Warren le fixe, le coeur battant la chamade et l’angoisse lui serrant la gorge. Il regarde Oz se creuser les méninges, note le froncement de ses sourcils, son regard qui se perd un peu dans le vide alors qu’il réfléchit. Il attend, paniqué à l’idée de voir son regard s’illuminer puis s’éteindre aussitôt. “I don't think--” Oh. C’est pas la pire réponse à laquelle il s’était attendue. Warren peut faire avec celle-ci. Il peut continuer d’espérer qu’Elliott est en sécurité, dans une autre planque de l’Ordre. Peut-être même a-t-il quitté le pays ? C’est probablement la meilleure chose qu’il ait pu faire. L’Ordre semble comporter suffisamment de membres pour que la plupart ne se soient jamais croisés, surtout s’il en croit le nombre qu’ils semblent être rien qu’à Sweet River. Ce n’est pas grave, si Oz n’a jamais entendu parler d’Elliott, ça ne veut pas dire que-- “Wait.” Son coeur a un raté et Ren tressaille presque, tout son corps se tend alors qu’il reporte toute son attention sur Oz, guette chacun de ses tics à la recherche d’une mauvaise nouvelle. “I met him... three years ago? Right after the attack on the Wolverhampton GHQ.”
Oh, Merlin. Warren se sent pâlir. Ils se sont vantés de cette attaque dans le Daily Prophet, il se souvient encore de l’article clamant que les forces de l’ordre avaient enfin réussi à dénicher les rebelles et à en capturer une bonne partie. Ils n’ont pas parlé des morts, bien évidemment, mais Warren n’est pas assez stupide pour s’imaginer que la VB a fait le travail… proprement.  Mais si Oz l’a rencontré après l’attaque, ça veut dire qu’Elliott a survécu, pas vrai ? “He wasn't alone back then. He had people. Friends?” Des amis. Comme si ça suffisait pour survivre, pour être en sécurité, des amis. “He's the only one I spoke to. He told me about another group of possible survivors, so I went for them.” De quoi ? Alors Oz l’a simplement laissé se démerder ? Peu importe qu’Elliott ait des amis, comment Oz a-t-il pu laisser un gamin-- Non. Plus un gamin. Un jeune homme de vingt-et-un ans, qui a probablement vu suffisamment d’horreurs pour grandir trop vite.

Warren ferme les yeux et inspire profondément par le nez. “I haven't heard from him since.” Alors il pourrait très bien s’être fait tuer, depuis. Elliott pourrait très bien être mort depuis des années, et Warren n’en saurait rien. “Who is he? To you, I mean.” He’s my son, se retient-il de répondre, parce que Sylvia a raison. Il ne mérite pas de l’appeler ainsi alors qu’il n’est personne pour Elliott. Alors qu’il n’existe même pas à ses yeux. Si sa soeur a découvert la vérité à cause du sortilège Von Baüme, Elliott, lui, n’en sait probablement rien du tout. Alors Warren pince les lèvres, bien incapable de répondre à cette question. L’Alpha est un inconnu, et Warren n’a pas l’intention de lui révéler ses erreurs de jeunesse. “Nevermind. You don't have to tell me.” Il hoche la tête, reconnaissant. “Not now anyway.” Try ‘never’, il ne le dit pas, mais la manière dont il se renfrogne parle pour lui

“Thank you,” dit-il à la place. Parce qu’il y a encore de l’espoir, malgré tout. “Any more wolf-related questions? Sure you don't want company tonight?” De nouveau, ses traits s’assombrissent. S’il y a bien une chose à laquelle il ne veut pas penser, c’est la pleine lune de ce soir. Pour la première fois depuis qu’il a été mordu, il va devoir la passer sans prendre de potion Tue-Loup. Ca veut dire que pour la première fois, Warren ne sera plus lui-même. Qu’il va laisser place à la créature qui l’habite, et n’aura probablement aucun souvenir le lendemain matin.

Il va perdre le contrôle, totalement.

C’est tout ce qu’il lui restait. Ils lui ont arraché son travail, ses enfants, sa femme. Son nom de famille également, s’appeler Avery ne vaut plus grand-chose maintenant qu’il est devenu un monstre. On lui a pris sa maison et avec, tout ce qui lui appartenait, tout ce qui lui revenait. Ils lui ont volé sa dignité en le forçant à rejoindre la VB, puis en tatouant cette monstruosité sur la joue. S’il a réussi à reprendre sa liberté - et à quel prix - il n’est pas certain d’en apprécier la saveur.

