Fin aout 2007
Solace
How many summers will it take ?
How many summers will I wait ?
How many shoulders will I break ?

Du haut de sa caravane, Fish se penche. Elle a un pied dans le vide, l'autre tient encore sur le toit. Équilibriste, ses contrepoids sont sa baguette d'un côté, et une bouteille de mauvais vin à moitié entamée de l'autre. Nez vers le sol, elle renifle.
Se laisse finalement tomber.

Le dos de sa main s'écrase sur les globes, étale les larmes sur ses pates d'oies, fini sur sa joue brûlante et la gratte. Elle boit. Balayant le camp endormi d'un regard mouillé, elle se met en marche, tête baissée. Peut-être que c'est parce que la pleine Lune arrive, peut-être que c'est juste normal. Qu'elle a juste envie. Qu'elle en a besoin. Peu importe, Sally veut pas savoir. Elle y va juste. Avec les années elle a appris à ne plus questionner sa douleur, elle préfère l'étouffer. Pourquoi cette nuit-là, pourquoi maintenant, pourquoi est-ce que de garde seule sur son toit elle a cru entendre le rire de Miss Chiwa.
C'était le vent.
C'était Lydia.
On ne peut que reléguer sa peine un nombre de fois limité. Ça restera entre elle, et la fraîcheur de la fin de l'été.

Sa tête ne se relève qu'une fois devant la porte de la caravane. Sa caravane. Vers le milieu bas, y'a un coeur de gravé, repassé au stabilo rose. Derrière, son odeur à elle qui en transpire encore comme si elle était là. Fish essuie sa goutte au nez. Elle boit. Elle déglutit. Pose la patte sur la poignée et rentre dans la caravane de Chiwa.

Habituée, elle trouve dans l'obscurité l'interrupteur. Un ampoule pendouillante, perdue au milieu de plumes néon éclaire le lieu.
Éclaire Hoshi, allongée dans son lit.
Sally papillonne des yeux.
C'est pas elle.
C'est plus elle.
« Cachiad.. »
Immobile dans l'embrasure, Sally aux yeux ronds se redresse comme elle le peut devant la jeune louve. Renifle. « Princess.. » C'est comme ça qu'il l'appellait, Hoshi, avant. Sa princesse. Évidemment que la nouvelle a investit les lieux. « Évidemment » Et Fish le savait, mais elle avait oublié. Tout ce qu'elle voulait c'était se plonger dans le musc de crème dépilatoire maison et de dissolvant moldu. C'était se péter les rétines sur les tapis moumoute fushia et autres babioles à plumes qui prennaient la poussière. Lorsqu'elle fait un pas, un, à l'intérieur, une multitude d'accessoires cheap résonne de petits éclats de clochettes, chainettes et bouts de plastique s'entrechoquant entre eux. Rien n'avait changé.
Et tout avait changé.
« Je.. Tu permets ? »
La matriarche ferme doucement la porte derrière elle. S'écroule sur un pouf aux airs beaucoup plus rembourré qu'il ne l'est en réalité, couleur pêche. Enfoncée dedans, sa masse noire donne des allures de pourriture au fruit.
Sally laisse sa tête se renverser en arrière, et ferme les yeux. Ses narines se gonflent.
Elle serre les dents.

Cela fait plusieurs heures que tu te retournes sans cesse, cherchant une position qui t'aidera à trouver le sommeil. Pourtant, les bras de morphée ne semblent guère prêts à t'enlacer. Tu peines à trouver ta place dans ce lit qui semble encore porter l'odeur de sa précédente occupante. Tu as bien essayé de faire de la caravane ton lieu à toi, mais ce n'est guère facile quand tu n'as aucune possession. Pas un bibelot, pas une peluche. Certains diraient que tu as sauté sur l'occasion d'avoir la caravane pour toi, mais qu'importe. Tu estimes maintenant que tu en as le droit, plus encore, que tu l'as gagné. Ce n'était pas gagné au départ, mais tu as fini par te faire une place dans cette meute hétéroclite. Elle n'est pas en or, peu l'envient, mais c'est mieux que rien. Tu n'as guère eu le choix, et ta formidable capacité d'adaptation a fait le reste. Ce n'est pas facile, en témoignent les douleurs et tes os saillants, ainsi que ces insomnies qui creusent de profonds cernes sous tes yeux d'enfants. Mais qu'importe, tu avances. On dit souvent qu'il est difficile d'aller de l'avant, mais tu n'es pas vraiment d'accord. Ou alors, tu n'es pas de ces personnes là. Tu n'as jamais eu de difficultés à avancer, en écrasant tout sur ton passage, faisant fi de ton passé et de tes blessures. Sans jamais te retourner. À vrai dire, ça a été ta manière de survivre aux diverses épreuves qui ont jalonnées ta jeune vie. La mort de ta meilleure amie, la trahison puis la disparition de ton père, la chute des Rosier, ta morsure, ta capture, l'attaque. Tout autant d'épreuve qui ont fait celle que tu es aujourd'hui : coincée entre l'adolescente qui n'a pas eu d'enfance et la petite fille que les épreuves ont fait grandir bien trop vite. Pourtant tu avances, préférant renier ce que tu laisses derrière toi. Il t'es plus facile de foncer que de te retourner. Jusqu'à ce que tu te prennes un mur.

Il peut prendre bien des formes : une rupture, un décès, une explosion. Pour toi, le mur est arrivé après Gracefield. Quand ce semblant de stabilité retrouvée a explosé. Depuis, tout n'est plus que doute, une noire fumée se dresse devant ta route. Te forcant à t'arrêter, avec le risque de devoir regarder en arrière. Pour te retrouver face à ce que tu as perdu : ton père, ta meilleure amie, ta soeur, ta mère, tes amis, puis bientôt ta meute ? Tu secoues la tête, comme si c'était aussi facile de se débarrasser de tes sombres pensées. Dans ces moments là, via mère te manque. Tu as l'impression d'avoir vécu mille vies, pourtant tu n'as que seize dans, et actuellement tu tuerais pour que ta mère s'allonge à côté de toi et vienne caresser tes boucles d'or en te murmurant des chansons.

Quand la porte s'ouvre, tu te surprends à espérer que ton rêve désespéré se soit réalisé. Il n'est est rien, puisque c'est le visage fatigué de Fish qui se dessine à la lueur de la nuit. Elle aussi semble déçue, elle aurait préféré voir Hoshi. Tu t'en doutes. Sa princesse, triste écho au surnom dont on t'a affublé à ton arrivée. Pour Hoshi, ce fut un surnom affectueux, pour toi un crachat sur ton statut. Qu'importe. Tu suis Fish du regard. La nuit creuse ses traits, elle semble épuisée. Lasse. Âgée. Tu hoches la tête à sa question, même si tu sais qu'elle n'a pas besoin de ta permission pour faire quoi que ce soit. Elle est au-dessus de ça Fish. Alors qu'elle se laisse lourdement tomber sur un pouf, tu rassembles tes jambes malingres contre toi, comme pour ériger une barrière entre toi et la matriarche. Avec le temps, tu as appris à lui faire confiance, presque à l'apprécier. Ce n'est pas d'elle dont tu as peur, plutôt de sa détresse. « Désolée, j'imagine que tu aurais préféré voir quelqu'un d'autre ici. »

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