"Fuck"

Dans un bruit humide peu ragoûtant, la boulette de viande et ses tentaculaires spaghettis s'écrasent mollement sur le sol. Le bras vindicatif encore levé dans un élan de rage, elle grimace alors que les griffes de Salami s'enfonce dans sa cuisse, tremplin improvisé alors que l'animal s'élance vers sa victime. Un soupir et elle repose sa fourchette sur le rapport de l'interne criblé d'erreur qui lui fait s'arracher les cheveux depuis une demie heure, vicieusement satisfaite des traces de bolognaise qui s'y déposent.
Les paumes apposées sur ses yeux fermés, elle les presse jusqu'à déceler plus de taches qu'à l'accoutumée, les conséquences de sa fatigue mêlées à aux traces lumineuses des nombreuses sources de magie de la pièce.

Feu d'artifice permanent sur la rétine, surtout depuis que les excursions dans le monde moldu sont devenues délicates, les migraines n'en finissent plus, sa vue et ses sens constamment bombardés par l'amas d'éclats magiques.
Mouvement rapide, la supernova de magie concentrée qu'est Salami fuse hors du salon et la sort de sa léthargie d'un sursaut paniqué. That fucker.
Un coup d'œil rapide pour s'assurer de l'absence d'intrusion et de danger, elle ne note que l'absence de son repas, son assiette délestée de ses derniers restes et les traînées de sauce tomate sanguinolentes au travers de l'appartement son seul indice.
That fucker bis.
Quelques battements de cils et les traces magiques persistantes finissent par disparaitre, à l'exception d'une ou deux dont elle ne se formalise pas. It will go away at some point, eh.
...
Un clignotement insiste pourtant et il lui faut quelques secondes pour réaliser qu'il ne s'agit pas d'une hallucination mais de son réveil dont les chiffres s'illuminent par saccade dans un coin de la pièce.
20:24. She's late, great.

Les deux boules de cristal abandonnées sur le canapé sont attrapées, l'une dirigée vers une hotline familière, côté employé s'il vous plaît, tandis qu'elle se démène avec les réglages, ou hackage, vraiment, de l'autre pour capter l'émission sud-américaine devenue rituel.

"He's already there sweetie, you're late."
La voix sirupeuse de Chérie pour seul avertissement, la connexion s'établit simultanément, ses jurons se superposant à l'espagnol alors que la série s'affiche sur son miroir.

"Shit ! What did I miss ? Did Guadalupa prove her evil twin was the one who stole Miguel's organs at the clinic ?"

Si le décor est bien du blanc immaculé que l'on attend d'un hôpital, et les nés moldus envoyés pour récurer les toilettes de Sainte Mangouste le savent mieux que quiconque, elle se trompe pourtant sur la prochaine scène surjouée de la crystanovela. Les blouses sont troquées pour des costumes aux aspirations d'élégance criardes dont le mauvais goût n'est rien derrière celui de la montagne de tulle et de taffetas blanc. "Damn, I wouldn't be caught dead in that."
La mariée s'agite sur la surface du miroir tandis qu'une musique oppressante salue l'entrée de son futur époux dans son dos. "Do you think she'll find out it's not Fernando but Alejandro sporting Fernando's face transplant before or after the wedding ?"


Se rendre à des mariages lui manque, surtout à son compte en banque.

Tout démarre sur une fausse note. Celle de la marche nuptiale qui sert de bande son à la démarche furibonde de Maria Elena, d’abord – qui a eu l’audace de porter une robe blanche elle aussi, le jour du mariage de Maria Adriana ! – assourdissante, et que personne n’a apparemment jugé utile de couper au montage.
Elle la distrait un instant, le temps que son esprit lui repasse en boucle saccadée quinze versions différentes de la musique en question, incapable de retrouver la bonne intonation, le rythme – et pourtant elle la connait cette musique, tout le monde la connaît, mais l’accord est toujours un peu trop grave, discordant, un peu trop bas, angoissant, decrescendo de sa mémoire qui lui coure entre les doigts, ou trop rapide, une note de sautée peut-être - à moins que ce ne soit son cœur, ensuite qui ruine la mélodie ?
Un battement manqué et elle rate le monologue de la fausse sœur jumelle sous le vrombissement de ses tempes, dramatic gasps – in spanish, étouffés sous l’anxiété croissante.
She doesn’t speak spanish, mind you, but somehow they’ve managed to follow every single episode for some months now.
C’est le tremblement de sa voix qui la coupe, plus que celui de ses propres doigts, crispés sur l’unique oreiller du canapé – un cadeau d’un collègue, elle s’en souvient – qui clôt la cacophonie des ratés.

L’émotion la prend au dépourvue.
Elle ne dirait pas connaître Ilya. Sa voix est familière, ses intonations graveleuses des premiers échanges à six mornilles la minute, celles qu’il doit penser smooth et sexy et qu’elle écoutait d’une oreille en tentant de ne pas faire entendre le crunch de ses céréales alors que s’étalait une liste intéressante de kinks qui avait eu le mérite de lui faire poser sa cuillère à plusieurs reprises.
Plus tard, le registre avait varié, la musique d’une crystalnovela reconnue en bruit de fond partagé l’occasion de retrouver les éclats qu’elle avait pu ensuite découvrir de vive voix.
Malgré la variété, de l’ennui blasé en réponse à son dégoût insipide "You did what with her feet ?""Amateur.", à l’outrage après la mort de Riccardo, collègue de Maria Esperanza venu tout droit d’Italie et maître en contrefaçons joaillière, "You’re just salty. You wish you were smart enough to think about hiding that up there.", il restait égal.
Égal à lui-même, certes, une farandole de commentaires perturbants déclamés sur un ton jovial que rien ne vient entacher– she knew all too well how he could have ended up with such anotomical knowledge – mais constant.

« Because there’s probably at least another 100 episodes left ? »  « I mean- »
Sous la réponse automatique, gotta be a smartass, la confusion reste évidente, nouvel enrayement du rythme familier qui bouscule leur équilibre.

Maria Adriana est en pleurs, chute en slow motion d’une minute terminée gracieusement sur le sol de l’église, le jupon de sa robe de mariée étalée tristement autour d’elle.
Le bouquet volé des mains par Maria Elena, missive mystérieuse jetée au visage de la malheureuse, la cérémonie se poursuit. Alejandro et Maria Elena are the worst.

« Alejandro and Maria Elena are the worst. »
Yes it was important enough to be said.
Et pour s’octroyer quelques secondes de plus avant de tendre une perche hésitante :

« Is – Is something wrong ? »
What the fuck was she doing. She wasn’t even sure she wanted to know.
Fuck. Wasn’t this how emotional conversations started ?
She couldn’t be anyone’s emotional support under any condition. Her own emotional support cat was trying to kill her on a monthly basis, that’s how unhelpful she was.  

« You’re usually… chipper ? Unaffected ? A wall of disturbing joviality ? »

She was starting to sweat.