FIN 2004 Ça fait du bien de sortir du Manoir Saint James, de temps en temps. Alexis s’y sent bien pourtant : elle partage son dortoir avec l’homme qu’elle aime, lui aussi cercle 5, il y a une télévision moldue, une grande cuisine… C’est un endroit où il fait bon vivre, la majorité du temps. Alexis sait qu’elle fait partie des privilégiés de l’Ordre, et parfois, elle se demande pourquoi. Certes, elle a prouvé sa valeur, a pris des risques énormes pour la cause, mais ça lui paraît incroyable, d’être au même rang que certains vétérans de la résistance, comme Nathan Hayter ou la grand-mère de Neville, Augusta.

C’est peut-être parce qu’elle a toujours l’impression de n’être pas parfaitement légitime au sein de ce cercle qu’elle aime autant passer du temps avec les membres des cercles inférieurs. Ça, et le fait qu’il reste parmi eux nombre de ses amis, avec qui elle a passé tout son temps depuis qu’elle a rejoint le combat contre Voldemort en entrant dans l’Armée de Dumbledore en 5ème année. Elle est toujours la première à se porter volontaire quand il faut partir sur des missions avec des cercle 3, ou pour protéger des cercles 1, parce qu’elle sait qu’elle va retrouver des gens qu’elle aime, et qui lui manquent quand elle est coincée au Manoir Saint James ou sur des missions ne demandant que la participation de cercles 5.

Ce jour-là, Alexis se réveille dans une chambre qui ne lui est pas familière. Elle est arrivée la veille au soir dans une planque du sud de l’Angleterre. Au premier abord, l’endroit semble être désert, un véritable immeuble abandonné comme on en voit dans les films moldus aux ambiances inquiétantes. Mais Alexis a appris à voir par-delà les apparences, depuis qu’elle a fait ses premiers pas dans le monde magique. Une fois son arrivée annoncée, on est venu la chercher à l’entrée et elle a découvert que l’immeuble était bien plus peuplé qu’elle ne l’imaginait. Certes, les neuf étages ne sont pas tous occupés, mais l’Ordre a investi quatre des étages. La planque abrite des dortoirs, mais également de nombreuses pièces qui servent à diverses missions : concoction de potions, stockage d’ingrédients, réserve de vêtements et de baguettes… C’est l’une de ces planques où on peut à peu près tout trouver. Mais surtout, Alexis a pu découvrir une salle qui n’existe que dans une poignée de planques de la résistance : une salle informatique moldue, que les membres de la résistance utilisent pour glaner des informations.

C’est le premier endroit vers lequel elle se dirige après avoir bu un café dans la cuisine avec une partie des habitants de la planque, parmi lesquels elle a retrouvé plusieurs camarades de l’armée de Dumbledore, et des frères et soeurs de résistants qu’elle a déjà pu croiser. Mais la personne qu’elle connaît le mieux ici est un ancien camarade de classe : Dean. C’est lui qui l’a accueillie, la veille au soir, et qui lui a montré sa chambre. Ils ont dîné ensemble, avec d’autres habitants, et ont pu rattraper un peu le temps perdu. Cela faisait plusieurs semaines qu’ils ne s’étaient pas croisés.

La raison pour laquelle Alexis a été envoyée ici est simple : ils ont besoin de faire le tour des boutiques de fleurs, des magasins de jardinage, et des pépinières moldues des alentours à la recherche de plusieurs ingrédients qui peuvent servir à la confection de diverses potions, et notamment le tue-loup. Mais avant de pouvoir se lancer dans ce petit tour qui sera probablement plus agréable que la chasse aux mangemorts, Alexis a besoin d’informations, et ces informations, elle peut les trouver sur le web moldu. La tâche pourtant devient vite très solitaire et frustrante, étant donné le temps de chargement que le vieil ordinateur affiche. Agacée, Alexis décide de se lever et d’aller voir si quelqu’un ne veut pas lui tenir compagnie. Elle trouve Dean dans le salon, penché sur des parchemins. « Hey, Creed. » l’interpelle-t-elle, par son surnom. « T’es occupé ? Je suis pas contre un coup de main avec les machines de l’enfer… » dit-elle avec un sourire amusé.

