Tournée des Papa pour Mallory. Après le sien, le vrai, le seul et l'unique, avec plus de trois mois de retard parce qu'elle n'avait pas trop su comment aborder sa disparition (ils l'avaient cru morte et quand elle avait tout déballer de but en blanc avec un sourire de meuf qui en avait vu d'autres, ils avaient bien failli la taper mais le huit contre un, c'était trop déloyal même pour les Lopez), venait celui récolté en chemin à l'Ordre. Moins militaire, plus rockeur qui s'exilait dans un trou paumé pour élever des chèvres et se reconnecter avec la nature maintenant qu'il avait troqué l'héroïne pour le xanax (simple hypothèse, elle aimait bien inventer des vies aux gens). Elle avait procédé un peu avec la même méthode, changeant juste de téléphone. Un pour le monde moldu, un pour l'Ordre, avec le numéro scotché sur chaque comme les dealers (sauf que c'était des faux numéros pour tromper les gens, oui c'était inutile). Un "Allooo, c'est Mallooo" des plus nonchalants, limite elle collait le combiné à une radio diffusant I'm alive pour le troll, suivi d'un "Quand qu'est-ce qu'on se voit ?" avant de noter le rendez-vous dans son agenda au stylo vert (couleur signifiant chose pas trop reloue). Le trajet jusque Dungeness fut soigneusement préparé, Mallory ayant sorti une vieille carte de l'Angleterre pour mettre des croix à ses différentes étapes de transplanage (avec ses soucis de magie, elle préférait être prudente, ne voulant pas finir manchote et faisant donc plusieurs transplanages d'affilé plutôt qu'un seul sur une grande distance) ainsi que trois plans au cas où ça tournerait mal, le pistolet emprunté à un de ses frères dans le sac à dos et une liste de question à poser à Rafe pour s'assurer que c'était toujours bien Rafe et pas un mangemort déguisé en Rafe. Vigilance constante comme disait son prof de Défense Contre les Forces du Mal qui s'était avéré être la force du mal (un détail). Le jour J, il n'y eut pas d'embuscade et la brune se retrouva à l'heure dite sur le pas de la porte de Shepard. Habillée à la moldue, rien ne trahissait son séjour à Gracefield. Les kilogrammes étaient repris, les nuits étaient faites sans qu'aucun son de cloche ne les gâche. Elle sonna, attendit qu'on vienne l'ouvrir en regardant une petite araignée toute mignonne tisser sa toile dans l'encadrement de la porte. Faudrait qu'elle s'intéresse à l'animagie tiens, ça pourrait être drôlement pratique pour s'infiltrer de partout et ça lui ferait une ligne de plus sur son cv de teigne.

Rafe n’avait pas perdu son fils, celui-ci n'était pas mort d’une overdose en 2003. Il y avait pourtant cru longtemps, jusqu’à ce qu’appeler tous les hôpitaux sorciers et moldus de Londres et de Manchester en équipe avec son ex-femme (un rare moment d’entente) ne mène à rien, pas une piste, rien. Le gamin avait donc soit quitté le pays, soit on l’avait fait disparaître, et Rafe connaissant plutôt très bien le réseau d’évacuation du Royaume-Uni, il avait finalement opté pour la deuxième théorie sans savoir si elle signifiait la mort ou autre chose. Autre chose comme quoi, il n’en savait trop rien non plus, Andy aurait aussi bien pu avoir des problèmes avec un dealer que faire une mauvaise rencontre ou passer en terre sorcière et y rencontrer des problèmes, et Rafe avait encore eu beau fouiller chaque recoin de la ville et interroger tous les minables qui servaient d’amis à son fils, il n’avait jamais rien su de ce qui lui était arrivé.

Mais ça c’était avant, il savait désormais que tous ces gens avaient été parqués sur une île comme des Robinson Crusoe de l’extrême et chassés, et le pire était que c’était son gosse qu’on avait envoyé là-bas. Cela faisait un moment que Rafe n’avait pas été remonté, il se contentait depuis des années de donner des directives pour la parution du prochain numéro de the Blockhouse et d’organiser les passes; le dernier article signé de son nom remontait bien à trois ans. Rien n’avait eu le don de lui redonner envie d’attaquer et de sa battre, trouver l’énergie de laminer le gouvernement par des mots chargés de venin était difficile et Rafe n’en avait plus envie.

Ça aussi c’était avant, avant que son téléphone n’affiche Mallory et qu’il n’entende sa voix à l’autre bout du fil. Sa disparition à elle avait été plus facile à élucider, elle était une résistante, Rafe l’avait présumée morte ou condamnée à subir un sort encore pire, une photo d’elle avait tout de même été publiée dans la rubrique des disparus et des défunts du journal parce que quoi qu'il lui soit arrivé, personne ne revenait intact d’une arrestation par le VB. Sauf Mallo et ses acolytes qui avaient séjourné sur l’île des ‘Horror Games’ (Gracefield, Rafe avait appris par un contact). Il avait été ému au téléphone, muet pendant un moment en entendant le ton nonchalant de la gamine qui était exactement le souvenir que le journaliste avait d’elle. A la question, il avait répondu "dès que possible" puis avait été annoncer à Rachel qu’Auntie Mallo passait à la maison.

