SEPTEMBER 2007.
cw : mort ; déréalisation Comment est-il arrivé ici ? Combien de temps a passé depuis qu'il a quitté Gabriel et l'Ordre ? Ah oui, il a croisé Fryd. Puis, il est reparti. il marche beaucoup. Mange peu, n'arrive rien à garder à l'intérieur de lui, ni le sang ni les pensées ni le temps.

On est quel mois ?

Le fantôme de Joy le suit partout. Compagnie silencieuse qui le juge de son regard glacial. Le reste lui échappe.

On est quel jour ?

Où se trouve-t-il ? Les forêts se ressemblent toutes  et il évite les villes, la solitude vaut mieux que de se faire attraper. Herbert ne souhaite pas être de nouveau enfermé, tient trop à sa liberté. Même s'il ne sait plus qui il est, où il est, où il va ?

Ah oui, il cherche sa famille. Suit des liens intangibles qui le mènent nulle part. Ici ou ailleurs. Herbert marche et il demande pardon à Joy, s'excuse de n'avoir pu la sauver. Il essaie d'oublier les cris et l'odeur de fer et les corps exsangues.

Est-ce qu'il est encore vivant ? Il peut toucher son corps qui lui paraît palpable, mais peut-être que c'est dans sa tête. Peut-être qu'il n'a pas vu Fryd, peut-être qu'il n'a jamais quitté l'île et qu'il erre entre deux mondes ? Coincé dans un limbo réaliste. Seul. Son enfer personnel.

Ah oui, il sent la faim. Ce besoin de se nourrir. Il a des nausées aussi, et mal partout. Le soleil lui crève les yeux, le silence le terrifie. Herbert parle seul parfois, à voix haute. — Je dois aller à droite, non à gauche. Pardon Joy. Arrête de me regarder. Tu crois que Ansley me recherche ? Je me demande si mon ancienne famille pense à moi. Est-ce que quelqu'un a trouvé mes carnets et continuent mes recherches ? J'avais oublié mes recherches, j'espère que c'est Vera qui est tombée dessus. Et il avance, trébuche dans la gadoue. Au moins le soleil est moins fort sous la pluie.

Ah oui, il pleut. Herbert n'avait pas remarqué les gouttes d'eau qui tombent en trombe sur sa peau, sa chemise lui colle à la peau et son pantalon aussi. Il y a de l'eau jusque dans ses chaussures. C'est qu'il ne doit pas être mort ? Les fantômes de Poudlard passaient à travers tout. Lui passe à travers le temps et l'espace. Ou bien c'est le temps et l'espace qui passent à travers lui ?

ah oui, il entend un bruit. Il devrait aller voir ce que c'est. C'est peut-être sa famille. Quoi qu'il en soit, quelqu'un c'est toujours mieux que personne.— Quelqu'un qui me parle c'est mieux que ton regard accusateur, peste-t-il en direction de Joy.

Les cheveux noirs n'en finissent pas de dégouliner sur le pull usé jusqu'à la corde. Il a même un trou, Dan-bi a essayé de le réparer d'un mouvement de doigts - comme elle l'avait toujours fait - mais ce n'est à peine si les fils ont frémi. Sa magie semble être restée là-bas, sur l'île - pas la sienne, une autre, jamais elle se serait doutée qu'elle haïrait autant un caillou cerclé d'océan - et ce n'est sans doute pas la seule chose qu'elle y a laissé. D'habitude, elle aime bien la pluie - c'est de l'eau après tout - mais aujourd'hui elle a froid, elle est fatiguée, n'a trouvé aucun endroit où s'abriter. Sur l'île - sur les deux îles mêmes - elle savait faire ça : se trouver des abris ou dormir à la belle étoile sans trop se poser de questions, se dépatouiller dans la nature. Maintenant, c'est différent, elle n'ose plus. Ses nuits sont devenues des siestes où elle se réveille en sursaut au moindre craquement, elle a l'impression qu'ils sont là, terrés dans les buissons. Prêts à bondir pour la capturer de nouveau.  

