berceau commun près du lit de Samira. Difficile de passer un anniversaire sans penser à leur mère, la première à le fêter avec elles et ce jusqu'à sa mort. Elle était la première à encourager leur lien, la fusion, la célébration de cette même âme dans deux corps identiques tout en étant pourtant la seule vraiment capable de justement déceler la différence entre les deux, la part d'unique dans chacune d'elles. Sa mère lui manque, tous les jours, et ce jour-là en particulier. Elle lui envoie ses pensées, particulièrement en soufflant ses bougies, devant se retenir d'imaginer ce que serait de fêter son vingtième anniversaire avec sa mère en vie. Cette mélancolie ne l'empêche pas de profiter cependant de ce jour qui n'appartient qu'à Hestia et elle. Flora n'est pas férue d'attention, elle n'a jamais cherché le feu des projecteurs, mais elle aime que la famille soit réunie, surtout quand les Al-Massri font le déplacement, elle aime les cadeaux aussi et puis elle aime célébrer Hestia.

Pour leurs vingt ans on leur offre une fête particulièrement belle et à leur goût aussi, dans le jardin du manoir de Bath avec des lumières féériques sur les arbres, des tables pleines de leur nourriture préférée et deux jolis gâteaux avec le même nombre de bougies pour qu'elles les soufflent en même temps. Flora est heureuse de voir tout le monde, elle apprécie la fête simple, mais parfaite, même les confettis qui se sont perdus dans ses cheveux. Elle est heureuse, mais ce soir, en sus de la mélancolie habituelle liée à l'absence de sa mère, il y a une nouvelle source de tristesse qui lui voile un peu les yeux alors qu'elle s'allonge sous son arbre préféré. Hestia va la rejoindre dans quelques minutes, elle le sait aussi sûrement qu'elle sait que le soleil va se lever le lendemain matin. Hestia vient toujours près d'elle, elle sait toujours la trouver.
Ça a été vrai pendant voilà vingt ans.
Bientôt, ça ne le sera plus.

« Hey. » La voilà justement, encore présente pour le moment, mais plus pour très longtemps. Flora a eu un pincement au cœur de la voir parler avec leurs grands-parents, leurs khaltos aussi, Noor et et Leïla, qui ont fait le chemin, la tante Amabella et les cousins Shacklebolt. C'est peut-être la dernière fois que Hestia leur parle et Flora ne peut qu'imaginer ce qu'elle ressent. Elle a mal pour sa sœur, mais la vérité c'est qu'elle a surtout mal pour elle-même. À tous ces gens qui aiment Hestia elle manquera sûrement, mais elle ne manquera jamais à personne plus, ni même autant, qu'elle manquera à sa jumelle. Hestia a fait des promesses déjà, de rester en contact, toujours, parce que Flora sait qu'elle ne pourrait pas survivre sans ça. Mais même, l'idée est difficile à accepter, difficile même à imaginer. Une vie sans Hestia ? Ça n'a aucun sens.

Hestia pose deux tasses sur l'herbe avant de s'allonger près d'elle. Il y a un petit silence, mais avec Hestia ça n'est jamais inconfortable. C'est souvent sans mot qu'elles partagent le plus. Elle sent, comme si c'étaient ses yeux à elle, le regard de Hestia se tourner vers elle, et puis il y a ses doigts qui s'entrelacent aux siens. Le geste est si familier que Flora pourrait pleurer de se dire qu'un jour peut-être il ne le sera plus. Ou en tous cas, plus autant. « À quoi tu penses ? » Elle sait bien sûr. Elle ne peut que savoir. Hestia la connaît par cœur, elle sait tout de Flora et inversement. Et puis, ce soir en tous cas, c'est évident, elle n'a qu'une chose en tête. Un petit soupir lui répond en même temps que les doigts de Flora se pressent un peu plus aux siens. Elle a besoin du contact, besoin de s'assurer que, pour l'instant au moins, sa moitié est encore là. « À toi. » répond-elle avec toute la simplicité du monde, comme s'il n'y avait jamais eu qu'elle à qui Flora pouvait penser. « À nous. » C'est ça surtout, ce lien si fort qu'inconsciemment elle y songe tout le temps, c'est tout le temps là, ça explique tout chez elle, toutes ses décisions. « À l'année prochaine. » Leur prochain anniversaire, quand tout aura changé, quand leur famille peut-être ne voudra plus entendre parler d'Hestia.
Peut-être que ça ne sera pas comme ça. Peut-être que le Lord tombera et que sa sœur pourra revenir très vite, mais peut-être pas. Peut-être que dans cinq ans, Flora fêtera encore son anniversaire seule.
Peut-être même pour toujours.

Un violent frisson lui secoue l'échine quand cette pensée lui effleure l'esprit, aussitôt rejetée, incapable d'être traitée par son cerveau. « Je ne veux pas passer un anniversaire sans toi. » La célébration d'une naissance ne peut être bien réalisée que si elle célèbre toute la naissance, et donc les deux êtres. Et Flora ne peut fêter son anniversaire sans son double, la meilleure part d'elle-même. Elle ne peut même pas y songer, ça serait presque une hérésie d'être loin de sa sœur ce jour-là.

