D
édale interminable.
En silence, Wolfram suivait Grigor Karkaroff dans les entrailles du Filet du Diable.
La démarche du russe était d'une lenteur terrible, affligeante ; malvenue pour von Bäume en qui régnait la tempête. Ombrageux jusque dans ses manières d'habitude si policées, Wolfram manqua de le renverser lorsqu'ils arrivèrent à la porte du nouveau propriétaire. Sans frapper, il ouvrit ; deux hommes faisaient face à son frère. Le triangle apposé sur leurs visages ne laissait pas de doute sur leur nature. Pas de cour des miracles comme le Filet du Diable.
«
Raus. » L'ordre rugit, il se dégagea sur le coté, invitant vivement la vermine à décamper, non pas sans réprimer un rictus de dégoût sur sa face déjà torturée. Le couple de gitons échangea un regard, interdits, puis risqua un coup d’œil vers le tenancier avant de détaler. Toujours dans le couloir, le russe bréviligne capta le regard d'Engel puis lança une œillade torve à l'autre, s'en méfiant comme de la dragoncelle. «
Je reste ici. »
Grand bien lui fasse.
Le claquement de la porte ramena un semblant de calme dans le bureau, un semblant de calme dans son esprit. Wolfram restait immobile, main sur la porte. A bout, il se passa la main sur le visage. L'air lui manquait. Sa main las glissa jusqu'à son cou et déboutonna l'épingle de son col, puis ce dernier. Prenant la porte comme appuis, il se retourna, faisant face à son frère. «
Je suppose nous pouvons parler, ici. » Engel hocha la tête. Wolfram hocha la tête. Il se sentait fébrile. Il perdait pied.
Les mots se formaient au fond de sa gorge, mais refusaient de sortir. Raide, il franchit les quelques pas le séparant de l'un des fauteuils faisant face au bureau. D'une main crispée Wolfram raffermie sa prise sur le dossier, il donnait l'impression de ne tenir que grâce à lui. Peut-être était-ce vrai. «
Vladimir et Richard ont été enlevés. » Irréel. Son poing gauche était toujours crispé sur la chaînette d'or de son petit fils. Par égoïsme ou compassion envers sa fille - il n'osait pas creuser la question - il n'avait pas eu le cœur de la lui donner. «
Elles vont bien. » S'asseoir. Il lui fallait s'asseoir. «
Valeska et Emilia vont bien. » Prononcer toute autre nouvelle les concernant aurait eu raison de lui, il en était persuadé. Il se rattacha à cette pensée comme un noyé à sa dernière bouffée d'air : Emilia allait bien.
Emilia allait bien. Emilia va bien, Lottie.
«
Ils m'ont eu, Engel. » Ce n'est qu'à cet instant qu'il osa relever les yeux vers sont frère - l'espace d'un instant seulement, il ne se sentait pas la force de faire plus. Défait, son regard regagna bien vite le néant à ses pieds, offrant à la vue de son frère que le haut de son crâne, enserré par une main noueuse. «
Après tout ce temps- » Six ans qu'il s'en tirait. Six ans d'impunité. Six ans à les narguer depuis sa planque au gouvernement anglais. Le temps aidant, Nurmengard avait prit des allures de blague. A présent, il enviait presque les murs glauques de sa cellule jamais visitée. Ou même, rejoindre Lottie, six pieds sous terre. Pourvu qu'ils soient saints et saufs, il aurait tout donné, tout sacrifié. «
J'ai pensé- » Être hors de portée. Qu'ils auraient la décence de s'attaquer à lui, pas aux siens. Pas à des enfants, innocents.
Considérations qu'il n'avait jamais eu pour ses victimes.
Dommages collatéraux, qu'il les appelait. Fille ou fils de, mari, amante, autant de leviers. Jamais rien de plus. Ceux qui cherchaient à le faire parler ne devaient guère donner plus de valeur à ses petits enfants. L'ironie était amère, cinglante. Elle le prenait à la gorge, lui serrait la poitrine.
Cette partie de lui, qu'on avait ponctionné, c'était son courage. La blessure avait porté atteinte à sa nature d'homme gai et farouche dans les désastres. Ce qui se tenait en face du cadet n'était plus que l'ombre d'un homme. «
Je suis désolé, Engel. » Des années, sûrement, que de tels mots n'avaient étés prononcés entre les deux frères. Rien de tel depuis sa fuite du pays, en tout cas. Ils n'en étaient que plus lourds, plus ineptes à exprimer des années de non-dits. «
Désolé. »