Dans le fond, ce n'est pas comme si ça changerait les choses. Elle a raté le bateau, tout le monde doit la croire morte, allongée sur la plage dans son propre sang - elle avait zigzagué entre des corps comme ça avant de plonger en vain à la poursuite du voilier - et Iseul (ni Conan) n'aura jamais de nouvelle. Dan-bi a hésité à lui envoyer une carte via la poste moldue mais la vérité, c'est qu'elle ne sait même pas quoi écrire. Jeju lui manque, sa vie lui manque, Iseul lui manque et les souvenirs auxquels elle se raccroche depuis plus d'un an sont ternis à force d'être trop remémorés. Une branche craque sous ses pieds et ce n'est pas le seul bruit qui trouble celui de la pluie. Dan-bi en est sûre, elle a entendu une voix. C'est eux, pour de vrai. Elle se cramponne à son couteau (seule arme disponible), elle a un peu les tripes pour s'en servir après un an de Battues, se dit qu'elle le retournera peut-être contre elle pour ne pas se faire prendre encore vivante.

Les pas se rapprochent, Dan-bi se fait la plus silencieuse possible alors qu'elle se glisse derrière un arbre. Avec un peu de chance, on lui passera devant sans la voir (elle a maigri, les selkies qui l'ont sauvée de la noyade au large de Gracefield non pas réussi à la remplumer tant que ça, elle ne dépasse même pas du tronc), avec un peu de chance...

Minute.
Elle le connait lui.

"Herbert !" Le soulagement est plus que palpable alors que les questions se bousculent. Pourquoi ? Comment ? Et bientôt les yeux s'embuent de larmes alors qu'elle se précipite vers l'hémovore pour l'enlacer, s'attendant à ce que ses bras passent au travers. Mais non, elle sent les os de l'autre dans son étreinte, son odeur lui fait froncer le nez (elle s'est habituée à la sienne) et les souvenirs de Gracefield reviennent par vague. La saleté, les visages trop familiers à force de vivre toujours en meute, la peur qui ne l'a jamais vraiment quitté. Avant, Dan-bi croyait que la vie était belle au moins cinquante pourcent du temps, quand la lune était dans sa bonne phase. Maintenant, elle ne croit même plus en ses propres yeux. "C'est vraiment toi ? T'es vraiment là ?" La dernière personne à qui elle a parlé est une vieille moldue à la mine renfrognée. Elle l'a prise en stop sur six cents bornes avant de laisser Dan-bi avec un paquet de biscuit trouvé dans la boîte à gant, un numéro de téléphone au cas où et une direction approximative vers le Devon. Cela remonte à une semaine, depuis la sorcière a tourné en rond, son sens de l'orientation n'est pas si bon.   

C'est le bruit sourd de deux personnes qui s'entrechoquent. Lui qui chancelle, son corps qui manque de casser, ses bras qui se referment instinctivement contre le corps pas complètement identifié. Une odeur qu'il connaît, l'odeur de la mer se mêlant à la pluie, l'odeur de Dan-Bi. Ce sont ses cheveux noirs mouillés qui collent à ses doigts. C'est sa voix qui dit son prénom.

Les pièces se rassemblent, le monde s'arrête de tourner, ou plutôt il continue sa ronde mais Herbert repart avec lui. Ça se stabilise un peu, et l'image de celle qu'il n'a pas pu sauver s'évapore derrière les gouttes d'eau, un rideau de pluie qui se fracasse contre le sol.

— Oui c'est moi. En chair et en os. Plus en os que chair d'ailleurs. Ça fait du bien de parler à quelqu'un de vivant, tu n'as pas idée. Du moins, il espère qu'elle est vivante. Attends... Dan-Bi n'était pas avec eux sur le bateau ni à la Fawkes où ils ont parqué les blessés ; pour ce qu'Herbert en sait, elle n'a peut-être jamais quitté leur prison ? A-t-il troqué un fantôme pour un autre ?