« À toi. » Si les circonstances avaient été différentes, peut-être qu’Hestia aurait relevé cette réponse avec une blague, ou une anecdote qui aurait fait rire sa soeur. Mais elle ne se le permet pas, pas cette fois. La situation est trop sérieuse pour qu’elle tente de la tourner à la légère. Une part d’elle souhaite montrer à Flora que tout va bien, qu’elle est confiante… Mais elle ne voudrait pas que sa jumelle pense qu’elle prend les choses à la légère. Flora la connaît par coeur, Hestia sait bien qu’elle saurait interpréter ses mots de la bonne manière (seule elle sait le faire, de toute manière)... Mais il est hors de question qu’elle risque le moindre malentendu, la moindre chose qui pourrait blesser sa soeur alors que demain, elle va la quitter. Hestia refuse que -- si ce sont leurs derniers souvenirs ensemble avant un moment -- ils ne soient pas à la hauteur de leur amour mutuel. Elle refuse qu’ils donnent des points de réflexion à sa soeur qui pourrait lui laisser penser, dans le futur, qu’elles n’étaient pas sur la même longueur d’ondes face à ce qui les attend.

Flora, c’est la prunelle de ses yeux. C’est son tout. Elle pourrait s’aliéner le monde, rien n’aurait d’importance. Si elle s’aliénait Flora, alors plus rien n’aurait de sens.

« À nous. » Hestia sourit légèrement et raffermit sa prise sur les doigts de sa soeur, leurs bagues jumelles sont collées l’une à l’autre, elles aussi. « À l'année prochaine. » Dans un an, elles fêteront leurs vingt-et-un ans. Elles sont encore jeunes. Trop jeunes, probablement, pour ce qu’elles entreprennent. Mais le monde dans lequel elles vivent leur laisse-t-il le droit d’être jeunes et insouciantes ? Pas vraiment. « Je ne veux pas passer un anniversaire sans toi. » Hestia tourne la tête afin d’observer le profil de sa soeur. Elle détaille ses cheveux, le grain de sa peau, la forme de son nez et de ses lèvres. Elle les connaît par coeur, ce sont les mêmes traits qu’elle voit dans le miroir. Mais elle connaît aussi les légers points de différence, que seules elles peuvent voir, maintenant que leur mère n’est plus là pour les différencier. Ces légères différences gonflent son coeur de joie et d’espoir, peut-être autant que tout ce qui est identique chez elles. Ce qui fait que Flora est Flora. « Moi non plus. » finit-elle par dire. Elle bouge légèrement pour poser sa tête sur l’épaule de sa soeur.

« On sera ensemble l’année prochaine. » dit-elle. Elle aimerait que ce soit une certitude. Malheureusement, c’est plutôt un espoir qu’elle formule, même si elle lui donne le ton d’une certitude. « Tu sais bien qu’il ne peut en être autrement. » Leur naissance, et vingt anniversaires ensemble. Hestia ne peut pas imaginer que les choses puissent être différentes dans le futur, tout comme sa soeur. Elle ne s’imagine pas un anniversaire où elle ne puisse pas serrer sa soeur dans ses bras, où elle ne puissent pas joindre leurs mains et penser à tout ce qui les attend pour l’année à venir. Oh, elle peut vivre sans problème avec l’idée de ne pas avoir les souhaits de leurs proches… Mais ceux de Flora ? Ce sont eux qui la poussent à avancer pendant toute l’année. « Même si le monde n’a pas changé… On trouvera un moyen. » Elle y croit, sincèrement. Ça lui semble être une évidence. Peut-être que, là-haut, les étoiles l’entendent et décident que ses mots deviendront réalité ? « On trouve toujours un moyen. » Quand il s’agit de se retrouver ou d’être ensemble, elles sont capables de tout. Leur famille l’a compris depuis bien longtemps, et leurs professeurs à Poudlard aussi. Hestia sourit en repensant à tous ces moments où elles ont fait tourner les adultes en bourrique. « J’ai confiance. » dit-elle d’une voix assurée.

Flora aimerait que sa sœur soit capable de protester aussitôt, de promettre sans détour qu'elles seront ensemble l'année prochaine et qu'elles ne passeront jamais d'anniversaire l'une sans l'autre. Flora aimerait que ce soit possible pour Hestia de faire ça sans mentir. Peut-être même que ça ne la dérangerait pas tant que ça qu'elle lui mente pourvu qu'elle soit crédible en le faisant. Mais Hestia ne mentira jamais à Flora. Elle ne le sait que trop bien. Quand Hestia tourne la tête vers elle, Flora sent, presque physiquement, son regard la détailler, elle a envie de faire la même chose Flora, d'observer sa sœur jusqu'à ce que son visage soit gravé à jamais derrière ses paupières. « Moi non plus. » lui répond-elle tout simplement, rassurante et insatisfaisante tout à la fois. Flora soupire, mais se détend quand sa jumelle vient poser sa tête sur son épaule, le poids aussi familier que son odeur et sa main dans la sienne. Comment va-t-elle faire pour survivre sans tout ça ? « On sera ensemble l’année prochaine. » Hestia se veut sérieuse, sûre d'elle, mais Flora sait qu'il n'y a rien de certain à cela. C'est un espoir formulé à haute voix, pas grand chose de plus. Et ça lui brise un peu le cœur. « Tu sais bien qu’il ne peut en être autrement. » Elle ferme les yeux et a l'impression de voir défiler leurs vingt ans de vie ensemble. Ensemble. Elle a si peur Flora, au-delà même de devoir fêter un anniversaire seule, d'avancer sans sa sœur. Elle a peur de ne pas en être capable car même quand elles faisaient mine de se séparer, de prendre des chemins différents, elles étaient toujours l'une avec l'autre, toujours à se suivre en secret, à apprendre ensemble, à rester un tout indissociable. Flora n'a jamais été seule, pas un instant de sa vie et elle a peur de ne pas savoir comment l'être.

