Padma ignore si elle est quelqu’un de patient et clairement, en d’autres temps, ça serait le cadet de ses soucis, vraiment. Elle sait que la patience est une vertu, c’est ce que sa mère lui répète à longueur de temps depuis qu’elle est aussi haute que trois pommes et à force, elle espère au moins l’être un minimum.
Elle l’est forcément, à bien y réfléchir. Parce que dans le fond, pour patienter inlassablement comme elle l’a fait jusqu’à présent, il faut ou une patience à toute épreuve, ou des nerfs en acier forgé. C’est pas des jours, ni des semaines, mais plutôt des mois transformés en années. Deux, presque et la flamme de l’amertume attisée un peu plus au gré du temps écoulé. C’est la colère qui a avalé la tristesse sans plus de cérémonie, tout rond, sans même recracher les os d’un amour passé qu’elles n’ont, visiblement, eu aucun mal à écraser.
Padma ne sait pas vraiment quand elle a cessé de compter le nombre de missives envoyées, quand elle a perdu le fil, exactement. Le fait est que, si elle a perdu le compte, c’est qu’elle a réitéré son geste de trop nombreuses fois, courbant l’échine pour quémander le pardon sans trop savoir ce qu’elle avait pu faire de travers, encore et encore. Bref. Si elle est bel et bien dotée d’une certaine forme de patience, Hannah Abbott, depuis tout ce temps, la met à rude épreuve. Hannah, si particulière. Fondamentalement gentille, oui c’est le mot. Et relativement brillante de son absence aussi, luisant de mille feux par son éloignement que Padma pensait pouvoir accepter, sans doute même le reléguer au second rang — quelque chose de futile dont elle aurait pu se remettre. Une belle échappée à la ritournelle de missives frappées du sceau de la culpabilité. Jamais retournées, les enveloppes peut-être même jamais décachetées.
Bon, le fait qu’elle ait récemment écrit toutes ces atrocités sur les hybrides, tout en ayant pertinemment conscience de la condition d’Hannah, n’a certainement pas aidé à lui donner envie de lui répondre, c’est certain. Et c’est peut-être pour ça, aussi, qu’elle n’a pas osé se pointer plus tôt, parce que de tous les termes peu élogieux dont elle peut être affublée, couarde se retrouve au sommet de la liste, lorsque ça touche aux sentiments. Trop peur d’avouer à Vati qu’elle est toujours dans l’Ordre. Trop peur de croiser le regard accusateur d’Hannah. Trop peur de dire non à son père.  C’est ce qu’elle se le répète en boucle pendant qu’elle se précipite pour tenir la porte d’entrée du hall principal à une petite sorcière replète, si absorbée par la lecture de son courrier que Padma pourrait jurer voir son nez toucher le papier. Elle ne semble pas se préoccuper outre mesure de voir une étrangère s’introduire dans son immeuble et c’est tant mieux. Faut dire que Padma a toujours été chanceuse, c’est inscrit dans son patrimoine génétique à en croire ce que raconte son père.
Devant la porte, elle hésite quelques instants, les doigts emmêlés, qu’elle croise et décroise au gré des idées faisant vibrer les cavités de son cerveau — inerte, elle doit bien l’avouer. Oui, définitivement, il doit forcément être ou endormi, ou s’être fait la malle à l’autre bout de Londres. Parce que s’il avait fonctionné correctement (comme il le faut habituellement, en tout cas), elle aurait compris, dès que l’idée avait germé, qu’elle était très mauvaise. Peut-être que — et sans vouloir se vanter — c’est même la pire idée qu’elle ait eu depuis un sacré bout de temps. Quelques secondes supplémentaires durant lesquelles Padma gagne en confiance s’écoulent. Petit un, maintenant qu’elle est là, ça serait drôlement stupide de sa part de faire demi-tour. Petit deux, c’est une chose qu’elle voulait faire depuis longtemps, alors pourquoi reculer ? Petit trois — y’a pas de trois. Deux raisons, c’est déjà amplement suffisant, non ? Et puis, si elle ne lui parle pas, elle ne pourra jamais se débarrasser de cette sensation de vertige qui fait constamment vaciller son palpitant dès que le sujet de leur amitié passée est évoquée. Ça, par Merlin, c’est une raison valable. En plus du fait qu’elle meure (presque) littéralement d’envie de la revoir, quand publiquement, c’est l’inverse qu’elle chante. Finalement, elle se décide à porter trois petits coups discrets à la porte d’entrée, avec l’idée qu’au moins, si elle n’entend pas, Padma ne pourra pas se jeter la pierre : elle aura essayé. Elle a un haussement d’épaules et une petite moue entendue. C’est déjà pas mal comme pas en avant.