Ses mains se posent sur les bras de la sorcière, et il la fixe en plissant des yeux après avoir reculé d'un pas. Il la dévisage sous toutes les coutures. S'il peut la toucher c'est soit que c'est bien elle, soit que ses hallucinations deviennent de plus en plus réelles et donc de plus en plus inquiétantes. — Et toi ? T'es vraiment là ? Et bien vivante ? Et bien réelle ? T'as l'air bien réelle, tu fais quoi ici au fait ? Et on est où ? Sa tête se penche sur le côté, Herbert ne la lâche pas, garde le contact qui est peut-être la seule chose qui le maintient au sol.

Sans elle, il s'envolerait.
Je crois que je suis perdu, ajoute-t-il après coup en regardant à droite (des arbres), à gauche (d'autres arbres), en face (Dan-bi). Comment tu as fait pour t'échapper ? Je t'ai cherchée mais t'étais pas avec nous ? Tu as vu Joy ? Sauf qu'il sait que ce n'est pas possible, parce que tous ceux qui étaient avec lui l'ont vu être frappée par un sort et Herbert se ruer vers elle et lui enfoncer ses crocs dans le corps, en vain. Et son corps devenir inerte. Et Herbert, incapable de bouger. Et, ça y'est il sent l'odeur, a envie de vomir mais n'a plus rien à extirper de ses boyaux ? — Est-ce que tu sais quel jour on est ?

Toutes les phrases s'enchaînent, ses mains tremblent contre les membres de Dan-bi, ses pensées fusent et jaillissent en cascade de ses lèvres trop pâles. Elle sent bon, il a faim, n'a pas faim en même temps, toutes ces odeurs le répugnent.

Elle rit à la blague d'Herbert - en est-ce vraiment une ? l'étreinte est loin d'être moelleuse - et elle constate que ça fait une éternité qu'elle n'a pas ri. D'ailleurs, cela sonne un peu bizarre, un peu désespéré aussi. La pluie redouble d'intensité et Dan-bi se dit que le spectacle ne doit pas être fameux. Deux silhouettes rachitiques, en guenille, ruisselant de concert (très peinture romantique du dix-neuvième). Elle n'a pourtant pas très envie de lâcher le vampire (ça fait aussi une éternité qu'elle n'a pas croisé un visage connu). Brune se laisse dévisager et un sourire s'étire sur ses lèvres alors que les questions fusent. "Oui, oui, je suis bien là !" Bien vivante, elle n'en est pas trop sûre, elle-même a encore du mal à croire qu'elle a réussi à s'en tirer (et encore plus de mal à croire qu'elle vient de tomber sur un ami qui avait lui aussi une probabilité de mort loin d'être négligeable en pleine forêt). "Je me suis perdue aussi... J'allais vers le Devon mais -" Elle s'interrompt pour rire de nouveau, rien ne lui semble grave d'un coup. Elle n'est plus seule.

Cela finit par mourir dans sa gorge en même temps que ses souvenirs la ramènent sur la plage, face au bateau qui s'éloigne sans elle - jamais elle ne s'est sentie aussi désespérée et aussi foutue (elle se dit que ça doit être ça que les gens ressentent juste avant de mourir après avoir tapé une action conne qu'ils ont regretté immédiatement) - et qu'elle a tenté de rattraper en vain. Quant à Joy... Elle remet un visage sur le prénom et.. Rien. Elle ne sait rien. de qui a survécu, de qui est mort. Juste elle. Et Herbert maintenant. Elle secoue la tête, pas de Joy. "J'ai raté le bateau." Comme on rate le ferry pour Jeju. Peut-être qu'avant, elle en aurait pleuré mais il ne lui reste plus vraiment de larme (et les gouttes de pluie roulant sur son visage donnent déjà l'impression qu'elle pleure). "Il y avait une communauté de selkies pas loin de l'île" - ils s'étaient bien gardés de se montrer avant la fin - "ils m'ont aidée." Sauver de la noyade même, une honte pour une haenyeo.