« Même si le monde n’a pas changé… On trouvera un moyen. » Flora sait que sa sœur ne peut pas promettre, elle sait aussi qu'elle ne lui mentira jamais, alors elle ne sait pas quoi faire de ses mots. Elle veut y croire, de tout son cœur, mais elle sait que ça n'est pas vraiment entre leurs mains. Elles essaieront, elle veut bien croire que Hestia fera de son mieux, mais elle a peur que, pour la première fois de leur vie, le meilleur de Hestia ne soit pas suffisant. « On trouve toujours un moyen. » Elles ont accompli beaucoup pourtant, beaucoup de choses impossibles, en témoignent chaque petite marque de la vie sur le corps de Flora qui n'en reste pas moins identique à celui de Hestia. Elles ont toujours trouvé un moyen, mais ce qu'elles vont faire dans quelques semaines c'est différent, c'est plus dangereux que tout ce qu'elles ont pu faire jusqu'à présent et la situation pourra si facilement échapper à leur contrôle. « J’ai confiance. » Étrangement, et bien qu'elle tende justement l'oreille, Flora n'entend pas de doute dans la voix de sa sœur. Alors lentement, elle rouvre les yeux et expire une bouffée d'air trop longtemps retenue. « Okay… » murmure-t-elle en anglais, rompant avec l'arabe qui dominait, naturellement, leur conversation jusque-là. Elle serre un peu plus les doigts de sa sœur, pressant désespérément sa paume à la sienne. « J'ai confiance. » finit-elle pas reprendre dans leur langue maternelle. Malgré ses peurs, elle offre à sa voix la même certitude que celle arborée par Hestia. Si Flora croit en une chose plus que tout au monde c'est en sa sœur, en leur lien. Elle fera tout pour trouver Hestia pour leur prochain anniversaire et elle ne peut pas douter, pas même une seule seconde, que sa sœur en fera autant. Et avec ces professions de foi lancées dans la nuit, peut-être que le Destin les entendra et réalisera leurs prières. Flora ferait bien jurer à sa sœur tout ça, elle scellerait bien la chose par un wallah tout puissant mais elle n'ose pas. Pas cette fois. Parce qu'elle ne voudrait pas risquer de faire de sa sœur une parjure si malgré tous leurs efforts et toute l'inventivité et la détermination dont elles peuvent faire preuve elles n'arrivent pas à se voir, dans un an. Elle a rouvert les yeux mais plutôt que d'étudier les traits de sa sœur, elle observe le ciel, à travers les branches de l'arbre sous lequel elles sont installées. « Quand tu y seras. Tu n'oublieras pas de regarder les étoiles. » requière-t-elle toujours à voix basse bien qu'elles soient parfaitement seules dans le jardin et qu'elles s'expriment dans une langue que leur père n'entend pas. « Même si tu ne rêves pas- » de toute manière, si elles font des Rêves — ceux si spéciaux et qui leurs ont valu des leçons particulières d'astrodivination avec leur grand-mère — lorsqu'elles sont séparées, toutes les étoiles du monde ne sauraient être suffisantes pour les aider à les déchiffrer si elles ne peuvent en parler. « Promets-moi de regarder les étoiles tous les soirs avant d'aller dormir. Comme ça, où que tu sois, on verra toujours la même chose. Et elles veilleront toujours sur nous deux. » Elles et le Créateur derrière elles. Et peut-être même Samira.

Le Destin les a fait arriver en ce monde ensemble, Hestia est honnêtement et profondément certaine qu’il continuera de leur écrire une histoire commune. C’est évident, non ? Sinon, pourquoi les avoir créées ainsi ? Elle est certaine que si elle cherchait à lire quelque chose dans les étoiles les concernant, elle ne trouverait qu’une confirmation de ce qu’elle sait déjà. Alors certes, dire qu’elles passeront leur prochain anniversaire ensemble est plus un espoir qu’autre chose, mais l’idée qu’elles se retrouveront quoi qu’il arrive, ça, elle n’en doute pas une seule seconde. Ce ne sera peut-être pas où et quand elles le souhaitent, mais Hestia est prête à tout supporter, prête à attendre le temps qu’il le faut si elle sait que sa soeur est au bout du chemin. Elle est à peu près sûre qu’elle pourrait déplacer des montagnes si c’était le seul moyen de revoir sa jumelle. C’est quelque chose que les autres ne comprendront sûrement jamais.

« Okay… » finit par dire Flora, et Hestia sent bien qu’elle avoit besoin qu’elles parlent de ça. Qu’elle avait besoin d’entendre ces mots, d’entendre que sa soeur était confiante. « J'ai confiance. » répète-t-elle finalement, ce qui fait sourire tendrement Hestia. Un petit silence s’étire entre elles, tandis qu’elles observent les étoiles. C’est agréable, cette température extérieure, cette légère brise qui caresse leurs robes. Hestia se concentre sur chaque sensation avec l’espoir que, quand elle sera loin de sa soeur, elle pourra s’allonger et se replonger dans ce moment.