Depuis ta fuite du château caché dans les Highlands en Ecosse, tu t’es rendu compte que tu avais loupé bon nombre d’enseignements auxquels tu aurais dû assister, comme tout sorcier de ton âge. Si tu as bien entendu appris à survivre en tant que fugitif, tu fus forcé de mettre ton éducation magique de côté. Comme beaucoup d’autres, tu n’en as pas eu le choix. C’est donc  pour cette raison, et dans l’optique de rattraper le temps perdu, que tu décides d’occuper la demie-journée que les cercles supérieurs - les hautes sphères de l’Ordre - ont décidé gracieusement de t’octroyer parmi les parchemins et autres grimoires que tu as pu trouver dans différentes planques. Tu as bien conscience que cela ne te ramènera tes semaines de cours envolées, néanmoins, tu ne perds pas l’occasion de te plonger dans le travail lorsque ton esprit est bien trop actif pour être silencieux en pensées. Surtout lorsqu’il est question d’appréhender de nouvelles connaissances. Tes lacunes ne peuvent que t’en remercier. C’est donc les bras chargés que tu te mets en quête d’un endroit capable de vous accueillir, toi, et ton habitude irrépressible de t’éparpiller sans gêner un autre membre de la résistance. Tu profites que le soleil ne soit pas encore levé pour t’allouer une table basse et le sol dur qui la soutient. C’est ici que s’étoffera ton savoir. Parce que, pour une fois, c’est ce que tu as décidé.

Tu te plonges dans des savoirs qui parviennent parfois à te perdre. Tu te lèves, souvent, pour aller te chercher un café dans la cuisine, pour finalement revenir t’asseoir devant de l’histoire de la magie ou des sortilèges dont tu n’avais jamais entendu parler. Rattraper tout ton retard s’avère bien plus difficile que tu ne l’avais imaginé. Un peu d’aide ne serait pas de refus. Cela éviterait que tu t’arraches les cheveux sur des termes incompréhensibles, des sortilèges qui ne fonctionnent pas, ou bien une méthodologie qui, de toute évidence, t’échappe. S’il y a bien une leçon que tu as appris aussitôt tu as déroulé tes parchemins jaunis par le temps, c’est que la profession de professeur n’est pas faite pour toi et ne le sera jamais. Tu prends ta tête entre tes mains, et te frottes les yeux avant de bailler. La tasse de café est vide. Tu manques de carburant. La seule boisson que tu es capable d’avaler pour rester éveillé, à condition qu’elle soit noyée sous un monticule de sucre. Du café pur ? Quelle horreur, non merci.

Tu pousses un long soupir, exaspéré par ta propre incompétence, et t’étires de tout ton long. Un chat n’aurait pas fait différemment. Tu regardes ta pile de notes griffonnée à la va-vite, puis la fenêtre en face de toi, laissant entrevoir un ciel baigné par le soleil. Tant de temps perdu… Un nouveau souffle franchit le seuil de tes lèvres. Tu n’es même pas certain d’avoir retenu grand chose. Et soudainement, tu entends ce surnom qui est devenu, par la force des chances, ton prénom dans ses lieux. Creed. Court. Simple. Une évidence. « Occupé ? » Tu répètes. Oh, Merlin, non. « Non, pas du tout. » T’éloigner de ces manuscrits te ferait le plus grand bien, et ce, même si c’est pour taper contre la tour d’un pc beaucoup trop vieux pour être rapide et entièrement fonctionnel. « T’as bien dormi ? » Demandes-tu par politesse. Tu imagines bien, qu’ici, c’est bien différent de ce dont elle a l’habitude. Tu la suis jusqu’à la salle informatique et regardes où en est sa recherche. « De l’aconit ? Pourquoi faire ? » La curiosité, quand elle nous tient…