L'interrogatoire continue et elle sent Herbert trembler contre elle sans qu'elle ne puisse y faire grand chose à part le fixer avec toujours un reste d'incrédulité au fond des yeux. Le jour ? "Mardi ? Je crois ?" Elle tente, une chance sur sept, c'est pas mal déjà (un bon pronostic même). Avant-hier, elle a longé une route déserte (dimanche donc) puis elle s'est enfoncée dans la forêt et elle est plus naïade que dryade (elle n'a aucun sens de l'orientation surtout, en dehors des îles qu'elle finit par connaître par sa poche). "Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ?" On me cherche ? se demande-t-elle aussi sans oser le demander. Il y avait qui dans le nous que tu as mentionné ? Elle a peur de la réponse que ça amènerait, elle veut attendre juste un peu avant d'arracher le pansement, profiter du miracle d'avoir croisé Herbert en plein coin paumé. "T'es perdu depuis longtemps ?" Elle, ça fait des jours.

Elle confirme qu’elle est bien là, et à bien y réfléchir Joy ne parle jamais, se contente de le fixer de ses yeux accusateurs. Les lèvres pincées. Elle le suit partout, ne disparaît que lorsqu’il est rejoint par d’autres vivants … Ah mais oui tiens c’est vrai ; Herbert continue d’observer et ne voit pas l’ombre d’une Joy, plutôt bon signe. Une question de répondue, dix autres qui attendent leur tour. Ou plutôt non, puisqu’il les déverse en cascade sans laisser à personne le temps de respirer. Pas qu’il en ait encore besoin. Mais Dan-Bi si.

Les gouttes tombent entre et autour d’eux. Cela ne suffit pas à laver les péchés. La culpabilité en est-elle un ? Les pensées s’échappent. Et son regard vacille, glisse au loin avant de se reporter sur le visage de Dan-Bi à chaque fois qu’elle reprend la parole.

— Le Bateau ? Tu veux dire qu’ils-qu’on qu’ils ne t’ont pas attendu ? Putain… Ses sourcils se froncent. Sa barbe de quelques jours - le nombre de jours qui le sépare de Fryd - le gratte. Je suis content que tu ai trouvé des gens pour t’aider.

Mardi. Okay, on est bien avancé. Mardi cela avait du sens avant, quand il travaillait et que c’était le jour où miss Flue venait récupérer sa prescription. Aujourd’hui, ce n’est qu’un mot comme un autre. On pourrait aussi bien être mardi que samedi que jeudi. Herbert n’en reste pas moins paumé.

A un moment, Herbert lui sert un peu trop les bras, à peu près au moment où Dan-Bi lui demande ce qu’il fait ici. Il s’excuse, bredouille, la relâche mais ne s’éloigne pas trop. Il ne savait pas qu’un vivant-presque-mort pouvait à ce point rechercher le contact humain. C’est tout ce qui l’obsède - depuis toujours certes, mais encore plus depuis qu’il est tout seul, perdu. S’il arrête de la toucher, est-ce qu’elle va continuer d’exister ? — Longtemps, oui. Peut-être ? Plusieurs jours. Ou en semaine. Je sais pas, j’ai un peu perdu les pédales, je crois que je ne suis plus tout à fait là. Mince, il va la faire fuir. Mais le discours ne se tarit jamais, trop de jours à parler dans le vide et le vent. J’ai quitté l’Ordre et je ne peux plus rentrer maintenant. C’est tout flou. Je cherche ma famille. Enfin ma deuxième famille, première famille plutôt maintenant. Ma seule famille en fait. Mais j’ai l’impression de tourner en rond. Il y a quoi dans le Devon ?