« Quand tu y seras. Tu n'oublieras pas de regarder les étoiles. » finit par dire Flora. « Même si tu ne rêves pas- » Les rêves. C’est l’une des choses qui angoisse un peu Hestia, quand elle pense à leur séparation. Jusqu’à aujourd’hui, elle a toujours pu échanger sur ses rêves avec sa soeur. Elles ont l’habitude de ce jeu de puzzle qui leur permet d’y voir plus clair après un réveil en sursaut. Flora est la seule personne capable de réellement la calmer quand les rêves sont un peu trop durs, trop angoissants. Elles ont l’habitude de se serrer l’une contre l’autre, de chanter le temps que les crises de tremblements passent ou que les images commencent à s’estomper un peu dans leur esprit. Qui pourra la prendre dans ses bras et l’aider à aller mieux, quand Flora ne sera pas à ses côtés ? Hestia n’a aucune idée de comment elle va s’en sortir, sur ce point-là. Mais elle va bien devoir : elle se rassure en se disant que de toute manière, elles ne vont pas vivre dans la même maison toute leur vie. Après tous, elles sont destinées à se marier un jour. Elles en ont souvent parlé : elles seront bien évidemment voisines ou en tous cas, peu éloignées, autant que possible. Mais elles ne pourront partager le lit de l’autre toute leur vie… Hestia se dit que c’est un bon exercice, de s’éloigner physiquement quelques temps. Ça leur permettra de voir si c’est vivable ou non. Si ça ne l’est pas… Elle n’est pas sûre de ce qu’elle fera, mais au moins, elles seront fixées. « Promets-moi de regarder les étoiles tous les soirs avant d'aller dormir. Comme ça, où que tu sois, on verra toujours la même chose. Et elles veilleront toujours sur nous deux. » « Bien sûr que je le ferai. » répond-t-elle immédiatement, sans même réfléchir. C’était une évidence pour elle, de toute manière. « Je te le promets. » Enfin une promesse, réelle, qu’elle peut faire à haute voix sans avoir peur de ne pas la respecter malgré elle. Où qu’elle soit, elle pourra voir les étoiles : il y a des choses qui sont immuables, et elle se raccrochera à ça, Hestia, quand tout autour d’elle aura changé. Elle ne demande pas à Flora de promettre de faire la même chose, parce que le simple fait qu’elle lui demande est une promesse en soi. « Je t’aime. » dit-elle alors tout simplement, parce qu’elle a envie que Flora l’entende sérieusement avant qu’elle s’en aille, et parce qu’il n’y a rien de plus vrai au monde. « Je t’aimerai toujours. Rien ne changera jamais ça. » Elle se met sur le côté et passe un bras autour de sa soeur. « Entendu ? » Hestia sait qu’elle n’a pas besoin de prononcer ces mots, parce que Flora sait déjà tout… mais ça lui semble quand même essentiel.

« Bien sûr que je le ferai. » La réponse tombe très vite ce qui est rassurant d’une certaine manière, même si Flora se demande aussi si sa sœur a bien réfléchi à la chose. « Je te le promets. » Ça devrait être relativement facile à tenir cette promesse puisque les étoiles, après tout, sont là tous les soirs, où qu’elles-mêmes se trouvent. Et pourvu qu’elles restent sur la même île, dans le même pays, elles auront droit au même ciel chaque nuit. Mais est-ce que parfois Hestia ne sera pas trop occupée pour lever le nez ? Pour penser à elle ? C’est un peu une hérésie de penser cela — Flora pour sa part pense toujours à Hestia, c’est comme une arrière-pensée constante dans son esprit, mais peut-être que quand elles vont être séparées ça sera différent. Flora espère que ça ne sera pas le cas. Elle espère que Hestia n’oubliera jamais de lui offrir une pensée, un espoir, un rêve ou une prière. Ce n’est pas qu’elle doute de sa sœur et de son amour ou de sa loyauté à son égard, mais elle a peur, de manière un peu irrationnelle. Lentement, très lentement et tout en sachant que, si sa sœur ne le voit pas elle pourra le sentir, elle hoche la tête et accepte par la même la promesse. « Je t’aime. » Ce n’est pas quelque chose qu’elles se disent souvent. Elles sont jumelles, c’est une évidence pour elle de s’aimer, de se faire passer l’une l’autre en premier. Hestia est le monde de Flora et l’inverse est certainement vrai aussi. Elles s’aiment, depuis leur première rencontre, depuis même le monde des âmes où elles attendaient d’être offertes à Maman et Papa. « Je t’aimerai toujours. Rien ne changera jamais ça. » Flora le sait mais l’entendre lui fait du bien autant que ça la rend un peu émotionnelle. Elle laisse Hestia passer un bras autour d’elle dans une étreinte légère mais nécessaire.

« Entendu ? » Elle bat des cils et tourne le visage vers celui, identique paraît-il, de sa moitié. « Entendu. » Répond-elle avec solennité. Flora a peur, mais ce n’est pas l'éventuelle déloyauté d’Hestia qui la fait trembler. C’est le monde autour d’elles et les gens qui le peuplent. Elle a peur de ce qui pourrait arriver à Hestia au sein de l’Ordre du Phénix, elle a peur de ce que les autres membres de la résistance pourrait lui faire. Elle craint tout autant ceux qui lui voudront du mal que ceux qui lui voudraient du bien — ces derniers ne seraient-ils pas après tout susceptible de la lui voler ? C’est ridicule, elle le sait. Elle a une foi immuable en leur lien, mais elle a peur d’être seule, d’être sans sa sœur et cette crainte est suffisamment puissante pour lui faire perdre tous ses moyens. « Je t’aimerai toujours. » promet-elle à son tour même si Hestia ne lui a rien demandé. C’est important de le lui rappeler aussi. « Et je toucherai pas trop à tes affaires, promis. » De toute façon, elles partagent déjà presque tout ce qu’elles possèdent. Malgré tout, Flora fera le nécessaire pour préserver les affaires de sa jumelle, qu'elles restent intactes et prête pour son retour qui, elle l'espère, ne tardera pas trop.

