NOVEMBRE 1996 / DORTOIR DES SERDAIGLE Alexis s’est enfermée dans le dortoir depuis leur sortie des cours.
C’est puéril, et complètement lâche, elle le sait. Elle n’en est pas fière -- ce n’est pas son genre de faire ce genre de choses. Mais voilà : depuis le début de l’année scolaire, elle passe chaque soirée à surveiller chacun de ses gestes en espérant qu’ils ne sont pas mal interprétés par Maxine. C’est con, parce qu’elle sait bien que son ex n’est pas en train de l’observer vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle sait bien que Maxine est une fille intelligente et qu’elle ne devrait pas être aussi prévenante… Mais Alexis ne peut pas s’en empêcher. Elle a beaucoup trop peur de heurter encore un peu plus celle avec qui elle a passé presque deux ans. Maxine n’a pas bien pris du tout leur rupture. Pas du tout. Et forcément, ça a eu des conséquences désastreuses sur leur petit groupe, qui était pourtant extrêmement soudé depuis la première semaine de cours, en première année. Alexis passe du temps avec Duncan… Elle passe du temps avec Ian… Elle passe du temps avec Duncan et Ian… Mais cela fait un moment qu’ils n’ont pas passé vraiment du temps tous les quatre. Et elle s’en veut, Alexis. Elle a l’impression d’avoir brisé son groupe, et brisé celle qu’elle considérait - et considère toujours - comme sa meilleure amie.
Mais bon, elle ne pouvait pas faire autrement. Elle ne pouvait décidément pas rester avec elle en continuant de lui mentir, en reniant ce qui se passait dans sa tête et dans son coeur! Alexis en a longuement discuté avec ses parents : elle n’avait jamais largué quelqu’un, et elle a mis beaucoup de temps à se faire à l’idée qu’il valait mieux tout arrêter. La peur de perdre Maxine était si forte… Mais continuer en ne faisant que prétendre lui aurait fait encore plus de mal. Alors elle a pris son courage à deux mains, préparé ses mots de manière consciencieuse, et elle a fait ce qui devait être fait. Le problème, c’est que la certitude d’avoir fait le bon choix ne rend pas le fait de voir Maxine complètement fermée et déprimée plus facile. Alexis ne sait plus quoi dire, quoi faire, alors elle se contente juste de lui laisser de l’espace, le temps qu’elle digère, en espérant qu’un jour… peut-être… elles puissent de nouveau être amies. Elle y croit, Alexis. Elle n’étaient peut-être pas faites l’une pour l’autre sur le plan amoureux, mais elles étaient destinées à être amies, à ne jamais s’abandonner, c’est une évidence !
Avec le temps… Avec le temps, va, tout s’en va.

En attendant, ne pas trop se montrer est la meilleure solution : le plus elle est hors de vue de Maxine, le plus de temps celle-ci peut passer du temps avec d’autres gens, se changer les idées. C’est ce qu’il y a de mieux à faire. Duncan et Ian comprennent. Pour les autres, c’est un peu bizarre : pourquoi Alexis devient-elle soudain quelqu’un de très discret ? Pourquoi s’entête-t-elle à aller étudier aussi souvent, alors qu’elle a déjà de très bonnes notes ? Alexis aimerait être transparente sur ses raisons, mais tout comme sa relation avec Maxine, celles-ci doivent rester secrètes.

Elle est en train de fredonner tranquillement Killing Me Softly des Fugees (elle n’écoutait que cette chanson à la fin de l’été) (c’est un peu la chanson de sa rupture) quand l’une de ses colocataires fait enfin son apparition dans le dortoir. Padmaaaaaa! accueille-t-elle sa comparse de Serdaigle avec un grand sourire. T’as bien mangé? T’as passé une bonne journée? Tu restes un peu? Bon, elle ne l’accueille pas : elle lui saute littéralement dessus, heureuse de trouver enfin quelqu’un pour rompre sa solitude. Padma a bien dû remarquer qu’elle passait beaucoup de temps dans leur chambre, ces derniers jours, de toute manière, et doit bien se douter que ça cache quelque chose. Tu veux des chocolats? Papa et Stefan m’ont envoyé un carton entier de mes friandises préférées! À vrai dire, heureusement qu’ils l’ont fait : elle en avait bien besoin!

Alexis s’est enfermée dans le dortoir depuis la sortie des cours. Padma a bien remarqué, depuis quelques jours déjà, que quelque chose cloche et si la curiosité la dévore parfois lorsqu’elle pose le regard sur sa camarade de chambre, elle préfère ne rien dire et respecter son besoin de silence. Forcément, la jeune fille doit savoir que si jamais l’idée de venir lui parler de ses tourments la saisissait soudainement, Padma serait la première à tendre l’oreille. Tout en y réfléchissant, padma trempe sa plume dans l’encre : oui, Alexis doit savoir, c’est certain, que Padma pourrait l’écouter se morfondre ou s’enthousiasmer, tout dépend du noeud du problème, pendant des heures entières si besoin il y avait. Parce qu’entre Alexis et elle, c’est comme ça, tout simplement. Elles ne sont pas les meilleures amies du monde, n’ont même jamais essayé de l’être — Padma n’est pas Maxine et Alexis n’est pas Hannah —, mais il y a une certaine forme d’entende et mieux encore, d’affection entre elles deux. Disons juste qu’il est question d’une affection silencieuse, plus discrète que celle qu’on éprouve pour ses meilleurs amis.