”Occupé ? Non, pas du tout.” Alexis sourit. Elle espérait vraiment qu’il allait répondre ça. ”T’as bien dormi ?” ”Oui, pas mal. Ça me fait toujours bizarre de me réveiller dans une planque inconnue, par contre.” dit-elle, en sachant très bien qu’il connaît très bien ce sentiment lui aussi. Depuis le début de leur fuite, ils ont vu des planques passer. Il a fallu s’habituer à toujours bouger, à changer d’environnement parfois tous les jours… Enfin, s’habituer… C’est un grand mot. C’est plutôt qu’il a fallu accepter. Alexis ne sent toujours pas habituée.
Dean la suit jusqu’à la salle d’informatique, où seul un ordinateur est allumé et une chaise reculée. Alexis retourne sur son poste de travail et laisse Dean regarder ce sur quoi elle travaille. De l’aconit ? Pourquoi faire ? demande-t-il en voyant sa recherche. ”De la potion tue-loup, entre autres.” explique l’ancienne Serdaigle. ”On n’en manque pas, pour l’instant, mais il vaut mieux prévoir sur le long terme.” Les réserves de potion tue-loup, à Sweet River, s’épuisent vite. ”On manque de pas mal de plantes et fleurs pour diverses potions… Le problème, c’est que toutes les réserves sorcières sont difficile d’accès.” Ils parviennent à accéder à certaines, parfois. Le problème, c’est qu’entre celles qui sont hyper-surveillées et celles dans lesquelles ils ont déjà pioché… Leurs possibilités sont de plus en plus réduites. ”Du coup, on va se tourner vers les réserves moldues, même si ça m’embête de voler les petits commerçants.” Son père à elle était fleuriste, avant de fonder ses chambres d’hôtes en Suisse. Elle se souvient des heures passées au milieu des fleurs, des plantes. Elle se souvient des odeurs, des souvenirs… Alexis sait que si à cette époque, son père avait perdu des réserves, ça aurait été la fin du monde pour lui. Malheureusement, ils n’ont pas vraiment le choix : la guerre leur fait faire des choses dont ils ne sont pas fiers. Alexis tente de se rassurer, constamment, en se disant que c’est pour une bonne cause, que quelques vols ne sont pas si terribles si ça équivaut à la fin de la guerre à un moment ou un autre.
Elle tend une carte des alentours à Dean. ”Je vais chercher des adresses de boutiques, de pépinières, et je te laisse les marquer sur la carte ?” fait-elle, en lui donnant un crayon à bille moldu. Alexis, même après toutes ces années, préfére les objets moldus aux objets sorciers. Elle était folle de joie quand on a troqué les gallions magiques pour des téléphones portables, il y a quelques temps. ”Ok, let’s go.”

Elle commence à trouver quelques adresses, que Dean encercle sur la carte du quartier. Alexis allume la petite radio à côté du poste de l’ordinateur pour qu’ils aient un peu de musique en fond pendant qu’ils attendent que l’ordinateur charge. ”C’est si looooong” râle Alexis en balançant la tête en arrière, alors que l’ordinateur plante depuis près de 3 longues minutes. Elle finit par tourner la tête vers Dean. ”Bon. Raconte-moi ta vie. Il faut bien qu’on s’occupe pendant que ça charge. Comment tu vas en ce moment ?” demande-t-elle en faisant pivoter légèrement sa chaise pour lui faire un peu plus face.  ”Toujours avec Ginny Weasley?” demande-t-elle, curieuse. Ils se connaissent depuis longtemps, avec Dean, alors il ne la blâmera probablement pour ces questions personnelles. Et puis ça va leur faire du bien, de rattraper un peu le temps perdu. Ce sera en tous cas plus fun que de compter les pixels de la page internet sur laquelle l’ordinateur est bloqué.