Alors le contrôle, c’était tout ce qu’il avait encore. La seule chose qu’il pouvait maîtriser : s’assurer que jamais, jamais la créature ne prenne le dessus.

Warren a envie de s’entêter à dire qu’il refuse de se transformer en compagnie de qui que ce soit. Parce qu’une part de lui refuse encore qu’on le voie ainsi. Mais une autre, peut-être plus raisonnable, se souvient de ses cours de Défenses contre les Forces du Mal et de ce qu’il a appris sur les loups-garous. Une part de lui sait que ce sera peut-être moins pénible s’il n’est pas seul. Et puis, surtout, que le monstre en lui sera peut-être moins tenté de faire du mal à qui que ce soit, s’il est entouré de ses pairs.

“How is it?” demande-t-il enfin, incapable de réprimer le frisson qui lui court le long de l’échine. “I’ve never-- what does it feel like? To let it take over? To-- to not be yourself anymore?” fait-il dans un souffle.

Face au mutisme de Warren, Oz finit par lui tourner le dos. Il observe les cultures et, plus loin, les ombres qui découpent la forêt. Il y a un peu de vent, son souffle est d'autant plus perceptible ici, au centre de la clairière. Il caresse la peau d'Oz, agite ses vêtements et diable que la nature est belle. Le loup peut la sentir aussi, la queue agitée par l'excitation tandis que les minutes jusqu'à la pleine lune s'égrainent. Ce sera bientôt l'heure de jouer.

“How is it?” La voix de Warren perturbe Oz, perdu dans sa contemplation. “I've never-- what does it feel like? To let it take over? To-- to not be yourself anymore?” poursuit-il. Oz pince les lèvres, bien content d'avoir tourné le dos à Warren. C'est une question logique, une qu'on lui a déjà posé de nombreuses fois et il peine toujours autant à trouver une réponse adaptée. Il a rencontré Warren il y a une heure, à tout casser, mais il est déjà convaincu que peu importe ce qu'il dira, il ne rassurera pas le nouvel arrivant. C'est frustrant l'impuissance. Plus encore lorsqu'on est alpha, celui vers lequel le reste de la meute se tourne pour obtenir des réponses. “Well...” Osborn se retourne. Il aimerait être aussi confiant qu'il en a l'air. “It's.. uncanny. I think it's different for everyone.” Il fait un pas en direction de Warren, puis deux. Oz parle avec ses mains, dont il tend les paumes à mesure qu'il explique. “The wolf within you-- he is a part of you.” Il lâche un petit rire franc. “I know, I know, I'm one of those, but let me explain. When you're bitten, the curse-- it splits you in two, yeah? The wolf is like.. another fragment of your personality! It is shaped by your emotions... In a way, it is you.”

Pris par son propre discours, il continue de marcher, dépasse Warren à une certaine distance, avant de faire demi-tour, ses mains toujours agitées par ses explications. “I won't lie: it hurts. And yes, the bone-breaking, shape-shifting thing, is out of your hands. This will hurt.” Oz s'arrête, à quelques pas maintenant de Warren. “But the mind... The mind you can control, ajoute-t-il en tapotant sa tempe du bout du doigt. I know it sounds stupid when I say 'embrace the wolf' cause you don't like him and you don't want him. But he's here. He is going to take over your body tonight. So embrace him. Befriend him. Tame him. And it will get easier. I promise.” Il entend presque la voix de Fen, alors qu'il ressort le discours que son grand frère lui a donné, seize ans plus tôt, avant sa première pleine lune. Un sourire empreint de nostalgie conquiert ses lèvres. Cet imbécile lui manque. “I've been a werewolf for sixteen years. You can trust me on this.”

