Quand on parle de l'adolescence, on imagine souvent des cris, des pleurs et des doutes. Et tu ne peux nier ces sentiments, qui font partie intégrante de cette période compliquée. Mais bien souvent, ceux qui parlent de l'adolescence oublient l'adrénaline de se découvrir, l'insouciance de ces moments où l'on a juste à grandir, ou encore le plaisir d'apprendre de nouvelles choses caque jour. C'est aussi ça, l'adolescence, même si bien trop souvent, on ne réalise la portée de ces moments que bien plus tard, quand d'autres soucis nous assaillent. De ton côté, tu ne cesses d'être partagée entre plusieurs sentiments. Comme tous ceux de ton âge, tu as l'impression que le ciel te tombe sur la tête à chaque instant. Que chaque contrariété te mettra plus bas que terre. Mais d'un autre côté, la vie t'a appris que chaque instant est précieux, et que chaque rire peut être le dernier. Tu as appris à profiter de moments simples, comme une heure de pause entre deux cours, passée à flâner sur la petite crique que votre bande affectionne, au bord du lac qui à tes yeux n'a de noir que le nom. Avril va bientôt laisser sa place au moins de Mai, où d'après les dictons de tes aïeux, tu peux enfin faire ce qu'il te plaît. Et bien que la fraicheur soit encore bien présente, t'obligeant à garder ta cape bien par-dessus tes frêles épaules, le soleil brille bien haut dans un ciel sans nuages. Fait assez rare en Écosse pour vouloir profiter du moindre moment de répit pour traîner dehors.

Un vent frais vient s'engouffrer dans tes cheveux, allant jusqu'à caresser ta nuque comme une main avide, et ça te fait sourire. Et, malgré toi, tu jettes un regard vers Astrid assise non loin de toi. Tu ne sais pas vraiment quels sont ces sentiments qui t'assaillent, ces instincts qui te poussent à la regarder, à partager ses rires et à chercher son approbation plus que celle de toute autre personne. Pourquoi ? Tu ne le sais pas vraiment, ou alors tu le sais sans pouvoir (ou vouloir, car la limite est parfois floue) mettre des mots là-dessus. À quoi bon après tout ? Es-tu vraiment obligée de mettre des mots sur ce que tu ressens ? Ne peux-tu pas juste vivre au jour le jour, sans chercher à comprendre ? Après tout, le cours de botanique commence dans 45 minutes donc tu as autre chose à faire que de te poser des questions. Allongée sur le ventre, ta tête dans tes mains, tu te redresses finalement, te tournant vers Astrid. « On est si bien ici, j'ai bien envie de sécher la botanique pour rester lire ici, qu'en penses-tu ? » Tu imagines facilement la réponse de la jeune femme, Astrid est la douceur incarnée. La fille parfaite sans le côté négatif du terme. Là où depuis le décès d'Ha-Yun tu n'es que rancœur et secrets, Astrid c'est la douceur et l'empathie. Ton contraire. Ton parfait complément. « Laisse tomber, je ne veux pas t'attirer d'ennuis.  On peut simplement rester là, et profiter des prochaines quarante-cinq minutes ! » Le soleil brille sur ta peau, jusqu'à la rendre presque laiteuse, tu espères que cela ne fait pas ressortir les cernes laissés par ces trop nombreuses nuits sans dormir. « Tu sais quoi ? Ma mère a essayé d'arranger un mariage entre moi et un sorcier de sang-pur de genre 20 ans de plus que moi, dans le genre creepy elle est championne. Tu te doutes bien que je fais tout pour que ça n'arrive pas, je refuse. » Les mariages arrangés sont monnaie courante dans ton milieu, mais là, elle a carrément dépassé les bornes maman Avery. Tout ça pour laver l'honneur bafoué par ton géniteur.

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D'ordinaire, Hogwarts semble plutôt austère. Avec son lac noir et ses pierres grises. Ses hautes tours hérissées comme le dos d'un dragon semblent défier le ciel souvent sombre des Highlands. Le château est tout en angles et en pointes, presque menaçant. Et parfois, la nature vous offre des petits cadeaux. Un rayon de soleil qui pare de lumière les herbes que la pluie a parées de chatoyantes couleurs. Ces jours sont rares et précieux, comme un compliment glissé au détour d'une conversation. Le soleil semble caresser la surface lisse du lac, y laissant des feuilles d'or qui ondule au gré du vent. Et, devant toi il y a Astrid. La chaleur au milieu du froid d'Avril. Le rayon du soleil qui perce les nuages. La douceur, la sincérité et la pureté. Un regard presque candide, d'une douceur infinie sur le monde. Si différente de toi. Alors que malgré ton visage angélique, tu n'es plus que colère, détresse et conflit, Astrid semble être ton parfait opposé. Ou alors ton parfait complément, qui sait ? Et alors que la vie vous offre un moment de douceur, hors du temps, fait de soleil et de rires, tu essayes - pour une fois - de mettre tes démons de côté.

Et simplement de profiter.