Flora pousse un petit soupire, mais il est plus adressé à la guerre qu’à sa sœur qui a fait un choix qu’elle respecte même s’il ne lui plaît pas. Et comme pour le prouver, elle se redresse sur un coude et vient brièvement déposer ses lèvres sur la joue d’Hestia, pleine de tendresse, avant de se rallonger correctement. « Omi n’aurait pas aimé ça… », note-t-elle toutefois à voix basse. Elles n’en ont encore jamais parlé, de ce que leur mère aurait trouvé à dire de leur plan, mais Flora croit savoir que ça les aura chacune préoccupée un long moment et que ça n’en finira pas de venir les titiller de temps à autre. Elle pense aussi que Hestia a dû en venir à la même conclusion qu’elle. Samira n’aurait rien aimé de tout ça en fait. Ni la situation dans laquelle se trouve le Royaume-Uni, ni le fait que ses filles prennent autant de risques et encore moins le fait qu’elles se séparent. Mais Samira n’est plus là pour les guider alors elles font de leur mieux. « Je ne sais pas ce que Khali dira…  » Ça en revanche c’est un peu plus flou pour elle. Elles ne lui diront rien, et il découvrira la fuite de Hestia avec les autres. Flora se demande si après ça il lui fera encore confiance. Elle n’en a pour une fois aucune idée.

« Entendu. » Hestia sourit. Elle mémorise chaque détail de ce moment, l’émotion de la voix de sa soeur, et les range dans un tiroir de son esprit. Un tiroir qu’elle ouvrira quand elle aura peur, quand elle aura l’impression d’avoir tout perdu, quand elle aura besoin de se rappeler que même si elle est seule physiquement, Flora est toujours là, avec elle, pour toujours. Ce n’est pas quelque chose qu’elle oublie : elles sentent la présence de l’autre chaque seconde de chaque jour, intimement connectées par quelque chose de plus mystérieux même que la magie de ce monde. Mais elle ne sait pas ce qui l’attend, elle ne sait pas comment le monde va évoluer, alors elle préfère attraper ces souvenirs et les mettre au plus proche de son coeur pour qu’ils lui permettent de reconnecter avec Flora même dans les pires moments. « Je t’aimerai toujours. » Entendre ces mots la rassure. « Et je toucherai pas trop à tes affaires, promis. » Hestia retombe sur le dos à ces mots, avec un petit rire. « Voilà, ça c’est les mots que je voulais entendre plus que tout. Je suis soulagée, je peux partir sereine. » dit-elle dans un effort de rendre l’atmosphère un peu plus légère, alors qu’elle voit les pensées et les tracas passer dans les yeux de sa soeur.
Flora soupire et Hestia sent ses lèvres déposer un baiser sur sa joue. « Omi n’aurait pas aimé ça… » « Elle aurait détesté ça. » confirme Hestia. Elle pense souvent à sa mère. Parfois, elle ne peut s’empêcher de se demander : si elle avait été là, est-ce qu’elles seraient toujours au Royaume-Uni, à ce jour ? Est-ce que Samira n’aurait pas pris chaque fille sous un bras pour les ramener chez elle, à l’ombre des orangers de la demeure des Al-Massri, loin du gouvernement britannique ? Hestia se prend à rêver d’une réalité alternative dans laquelle les choses auraient été décidées ainsi. Flora et elle n’auraient eu à se soucier que de la suite de leurs études, de trouver une bonne place et de construire leurs vies, en parallèle mais toujours ensemble.

Peut-être que c’est ça, qu’elle aurait dû proposer à sa soeur : partir ensemble, pour de bon, loin de ce pays. Construire une vie ailleurs, quitte à ne jamais pouvoir remettre les pieds en Angleterre. Tout abandonner et recommencer.  « Je ne sais pas ce que Khali dira…  » C’est la grande interrogation de tout le plan qu’elles ont monté. Elle se sent un peu coupable de laisser Flora seule face à l’explosion de cette situation, bien qu’elles aient prévu d’échanger de place dès que possible et qu’elle se rendra elle aussi bien vite compte de comment la nouvelle est prise. Elle espère que tout se passera… à peu près bien. Elle n’est pas assez folle pour penser que tout ira bien, mais elle peut au moins espérer que ça ne soit pas trop catastrophique, et que Flora ne soit pas trop prise à parti. Le but est qu’on la soutienne face au départ de sa soeur, pas qu’elle soit accusée elle aussi d’être une traître. Cela va demander un talent certain pour la comédie, mais cela fait des années qu’elles peaufinent ce don. Hestia n’a aucun doute que Flora saura feindre qu’elle tombe des nues et qu’elle est très déçue de sa soeur, quand bien même ce sera dur. Et elle n’a aucun doute qu’elle saura faire de même quand le temps viendra, même si ce sera épuisant. « Je sais que tu sauras faire face à toute les éventualités. » dit-elle, d’une voix toujours confiante. « Et puis ce n’est que temporaire. Quand tout ça sera fini, nous lui expliquerons. Je suis sûre qu’il comprendra pourquoi nous avons agi ainsi. » dit-elle, faisant des conclusions peut-être un peu trop hâtives. « Ce monde ne peut pas continuer ainsi, de toute manière. Le chaos a trop duré. Ce ne sera pas long avant que les choses se décident. » Elle est certaine que les deux ou trois prochaines années seront décisives. Il lui semble impossible que les combats se poursuivent encore dix ans. Soit la résistance sera écrasée, soit le gouvernement sera renversé, mais les choses vont bouger, c’est évident. C’est aussi parce qu’elle sent l’urgence qu’elle a décidé qu’il était temps de partir pour mettre toutes les chances de leur côté.