Les ombres grandissent. Il faudrait songer à rentrer, préparer la transformation de ce soir. S'il compte bien, il leur reste trois heures avant la tombée de la nuit, une heure de plus avant que la lune ne soit pleine. Et encore tant de choses à faire au camp... Il devrait demander à Simon de prendre en charge certaines de ses tâches. Il ne peut pas laisser Warren tout seul – et même si ce dernier le lui demande, il n'est pas sûr de vouloir l'abandonner à son sort au milieu de la petite clairière. Ce ne serait ni prudent pour lui, ni pour Sweet River. Et puis, il mentirait s'il ne sentait pas le désir féroce de son loup de rencontrer celui de Warren. De le soumettre. Oz était un alpha mesuré, relativement agréable si on excepte les grognements et marmonnements passagers. Son loup, en revanche, aimait asseoir son pouvoir. Et malgré toute sa maîtrise, à quelques heures de la pleine lune, Osborn ne pouvait pas vraiment déterminer si l'envie de rester auprès de Warren cette nuit était le résultat de sa gentillesse, de son leadership, ou simplement un caprice de loup alpha.

“Well...” Déjà, Warren sent qu’il n’aimera pas la réponse. Oz hésite, semble chercher ses mots, et il n’a pas l’air d’être du genre à passer par quatre chemins. Alors s’il peine ainsi à trouver comment lui expliquer, ce n’est pas bon signe. “It's.. uncanny. I think it's different for everyone.” Ren doit faire un effort pour ne pas lever les yeux au ciel. Oui, il se doute bien que tous les loups-garous ne partagent pas la même expérience, sinon comment certains pourraient accepter aussi bien une telle situation ? “The wolf within you-- he is a part of you.” Cette fois, il ne se retient pas de grimacer et c’est plus fort que lui, il lance un regard sombre à l’Alpha lorsque ce dernier se met à rire. “I know, I know, I'm one of those, but let me explain. When you're bitten, the curse-- it splits you in two, yeah? The wolf is like.. another fragment of your personality! It is shaped by your emotions... In a way, it is you.” Warren pince les lèvres. Il voudrait pouvoir nier fermement ce que Oz lui raconte, mais il n’en est malheureusement pas capable sans faire preuve de mauvaise foi.
Oui, il a remarqué. La créature qui l’habite n’est pas complètement différente de lui. Elle est juste… intense. Beaucoup plus intense que Warren ne l’a jamais été. Il a toujours été quelqu’un de calme, posé, capable de réfléchir avant d’agir, de maîtriser ses émotions. Depuis la morsure c’est… plus compliqué. Même s’il sait qu’il n’a pas eu le choix que de tuer son Handler s’il voulait réussir à s’enfuir et ne pas risquer qu’il puisse le tuer d’un seul geste s’il venait à se trouver à proximité, Warren ne peut s’empêcher de se demander s’il en aurait été capable, avant.

Et puis, il y a tout le reste.

Les odeurs, bien sûr, mais aussi les sensations. Ren a l’impression d’avoir les nerfs à vif, en permanence, depuis deux ans. Chaque petit désagrément devient une véritable agression. Le besoin de protéger les siens n’a jamais été aussi fort. Le besoin d’être proche des autres - et surtout d’autres loups - est une nouveauté qui l’effraie. Warren a toujours été solitaire. Il y avait ses soeurs - Thracie, surtout - ses enfants et au fil des ans, Katherine. Il n’a jamais eu besoin de qui que ce soit d’autre, n’a jamais ressentie le besoin de s’entourer.

Depuis la morsure, cette solitude le bouffe.

Depuis la morsure, il se sent attiré par les autres qui l’entourent comme jamais auparavant. Oz n’est pas différent. Malgré toutes les réticences de l’homme, l’animal qui l’habite ne cesse de vouloir se rapprocher, de vouloir initier le contact avec l’autre Alpha. Ca le prend aux tripes, ce besoin d’être proche de lui.

Ca l’embarrasse, aussi, terriblement.

“I won't lie: it hurts. And yes, the bone-breaking, shape-shifting thing, is out of your hands. This will hurt.” Un frisson lui parcourt l’échine et il ne sait pas si c’est à cause des mots d’Oz, ou sa proximité. “But the mind... The mind you can control.” A cela, Warren lève les yeux vers l’autre loup, son intérêt piqué au vif. “I know it sounds stupid when I say 'embrace the wolf' cause you don't like him and you don't want him. But he's here. He is going to take over your body tonight. So embrace him. Befriend him. Tame him. And it will get easier. I promise.” Warren retient à peine un rire moqueur lorsque Oz lui suggère d’embrasser le loup, de faire ami-ami avec lui. Il n’a aucune envie d’accepter cette nouvelle part de lui. Peu importe que l’animal fasse partie de lui à présent, il refuse de s’abaisser à une chose pareille.