Non de la tête - ça fait bouger ses cheveux, faisant tomber quelques gouttes - le bateau s'est éloigné sans elle et Dan-bi a eu beau faire de grands signes de bras, ils ne sont pas revenus la chercher. "Je n'avais qu'à pas être en retard..." Elle faisait quoi d'ailleurs plutôt que de courir vers la plage (elle y était tout le temps d'habiture) ? Les souvenirs de Dan-bi sont flous et le dernier jour apocalyptique se mélange avec les jours de battues ordinaires. Elle est aussi perdue dans ses souvenirs que dans la vraie vie. "C'était normal de ne pas m'attendre" ajoute-t-elle, comme pour préciser que non, elle n'est pas trop dure avec elle-même, que c'est un fait, pas un jugement. "Il fallait partir vite." Sinon, ils les auraient rattrapés. Ou peut-être pas. Elle ne sait même pas comment ça s'est fini pour l'autre camp. Très mal elle espère (Gracefield lui a appris la haine, la vraie, pas la colère contre les touristes qui détruisent Jeju ou encore celle teintée de tristesse qu'elle éprouve quand elle repense à la fin de sa mère). "Tu y étais toi ? Sur le bateau..."

Elle dévisage Herbert, il a le même air paumé qu'elle (enfin elle l'imagine) et le regard un peu fou. Il sert trop fort ses bras au point que Dan-bi a mal puis il la lâche et Dan-bi regrette presque. Trop longtemps qu'elle est seule (même lorsqu'elle a parlé aux moldus qui ont croisé sa route, elle se sentait seule, ils ne savent pas eux) ; trop longtemps sans contact humain aussi sans doute. Dan-bi voit tout à fait ce qu'Herbert veut dire. Plus tout à fait là, elle n'a jamais été tout à fait là. "Je comprends" souffle-t-elle entre les gouttes. "On finit par s'habituer." Quoiqu'elle n'en sait rien, elle c'est de naissance, inclus avec les facilités pour la métamorphose. Son regard se fait moins vide quand il mentionne l'Ordre, elle a presque l'élan nécessaire à lui poser LA question. Conan ? Mais elle ne le fait pas, elle a l'impression qu'elle en a perdu le droit (elle le cherchera quand ça ira un peu mieux, quand elle ne sera plus un mélange de honte de l'échec et de cauchemars des Battues). "Tu finiras par les trouver. Les îles, on en fait vite le tour !" Et ses lèvres s'étirent à sa blague (nulle, mais elle a quasi quarante ans, elle a le droit de faire des blagues de daron(ne)). Deux fois en l'espace de quelques minutes qu'elle rit, elle en a presque mal au ventre (elle a presque envie de rire plus tellement sa situation lui semble absurde, partie comme ça à la chasse aux trésors avec rien de plus comme indication qu'un nom de région). "Il y a un cirque.Tu te souviens d'Artémis ? Elle venait de là-bas et elle disait qu'ils accueillaient tout le monde. Tu pourrais venir aussi. Le temps de se reposer un peu." Qu'elle se sente moins seule à mettre la recherche de sa famille entre parenthèse. "Tu sais par où ta famille est ?"

Normal. Non, ce n'était pas normal. Rien n'était normal ce jour-là. Rien ne l'était avant. Cela fait combien de temps que normal ne fait plus partie de son vocabulaire ? Herbert n'a jamais trop apprécié ce mot pour l'avoir tant de fois entendu prononcé par les lèvres strictes de sa mère. Ce n'est pas Normal Herbert. Il veut rouspéter, la houspiller, mais Dan-Bi n'est pas sa mère. Et puis, il a déjà oublié de quoi ils parlaient. Ah oui, du bateau. — Oui. C'est un peu le brouillard. Joy est ... Il y avait Joy et .... Enfin, je me souviens plus après. Je crois que Gabriel a dû me porter. Rozhan aussi. Je sais plus, mais ensuite il y a eu le bateau. Et l'Ordre. Non, ce n'est pas normal, mais en même temps avaient-ils le temps de compter les absents ? Entre les trop blessés et les disparus et la cohue ? Avaient-ils d'autres options ? Tout de même, on ne laisse pas des gens derrière.

