words in the dark

Nous épions des bruits dans ces vides funèbres ; nous écoutons le souffle, errant dans les ténèbres, dont frissonne l'obscurité ; et, par moments, perdus dans les nuits insondables, nous voyons s'éclairer de lueurs formidables la vitre de l'éternité.

- janvier 1997 -
tw: mention de sang - meurtre ?
Abram est extrêmement mal à l’aise. Et pourtant peu de choses mettent Abram Carrow mal à l’aise ; mais ses filles, Flora et Hestia, sont probablement ce qui le tend le plus. Non pas parce qu’il n’est pas un bon père - nous pourrions théoriser des heures sur la sémantique du mot bon le concernant et pourtant, il a ce qu’on dit trivialement être la fibre paternelle - mais parce qu’il est, et restera bien malgré lui, un étranger pour ses jumelles. L’inverse est aussi vrai. Il ne connaît que peu de choses d’elles et, bien que cela fasse maintenant un an qu’il se soit échappé d’Azkaban, il n’arrive toujours pas à rattraper le temps perdu - n’essaie même pas vraiment, pour tout dire. Ces situations, comme celle du fiacre dans lequel tous les trois siègent, lui rappellent à son plus grand désarroi ces scènes mondaines lors desquelles il ne sait jamais quoi dire à part shite.

"Father?" Shite. Abram tourne son visage crispé vers Hestia après avoir longuement (trop longuement) observé par la fenêtre le paysage défilant plusieurs mètres sous eux. "Why--" Flora et Hestia échangent un regard entre elles. Abram ne s’en trouve que davantage irrité. Et pourtant leur connivence l’attendrit, quelque part au fond de cette carcasse vidée par les Détraqueurs. Hestia prend la relève, après avoir attrapé la main de Flora dans le pli de leurs robes aux couleurs de Serpentard. "Why are you coming with us again?" Leur paire d’yeux noirs lui font l’effet d’une pique l’empalant juste en dessous du sternum. Il leur retourne un regard dur, cependant appréciatif. Parce que leur visage lui rappelle un peu trop celui de Samira, il détourne cependant son attention d’elles pour la rendre à la nuit où l’aube se lève. "I didn't tell you", leur fait-il remarquer, de sa voix basse et grave, différente de lorsqu’il explose (elles ne l’ont encore jamais vu dans cet état). Hestia se redresse nerveusement. "Right…" Flora tend un peu la nuque en direction de son père qui est pile en face d’elle. "We're glad you're here, dad." Abram vrille légèrement la tête vers elle, l’air choqué. L’atmosphère de l’habitacle s’alourdit soudain, alors que le Mangemort déborde venimeusement, et confusément, de magie noire par laquelle s’insère son don de Légilimens. Il est d’autant plus troublé qu’il la découvre sincère. Il s’en retourne à sa contemplation, tandis que l’habitacle retrouve un climat respirable.

Flora s’est tassée sur la banquette, se massant la tête en retenant une grimace gênée et penaude. Abram retient quant à lui un forgive me qui lui brûle pourtant les lèvres. Plutôt quoi il dit, comme si rien de tout cela ne venait d’arriver.  "I need to talk to your aunt about", il marque un silence équivoque, glissant un regard en biais avant de se reprendre, "Lord - runes and magical seals." Il soupire avec déception. C’est un regret sincère qu’il entretient à leur endroit : ne pas pouvoir discuter magie noire avec ses propres filles. Kareem leur a prodigué un enseignement pitoyable - Amabella, évidemment au-dessus de tout soupçon, a au moins soigné leur éducation de Sang-Pur. "She's expecting me, I believe, although I would have preferred to see her anywhere…", il voit la silhouette du château de Poudlard se dessiner dans la brume matinale et un rictus haineux plie ses lèvres fines en même temps que son nez de rapace se fronce, "but here…"