Du temps qu'on a. De celui qui reste. C'est quelque chose que l'on apprend quand soudainement, le monde s'écroule. Que ce soit une minute ou cent ans, il faut profiter du temps qu'on a. Quarante-cinq minutes donc. C'est mieux que rien, n’est-ce pas ? Suffisant pour prélasser au soleil, comme le propose Astrid. « Dommage qu'il ne fasse pas quelques degrés de plus, nous aurions pu nous baigner. » Quoique, l'eau doit être bien froide encore. Peut-être pas le meilleur moment pour un bain de midi. Quand tu racontes à ton amie les dernières frasques de ta mère, tu sais que sa réaction sera tournée vers l'empathie, la compréhension. Elle est comme ça ton Astrid. Une main de velours dans un gant de douceur. Mais d'une perspicacité désarmante. En témoigne sa question qui touche au but, pointant du doigt tes problèmes de sommeil et tes envies de te rebeller sans vergogne. Tu mets quelques minutes à répondre. C'est toujours difficile de te confier, surtout qu'Astrid, tu le sais, ne se laissera pas berner par une pirouette. Son empathie est telle qu'elle semble lire dans tes yeux comme dans les livres qu'elle se plaît à dévorer. « S'il n'y avait que ça, j'imagine que ça irait bien mieux. » Tu marques une pause, laissant tes yeux suivre le dessin que le vent trace sur la surface veloutée du lac qui n'a aujourd'hui de sombre que le nom. « Disons que je ne peux m'empêcher de me dire que cela ne serait pas arrivé si ... enfin si tout ça n'était pas arrivé quoi. » Tu as du mal à mettre des mots sur tout ça. Ha-Yun. Ton père. La vie qui se brise comme ta famille qui explose. « J'ai juste envie de me détacher de tout ça. Enfin cesser d'être la fille du monstre, celle qui sauvera l'honneur de sa famille. Je ne veux pas de ce fardeau. Je veux faire ce que je veux sans que l'on veuille me contrôler. Être qui je veux être. Être avec qui j'ai envie d'être. Avoir le contrôle sur ma vie. » Et parce que tu veux vivre, tu ne cesses de te détruire. Privant ton corps de nourriture, car c'est aujourd'hui la seule chose que tu penses contrôler à ce jour. Triste paradoxe qui te maintient cruellement en vie. « Tellement de règles qui m'empêchent d'être moi, sécher les cours n'est finalement qu'une petite règle à enfreindre. Bien plus facile que d'envoyer chier la pression familiale. » Il est plus aisé d'enfreindre une règle scolaire que de casser le schéma familial.

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Un esprit d'adulte dans le corps malingre d'une enfant, ou alors le cœur d'une enfant dans une chair déjà bien trop abîmée par la vie. On ne sait que penser, que dire en voyant tes os saillir sous ta peau bien trop fine. Toi-même, âme esseulée tu ne sais comment te définir, qui tu es dans ce monde, comment survivre là où on t'a déjà tant arraché. Pourtant, parmi cet océan de questions, il y a Astrid. Douceur, empathie et compréhension. Tout ce dont tu avais besoin. Et, bien que tu ne voulais pas le montrer, tout ce dont tu avais envie. Et alors qu'Astrid suggérait d'utiliser un sortilège pour vous baigner, c'est bien l'envie qui t'agitait les entrailles. Celle de voir vos deux corps ruisselants évoluant dans l'eau telle deux sirènes dont les secrets seront gardés sous la surface du lac noir. Est-ce dont cela que l'on appelle un fantasme ? Quand ce qui reste un rêve devient réalité dans les parties les plus intimes de ton anatomie ? Ce n'était ni le moment, ni l'endroit pour assouvir ce qui te tord délicieusement les entrailles. Pourtant, ce n'est pas l'envie qui t'en manque. Et elle brûle dans tes prunelles qui dévorent littéralement Astrid, à la manière des flammes intérieures qui te brûlent sans cesse.

Un instant, tu hésites à te déshabiller et à emmener Astrid avec toi dans ce jeu interdit. Mais tu préfères te taire, et l'écouter. Car les mots d'Astrid sont aussi doux que son regard, et ils savent pénétrer ton cœur sans douleur. Elle est incapable de faire mal à qui que ce soit Astrid, et surtout pas à toi. C'est ça que tu aimes chez elle, tu peux avoir toute confiance en elle. Confiance aveugle et assumée, sans limites. Tu lis dans ces mots qu'elle a aussi ses propres maux. Et alors qu'elle semble admirer ton courage, tu ne peux réprimer un rire nerveux. « Tu sais, tu n'as rien à m'envier. Je me bats, car je n'ai pas le choix, et à mon sens ce n'est pas vraiment du courage. Plutôt l'adrénaline, ou alors de l'autodéfense je ne sais pas trop.  Mais surement pas du courage. »  Si tu étais si courageuse, tu saurais assumer tes sentiments. Si tu étais si courageuse, tu ne ferais pas comme si ton père était mort. Tu n'es pas courageuse, tu fais juste ce que tu peux pour survivre.

Et alors qu'elle te prend la main, tu sens ton cœur s'emballer. Tu as l'impression d'en louper un battement, et que l'espace d'une seconde ton corps privé d'oxygène souffre le martyr. Tu serres sa main dans la tienne, prenant le temps de profiter de la chaleur de sa peau et des sensations qui inondent ton corps. C'est donc ça devenir une femme ? C'est voir ses émotions et sensations décuplées ? « Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans toi. » Tu marques une pause, comprenant la portée de tes mots. « Si, au fait je sais. Sans toi, je ne ferais ni ne serais pas grand-chose. »

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