« Elle aurait détesté ça. » Flora n’aurait pas osé le dire elle-même. À quel point exactement Samira aurait désapprouvé de leur plan à cause non seulement du danger qu’il implique pour ses filles, mais aussi à cause de la séparation de celles qui ne sont pas nées pour l’être. Il y a tant de choses de ce monde que Samira aurait détesté toutefois, Flora le sait, elle le sent presque malgré elle alors qu’elle tente de continuer à parfaire son image de jeune sang-pure modèle. L’opinion de leur oncle en revanche est beaucoup moins claire et Hestia semble d’accord avec ses doutes également même si elle ne le dit pas à voix haute, probablement pour ne pas plus inquiéter sa jumelle. « Je sais que tu sauras faire face à toute les éventualités. » La voix de Hestia est pleine de confiance alors Flora a envie d’y croire, puisqu’elle a toujours envie de croire Hestia, puisque Hestia est, définitivement, la meilleure personne qu’elle connaisse. Elles se sont préparées et vont continuer à se préparer jusqu’au jour J pour que tout soit aussi  parfait que possible, aussi sûr pour l’une comme pour l’autre. Flora a confiance en elles, en leur lien comme en leur intelligence, mais elle n’est pas naïve : ce sera difficile. « Et puis ce n’est que temporaire. Quand tout ça sera fini, nous lui expliquerons. Je suis sûre qu’il comprendra pourquoi nous avons agi ainsi. » Une moue tord les lèvres de Flora, beaucoup moins certaine que sa sœur à ce niveau-là. Kareem est une figure très importante de leur vie, un second père pour elles, plus présent que leur vrai père justement. Il a repris pour leur mère les rênes de leur éducation Al-Massri qui, selon les jumelles, est beaucoup plus empreinte de principes et de morale que l’éducation Carrow. Pour autant les Al-Massri restent une famille de sang-pure qui s’est préservée au sein d’une culture où la pureté du sang n’est pas primordiale ce qui doit sûrement bien vouloir dire quelque chose. Et Kareem, surtout, travaille au Ministère de la Magie apparemment peu critique du Lord. Aussi Flora n’est pas sûre. Elle ne sait pas où va son allégeance, pourtant elle qui le voit désormais beaucoup plus que Hestia puisqu’ils travaillent dans le même département. Elle pense que c’est le travail qui le passionne et pas celui pour qui et au nom duquel il le réalise, mais elle n’a aucun moyen d’en être certaine. Kareem est la personne qui leur est le plus proche, mais comme les jumelles il a ses secrets. Peut-être qu’il leur a trop bien appris.

« Ce monde ne peut pas continuer ainsi, de toute manière. Le chaos a trop duré. Ce ne sera pas long avant que les choses se décident. » Elles y ont beaucoup réfléchi ensemble, guidées notamment par quelques visions et tentatives de lecture dans les étoiles. Elles croient en une certaine balance de l’Univers aussi et ça fait sens : il faudra bien que la guerre s’arrête et elles ont de bonnes raisons de croire que l’Ordre vaincra. Mais elles ne sont pas sûres de ça et c’est aussi pour ça que Flora doit rester en retrait pendant que sa sœur rejoint les rebelles. Elles ne sont sûres de rien et si elles font de leur mieux elles ne peuvent pas tout anticiper et elles le savent pertinemment. « I hope so. » souffle-t-elle, en essayant d’imiter l’assurance de Hestia. Elle pousse un autre petit soupir, les yeux rivés sur les étoiles. Elle ne parle pas de leur père. Hestia non plus. Elles ont mentionné leur mère, leur oncle maternel, elles pourraient parler de leur grand-mère maternelle ensuite plus facilement que d’Abram. Abram est parfois un inconnu. Abram est un Carrow, mais il n’est pas aussi entaché qu’Amycus ou Alecto. Pour toutes leurs années d’espionnage et d’intrigues, les jumelles ne savent pas exactement où se situe l’allégeance de leur propre père. Death Eater marqué, cela ne veut pas forcément dire qu’il soutient aveuglement et est d’accord avec tout. Rien de tangible ne les pousse à le croire vraiment peu convaincu par la cause — encore moins agent double pour l’Ordre — mais elles conservent malgré tout ce point d’interrogation accroché à son nom, indécises à son sujet, mais pas assez intéressées, visiblement, pour creuser plus loin. Abram n'a pas beaucoup de principe ni de moralité, pensent-elles dans le fond, il se rangera avec le vainqueur sans trop d'états d'âme. Il leur pardonnera donc, à la fin. Elles restent silencieuses un moment avant que l’on ne vienne leur dire de rentrer avant que la rosée sur l’herbe où elles sont allongées ne les fasse tomber malade. « Come, I have something for you. » Elle attrape la main de sa sœur une fois qu’elles sont debout pour retourner ensemble à l’intérieur du manoir. Elles grimpent à l’étage où leurs chambres adjacentes (à la porte commune toujours ouverte) se trouvent se dirigeant vers la sienne — pourtant partagée comme tout ce qu'elle possède — pour trouver dans le tiroir d’une commode un petit paquet emballé avec soin. Elles ne s’offrent jamais quelque chose de trop fou ni de trop onéreux car à vrai dire à bien des égards elles ont déjà tout. Et puis les autres leur font assez de cadeaux. Mais elles ont toujours un geste l’une pour l’autre, un petit rien du tout à la valeur plus émotionnelle qu’autre chose. Elle place le paquet dans les mains de sa sœur. « Joyeux anniversaire, habibti. » C’est toujours en dernier qu’elles se le souhaitent, peut-être parce que c’est ce qui compte le plus.

