Le mois de décembre était sombre, morose, morbide. L’attaque de Wolverhampton avait détruit des années de travail, de recherches, d’organisation et Elliott ne s’était rarement senti aussi impuissant. Les jours qui suivaient l’attaque avaient été intenses, l’Ordre avait organisé des groupes afin que les survivants puissent partir, beaucoup avaient quitté le combat, jugeant que leur survie était plus importante et les temps bien trop dangereux pour cela. Une atmosphère de confusion régnait depuis sur la résistance, personne ne savait vraiment ce qui allait se passer, où les nouveaux quartiers généraux seraient, ni ce qui allait changer dans l’organisation de la résistance. Il y avait la confusion mais aussi la colère. La colère de ne pas avoir pu prévoir cette attaque, de ne pas avoir pu sauver plus de personnes et de ne rien faire pour ceux qui avaient été capturés, vivants.

Elliott avait fui avec un groupe de personne, certains qu’il connaissait, d’autres non. Lui, Hugo et Amaya avaient prévu de ne jamais se séparer, c’était le but et ils comptaient bien s’y tenir. Ils étaient ensemble, ils avaient réussi à rester ensemble, mais ça n’était pas le cas de tout le monde. Des résistants avaient été capturés, notamment Anthony Rogers, qui représentait une forme de leader pour toute cette petite bande qu’ils avaient formé sans trop s’en rendre compte. Et l’Ordre n’avait pas l’air décidé à le récupérer. Elliott imaginait que les membres de l’Ordre pensaient que c’était trop tard, capturé certes, mais ça ne veut pas dire vivant pour autant, ou peut-être pensaient-ils simplement qu’Anthony et les autres ne valaient pas la peine de risquer d’autres vies pour eux. Ça n’était pas une rhétorique qui plaisait à Elliott, ni à ceux qui l’entouraient.

C’est pourquoi après ce qui avait semblé être des années de négociations et de discussions, ils avaient décidé de partir afin de retrouver Anthony et ceux qui avaient disparus aux mains des Death Eaters. C’était risqué, suicidaire même peut-être, mais Elliott savait qu’il ne pourrait pas vivre avec la culpabilité de n’avoir rien fait, alors il avait accepté de les suivre. C’était la deuxième fois qu’il partait, qu’il fuyait, pourtant tout était différent à présent. Partir d’Hogwarts avait été une décision prise sur le moment, dans la panique, sans même la possibilité de pouvoir dire au revoir à sa soeur qu’il laissait. Il ne comptait pas refaire les mêmes erreurs. Ils n’avaient pas énormément de temps, la vie de plusieurs personnes était entre leurs mains, mais il voulait au moins dire au revoir, s’expliquer, à Mafalda. Malfada qui avait été une de ces personnes constamment là depuis son départ d’Hogwarts, avec qui, malgré les nombreuses disputes, la vie était plus agréable, plus simple. Mafalda dont il avait réussi à pénétrer la carapace, à force d’acharnement et de mauvaises blagues, mais qui était aujourd’hui une de ses meilleures amies, et qui rendait ce départ d’autant plus difficile.

Il avait parcouru le couloir qui menait à la chambre temporaire de la jeune femme en trainant des pieds. Il n’avait pas envie de la laisser, mais il savait pertinemment que lui proposer de venir serait en vain. Il avait peur aussi, peur de sa réaction, peur de se faire engueuler une fois mais que cette fois-ci la colère soit réelle, intense, et plus que l’agacement qu’il inspirait aux gens habituellement. Arrivé devant sa porte, il avait du s’arrêter quelques minutes, le temps de se préparer à cette conversation et de ravaler les larmes qu’il sentait déjà monter. Il avait toquer, sans réelle conviction, et avait ouvert la porte au signal de la serpentard. Il avait murmuré une salutation en entrant dans la pièce et avait repris une autre grande respiration.

« Est-ce que t’as cinq minutes ? J’ai quelque chose à te dire ».  