De là où elle est, Padma a une vue imprenable sur les escaliers menant aux dortoirs (elle s’est volontairement placée là plutôt qu’en bibliothèque où à n’importe quel autre endroit de leur salle commune). De temps en temps, elle relève de sombres yeux pour dissuader les filles de leur chambrée de monter, ne sachant que trop bien combien le comportement d’Alexis attise leur curiosité mal placée. La pire restant Cedrella, bien entendu. Padma ne sait toujours pas ce qu’elle lui trouve, d’ailleurs. Alexis, c’est le jour de fille qui brille et qu’on apprécie, là où on a tendance à craindre Cedrella qui ne fait qu’assombrir l’aura de son amie. Elle ne se sent pas suffisamment proche d’elle pour le lui faire remarquer, ceci dit et puis, elle aurait l’impression de remettre en question ses capacités de discernement. Quoiqu’il en soit, quand Cedrella se décide enfin à envoyer une de ses sbires en direction des escaliers, Padma laisse échapper un profond soupire et referme le lourd volume d’arithmancie placé devant elle. « Qu’est-ce que tu fais ? » Anthony relève à son tour le nez de son parchemin, la plume en suspend. D’un geste du menton, elle désigne Cedrella. « Tu veux bien t’en occuper pendant un petit temps ? » C’est loin d’être anodin, bien entendu. Padma l’a entendue parler de lui à son petit groupe de copines au petit déjeuner ce matin pendant que Terry tentait de jongler avec quatre pommes — un désastre prévisible. Tout en remballant ses affaires, elle observe Anthony faire la navette entre Cedrella et elle, et il lui lance ce petit regard plaintif, les yeux emplis de supplications. Un regard auquel elle aurait cédé en d’autres circonstances. « S’il te plaît ? » Elle lui adresse un sourire en coin et il balance la tête en arrière, lui accordant la victoire. « T’es le meilleur. » Elle lui embrasse la joue et court presque en direction des escaliers dans l’espoir de rattraper Mildred. Elle grimpe les marches deux à deux et la rattrape au sommet. « Terry veut te voir. » Sourcils haussés, elle semble sceptique pendant quelques secondes. « C’est vrai ? » Padma n’hésite même pas. « Carrément. Il a dit qu’il attendrait près de la statue de Boris le Hagard. » Et puis, à quoi ça sert d’avoir des amis dotés d’un charme certain si elle ne peut même pas s’en servir ?
Elle attend d’être sûre de s’être débarrassée de Mildred, voyant sa chevelure blonde disparaître au détour des escaliers pour entrer dans le dortoir, plutôt satisfaite de ses petits plans qui finiront certainement par lui exploser en plein visage un jour ou l’autre. « Padmaaaaaaa! » L’interpellée, qui s’est laissé aller contre la porte, une fois cette dernière fermée, sursaute. « T’as bien mangé ? T’as passé une bonne journée ? Tu restes un peu ? » Et ça la fait sourire, au final, même si y’a un petit froncement de sourcils qui se dessine et souligne le scepticisme dont elle est empreinte face à une telle énergie. Merlin, pourvu qu’Alexis ne l’épuise pas plus qu’elle ne l’est déjà avec son entrain soudain. « Oui, oui et oui. Je viens d’envoyer Mildred à un rendez-vous imaginaire et Cedrella est trop occupée par Anthony pour venir nous ennuyer », fait-elle savoir en se dirigeant prudemment vers son amie. « La journée ne pourrait pas se passer mieux. » Elle s’abstient bien de lui faire remarquer que tout ça, c’est pour elle — pour qu’elle ne soit pas à nouveau bombardée par la curiosité de Cedrella qui se ferait un plaisir de se servir des peines d’Alexis dès qu’occasion il y aurait. De toute leur promo, elle était définitivement la pire des pestes. « Tu veux des chocolats? Papa et Stefan m’ont envoyé un carton entier de mes friandises préférées! » Intriguée, elle s’avance jusqu’au lit d’Alexis où elle se laisse finalement tomber sur le dos. Ce n’est que maintenant qu’elle se rend compte combien la journée l’a épuisée. En fait, c’est surtout la petit dispute qu’elle a eu avec Daphne qui l’inquiète, mais ça, Alexis n’a pas besoin de le savoir. « Un carton entier, rien que ça ? Ils essayent de faire quoi ? Recoller les morceaux d’un coeur brisé ou t’envoyer à St Mungo avec une crise de foie ? » Et elle sait pas trop si elle dit ça de manière totalement innocente ou si elle prend la température. C’est sans doute un peu des deux. Il y a encore dix minutes, elle était persuadée d’avoir trop mangé au repas. Mais maintenant que des chocolats lui étaient pour ainsi dire offerts sur un plateau d’argent… « J’veux bien être envoyée à l’hôpital avec toi, ceci dit, passe les friandises ! »

« Oui, oui et oui. Je viens d’envoyer Mildred à un rendez-vous imaginaire et Cedrella est trop occupée par Anthony pour venir nous ennuyer » Alexis valide tous ces plans d’un air impressionné. C’est vrai, que Cedrella fait pas mal une fixette sur Anthony en ce moment… « La journée ne pourrait pas se passer mieux. » Et la journée sera probablement encore meilleure avec quelques friandises, alors Alexis les lui propose, un peu pour lui faire plaisir, un peu aussi pour lui donner une bonne raison de rester un peu avec elle et de la sauver de la solitude dans laquelle elle s’est enfermée à cause de la situation actuelle. Padma se laisse tomber sur le lit, elle a l’air un peu fatiguée. Ils le sont tous un peu, même si l’année scolaire n’en est qu’à son premier trimestre. Les choses sont étranges, que ce soit à l’école ou à l’extérieur. Depuis qu’Harry a disparu… Quelque chose a changé. Alexis ne sait pas trop comment qualifier tout ça, ni comment se sentir par rapport à tout ça… Mais une chose est sûre : ça a fait un petit choc à tout le monde, cette drôle d’histoire.