Dan-Bi est là. Elle a survécu.

Et elle comprend. Il ne pouvait pas parler à Gabriel, les mots se perdaient dans sa honte. Gabriel l'a vu échouer trop de fois pour qu'il ose encore soutenir son regard. Fryd ne comprenait pas, n'aurait pas compris. Joy comprend, mais elle n'est pas réellement là. Un mirage, une hallucination, un fragment de sa culpabilité qu'il doit porter tout autant que le bijou qu'elle lui a passé. Pourquoi elle ? Pourquoi lui ? Pourquoi eux ? Dan-Bi comprend. Et ça fait un bien incroyable que quelqu'un d'autre comprenne. A tel point qu'une larme coule contre sa joue - masquée par la pluie - et que sa main retourne se poser sur le bras de Dan-Bi. Elle comprend et elle est vivante. Pas comme l'autre. Elle lui parle et elle rit et Herbert rit aussi, un vieux grincement de porte mal huilée, gorgée d'eau, toute gondolée.

Il y a un cirque. Qu'est-ce qu'il irait faire dans un cirque, il n'a pas trop envie de s'amuser ces derniers temps, Herbert doit trouver ses parents. Il sent la tension du fil invisible se tordre à l'idée d'aller vers le cirque. Pas maintenant. Artémis ? ah oui, pas la déesse, l'autre. —Qu'est-ce que tu vas faire dans un cirque ? J'ai pas trop envie de m'amuser ces derniers temps. Je dois trouver mes parents. Son regard se perd vers la forêt. Il ferme les yeux, se détourne de celle qui est présente. Il les rouvre, c'est bon elle est toujours là. Les ferme à nouveau, se concentre encore et encore et Herbert tend la bras et pointe du doigt. Ouvre les yeux, elle est encore là. Elle est par là ma famille. Je crois. J'étais pas un très bon fils avant. Je suis pas un très bon hémovore maintenant. Mais je crois que je les sens. Par là. son bras retombe mollement le long de son corps. Frissonnerait-il si le froid pouvait encore l'atteindre ? Si tu veux, on peut faire un bout de chemin ensemble ?

"L'Ordre" répète-t-elle d'une voix étrange. Qu'Herbert le dise deux fois n'a pas suffit, il faut que les syllabes passent entre ses lèvres pour que Dan-bi réalise ce qu'elle a loupé. En plus du bateau, la promesse de peut-être retrouver Conan. Elle sent sa poitrine se serrer et toute chaleur quitter son corps. A ce moment précis, elle est plus froide que n'importe quel hémovore et ce n'est peut-être pas juste le froid qui la fait trembler. Brune se concentre sur sa respiration pour la calmer un peu, sur Herbert et ses questions pour ne pas penser à elle, au moins quelques instants. Ni à Conan, peut-être était-il même sur le bateau et Dan-bi, pas fichue de courir plus vite (il aurait fallu voler pour le rattraper mais elle s'en veut quand même).