Autour d’elle, le monde s’agite et tourne un peu trop vite pour qu’elle puisse en saisir chaque parcelle convenablement. Il y a ceux qu’elle pensait loyaux, mais qui fuient et ceux qu’elle imaginait voir fuir, mais qui restent, prêts à endosser les événements qui suivront avec résilience. Elle mentirait si elle disait qu’elle n’avait pas eu un instant de flottement — d’égarement, peut-être. Une hésitation à quitter le pays et abandonner la résistance pour regagner les bras rassurants des parents envoyés de l’autre côté du continent. L’idée lui avait déjà traversé l’esprit peu après la mort de Lavender, alors elle n’était pas trop surprise que celle de Katie vienne la raviver douloureusement. Il n’y a pas qu’elle, bien entendu. Howard, qui supervisait un paquet de missions sur le terrain, n’est jamais revenu de l’une d’entre elles et n’a pas eu l’occasion de voir Wolverhampton tomber aux mains des ennemis. Tout comme Rogers, on murmure qu’on ne le reverra jamais — supposé mort, la certitude fait vaciller les voix autour de Mafalda, mais elle ne peut se résoudre à en parler à Edith, encore en plein deuil paternel. L’espoir, à grande dose et dans de telles circonstances, peut s’avérer dangereux. Les « on ne sait pas » plus blessants que le tranchant d’une lame, elle n’a pas envie d’y croire. C’est plus facile de se résoudre au fatidique, d’une certaine façon et peut-être qu’elle a tort, que son défaitisme coutera plus que l’optimisme des autres. En attendant, ça lui permet de tenir pied et de rester déterminée — elle sait qu’elle s’effondrerait en cas contraire. Qu’elle ferait quelque chose de stupide, même.
C’est Edith qui la tire de ses pensées quand elle lui tend un vieux pull en maille bordeaux. Mafalda le toise quelques instants avec scepticisme, puis s’en empare sans plus de cérémonie. Pendant quelques secondes, elle s’est souvenu que c’est une couleur qui ne lui sied que très peu, qu’avant tout ça, elle prenait grand soin d’éviter. Aujourd’hui, l’idée lui semble si futile, voire farfelue, qu’elle a un sourire moqueur qui s’empare de ses lèvres, qu’elle est incapable de réprimer. Quel détail anodin, pourquoi s’y était-elle un jour ne serait-ce qu’accroché ? Et puis, est-ce qu’une couleur pouvait réellement représenter un tel contraste d’harmonie ? Sa mère, en trois secondes, montre en main, aurait répondu que oui et aurait farouchement bataillé pour défendre son opinion, tandis qu’en arrière plan, son père levait les yeux au ciel en tournant une page de son vieux journal. Fichue nostalgie. En guise de remerciement, elle adresse un petit sourire réservé à sa camarade de chambre, enfile le pull et relève sa longue chevelure rousse en un chignon désordonné. « On peut encore mettre un matelas là », annonce-t-elle en désignant un recoin où s’entasse quelques fournitures récoltées les jours précédents. « Si on parvient à… » Dans son dos, la porte de la chambre de fortune s’ouvre après que quelqu’un y ait porté un léger coup pour annoncer sa venue. Eliott se tient devant elle, droit comme un i et la mine déconfite. Ils sont tous dans un sale état depuis quelques semaines, rien ne sert de le nier. « Est-ce que t’as cinq minutes ? J’ai quelque chose à te dire. » Mafalda a un bref regard pour Edith qui ne se fait pas prier pour quitter la pièce. Une fois qu’ils se retrouvent isolés, la rouquine lève ses prunelles inquisitrices dans la direction d’Eliott et arque un sourcil. « Dis-moi que t’as pas fait de bêtise. » Elle ignore pourquoi, mais c’est la première chose qui lui vient en tête et ironiquement, même si elle est la première à le tacler sur tous les sujets imaginables entre temps, elle se rend rapidement compte qu’elle est prête à tout pour le couvrir. Qu’importe ce qu’il a pu faire. « Qu’est-ce que tu as encore fait ? » Et lorsqu’elle croise son regard, elle se rend bien compte que ce n’est pas ça. Que quelque chose d’autre cloche. Le problème est qu’elle ne sait pas quoi, exactement et ça la frustre, alors elle se rapproche de quelques pas, sans le quitter des yeux et pose une main sur son épaule. « Crache le morceau Walsh ». Il doit savoir que, s’il ne le fait pas de son plein gré, elle le lui fera cracher elle-même.  