* * *

"Uncle Amycus!" Les jumelles se dirigent vers leur oncle sans se précipiter - comme on le leur a appris - mais d’un pas enthousiaste et décidé. Abram est derrière elles, ordonnant à son larbin d’aller poster le fiacre un peu plus loin pour se faire discret et de l’y attendre. Le véhicule décolle magiquement, aidé de plusieurs sombrals, puis s’en va alors qu’Abram avance vers l’entrée du détestable château. "Ladies", les accueille très mystérieusement Amycus, servant un sourire en coin et amusé à ses nièces vers qui il se retourne lentement. "And… brother?", feint-il de s’en surprendre, alors qu’Alecto lui a prévenu de sa visite. "Amycus", salue-t-il laconiquement, alors qu’il jette des regards nerveux à droite à gauche. Amycus s’en amuse follement. "Don't you worry, Abram, they'll be here in an hour. You have plenty of time to escape!", exagère-t-il d’une manière désagréablement théâtrale. "Good", grogne Abram, montant le reste des marches pour arriver à leur hauteur. On dirait qu’ils parlent de monstres ou, pire encore, du corps enseignant de Poudlard, mais il est bien question de son armée d’adolescents boutonneux. C’est la rentrée des vacances de Noël et, en effet, bientôt une marée d’étudiants franchira ces mêmes marches sur lesquelles ils se tiennent - Abram a justement tenu à partir plus tôt du manoir pour les éviter.

"Alecto?", demande-t-il tout aussi laconiquement, sous le regard décidément intrigué - sombre, intelligent, réservé mais féroce - de ses filles. "Follow the blood", répond Amycus, toujours cet air mystérieux sur la gueule, toujours ce sourire en coin, comme si chacun de ses mots était un piège dans lequel il voulait vous entraîner. Abram ne s’en émeut guère. Aussi insupportable soit-il, il connaît son frère par cœur, sait quand il ment, et ne ment pas. "Something I can do", opine-t-il, jetant un regard en direction du grand escalier qu’Amycus lui a très brièvement désigné de l’œil - en effet, des traces de sang gisent sur le sol. La curiosité morbide du Carrow est instantanément piquée à vif. De même que celle de ses filles, qui n’arrachent leur regard de l’indice que parce que leur père se tourne vers elles. "Well then, have a-", il cherche ses mots, certainement pas aidé par Amycus qui l’observe galérer en continuant de sourire, "-a good start, or whatever." Elles ont, à l’unisson, un sourire pincé, puis un petit hochement répondant à celui de leur père qui déjà s’éclipse. "Weirdo’s out", commente Amycus en écarquillant des yeux, puis retrouvant tout son charme épais, il glisse un bras de part et d’autre des épaules de ses nièces et les entraîne vers la Grande Salle, "now, who wants to booby-trap Snape's seat?"

* * *

Abram jette un dernier regard malfaisant aux tableaux du couloir - qui le suivent à la trace en s’écriant entre eux des signaux d’alerte, depuis qu’on l’a vu débarquer dans la salle aux escaliers - et arrive sur le seuil d’une pièce qu’il devine être le bureau (oh for the Lord’s sake) de sa sœur. Les traces de sang continuent à l’intérieur, et c’est sans s’annoncer qu’Abram entre. Il voit de suite une grande bibliothèque et se demande si c’est de cette bibliothèque dont Alecto parlait dans sa dernière lettre, après plusieurs semaines d’échanges épistolaires au sujet des Horcruxes dont leur Maître se préoccupe beaucoup. C’est tout naturellement et sans gêne qu’il se dirige vers les hautes rangées de livres, et lit leur titre les uns après les autres, non sans perdre en enthousiasme et gagner en déception.

tw: torture, violence contre enfant, canon-typical evilness, sang

Alecto avait été heureuse dans le sud de la France, à chasser une liberté qui lui serait bientôt retirée, à partager son temps entre son frère et divers.es amant.es, pastis à la main et sourire aux lèvres; dans la longue et solitaire existence qu'elle avait vécu jusque là, ce littéral rayon de soleil lui avait appris que la vie, parfois, méritait d'être vécue. Elle y repensait encore, aux sourires maniques que lui adressait Amycus chaque matin, à la saveur anisée des lèvres d'Alessandra, et à la chaleur du soleil sur sa peau pâle quand elle espaçait trop ses baignades. Rien de tout cela n'aurait dû être comparable à la triste campagne écossaise où avait été érigée Hogwarts - et pourtant.
Et pourtant. Alecto vivait la deuxième meilleure époque de sa vie. La seule chose qui séparait le sud de la France du nord de l'Écosse était un trou noir de misère et de torture et de douleur, matérialisé par Azkaban, duquel elle s'éloignait à chaque nouveau jour qui se dressait devant elle. Elle n'était plus jeune (son reflet lui faisait parfois peur), ni belle (si elle l'avait jamais été), mais elle était puissante, ils étaient puissants, tout comme le Lord, revenu d'entre les morts, le seul sorcier étant revenu de la Mort plutôt que de simplement l'avoir esquivée comme Potter. Et Alecto avait la chance de le servir, de le laisser agir à travers elle, pour guider sa baguette, ou le moindre de ses faits et gestes.