Contrairement à lorsqu’il attendait la visite d’Andy, Rafe était cette fois certain que Mallory ne lui ferait pas faux bond, aussi avait-il attendu sereinement qu’on frappe à la porte en relisant l’article d’un confrère. Il attrapa sa baguette en se levant, habitude héritée des premières heures de fuite où l’on attendait presque les flics à chaque minute de la journée – esquissa un grand sourire lorsque ce fut bien Mallo en chair et en os qui apparut sur le perron. Rafe était surpris du peu de changements chez les survivants des Battues, il aurait pensé que de tels sévices laisseraient des traces flagrantes sur un visage. Et bien il se trompait.

- Hey kiddo, dit-il d’un ton grave et serré par l’émotion. Il la prit dans ses bras brièvement et s’écarta de l’entrée avec un grand geste pour inviter Mallory à l’intérieur. Qu’est-ce que tu bois ? demanda-t-il sur le chemin jusqu’au salon où il s’installa dans son fauteuil, envoyant les verres se servir d’un coup de baguette lointain. Une jambe croisée sur l’autre, il fit venir à eux un paquet de cacahuètes dans lequel il piocha allègrement avant de l’envoyer du côté de Mallo et fronça les sourcils. Bon, qu'est-ce que tu racontes, comment ça va ? demanda-t-il d’un air très sérieux. Il ne prenait pas les airs détachés et les grands sourires, quoique ce serait sûrement ce que la gamine allait essayer de lui vendre, on ne se payait pas sa tête, il posait vraiment la question.

Ohlalala, mais c'était quoi ce mec tout faible d'émotion ? Il y avait presque des trémolos dans le kiddo alors que le mot faisait deux syllabes et il y eut l'étreinte en bonus. Style il l'avait cru morte depuis des mois alors qu'il était notoire que Mallory avait les facultés de survie d'un tardigrade. Elle lui demanda presque si il l'avait pleuré - sourire déjà railleur aux lèvres - (et si oui, à quel point) mais une gamine déboula lui courir dans les pattes alors elle s'abstint, préférant ébouriffer les cheveux de la gosse qu'elle suivit jusqu'au salon après avoir oté ses chaussures à l'entrée. "Qu’est-ce que tu bois ?" "T'as du coca ?" Le symbole du capitalisme américain, d'accord, mais fou comment c'était des trucs comme ça qui lui avaient manqué à Gracefield. Elle avait couru pour sa vie une fois par mois en fantasmant de croquer dans un Big Mac au moins une dernière fois. Maintenant, elle se rattrapait, se disant qu'elle se dématrixerait plus tard, que de toute façon il valait mieux le brainwashing des américains que celui d'America. La gamine avait disparu dans sa chambre, Rafe avait l'air on ne pouvait plus sérieux dans son fauteuil, Mallory faisait la fille chill et détendue en toute circonstance. On n'avait que les problèmes auxquels on s'accrochait. Les Battues étaient derrière elles, elles ne l'atteignaient plus (elle voulait juste se venger, qu'ils paient tous et avec les intérêts). "Bon, qu'est-ce que tu racontes, comment ça va ?" Elle sourit avant de se laisser tomber n'importe comment sur le canapé, exposant les chaussettes soigneusement dépareillées. "Fais pas cette tête ! Je vais ni m'effondrer ni me volatiliser dans l'heure !" Elle s'agita sur le canapé, foutu ses pieds sur les coussins, en envoya un par terre au passage. "Regarde ! Vivante, en chair, en os, pas de perte à déclarer !" fit-elle en se tapotant la poitrine pour montrer qu'elle n'était pas un fantôme ni un objet fragile qu'il fallait traiter avec la plus grande des délicatesses pour ne pas l'esquinter. "Ils ont essayé de m'avoir, bien entendu mais il savait pas à qui ils avaient affaire !" ajouta-t-elle crânement. Elle prit une cacahuète, la lança en l'air pour l'avaler en plein vol (la seule méthode pour manger des cacahuètes) avant de rendre le paquet à Rafe. "T'sais, c'est mauvais pour l'environnement !" Elle prit une longue gorgée de sa boisson, fais ce que je dis, pas ce que je fais, avant de dévisager le sorcier longuement. Les traits étaient familiers, le comportement aussi même si il prenait un peu des gants (ils étaient beaucoup à prendre des gants, elle avait fini par s'y faire), ça la rassura plus qu'attendu. "Et toi, ça va bien ? Tu t'ennuies pas trop dans ton trou ?" demanda-t-elle parce qu'elle n'était pas venue juste pour faire son show.