Elliott ne sait pas par où commencer et le regard de son amie n’aide pas à le mettre à l’aise. Il a l’impression d’être un gamin, un enfant qui a fait une bêtise. Mais ce n’est pas le cas, il ne sait pas ce qui va arriver, mais la bêtise n’est pas encore faite, au pire des cas, elle est à venir. Il ne savait pas quels mots seraient justes, comment lui faire comprendre que ce n’était pas un abandon de plus mais la bonne chose à faire, pour lui, pour eux, qu’il ne faisait que ce qui lui semblait être le meilleur. Il n’était pas sûr qu’elle comprenne, Mafalda avait une forte personnalité, et des opinions qu’elle n’essayait pas de cacher, elle était intransigeante dans tout ce qu’elle faisait et c’était cette intransigeance qu’Elliott redoutait. Il ne savait pas vraiment comment l’expliquer, il avait peur qu’elle soit déçue, qu’elle le pense stupide, à tord ou à raison, il avait peur que tout cela se termine en une dispute qui ternirait leur relation à jamais. Et il ne voulait pas la quitter sur de mauvaises paroles, il ne voulait pas de ressentiment, de haine, de déception.
Il lança un faible sourire à Edith, qui quittait la pièce, avant de s’avancer pour rejoindre Mafalda.
« Dis-moi que t’as pas fait de bêtise » sont les mots qui sortent de sa bouche, et Elliott comprend pourquoi. Mafalda et lui se connaissent depuis de nombreuses années, et elle sait très bien qu’il peut être impulsif, certains diraient téméraire, d’autres qu’il ne réfléchit juste pas. Elle le sait, elle le lui a souvent reproché, lors de leurs nombreuses disputes.
« J’ai pas fait de bêtises » répond-il tel l’enfant qu’il a l’impression d’être, « pas encore, du moins » il ajoute. Et sous ses paroles inquisitrices, il est figé, il ne s’est pas assez bien préparé, ne sait pas comment lui annoncer la terrible nouvelle. Il regarde le sol un moment, il ne sait pas combien de temps exactement, mais assez pour que la rouquine s’impatiente. Il lève les yeux à nouveau à sa question et son regard ne fait que l’intimider encore plus. Il ne s’est rarement senti aussi stupide, aussi vulnérable. La main qui se pose sur son épaule semble avoir le poids d’une énorme masse, pas celui d’une jeune femme.  « Crache le morceau Walsh », mais il ne peut pas, les mots se bloquent avant même qu’ils aient la chance de sortir et sa respiration semble de plus en plus difficile à contrôler. Il ferme les yeux un moment, prend une grande respiration.
« Il y a eu des … problèmes, récemment, » l’hésitation se fait entendre dans sa voix, mais il poursuit néanmoins, « des problèmes avec l’Ordre ». Elliott peut déjà lire la confusion dans les yeux de Mafalda et les questions qui se bousculent dans ses méninges. « On se sent plus vraiment à notre place ici, et on a décidé de partir chercher Anthony et tous ceux que l’Ordre a … oublié » laissé tomber. Tous ceux qui doivent surement garder espoir, en vain, un espoir que ceux avec qui ils se sont battus viendraient les chercher. Elliott sait qu’il ne peut pas vivre avec cela, avec cette culpabilité, qu’il aimerait que quelqu’un le cherche, que quelqu’un pense toujours à lui, là où certains membres de l’Ordre préfèrent fermer les yeux, se dire qu’il est trop tard de toute façon. « Je sais que beaucoup pensent qu’il est mort, qu’il n’y a plus rien à faire, mais je peux pas juste rester là sans au moins essayer. » Sa voix se tend légèrement à ses dernières paroles. Et il se sent obligé de s’expliquer, de justifier ce choix alors que Mafalda le regarde toujours, l’observe sans qu’il puisse vraiment déchiffrer ce qui se trame dans son regard. « Ce n’est pas qu’Anthony, il y a plein de gens, qui sont portés disparus, et qu’on ne cherche pas. Et, je sais, qu’il y a beaucoup de choses à faire, sans doute des choses plus importantes, mais je pense pas que ce soit juste de les laisser tomber. Et si l’Ordre n’est pas près à investir du monde pour ça, alors on doit le faire à leur place, tu comprends ? »