Quand il a entendu pour la première fois la rumeur, il a vraiment cru qu’on le faisait marcher. Que quelqu’un, pendant tout ce temps, l’avait observé et attendait dans un coin de sortir ce bail du chapeau juste pour voir sa réaction. ”Non mais je t’assure, je me souviens bien de lui, avec ses yeux clairs là. C’est lui je te dis.” Rubén avait plissé les yeux, balayé l’idée même que cela puisse être vrai d’un revers de main et avait fini par insulter son camarade rebelle en disant que ce genre de blague n’était vraiment, mais alors vraiment pas drôle.

Caleb ne pouvait pas être de retour à l’Ordre. Pas après toutes ces années. Pas avec toutes les raisons qui l’avaient poussé à retourner auprès de sa famille et de la société sorcière des années auparavant. Rubén est bien placé pour le savoir, parce qu’ils en ont beaucoup discuté, à l’époque. Ce n’était pas facile, ces discussions : elles étaient longues et éprouvantes. Le plus âgé était constamment partagé entre son envie de comprendre le besoin de retrouver les siens et de quitter la vie de fugitif, et le sentiment vif, égoïste sûrement, mais profondément viscéral, de garder Caleb à ses côtés. Rubén est connu pour être un petit teigneux, prêt à se battre pour ce en quoi il croit et pour ceux qu’il aime. Il s’est battu, quand Caleb a voulu partir - mais plus contre lui-même que contre le principal intéressé. Le pire, c’est qu’il savait qu’il avait perdu avant même d’essayer de convaincre Caleb de ne pas les quitter. Trop de choses se mettaient entre eux. Trop de choses. Parfois, quand il ne parvient pas à dormir, il se dit qu’il aurait dû essayer plus fort. Rubén a rangé le sujet derrière lui depuis longtemps - ou du moins il s’est persuadé qu’il l’a fait. Il y a d’autres chats à fouetter.

Quand une deuxième personne, quelques jours plus tard, lui a mentionné l’ouverture d’une nouvelle planque avec des personnes fraîchement débarquées de la société sorcière, il a à peine levé un sourcil. Mais quand Peter, un cercle 5 qui habitait à l’époque à Wolverhampton dans la même baraque qu’eux, lui a demandé s’il était content de retrouver un visage familier, alors son sang n’a fait qu’un tour, et il a fallu qu’il aille vérifier par lui-même.

En tant que cercle 5, il peut se permettre de débarquer dans de nouvelles planques, s’il le veut. En tant que cracmol, c’est souvent un peu plus complexe. Parce qu’il faut se déplacer, et ensuite, il faut déjouer les systèmes de sécurité sorciers. Du coup, un peu saoulé, il s’est plié à tout le processus de demande d’accès, de recherche d’un portoloin ou d’un sorcier prêt à le faire transplaner et a dû accepter qu’on prévienne la nouvelle planque qu’ils auraient de la visite. Ben voyons. Il va avoir l’air d’un sacré con si on s’est payé sa tête depuis le début. Au pire, (se dit-il alors qu’il transplane avec un autre Cercle 5 le jour j, un peu plus nerveux qu’il aimerait l’admettre) il mettra son masque de techos et prétextera qu’il est là pour installer des trucs. Les sorciers sont complètement clueless de toute manière, il n'aura qu’à bidouiller des fils et à repartir comme une fleur.

On le laisse devant la porte et il se retourne, l’air de dire euh? ok, je me débrouille, du coup? et prend une inspiration. Il est saoulé quand il est nerveux. Le moindre truc le tend. Il faut qu’il respire. Allez. Il frappe à la porte et attend, les mains plongées dans sa veste et le visage aussi impassible que possible.

La vie au Vicarage était parfois si tranquille que Caleb en aurait presque oublié la situation dans laquelle ils étaient réellement. Les choses s’étaient beaucoup accélérées dans les dernières semaines avant leur départ et tout avait été énormément angoissant. C’était à prévoir, de toute façon, mais la réalité l’avait tout de même frappé de plein fouet. Cette fois c’était réel, il n’y aurait pas de retour en arrière possible, pas de doutes à avoir. Il avait laissé un mot dans la demeure familiale, afin d’avertir ses frères de son départ. Il savait que la nouvelle ne serait pas prise de façon égale pour tous, il savait aussi que, même sans donner aucun détail, certains comprendraient, d’autres non, qu’ils seraient sans doute déçus, ou énervés, qu’ils penseraient qu’il était parti comme un lâche. Ils n’auraient pas tort, même si derrière son départ précipité se cachait justement une volonté de ne pas les revoir. Les adieux auraient été trop douloureux, et Caleb savait bien que quelqu’un aurait essayé de l’empêcher de partir, par quelque moyens que ce soit. Mais il était parti, pour de bon, cette fois. L’arrivée à l’Ordre avait donné lieu à quelques semaines de transition plutôt complexe, mais celle-ci avait laissé place au Vicarage et à une atmosphère beaucoup plus tranquille que ce qu’il aurait pu imaginé. La vie n’était pas subitement meilleur, mais les débuts de leur dessein étaient relativement calmes, l’endroit aussi, c’était le but, et les quelques travaux de rénovation, les diverses fleurs qu’Hannah avait voulu planter dans le jardin (il n’y accordait pas vraiment d’importance, et il ne voyait pas les différences de couleurs, si ce n’était une différence de ton, parfois, mais Hannah s’obstinait à lui demander son avis), et la sensation de faire enfin quelque chose de réel, d’utile, rendait tout cela bien plus agréable.

Tout était si calme qu’il en avait presque sursauté quand quelques coups s'étaient fait entendre à la porte alors qu’il passait dans un couloir proche. Michael avait tendance à entrer sans frapper, et les quelques résidents faisaient de même et les autres visiteurs se faisaient plutôt rares.
Il s’arrêta un instant devant la porte et fut surpris par la faible lueur qui s’infiltrait par dessous la porte. Habituellement, le flux magique des sorciers et hybrides était bien plus intense que ce qui se dessinait devant ses yeux. Il n’était même pas certain d’y voir un réel flux et pas seulement un effet de lumière. C’était rassurant, néanmoins, il pourrait se défendre plus facilement si le besoin s’en faisait ressentir. Il attendit une seconde avant de poser sa main sur la poignée, et d’ouvrir la porte d’entrée de l’édifice. L’homme qui attendait sur le parvis était sans doute la dernière personne qu’il aurait imaginé voir devant sa porte. “Oh,” il murmura bêtement après un instant. C’était bien Rubén, plus vieux, mais toujours avec la même allure dont il se souvenait. Ils ne s’étaient pas donné de nouvelles depuis des années, et si cela aurait mentir de dire que l’idée de le croiser à l’Ordre, d’une manière ou d’une autre n’avait pas traversé son esprit, il ne s’était tout de même pas attendu à ce que cela arrive vraiment, encore moins si rapidement. “Uh, are you” il reprit avec confusion, alors que ses yeux s’étaient fixés dans ceux du cracmol, “what are you doing here?” Il grimaça à l’entente de sa voix, plus sèche qu’il ne l’aurait espéré. “I mean, do you want to come in?” il demanda, avant d’ajouter avec un léger sourire “it’s been a while.” Il n’avait aucune idée de comment prendre la visite de Rubén, après tout, ça n’était pas tous les jours qu’il se retrouvait confronté à quelqu’un qui avait laissé un si grand impact dans sa vie.