Voir un visage connu te fait du bien. Si tu as longtemps cherché à les éviter durant la nuit, tu es content d’observer l’expression joyeuse de la demoiselle. Tu l’interroges vaguement sur la qualité de ton sommeil, espérant qu’elle te réponde n’est pas aussi bon que le tien. Par certains aspects, cela te rassure que les autres soient dans le même état que toi. Ne pas être le seul à perdre patience couché parfois à même le sol, à se demander si demain sera le dernier jour, si la guerre arrivera à son terme dans deux semaines, six mois, ou bien dix ans. « Je connais ça » te contentes-tu de répondre, avec une mine peinée. Néanmoins, tu acceptes de l’accompagner dans la salle informatique, piqué par la curiosité, bien loin d’être attisée par les informations qu’elle te donne. Tu écoutes ses explications avec attention, notant toutes les données que tu juges importantes dans un coin de ton esprit. Parfois, il est préférable d’avoir une bonne mémoire plutôt que de conserver nos pensées sur un carnet. C’est ce que l’Ordre vous a appris. Ne laisser aucune trace. Finalement, tu pousses un soupir. Piller les boutiques des mordus ne te plaît pas plus, qu’à elle. Ils ont déjà subi tant d’épreuves sans s’en apercevoir et dès lors qu’il est question d’eux, ton esprit vole tout naturellement vers ta figure maternelle. Et si cela tournait au vinaigre et que, pour une raison ou une autre, elle se trouvait dans les parages ? Tu secoues la tête de droite à gauche, il serait préférable de tenir cette image à l’écart de ton esprit. Tu te concentres à nouveau sur la voix de la brune installée à tes côtés. « On leur rendra ce qu'on leur a pris quand la guerre sera terminée. » réponds-tu, essayant d’ajouter un peu d’espoir à la morosité ambiante. Mais il a bien des choses que les moldus ne retrouveront probablement jamais. Des enfants, des frères et soeurs, des parents. De la famille. Leurs proches ne rentreront pas pour les fêtes de fin d’année, comme ils l’avaient promis. Tu espères ne pas faire partis de ceux-là.

Tu acceptes la carte que la jeune femme te met entre les mains et y consacres toute ton attention.  Tu acquiesces aux instructions qu’elle te donne, comme une vieille habitude qu’est devenue de dire Amen à tes supérieurs. Avec elle, cependant, obéir est plus agréable. Tu sais au moins à quoi tu peux t’en tenir. C’est nettement plus agréable. L’impression de n’avoir aucun secret, de ne pas être un pion que l’on peut bouger selon nos désirs. « D’accord. » Lorsqu’Alexis te tend un stylo bille, tu ne peux pas t’empêcher de sourire. Un simple stylo plutôt qu’une plume. La simplicité même. Tu saisis ton arme et hoches la tête : tu es prêt. Les minutes s’écoulent et tu entoures des coins de rue, des culs-de-sac et parfois quelques avenues que tu sais passantes. Toutes les adresses sont bonnes à prendre. Tes yeux parcourent encore la carte du quartier quand tu entends sa plainte et que la radio grésille durant quelques secondes. La patience ne semble pas être son fort, puisque, bien vite vos préoccupations déroutent. « Je vais bien. » Ce mensonge, tu l’as tellement répété ces derniers mois que tu as fini par le croire. Du mois, tu as fini par t’en convaincre. « Et toi ? » Tu demandes poliment. « Les nouvelles vont vite, à ce que je vois. » Pas que tu en aies douté un jour, loin de là. Mais tu t’étonnes de voir qu’Alexis se laisse porter par les murmures de couloirs. Tu hausses les épaules. Tu fais pareil, alors, la blâmer ? Certainement pas. « J’ai pensé qu’on était plus discrets que ça. » Non pas que tu cherches à te cacher ou à cacher ta relation avec la rouquine. Ou peut-être bien que si ?