De toute façon, une chose est très claire dans la tête d’Hestia : à partir du moment où elles seront séparées, la guerre ne pourra pas continuer trop longtemps. Elles sont faites pour être ensemble, pour ne jamais être loin l’une de l’autre, alors il lui paraît impossible que les événements ne se plient pas à leur connexion. Hestia est trop confiante, trop aveugle peut-être aussi - mais c’est sa certitude. Les choses rentreront dans l’ordre, que ce soit en donnant l’avantage définitif au gouvernement ou à l’Ordre du Phénix, et elles pourront de nouveau se rejoindre sous cet arbre et parler de tout, de rien, de leurs envies, de leurs déceptions, de leur passé, de leur avenir. Elles liront de nouveau les étoiles ensemble, échangeront de nouveau sur leurs visions, iront se réconforter mutuellement dans la nuit. Elles se chanteront de nouveau des chansons qui les apaiseront et les aideront à se rendormir après leurs cauchemars.
Il ne peut en être autrement.
« I hope so. » Elle le sent, que sa soeur est plus sceptique, et elle ne peut la blâmer - il y a beaucoup de variables dans leur plan. Elle continue cependant à afficher son air confiant. Si on croit très fort en quelque chose, tout est possible.
Elles s’installent toutes les deux dans un de leurs silences confortables, en regardant les étoiles. Hestia laisse ses pensées filer d’un sujet à un autre, d’une inquiétude à une autre, d’un visage à un autre. Au moins, elle est rassurée à l’idée que la majorité des Al-Massri, toujours en Égypte, ne seront pas trop impactés par ce qu’elles vont faire. Ce sera peut-être dur quelques temps pour tous les membres de la famille d’Hestia et Flora qui vivent au Royaume-Uni, mais elles en ont longuement parlé, toutes les deux : celle qui sera à la place de “Flora” fera tout pour s’affirmer toujours plus proche du gouvernement, et pour effacer les erreurs officielles de sa soeur. On pourra dire d’Hestia qu’elle est le vilain canard de la famille, inventer qu’elle avait des comportements étranges, lui prêter des fréquentations cachées avec des membres de l’Ordre qui lui auraient complètement retourné le cerveau… Elles ont pensé à tout. Elles abattront toutes les cartes qu’il faudra, même si elles sont difficiles à présenter dans le jeu.
Même si elles font mal au coeur.
Hestia sait qu’elle peut faire confiance à sa famille pour essayer de redorer le blason des Carrow (Alecto fait le blason à elle seule) et des Al-Massri (la présence de Kareem au ministère les aidera, sans le moindre doute). Oui, tout ira bien. Aucun autre membre de la famille n’irait faire de scandale. Pas vrai ?

Elles sont interrompues par une voix qui les intime de rentrée pour ne pas tomber malade. Hestia lève les yeux au ciel mais elle s’exécute, dans un mouvement jumeau à celui de Flora. Sa soeur lui prend la main. « Come, I have something for you. » Hestia hausse les sourcils et se laisse embarquer par sa jumelle jusqu’à leurs chambres, ouvertes l’une sur l’autre, bien évidemment. Quand elles sont en haut, Flora lui met un paquet dans les mains. « Joyeux anniversaire, habibti. » Hestia n’ouvre pas tout de suite le paquet, mais regarde sa soeur et enroule un bras autour de son cou pour la prendre contre elle et déposer un baiser sur sa tempe. Finalement, elle la lâche et déchire le papier du cadeau pour trouver un livre… mais pas n’importe quel livre. « C’est… C’est une édition originale ? » Ses yeux sont ouverts comme des soucoupes sur le livre offert par Flora, l’un des trois exemplaires originaux qui ont survécu aux guerres sorcières du journal de la première femme médicomage légiste, Mako Nakatani. L’ouvrage est en japonais, mais quand Hestia pose ses doigts sur la première page, les lettres s’entrechoquent les unes aux autres et l’écriture japonaise laisse place à de l’anglais. Hestia pourrait en pleurer. Elle a dû trouver un mage très puissants pour préserver l’ouvrage original tout en l’ensorcelant pour y ajouter une traduction en anglais. Elle tourne les pages, complètement bousculée par ce cadeau inestimable. Flora et Hestia ont souvent parlé du fait qu’une fois leur plan entamé, Hestia trouverait dur de ne plus exercer son métier dans les conditions que lui offraient la société sorcière. Elle sait que quand elle se fera passer pour Flora, elle devra travailler en tant que langue-de-plomb. Le travail de sa soeur lui plait beaucoup, mais il n’est pas aussi passionnant à ses yeux que son travail à elle. L’une des pages s’ouvre sur une chaîne, et un médaillon. En pendentif, une rose, toute fine et délicate. Warda. Pour qu’elle la garde toujours au plus près de son coeur. « Tu me l’attaches ? » Elle se promet de ne jamais le retirer.
Hestia tombe dans les bras de sa soeur avant de la lâcher et de courir dans sa chambre pour sortir de sous son lit un paquet également. Comment aurait-elle pu oublier leur tradition ? Elle tend le cadeau à Flora. « Joyeux anniversaire, habibti. » répète-t-elle, et elle aimerait que ce moment dure toujours. Encore, elle enregistre chaque expression de sa jumelle.