Alecto adorait sa vie à Hogwarts. Certes, il n'y avait ni pastis, ni lèvres à embrasser; mais tous les matins, lorsqu'ils prenaient leur petit-déjeuner dans la Grande Salle, Amycus lui adressait toujours le même sourire. Et, souvent, Alecto se surprenait à sourire en réponse. Existait-il bonheur plus simple et pur?

"Now, Mrs Bushwick, you and I both know that there is nothing I can do to alleviate the deep flaw within your own blood. No punishment shall be enough to atone for the very insult of your existence. But perhaps there is a way for you to remember your place... I heard of dearest Dolores' way of making her students remember their lines... I wonder if something of the sort would be appropriate for our little case, here..." Comme toute personne à qui on a donné trop de pouvoir d'un coup, jusqu'à les en rendre dépendants, Alecto s'est aussi découvert une grande passion pour les monologues et autres démonstrations cruelles en tous genres. Il y a peu de choses qu'elle aime tant que voir le visage des étudiants se décomposer et pâlir, en l'attente d'un coup qui finit toujours par tomber. "What about a new tattoo, for the new year? What do you th--"

Elle s'interrompt en tendant la porte de l'antichambre de son bureau s'ouvrir. Pas de toussotement gêné, ni de tête apparaissant dans l'encadrement de la porte; Alecto se lève avec un froncement de sourcils, détournant son regard de l'élève dont les gémissements de douleurs ont été réduits au silence par un sort il y a quelques minutes déjà. "Amycus?" appelle-t-elle d'un ton agacé, contournant la pauvre Bushwick pour sortir du petit bureau, la laissant à sa douleur chronique.

Nombreux sont les élèves à avoir attendu dans cette antichambre, et à avoir écouté leurs camarades se faire torturer en sachant pertinemment qu'ils seront les prochains. Aucun n'a jamais osé déranger les manuels, livres et autres grimoires soigneusement alignés dans les grandes étagères entourant l'endroit. Ce n'est pas un élève qu'elle trouve dans cette pièce, ni son idiot de frère; mais l'autre.
Le visage d'Alecto, tiré dans une expression exaspérée et curieuse, retombe presqu'aussitôt qu'elle croise le regard d'Abram: comme un rideau qui s'abaisse à la fin d'un spectacle. Ses lèvres se pincent, sa nuque craque en se redressant, et ses mains se rejoignent devant elle dans un geste nerveux (elle ne sait soudainement plus quoi en faire) et vulnérable (elle montre ainsi qu'elle n'est pas armée). Toute envie de monologuer ou d'hurler disparaît - la jeune femme taciturne et timorée éclot à la surface comme si elle n'avait attendu que ça pour revenir: le regard lourd de son frère dans le sien, un miroir brisé et détestable.

"You came." Mais malgré tout, contrairement à comment elle maniait ses mots avant, elle ne parvient à complètement gommer toute expression de sa voix; s'y insère sans mal l'étonnement sincère et l'amusement cruel. Elle a gagné son pari: Amycus pensait qu'il n'aurait pas la trempe pour revenir à Hogwarts, en début de période scolaire, peu importe qui l'invitait. "Where are my nieces? I hope taking them away during Yule was worth it. The castle was very dull without them around." Elle lève les yeux au ciel et, sans une pensée pour son élève toujours en train de se contorsionner, ferme la porte de son bureau derrière elle en s'approchant lentement d'Abram. "Will you give me a minute? I lost track of time. I can clean up and then we can get to work." Alecto lève légèrement ses mains, la lippe tirée pleine d'excuses, les doigts pleins de sang. Son regard, quant à lui, est tentatif, hésitant. Abram vient dans le fief d'Alecto et Amycus, et pourtant, elle lui demande permission d'agir; une manière légère de donner pouvoir, choix et respect à son jeune frère, dont elle continue de s'approcher distraitement comme une comète hésitante, mais inévitable.