Son plan lui semble un rien ridicule maintenant qu'elle en parle à haute voix (peut-elle dire qu'elle a trop honte pour ne serait-ce que chercher l'Ordre ? que cela lui semble tellement au-dessus de ses forces que rien que d'y penser lui donne l'impression qu'une montagne s'écrase sur sa poitrine ?) Qu'est-ce qu'elle allait y faire dans ce cirque, hein ? Plus Pierrot qu'Arlequin, plus serpillière que Pierrot même (et l'amusement lui semble un concept lointain). "Je sais pas... C'est le seul endroit où je pourrais aller je crois. Je suis si loin de chez moi." Le constat la frappe comme un poing dans la gueule. Même les arbres qui les protègent lui sont étrangers (ce n'est même pas les mêmes qu'à Gracefield). Et quand Herbert parle de sa famille, le visage d'Iseul refait surface dans l'esprit de Dan-bi et ça lui colle la nausée alors même que son estomac est vide. Elle arrive quand même à hocher la tête, elle ne veut plus rester seule, ne peut plus rester seule. "Oui, faisons ça !" Et, égoïstement, elle espère même qu'ils trouveront le cirque avant de trouver les parents d'Herbert, pour ne pas revenir à la solitude. Peut-être plus tard, quand ça ira mieux, là elle lutte pour ne pas de nouveau étreindre le vampire dont la maigre silhouette reste presque moins filiforme que la sienne.

"Par là ?" demande-t-elle, pointant à son tour la direction indiquée. Elle hume l'air mais ne sent rien à part l'odeur de la pluie sur la végétation et le bitume (tiens, ils ne sont peut-être pas si loin d'une route), ne voit rien de particulier non plus. "On peut peut-être se trouver un abri, faire un feu..." Maintenant qu'ils sont deux, Dan-bi redevient un peu fonctionnelle, comme elle est toujours un peu plus fonctionnelle quand il faut s'occuper de quelqu'un et pas que d'elle même. Elle se met à avancer et les premiers pas lui rappellent à quel point ses pieds sont gelés et que ses chaussures déjà usées par les Battues sont bonnes à jeter. La selkie manque d'en perdre une dans la boue, manque de glisser aussi mais elle continue d'ouvrir la voie dans son regain de volonté.

"Je suis si loin de chez moi." Les mots résonnent dans sa boîte crânienne, s'entrechoquent contre les parois, rebondissent en prenant de plus en plus d'ampleur sonore. C'est où chez lui ? Avant, il croyait que c'était son duplex au dessus de la boutique familiale. Il pensait que c'était un lieu débordant de possessions matérielles. Ensuite, il a cru que c'était là où se trouvait Gabriel, chez soi était une personne. Maintenant, il ne sait plus très bien. Il erre en espérant découvrir la réponse comme une évidence. Peut-être que lorsqu'il verra ses parents, Herbert saura. Peut-être qu'un chez soi cela n'existe pas vraiment ou en tout cas pas pour lui. Dan-Bi, elle, a l'air de savoir. Il faudrait qu'il lui demande.

Trop tard, il pointe du doigt une direction un peu au hasard, celle que lui indique son instinct, quand il entend le mot famille. Même si Herbert n'est pas bien certain de savoir ce que c'est non plus qu'une famille ou d'en avoir toujours une.

Il est soulagé quand la sorcière accepte de faire un bout de route avec lui. Herbert n'a jamais aimé être seul et il le préfère encore moins depuis que sa solitude s'accompagne de Joy. C'est plus facile de marcher en suivant ses pas. La pluie tombe toujours à grosses gouttes sur sa peau, Herbert ne ressent plus le froid. Parfois, il a l'impression de ne plus rien ressentir du tout. Et puis, ses pieds s'enfoncent dans la gadoue, et ça colle et c'est un peu dégoûtant et ça le rassure. Il ressent toujours au moins ça. Dan-Bi manque de tomber devant lui, et il veut la rattraper, mais ne va pas assez vite. Tout est plus lent. Et Herbert ne sait pas si c'est à cause de la fatigue ou du détraquage de sa magie. Il fait deux grandes enjambées pour rejoindre Dan-Bi, passe son bras autour du sien autant pour l'empêcher de tomber que pour se rassurer encore sur le fait qu'elle est bien là que pour le simple besoin de sentir la tangibilité de quelqu'un contre la peau de ses doigts. "Un abri c'est pas une mauvaise idée. Mais tu sais faire du feu toi ? Tu as récupéré une baguette ? Ah mais attends, ta magie fonctionne à toi ?" C'est reparti pour un tour de questions tandis qu'ils avancent entre les arbres, ils s'enfoncent un peu plus dans la forêt en direction du lien qu'il ressent au niveau de ses tripes et les arbres ont au moins le mérite de les couvrir du plus gros de l'eau.