Hestia n’ouvre pas immédiatement le cadeau, à la légère déception de sa sœur qui sourit toutefois quand elle la prend dans ses bras et dépose un baiser sur sa tempe. Elle n’a jamais eu plus d’affection que venant de sa jumelle et elle n’en a besoin d’aucun autre. Avec excitation elle l’observe déballer son cadeau, découvrir le livre avec des yeux apparemment ébahis. « C’est… C’est une édition originale ? » Elle hoche lentement la tête pour confirmer l’origine du livre. Il fut très difficile à tracer, mais rien est trop beau pour Hestia au yeux de Flora, rien ne vaut sa réaction, ses yeux brillants et son sourire ému alors qu’elle feuillette les pages, découvre le travail incroyable du mage qui a fait la traduction. Flora est plutôt fière d’elle. Hestia finit par trouver le second cadeau entre deux pages du livre et son double l’observe comme si elle pouvait lire en elle, pour ne rien manquer de sa réaction, de toutes ses expressions qui font d’elle qui elle est. « Tu me l’attaches ? » Elle hoche vivement la tête et s’exécute, très contente de l’émotion de sa sœur et ravie de la serrer dans ses bras un moment, avant que celle-ci ne file lui chercher son cadeau. Flora sait qu’ill lui plaira quoi qu’il arrive parce que personne ne la connaît et ne la connaîtra jamais mieux que sa jumelle. Et puis, elle aime tout ce qui vient d’elle, c’est aussi simple que cela.

« Joyeux anniversaire, habibti. » Elle prend son temps pour le déballer, précautionneuse d’une part et puis ayant envie de faire poireauter un peu Hestia, juste pour s’amuser. Elle veut aussi peut-être un peu faire durer ce moment par tous les moyens possibles, retarder l’échéance aussi bien de la fin de leur anniversaire que de la rentrée qui marquera leur séparation pour elle-ne-sait-combien-de-temps. Elle espère que Hestia emportera avec elle le livre et le médaillon, même si elle n’ose pas lui en faire la demande expresse. Elle finit par découvrir ce qu’il se cache sous l’emballage, un livre, évidemment, une première édition d’un recueil de poésie arabe qu’avait commencé à leur lire leur mère avant de les quitter. Flora sent les larmes lui monter aux yeux, faire la moue pour essayer de les retenir, vainement. Elle a du mal à parler, elle ne saurait pas quoi dire même alors qu’elle effleure l’ouvrage qui serait sans nul doute décrépit si l’on avait pas usé de magie pour le protéger. Flora ne serait pas surprise d’apprendre que Hestia a eu besoin de l’aide de leur jedda pour le trouver. « C’est…parfait. » finit-elle par articuler. Il y a un autre cadeau, caché de la même manière que le sien entre les pages, un bijou également ; elles ne sont pas jumelles pour rien. Mais pour Flora c’est un bracelet plutôt qu’un médaillon, plus petit mais plus travaillé encore, une fleur qui éclot et se referme à mesure qu’on la regarde et reprend éternellement son cycle. Elle tend immédiatement le poignet pour que sa sœur le lui attache. C’est quelque chose qu’elle devra retirer quand elle voudra prendre sa place, comme toute autre possession qu’elles n’ont pas en double, mais pour tout le temps que Hestia sera loin d’elle et que Flora pourra être Flora, il ne la quittera pas. « I love it. » Elle enlace sa sœur aussitôt le bracelet attaché et elles restent longtemps ainsi, l’une contre l’autre, comme Flora pense souvent qu’on les aurait trouvé si l’on avait fait une échographie d’elles, à la moldue — la technologie sorcière s’est développé récemment à ce sujet. Quand Flora s’écarte elle observe intensément chaque détail du visage de sa sœur pourtant si identique au sien. L’on dit parfois que pour des jumeaux identiques, il suffit de se regarder dans le miroir pour retrouver l’autre et ainsi ne jamais se manquer. C’est vrai que Flora et Hestia trompent leur monde depuis toujours et qu’au final seule leur mère a jamais vraiment su les différencier. Mais elles qui vivent leur gémellité et leur identité presque parfaite, connaissent aussi les petites différences entre elles, même alors qu’elles essayent souvent de les effacer. Elles jouent de leur similitude, mais elles savent ce qui rend l’autre unique. « Je n’ai pas les mots pour décrire à quel point tu vas me manquer. » doit admettre Flora d’une voix pleine d’émotions qu’elle a du mal à ravaler. Elle n’a pas les mots et elle ne les aura jamais car personne avant elles, pense-t-elle, n’a jamais eu à vivre une douleur et un manque pareils à ceux qu’elles s’apprêtent à vivre, mais Flora sait au moins que Hestia vivra la même chose et que dans cela aussi, comme dans toutes les autres choses de sa vie, elle ne sera pas seule. Pas vraiment.