even angels must earn their wings
La cloche retentit et la foule commence à sortir de l'église en silence. Les vêtements noirs jurent avec les couleurs criardes et les dorures qui peignent les murs. Les pas sont lents, comme pour alourdir davantage l'atmosphère, comme pour prouver qu'on tenait à eux, et que la peine est immense. Mais tout ceci n'est qu'une mascarade, un artifice savamment travaillé par des sorciers et des sorcières qui sont si familiers avec la mort qu'ils en font toute une profession. Svetlana les déteste, tous ces rapaces venus pleurer sur le cercueil de son père, de son frère, de son amant. Elle les déteste parce qu'ils font comme si ce n'était pas de leur faute, et comme si une simple cérémonie allait réparer les torts d'une institution bien trop habituée à ce genre de pertes pour en avoir réellement quelque chose à faire.
Les Orlov sont les derniers à sortir. Svetlana jette un regard à sa mère, mais elle ne parvient pas à accrocher son regard, caché derrière un voile noir en dentelle qui lui tombe jusqu'au chevilles. Alors elle se contente d'avancer, elle aussi à une vitesse insupportablement lente, alors que son corps lui crie de tout envoyer valser et de quitter cette cérémonie grotesque. Mais pour sa mère, elle reste là. Pour sa mère, elle accepte de subir cet ultime supplice après avoir déjà suffisamment perdu.
A la sortie de l'église, on vient lui serrer la main, avec un regard larmoyant. On vient lui dire ô combien son père était un général respecté de tous. On vient souligner à quel point la mort de son frère est incroyablement tragique. On vient même glaner quelques informations sur sa relation avec Nikolai “
I heard you two were very close... ”. Et tout cela Svetlana le subit sans mot dire, un brasier allumant son regard, à peine atténué par les sourires éteints qu'elle accorde à toute cette charogne. Il ne s'agirait pas de froisser l'élite de la Bratva locale. Elle connait leurs connections. Elle sait de quoi ils sont capables. Et pour elle, et pour sa mère, il vaut mieux savoir tenir sa langue quelques heures supplémentaires.
Une semaine en arrière, la Bratva était pourtant le seul avenir que Svetlana s'imaginait. Il faut dire que c'était aussi tout ce qu'elle connaissait. Son père étant haut-placé dans son secteur, son frère aîné ayant déjà commencé une carrière fulgurante... Il était évident qu'elle allait rejoindre l'organisation, elle qui aimait bouger dans tous les sens et passer à l'action bien plus qu'elle n'appréciait rester en retrait comme les autres femmes. Aujourd'hui, elle réalise que peut-être sa mère avait raison. Peut-être qu'ils auraient dû faire attention. Alors qu'elle serre la main de celui qui fut jadis le mentor de son père, Svetlana réalise enfin que plus jamais elle ne fera appel à la Bratva.