Installée dans son petit appartement, un peu miteux, frôlant légèrement le pitoyable, Hannah écoute pour la énième fois les voisins se disputer au sujet d’un service à thé ensorcelé, une histoire de tasse qui ne ferait que de mordre la femme - pendant que son mari trouve ça apparemment extrêmement drôle. Une vieille rengaine que l’ancienne Poufsouffle entend à présent deux fois par jour - le matin et à l’heure du thé - et dont les murs fins ne lui laissent aucun détail de côté. Mais elle ne se plaint pas, c’est certainement les seuls sorciers autour d’elle qui ne se plaignent pas de vivre parmi des hybrides, au contraire, sinon ils auraient déjà quitté l’immeuble depuis un petit bout de temps maintenant. Peut-être qu’à défaut d’avoir de l’argent, ils ont un minimum de sens commun ? Dans tous les cas, Hannah écoute silencieusement les remarques volées à travers l’appartement voisin en se demandant si elle ne devait pas, tout simplement, soumettre l’idée aux sorciers de racheter un service à thé, voir même de le faire elle-même.
Les doigts autour de la couverture de son livre - une relecture plutôt ironique de Promenade avec les loups-garous -, Hannah ne peut s’empêcher de pousser un léger soupir en s’installant davantage dans le canapé un peu défoncé. Elle ne prête pas une oreille plus attentive que ça aux escaliers grinçants qui mènent à l’étage, déjà trop concentrée sur ses voisins, et c’est l’odeur de jasmin qui vient la réveiller. Une odeur qui lui fait soudainement écho et qu’elle associe à Padma en un battement de cils, un détail rare dont la jeune femme peut sans doute se féliciter: c’est la première fois que Hannah associe quoi que ce soit avec quelqu’un qui a traversé son passé. C’est un peu comme ces visages oubliés qui semblent finalement familiers et lui rappeler un souvenir dès le moment où son regard se pose dessus.

Si l’odeur lui rappelle Padma, elle ne peut s’empêcher de se demander ce que la jeune femme peut bien venir faire ici. Hannah se savait proche d’elle à Poudlard mais maintenant un fossé les sépare, un fossé qu’a creusé les livres écrit par la Patil, ou du moins qui a contribué pour une bonne partie. Ces livres anti-hybrides que Hannah a eu le malheur d’acheter, une fois, par curiosité, avant de regretter amèrement de ne pas avoir laissé ce live chez Fleury & Bott.
Elle ne comprend pas, pendant une seconde, et elle se demande si Padma est réellement là, et puis elle repense aux lettres qu’elle a reçus en masse aussi, qu’elle commençait à lire avant d’abandonner la lecture pour finalement ne plus en ouvrir une seule. Après tout, les mots de l’ancienne Serdaigle restaient les mêmes et l’envie de Hannah aussi: l’éviter au possible. Pour son bien à elle, pour ne pas devoir affronter cette personne qui tient des propos ignobles au sujet des hybrides, que ce soit maintenant ou même avant, sans ce statut qu’elle affiche aujourd’hui, la Abbott n’aurait jamais apprécié entendre ce genre de phrases dans la bouche de quelqu’un, encore moins d’une amie. Et l’amie en question frappe à la porte. Trois fois.
Le regard de la louve se pose sur la porte en bois, qui ne tient fermé que d’un loquet - on est loin du luxe et des belles choses ici - et elle ne peut s’empêcher de soupirer légèrement. Elle n’a pas envie d’affronter ça aujourd’hui. Pas qu’elle n’a pas la force, non, loin de là, mais c’est surtout l’envie qui lui manque. Pourtant, elle est déjà debout, son livre posé sur la petite table basse qui tient sur un tapis tout aussi petit et rapiécé, et elle s’avance jusqu’à la porte. Elle reste un instant à l’observer, les sourcils froncés, et finalement ses doigts viennent s’emparer de la poignée alors qu’elle déverrouille le loquet de son autre main.

Face à Padma, Hannah fronce ses sourcils, quelque chose en elle semble lui crier quelque chose, un sentiment de manque gratte sous l’épaisseur des divers lavages de cerveau, mais elle n’arrive pas à mettre clairement le doigt dessus. “Qu’est-ce-que tu fiches ici ?” Elle demande, simplement, dans un grognement, son regard clair posé sur celui de la jeune femme. Tout ce qu’elle sait, tout ce dont elle est sûr, c’est qu’elle lui en veut terriblement pour tout ça, pour les livres, pour les missives qu’elle a continué à envoyer comme si tout allait bien, et pour venir jusqu’à chez elle à présent. Hannah ne veut pas la voir.
Et elle se mord l’intérieur de la joue en l’observant un petit peu avant de se reculer en secouant la tête, prête à refermer la lourde porte. “Laisse tomber, tu ferais mieux de déguerpir d’ici, t’es dans un nid à hybrides et je ne crois pas que de voir la tête de Padma Patil leur plaira.” Une menace tout comme une mise en garde, mais au moins elle sait.