Ses gamins qui disparaissaient, ça élimait les nerfs ; Rafe avait fini par s’habituer à leur absence et aux deuils à répétition, il était tout retourné de revoir des personnes qu’il avait enterrées dans son esprit et pour qui il avait autant prié que son agnosticisme le permettait. Ce n’était pas facile à expliquer aux enfants non plus, Rafe et sa femme avaient longtemps discuté au sujet de ce qu’il fallait dire à Rachel : qu’Andy et Mallo étaient morts, qu’ils ne reviendraient pas, qu’ils étaient partis ailleurs ou qu’ils étaient en prison ? Le choix avait été difficile, on avait annoncé à la petite fille qu’ils ne reviendraient sûrement pas et qu’il ne fallait pas les attendre – et non, on ne savait pas où ils étaient. Rachel était trop petite quand son frère avait disparu, elle n’avait pas compris. Elle avait compris lorsque les choses s’étaient reproduites avec Mallory.

Finalement, il avait presque été plus difficile de répondre à ses questions lorsque Rafe avait obtenu des nouvelles des deux disparus. Sa femme et lui avaient opté pour dire la vérité, leur fille était grande et vraiment pas idiote, elle avait pu avoir une enfance épargnée des ravages de la guerre mais elle avait compris sans mal que les disparus avaient été retenus contre leur gré. Rafe lui avait expliqué tout ce qu’il savait en édulcorant un peu, parce qu’aussi transparent voulait-il être, il ne tenait pas à ce que sa gamine de dix ans ne prenne conscience des horreurs qui avaient lieu à l’extérieur des murs protecteurs du cottage.

Rafe regarda sa fille venir saluer Mallory et lui assurer qu’elle l’avait attendue (ce qu’elle avait aussi dit à Andy), il lui demanda de les laisser quelques minutes, qu’il la rappellerait quand il proposerait du gâteau à Mallo. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle obéisse, pourtant elle le fit et il eut une bouffée d’affection pour sa gamine.

- T'as du coca ?

Il hocha la tête et prépara la table d’un coup de baguette, s’installa dans son fauteuil. Maintenant qu’il avait Mallory en face de lui, il était un peu overwhelmed par tout ce qu’il avait à rattraper, mais il avait vécu la même chose en revoyant Andy et le sentiment d’être largué avait été encore plus fort avec les années qui s’étaient multipliées. Rafe croisa les mains, se raisonna : il était doué pour jongler avec les mots et les sujets sensibles.

- Fais pas cette tête ! Je vais ni m'effondrer ni me volatiliser dans l'heure !

Ça c’était ce qu’elle disait, mais il était de notoriété publique que Mallo jouait à la tough girl en permanence, or Rafe était bien placé pour savoir que ce genre de masques étaient là pour dissimuler de vrais sentiments.

- J’espère bien, dit-il sur le ton de la plaisanterie, sourire narquois au coin des lèvres.

- Regarde ! Vivante, en chair, en os, pas de perte à déclarer !

Pas de doute que c’était bien la gamine qu’il avait perdue un an plus tôt.

- Je vois bien ma fille, t’as même bonne mine.

- Ils ont essayé de m'avoir, bien entendu mais il savait pas à qui ils avaient affaire !

- Ils, t’en as reconnu certains ? Ou juste les décrire pour qu’on puisse les identifier –

Dans un coin de la pièce, la télé moldue trafiquée à moult reprises pour capter les ondes sorcières diffusait en sourdine un des talk show destinés à retourner le cerveau des gens (true crime ou il ne savait trop quoi, des âneries qui n'étaient bonnes qu'à être mises en fond sonore); Rafe y jeta un œil distrait, son esprit fomentant déjà ce qu’il pouvait faire pour prévenir ces personnes qui ne voyaient rien du tout grâce à l’aide de ses gamins qui étaient des témoins clé.

- T'sais, c'est mauvais pour l'environnement !

Rafe raccrocha son attention sur Mallo, les sourcils un peu froncés. Il ne savait plus de quoi elle parlait, il avait trop déconnecté entre le moment où il avait passé le paquet de cacahuètes et le moment présent où elle le lui rendait.

- Hein ?

- Et toi, ça va bien ? Tu t'ennuies pas trop dans ton trou ?

- Ça va, ça va, commença-t-il en piochant dans les cacahuètes. Tu vois bien, la routine. Il lorgna l’exemplaire le plus récent de the Blockhouse qui trônait sur la table, releva les pupilles vers la sorcière. Dis voir Mallo, tu te sentirais de raconter ce que t’as vu pour le journal ?

Rafe n’avait pas osé demander à Andy, il marchait trop sur des œufs avec son fils et ne voulait surtout pas risquer de le braquer, ce qui serait sûrement arrivé ; probablement que le gamin aurait vu ça comme la preuve que Rafe préférait son journal à son propre fils. Ce n’était pas le cas, mais un bon journaliste savait saisir les opportunités.