« Un carton entier, rien que ça ? Ils essayent de faire quoi ? Recoller les morceaux d’un coeur brisé ou t’envoyer à St Mungo avec une crise de foie ? » Alexis soupire, et s’allonge sur le ventre en travers de ses couvertures, juste à côté de Padma, pour aller chercher le carton qu’elle a caché sous le lit à baldaquin aux couleurs de Serdaigle. Elle a déjà bien tapé dans ce que ses pères lui ont envoyé… Mais il reste de quoi faire. Rien que de voir le logo de Cadbury lui donne l’eau à la bouche. Si elle s’écoutait, elle dévorerait tout d’un coup. « J’veux bien être envoyée à l’hôpital avec toi, ceci dit, passe les friandises ! » Elle attrape quelques options et se met sur le dos pour les montrer une à une à son amie et qu’elle fasse son choix. Tout est bon, de toute manière. Ses papas ont du goût.
Elle n’a pas manqué la remarque de Padma, même si elle ne la soulève pas dans un premier temps. Elle ne sait pas vraiment comment y répondre. Est-ce qu’elle a le coeur brisé ? Un peu, mais pas vraiment. Alexis commence à ouvrir une tablette de chocolat au caramel coulant. À tous les coups, elle va en foutre partout, mais tant pis. Une petite part d’elle considère le fait d’aller laisser fondre du chocolat dans le lit de Cedrella et de lui faire croire que ce sont des traces de crottes de lapin… Mais non, ce serait pas sympa. Elle n’a pas besoin d’une embrouille avec l’une des autres Serdaigle, il y a déjà trop de choses à gérer en ce moment. Mon coeur va bien. Enfin je crois. Il est un peu triste, mais il va bien. répond-t-elle finalement, faisant un peu plus de lumière sur ce dont elle n’a pas trop parlé jusqu’à maintenant. Elle hésite, cherche ses mots, et puis se dit que finalement, elle peut peut-être évoquer le sujet. C’est juste que… J’ai fait du mal à quelqu’un que j’aime beaucoup. Je sais pas comment réparer ça, je sais même pas si je peux. dit-elle, en fixant l’emballage de la tablette, au-dessus d’elle. Elle soupire une nouvelle fois. J’aime pas ça. J’ai pas l’habitude d’être la méchante dans les histoires. Alexis veut toujours être la bonne personne. Et c’est pour ça qu’elle fait toujours tout pour arranger les choses, pour reconnaître ses torts. Mais là, elle a eu beau essayer de se justifier auprès de Maxine, se rassurer en se disant à elle-même qu’elle avait pris la bonne décision… Elle a toujours l’impression d’être la méchante. Et ça la met dans un inconfort auquel elle n’est pas vraiment habituée. Elle sait que c’est impossible, d’être irréprochable. Chaque humain fait des erreurs… Mais si elle en fait le moins possible, alors elle se sent mieux. Alors je me cache… jusqu’à ce que je trouve une solution digne de ce nom. Elle pince les lèvres et tourne finalement les yeux vers Padma. C’est un peu lâche, comme comportement, non ? Elle sait que c’est lâche, elle ne devrait même pas demander à sa comparse de dortoir de la rassurer à ce sujet. Elle n’est même pas au courant de l’histoire. Elle aimerait pouvoir lui parler à coeur ouvert mais… C’est compliqué d’aborder le sujet avec transparence. Parce que parler de Maxine, ça entraîne plein d’autres sujets qui ne sont pas idéaux à aborder avec tout le monde… Alexis fait confiance à Padma, elle sait qu’elles sont amies (après tout Padma connaît déjà sa situation familiale et n’a jamais émis de jugement sur ses pères alors… pourquoi pas?) mais elle hésite encore. Et si Padma changeait du jour au lendemain, si elle savait ? Et si elle refusait même de dormir dans la même pièce qu’elle ?
Alexis assume qui elle est, mais elle ne peut s’empêcher d’être un peu anxieuse.