S’il y a bien une chose que Padma savait en franchissant clandestinement la porte d’entrée de l’immeuble, c’était qu’elle ne serait pas reçue avec des exclamations d’une joie démesurée. Elle s’attendait à un soupire, peut-être à ce qu’on ne lui ouvre même pas la porte et alors, tout aurait été bien plus facile. Alors, elle n’aurait pas eu l’impression qu’Hannah venait de la gifler à l’aide de quelques mots, insignifiants pour toute autre personne qu’elle. Insignifiants si elle n’avait pas déjà les nerfs à fleur de peau, alors qu’elle pensait qu’ils étaient forgés dans de l’acier à force. « Qu’est-ce que tu fiches ici ? » Padma relève le menton, persuadée que le geste l’aidera à se donner confiance, mais ses épaules s’affaissent en un geste qui trahit son désarroi. Elle aurait dû s’y attendre, pourtant. Elle s’y était même préparée. Alors c’est quoi le problème ? Pourquoi ça la touche autant, bon sang ? Elle aimerait bien pouvoir arrêter les battements intempestifs de son myocarde, plus irrégulier qu’il ne l’a jamais été, mais en est incapable. Faut croire que Parvati avait raison sur le sujet : on peut pas tout maîtriser dans la vie. « Je suis venue te voir », rétorque-t-elle finalement lorsqu’elle a regagné un semblant de force. Comme sa gorge est soudainement devenue très sèche et qu’elle a du mal à avaler sa salive, elle se plonge dans un silence qui n’a rien de plaisant.
La première chose qui lui vient en tête, c’est qu’une telle amertume ne peut être causée que par la lecture de son dernier bouquin, qu’elle qualifie volontairement de ramassis d’absurdités devant les personnes de confiance — Hannah aurait pu en faire partie, si elle ne s’était pas tant éloignée. Quand bien même sa réaction est inhérente aux mots défavorables aux hybrides qu’elle a couché sur papier, elle sent bien qu’il y quelque chose de plus. Quelque chose qu’elle ne parvient pas à cerner et pour peu, elle laisserait presque échapper un "tu es sûre que ça va ?" quand elle croise son regard. « Laisse tomber, tu ferais mieux de déguerpir d’ici, t’es dans un nid à hybrides et je ne crois pas que voir la tête de Padma Patil leur plaira. » Elle avait raison, donc. Après un bref mouvement de recul, Padma se demande ce qu’elle est supposée faire — partir comme elle le lui conseille et respecter son souhait ou insister et se faire entendre. « Woh, woh, woh », fait soudainement Padma en voyant le geste d’Hannah pour refermer la porte, calant son pied entre l’embrasure et cette dernière, quitte à se le faire exploser. Le geste a l’effet d’une nouvelle claque, plus positive que la première (c’est l’impression qu’elle a, en tout cas), la pousse à se réveiller un peu plus. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire quidditch et préférant jouer sur la surprise, sachant qu’elle ne ferait pas le poids contre Hannah si rapport de forces il y avait, elle se faufile adroitement pour entrer dans son appartement. « Je veux juste te parler », lui fait-elle savoir en s’avançant en direction du petit salon miteux, les yeux rivés sur le canapé défoncé pendant quelques secondes avant de pivoter sur elle-même pour faire face à son ancienne meilleure amie. Dans son cerveau une alarme se déclenche presque instantanément, entendant la voix de sa mère "et tes bonnes manière ?!" accompagnée de celle de son père "on ne peut pas faire confiance à ces créatures !" et soulignée par celle d’Hannah en personne "je ne peux pas me faire confiance". Elle s’en fiche, par Merlin. Elle s’en fiche, elle s’en fiche, elle s’en fiche. Elle a le coeur à la dérive et personne ne semble capable de comprendre les états nostalgiques dans lesquels on la retrouve parfois plongée. Il n’y a qu’elle qui peut les comprendre. Hannah et elle, pour être précise. Elles sont, par extension, les seules à pouvoir les guérir. Parce qu’elle a l’impression d’avoir besoin d’être rafistolée, de ne plus fonctionner correctement depuis deux ans, depuis qu’Hannah lui manque tant. « Je t’en prie », laisse-t-elle échapper, le souffle court non par l’effort, mais par les émotions qui étreignent son coeur, sa gorge et son cerveau. « Dis-moi au moins pourquoi tu ne réponds pas à mes lettres ! » Ça a le don de la rendre folle, Padma. Elles étaient bien trop proches pour être capables de supporter ça à nouveau, maintenant qu’elle est dans son appartement et puis, elle se demande encore parfois comme elle a été capable de le faire si longtemps. « C’est à cause des livres ? » C’est ridicule. Comme si Hannah n’était pas capable de savoir que tout ce qu’elle raconte dans ces ignominies n’est que bobards sur bobards, âneries sur âneries. Et puis, si elle n’avait pas fermé la porte de leur relation à double tour, sans doute saurait-elle que Padma est obligée de raconter ces histoires-là. Elle est o-b-l-i-g-é-e. « Je veux juste que tu me parles », qu’elle laisse finalement échapper une fois qu’elle a retrouvé le calme qui l’anime habituellement en toute circonstance.