L’apprivoiser, en revanche… Lèvres pincées, sourcils froncés, Ren considère l’option. S’il peut au moins faire en sorte que l’animal se comporte comme lui le décide, alors peut-être que la cohabitation sera plus aisée.

“I've been a werewolf for sixteen years. You can trust me on this.”

Seize ans. Seize ans. Ca explique son contrôle, ses certitudes. Et Warren n’a pas l’intention d’accepter le loup comme Oz l’a fait, mais peut-être qu’avec son aide… peut-être peut-il lui permettre de mieux tolérer ce qu’il est devenu.

Warren ferme les yeux et inspire profondément. “I’ll try,” murmure-t-il finalement. “I-- I’d like you to--” Il bute sur les mots, s’agace, peu habitué qu’il est à demander l’aide de qui que ce soit. “Stay with me. Tonight?” Son souffle tressaute, comme si prononcer ces mots lui avait demandé un véritable effort physique. I don’t want to be alone anymore, hurle le loup, mais Warren s’empresse de fermer la bouche pour éviter de laisser les mots lui échapper.  

Oz ne lâche pas Warren du regard. Le laïus qu'il vient de lui faire – tiré en partie du discours de Fen, seize ans plus tôt – ce n'est pas le speech habituel. Bien sûr, chaque nouveau loup-garou est différent et l'alpha s'adapte, à chaque fois. Il parle rarement de son expérience personnelle pourtant. Il a conscience que son parcours est une exception : sa transformation n'a été marquée par aucune tragédie particulière.
Pourtant avec Warren, parler de soi semblait nécessaire. Oz voulait créer une connexion, gagner sa confiance-- ne serait-ce que pour la pleine lune de ce soir. Il avait rarement rencontré lycan si hermétique à sa nature. Il pensa brièvement à Remus ; personne ne pouvait détester son loup comme Remus. “I'll try.” La voix de Warren était un murmure mais les sens en éveil d'Osborn, à quelques heures de la nuit pleine, captèrent ses mots avec une attention particulière. “I-- I'd like you to--” Il peine à le dire. Oz retient un sourire ; le nouveau est borné et fier. A gem. “Stay with me. Tonight?” Il n'arrive pas à regarder l'alpha dans les yeux.

Oz voudrait faire quelques pas et prendre Warren dans ses bras. Il peut goûter à sa détresse d'ici. Il combat ses meilleurs instincts et garde ses distances, par crainte de l'effrayer. “I'd love to.” répond-t-il avec un sourire.

Il marche dans l'herbe jusque Warren et tend la main. “But first, take us back? Son sourire s'accentue. I'm sure you're better at this than I am.” Comme Warren tarde à lui prendre la main pour transplaner, il avance encore et saisit le bras du nouveau-venu. “Three hours before nightfall. We still have much to do back at home.” Il sait que l'emploi du mot home ne plaira pas à Warren-- il s'en fiche. Après quelques jours, quelques semaines, le terme sonnera naturel aux oreilles du bêta. En attendant, Oz s'amusera de son inconfort et de son agacement.
Résigné, Warren les ramène à Sweet River.

Trois heures plus tard, ils sont de retour dans la clairière, tous les deux. La nervosité de Warren est palpable-- Oz sent l'excitation dans ses propres veines, et le loup japper à la porte de sa conscience. Son corps semble s'éveiller, ses muscles se tendent et se détendent à intervalle régulier alors que les dernières lueurs du jour disparaissent. Le sang afflue, presse contre ses cuisses, son cœur, son ventre, son sexe, son cerveau et tous ses sens s'agitent. Il a toujours l'impression d'être sous drogue à plusieurs minutes de sa transformation, tant son énergie exsude.

Avec une difficulté relative – seize ans de pratique, ce n'est pas rien – Oz tient les rênes de son loup. Une main sur le dos de Warren, qu'il fait glisser en cercles pour calmer ses nerfs, il entend l'appel de son propre animal. La main ne suffit plus et leurs fronts se collent, leurs souffles se mêlent.

Breathe. In. Out.

Alors, les loups sortent jouer.