Bras dessus, bras dessous, comme des collégiens. Avec la boue qui macule leur pantalon détrempé et qui fait comme un bruit de succion à chaque pas. Ça. Et la pluie. Et l'orage. Il ne manque plus que le bruit de cloche eu loin et l'on se croirait un samedi. La constatation la fait frissonner et Dan-bi resserre sa prise autour du bras maigrichon d'Herbert, elle est maintenant à peu près sûre qu'il ne se volatilisera pas mais quand même. "Je n'ai jamais eu de baguette" dit-elle distraitement, concentrée sur là où elle met les pieds (maintenant, si elle se loupe, ils seraient deux à tomber). Si les arbres les protègent des gouttes, le sol en est pas moins imbibé d'eau. Elle pourrait presque se transformer pour nager plus que marcher, seule prouesse magique qu'elle réussit encore d'ailleurs. "Et je sais faire du feu" - entraînement Gracefield, entraînement gamine qu'on a laissé grandir en plein air aussi - "mais tout est trempé." Là, il y aurait besoin d'un sort et elle n'arrive même plus à imperméabiliser ses vêtements pour se maintenir au chaud... Il faudrait peut-être rejoindre la route et demander de l'aide aux moldus mais leur dégaine hurlait qu'ils ne pouvaient rien payer. "Et toi ? Ta magie ?" Elle demande sans trop y croire, quand elle regarde Herbert, elle s'y voit : tout en os, épaules basses, regard vide, magie en grève.

"C'est pas grave !" déclare-t-elle soudain, élevant la voix pour couvrir le bruit de leurs pas fatigués. "L'essentiel, c'est de se mettre au sec et de manger un peu." Elle a le ton rassurant qu'elle emploie avec Iseul quand la situation transforme les adolescentes grandes gueules en enfants désarçonnées, lorsqu'il faut juste faire semblant que ça irait pour que ça aille un petit peu mieux. Dan-bi capte après ce que manger pour un vampire signifie (mais elle a déjà donné son sang à Gracefield, elle n'est plus à une fois près). "Tu t'y connais en plante, non ?" ajoute-t-elle doucement, sous-entendant le deal. Il lui trouve des racines à bouffer (jamais très bon mais toujours meilleur que les miettes de biscuits trempées tapissant le fond de ses poches), elle lui fournit le sang. Ne manque plus que l'abri alors maintenant, elle marche les yeux tournés vers les cimes, à la recherche d'une cabane de chasseurs quelconque.

Ils pataugent pendant une éternité (à peu près) parmi les arbres tous pareil. Dan-bi y voit de moins en moins et ses pas alourdis par la boue sont de plus en plus hésitants. Elle meurt d'envie de demander à Herbert si ils ne sont pas bientôt arrivés, si ses parents voudraient bien qu'elle reste dormir sur le canapé, si ils atteindront vraiment la destination. Elle voit la scène comme un mirage : la table couverte de victuailles dans une salle illuminée par un feu de cheminée, la famille autour, rayonnante de bonheur provoqué par le retour du fils prodigue. Elle invente les visages - semblables à celui d'Herbert mais pas tout à fait -, ajoute celui de sa fille dans l'assemblée puis elle sent ses pieds se dérober sous elle et tout son corps glisse dans la boue. Splash. L'illusion s'est dissipée, elle ne veut plus jamais se relever. Elle finit quand même par pointer un doigt lasse vers une échelle en corde suspendue à un arbre. Au moins, ils ont trouvé leur abri.