Elle a besoin d’air. De respirer. Elle sait qu’elle ne devrait pas s’éloigner - il lui serait si facile de se perdre. Tête en l’air ou tête dans les nuages. Mais pour le moment, elle étouffe. Elle a besoin d’être seule. Trop de choses. Trop d’informations. Son esprit ne suit pas. Ce sont des choses qui lui arrivent, à Sig. En règle générale, quelqu’un lui met la main dessus avant qu’elle ne déconne. Pas cette fois. Alors elle s’éloigne du cirque - pour une fois. Elle va plus loin. En forêt. Elle marche. Elle se perd. Elle oublie pourquoi elle était sortie à la base. Pourquoi ? Qu’importe, cela lui reviendra. Ou pas. Elle a l’impression d’être où elle doit être. Il faut dire qu’elle fonctionne à l’instinct, Sig. Un instinct probablement dysfonctionnel. Il lui manque des choses. Du recul. Un instinct de survie développé - une réaction face à la peur. Sans le cirque, nul doute que Sig ne serait déjà plus. Pourtant, elle est toujours. Preuve que la chance lui sourit. Preuve qu’elle peut continuer. Non ?

Elle se repère et se perd dans ces bois, sans chercher à cacher sa présence, sans se faire discrète - pourquoi quelqu’un viendrait par ici après tout ? Elle écoute le chant que la forêt veut bien lui offrir. Elle cherche l’inspiration pour son prochain spectacle que personne ne pourra voir à part ses amis - la scène lui manque. Elle peut toujours chanter, bien sûr, mais ce n’est pas la même chose. Elle se doit d’être cachée, tout le temps ; elle ne peut plus voir un seul sourire. Parce qu’il est bien trop facile de voir ceux du cirque. Elle veut à nouveau voir les étoiles dans les yeux des gens devant ses histoires, les visages réagir et la suivre avec attention. Les sourires. Surtout les sourires.  

C’est pour ça qu’elle finit par quitter la forêt pour rentrer en ville. Pas là où se trouve le cirque. Non. Elle décide d’explorer. De découvrir les environs. Elle aime bien se rendre là-bas. Elle sait qu’elle n’a pas le droit d’utiliser la magie mais le monde moldu a quelque chose de fascinant. Et puis c’est agréable de voir des gens un peu heureux. Elle se balade pendant un temps avant de finalement prendre la route pour rentrer au cirque. Mais pas avec un dernier détour. Un dernier détour qui va s’éterniser. Dans un coin beaucoup plus isolé, où elle n’a jamais croisé personne jusqu’à présent, elle trouve quelqu’un. Un homme. Son visage lui dit quelque chose - mais elle sait très bien qu’elle ne peut pas se fier à cette impression ; chaque nuit elle rêve d’un pan de la vie de quelqu’un. Peut-être a-t-elle rêvé de lui ? Ou non ? Comme souvent passé, présent et futur se mélangent dans la tête de la petite voyante. Mais ce n’est pas à cause de cette impression qu’elle s’attarde sur lui. Non. Il a l’air… Malheureux ? Triste ? Elle n’en est pas sûre. Elle sait seulement qu’il n’a pas l’air heureux. Et cela… Cela ne lui convient pas. Elle veut voir des sourires.

La jeune fille, avec son pull beige beaucoup trop grand pour elle, sa jupe à carreaux marron et ses collants noirs sans doute déchirés quelque part, s’approche avec son plus beau sourire - elle l’offre avec plaisir. “T’as l’air triste. J’aime pas les gens tristes. Ca me rend triste à mon tour.” Elle s’installe à ses côtés dans le plus grand des calmes, comme si elle le connaissait depuis toujours - c’est peut-être le cas ? “Je m’appelle Ssssàga.” Encore une fois, elle a une hésitation. Ce n’est tellement pas naturelle pour elle d’employer un autre nom que le sien. Mais dans le doute, on lui a dit d’utiliser son pseudo. Tout le temps. C’est plus simple pour elle à comprendre. “Oui, je sais, c’est le nom d’une déesse. Et tu sais quoi ? Comme elle, je raconte des histoires. Pleins d’histoires. T’en veux une pour te changer les idées ?” Sigrid parle trop, beaucoup trop. Mais c’est aussi pour ça qu’on l’aime. Elle parle sans filtre, avec l’innocence d’un enfant. En grandissant, beaucoup de gens perdent cette capacité à aller voir les gens juste pour leur demander s’il peut être son ami. Pas elle. Sans doute, parce que dans le fond, elle est restée une grande enfant.